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« Il est absurde de chercher à motiver quelqu’un, car une personne ne peut motiver une autre personne. La seule chose possible est de mettre les gens dans des situations où ils se motivent eux-mêmes. On ne motive pas les gens, on leur offre des situations où ils auront envie de se motiver »

Philippe Bernoux, 2009, p. 134

Dans un chapitre d’ouvrage paru en 2017, Emmanuel Kamdem observe que la responsabilité centrale du dirigeant et celle de son style de direction, aussi bien dans l’élaboration que dans la mise en oeuvre de stratégies gagnantes, demeurent au centre des débats autour des facteurs de performance des « entreprises africaines ». C’est relativement à cette représentation que Nkakleu (2019) insiste sur le caractère duel des contre-performances des dirigeants et des managers en Afrique. Conscients de la situation dans laquelle ils se trouvent, ces derniers restent ordinairement incapables de prendre des décisions adéquates en ce qui concerne « l’impact positif de la performance du personnel sur la performance des entreprises » : dirigeants et managers ne parviennent pas à « mobiliser leurs collaborateurs autour des objectifs stratégiques et organisationnels » (p. 188). Nkakleu remet de la sorte non seulement en question le style de leadership paternaliste qu’il estime « peu adapté », mais aussi explique que les valeurs qui sont au fondement de l’action collective, de l’implication et de la performance du personnel semblent ne pas être partagées par tous les acteurs organisationnels.

On accordera par conséquent qu’il est un débat au sein des leadership studies en Afrique. Celui de savoir si le leadership paternaliste, encore dominant, peut être convoqué comme un levier de mobilisation et d’implication des personnes au travail (Kamdem, 2017); ou bien de savoir si cette forme de direction des hommes entrave l’autonomisation des employés, la pensée indépendante et la créativité (Nwankwo et Richards, 2001).

Comme toute entreprise scientifique, ces deux interprétations, toutes légitimes, comportent des limites. La principale faiblesse de la première est qu’elle ignore d’une certaine manière les freins culturels à un leadership efficace, c’est-à-dire une forme de leadership qui prend en compte la culture et les valeurs locales (McFarlin et al., 1999). Le problème avec la seconde est qu’en reconnaissant les valeurs culturelles locales, elle remet en cause, au même moment, la pertinence empirique de cette forme de direction des hommes.

La tyrannie des orientations réside ici dans le fait que celles-ci suggèrent des axes de recherche, frappant d’illégitimité par la même occasion d’autres pistes de recherche. C’est ce type de considération qui a conduit Hernandez (2000), en se prévalant de l’opportunité du paternalisme en Afrique, à expliquer comment cette forme de direction des hommes peut participer de l’émergence d’un modèle africain de management ancré dans les cultures africaines. C’est la faiblesse relative d’un tel raisonnement qui a également conduit des chercheurs comme Lituchy et al. (2013) à s’employer à cerner le lien entre le leadership et la motivation du point de vue des Africains. Si une telle approche paraît fondée, il est normal de souligner que la plupart des travaux de recherche qui ont emprunté cette voie sont teintés d’essentialisme (Bakengela Shamba et Livian, 2014).

Dans le contexte de mondialisation économique actuel, ces travaux de recherche passés limitent la compréhension des formes d’innovations observées dans les pratiques entrepreneuriales et managériales au sein des « entreprises africaines », relativement à la capacité des dirigeants et des managers africains à développer des compétences interculturelles, dans l’optique de faire face aux situations complexes liées à cet environnement compétitif (Kamdem, 2007). Dans le même temps, entre des positions clairement identifiées, le dirigeant ou le manager africain éprouve des difficultés à faire un choix entre la fonctionnalité opérationnelle et la rentabilité économique de son entreprise, et la prise en compte des contingences sociales et culturelles dans les pratiques managériales et de direction (Kamdem, 2017).

Puisque les résultats des recherches disponibles ne permettent pas de trancher le débat autour des conséquences du paternalisme sur l’efficacité des entreprises (Etcheu, 2013), nous proposons une nouvelle approche en interrogeant la pertinence empirique des deux grandes orientations des recherches sur le leadership paternaliste en Afrique. Nous considérons avec Bernoux (2009, p. 120) que « Le paternalisme, si décrié aujourd’hui, avait au moins le mérite de mettre au coeur de la responsabilité du patron celle de ses salariés ».

À la différence d’un texte antérieur qui soutient que les gestionnaires peuvent « miser sur les […] employés » (Aktouf, 2006, p. 535), nous considérons que le « changement » est une « fonction » qui relève de la responsabilité du dirigeant. Parce que le changement a lieu à la jonction des contraintes et de l’acceptation de celles-ci (Bernoux, 2009, 2010), nous estimons que le registre de l’universalité (Levitt, 1983) doit prendre en compte celui de la contingence (Davel et al., 2009), donnant ainsi lieu à la reconnaissance de la diversité des rationalités et des logiques (Bernoux, 2009, 2010). Dans la perspective du management international qualifiée d’hybride (Milliot et Tournois, 2009), nous considérons que les deux interprétations du leadership paternaliste se complètent mutuellement.

Notre approche du sujet commande par conséquent de traiter cette problématique à partir d’une quadruple orientation :

  • En identifiant les moteurs et les conséquences des formes de leadership dominantes en Afrique;

  • En amorçant une discussion contextualisée des référentiels discursifs autour de la pertinence ou non du leadership paternaliste;

  • En abordant la question de l’imbrication des deux interprétations du leadership paternaliste dans toute sa complexité;

  • En mobilisant le concept de changement comme une exigence pour penser ensemble les deux faces du leadership paternaliste.

Théories du leadership et contextes africains

Le leadership en tant que thème majeur en Organizational Behavior a donné corps à différents travaux de recherche. Si le thème a un ancrage américain, il est important de souligner que le champ des leadership studies s’applique à différentes aires géographiques. Sans avoir la prétention d’être historien des théories du leadership, notre propos est de convoquer, à partir d’une approche contextualisée, quelques-uns des auteurs ayant travaillé sur cette thématique.

À propos des théories du leadership

La recherche sur les perspectives culturelles du leadership en contexte africain s’est habituellement fondée sur quatre grandes catégories des théories du leadership : les théories essentialistes, les théories relationnelles, les théories critiques et les théories constructivistes (Bolden et Kirk, 2009).

Les théoriciens de l’approche essentialiste définissent le leadership en des termes universels, en se concentrant sur des traits et des comportements prévisibles. Les théoriciens de l’approche relationnelle soutiennent que le leadership réside dans la relation que les leaders entretiennent avec les autres. Les théories critiques portent sur les processus sociaux et psychologiques qui caractérisent la performance des fonctions de leadership dans les organisations. Les théories constructivistes s’intéressent à la manière dont la notion de leadership est utilisée dans la construction des significations partagées, qui permettent aux individus de donner un sens aux situations difficiles auxquelles ils sont confrontés. Si toutes ces théories ont contribué à l’amélioration de la compréhension du leadership en Afrique, il est important de noter que les discussions reposent essentiellement sur des perspectives théoriques relatives à l’approche essentialiste. Pour autant, dans les débats, les quatre positions théoriques se chevauchent (Kuada, 2010).

Les premières théories du leadership ont été développées entre les années 1920 et 1970. Parmi les théories influentes de cette période, l’approche par les traits occupe une place centrale. Mais si cette approche figure le leader sur la base des attributs de personnalité et des attributs sociaux, différentes études empiriques approfondies soulignent la difficulté de généraliser une telle démarche. C’est ainsi qu’une théorie concurrente (l’approche situationniste ou contingente du leadership) a pu émerger. L’idée fondatrice de celle-ci est qu’il n’existe pas de « meilleur » moyen pour influencer les gens : il existe différents types de situations qui nécessitent diverses formes d’orientation du leadership.

Les théories récentes du leadership (1970-2010) adoptent soit des perspectives transactionnelles, soit des perspectives transformationnelles. Alors que le leadership transactionnel porte sur les échanges de faveurs qui se produisent entre les dirigeants et les subordonnés et sur la récompense ou la punition pour les « bonnes » ou les « faibles » performances, le leadership transformationnel se présente comme une sorte de modèle capable de motiver et d’inspirer les subordonnés en identifiant de nouvelles opportunités, en donnant du sens au défi, et en articulant une vision pour l’avenir (Oke et al., 2009). Contre cette vision, Hale (2004) considère que le leadership transformationnel n’est pas pertinent en Afrique.

Au tournant des années 1980, deux autres théories du leadership ont vu le jour : la théorie du leadership complexe et la théorie du leadership authentique. Si la première se concentre sur l’idée que le leadership fait partie d’un modèle dynamique et évolutif de comportements et d’interactions complexes entre divers acteurs organisationnels (Schneider et Somers, 2006), la seconde concentre l’attention sur la conscience de soi et sur les comportements positifs autorégulés des leaders; elle fait également valoir que les leaders authentiques ont tendance à présenter des comportements transparents et éthiques (Avolio et al., 2009).

S’il est légitime d’observer que la diversité des pensées qui a émergé au fil des ans fournit un soutien intellectuel à l’idée selon laquelle les styles de leadership et les comportements en Afrique peuvent être distincts de ceux qui sont observés dans d’autres parties du monde, il est également important de relever que ceux-ci ne sont pas nécessairement inefficaces. Les explications de l’apparente inefficacité du « leadership africain » ne doivent pas être interprétées sous le prisme du mépris des canons des formes de leadership occidentales, l’une des sources d’explication étant la « culture africaine » (Kuada, 2010).

La question d’un modèle conceptuel de leadership africain fondé sur la culture

Au cours des années 1980, en marge des approches théoriques que nous venons de présenter, nombre d’études ont suggéré que la culture, considérée comme l’ensemble des valeurs et des normes qui lient les membres d’une société ou d’une organisation comme une entité homogène (Roberts, 1970), fournit un cadre de référence à travers lequel les comportements de leadership peuvent être appréhendés (Dorfman et al., 1997).

Cette perspective du lien entre le concept de culture et celui de leadership souligne que les styles de leadership et les comportements ont un ancrage culturel (Kuada, 2010). Par exemple, on considère que les cultures de certaines sociétés approuvent des comportements de leadership autocratique tandis que d’autres exigent que leurs dirigeants fassent preuve de participation dans leurs comportements de leadership.

Pour toutes ces raisons, les arguments théoriques avancés dans les théories culturelles et les théories du leadership ont influencé les études disponibles sur le management en Afrique. Mais comme l’observe Kuada (2010), ces arguments n’ont pas été synthétisés dans un cadre cohérent qui puisse guider les recherches empiriques sur le terrain. Deux interprétations émergent des nombreux travaux de recherche réalisés sur le continent. Soit on considère que la dimension humaniste de la culture justifie le caractère unique des styles de leadership en Afrique, soit on projette la dimension instrumentale de la culture africaine comme un obstacle aux pratiques de leadership conquérantes.

On voit ici apparaître la question de la pertinence d’un modèle conceptuel du « leadership africain » basé sur la culture. Le leadership est de la sorte au centre des débats sur les facteurs de performance des entreprises. Parmi les multiples explications des faibles performances économiques des entreprises identifiées dans la littérature, les faiblesses du leadership (Ochola, 2007) occupent une place importante.

En effet, l’opinion générale dans la littérature anglo-saxonne disponible est que les leaders africains sont inefficaces, puisqu’ils s’adaptent, de manière approximative, aux exigences d’un système économique mondialisé. C’est ce qui a fait dire à Edoho (2007) que jusqu’à ce que les pays africains développent les capacités managériales de leurs leaders, les progrès sur l’ensemble du continent restent illusoires.

Ce constat convie à porter une attention particulière au style de leadership ordinairement considéré comme dominant en Afrique.

Le leadership paternaliste en contexte : (im)pertinence des référentiels discursifs autour d’une perspective africaine

L’une des définitions dominantes du leadership paternaliste repose sur un certain nombre d’éléments caractéristiques, dont un style de leadership paternel. Si cette forme de direction des hommes trouve son fondement dans des valeurs culturelles généralement associées aux Afriques, il reste que la plupart des travaux de recherche qui adoptent cette approche sont empreints de déterminismes.

Une approche critique du leadership paternaliste

En fonction du reflet de la personnalité du leader, de ses valeurs et de l’importance que ce dernier accorde à ses employés et à la production, cinq styles de leadership ont été identifiés par Blake et Mouton (1964) : le style autocratique, le style paternaliste, le style démocratique, le style collégial et le style nonchalant. La managerial grid élaborée par ces deux chercheurs comporte deux axes : un axe lié aux préoccupations orientées vers les tâches et un axe relatif aux préoccupations en lien avec les relations humaines. Parmi ces styles de leadership, le style paternaliste relève d’une attitude bienveillante à l’égard de ses subordonnés, tout en imposant obéissance à ceux-ci (Pesqueux, 2020).

Le leadership paternaliste peut donc être mobilisé sous une triple contingence : comme processus d’influence sociale en vue de l’atteinte d’un objectif (Shamir et al., 1993), comme acceptation volontaire de cette influence (Kotter, 1988), et comme moyen de changement de l’état de motivation des subordonnés. Vu sous cet angle, le leadership paternaliste renvoie à une démarche de diagnostic des rapports entre les acteurs organisationnels en vue de la formulation d’une stratégie. Une telle perspective suppose la mise en oeuvre du changement à travers le développement d’une base d’influence sur les subordonnés, en incitant ces derniers à travailler pour atteindre les objectifs de changement (Paglis et Green, 2002).

Contre cette approche, qualifiée d’occidentale, des chercheurs se sont employés à mener des recherches comparatives dans l’optique d’identifier des similitudes et des différences de perception des dirigeants (House et al., 2004), les caractéristiques de ces derniers, et même la congruence entre les comportements de leadership suivant les pays et les cultures (Lituchy et al., 2013). Ces chercheurs estiment qu’il serait intéressant de partir du point de vue des Africains pour identifier le style de leadership qui correspond au continent africain. C’est ainsi que nombre de chercheurs ont été séduits par l’émergence d’idées autochtones comme l’Ubuntu et l’Indaba.

Jackson (2004) décrit ainsi la « Renaissance africaine », concept rendu populaire par l’ancien Président Sud-africain Thabo Mbeki, comme un type émergent qui donne un aperçu de ce que l’Afrique peut offrir à la gestion globale. Humanisme, responsabilité collective, entraide communautaire et assistance mutuelle sont des valeurs au sein de nombreuses sociétés africaines. C’est pourquoi la direction des systèmes de gestion de « Renaissance africaine », qui se rapporte au leadership dans les sociétés africaines traditionnelles, relève à la fois d’un consensus et des « valeurs africaines » qui rendent compte de toutes les dimensions de la vie. Dans ce registre, Asamoah et Yeboah-Assiamah (2019) affirment que la philosophie Ubuntu appelle culturellement les Africains à promouvoir le mieux-être de la société dans son ensemble. Ces deux auteurs font pourtant un constat paradoxal : celui des faibles résultats des leaders africains en matière d’utilisation des ressources disponibles.

Suivant McFarlin et al. (1999) ou encore Newenham-Kahindi (2009), la confiance, en tant que dimension des styles de leadership autochtones, a pour fondement des relations interpersonnelles, des discussions ouvertes qui favorisent la participation de tous les employés, et la discipline fondée sur la manière dont l’individu affecte le groupe. Par exemple, les actions de l’ancien Président Sud-Africain Nelson Mandela reflétaient la valeur culturelle africaine de l’Ubuntu (Wanasika, 2011).

En 1997, Blunt et Jones ont observé qu’en Afrique les styles de direction des hommes pertinents sont plus paternalistes que les styles de leadership pertinents en Occident. Pour Mathauer et Imhoff (2006), les outils de motivation non financiers et un style de leadership paternaliste sont plus indiqués en contexte africain. En sorte qu’en Afrique, le leader efficace est une personne qui fait preuve de compassion, de paternalisme et de soutien (Newenham-Kahindi, 2009).

Pour autant, si les valeurs culturelles associées aux Afriques paraissent pertinentes, force est de constater que la plupart de ces travaux adoptent une approche fondamentalement déterministe.

Pour une approche de « l’hybridité segmentée » du leadership paternaliste

Aujourd’hui encore, la question d’un style de leadership adapté au contexte africain reste posée. Si des particularités d’un « leadership africain » ont été identifiées dans la littérature, celles-ci ne permettent pas de prendre en compte les réalités complexes qui sont observées de nos jours.

Pour dépasser ces représentations, il est question d’esquisser un cadre d’analyse capable d’asseoir des pistes de recherche davantage fructueuses. Et pour atteindre cet objectif, il est primordial de relever que les grands courants de la littérature sur ce thème, en raison de leur caractère englobant, sont insuffisamment différenciés. De là la nécessité de proposer une analyse basée sur les différences entre les caractéristiques de leadership observées dans diverses formes d’organisations (Bakengela Shamba et Livian, 2014).

D’après ces deux chercheurs, la diversité des perspectives théoriques généralement mobilisées pour rendre compte des pratiques de gestion en Afrique fait place nette au paradigme du contexte externe (culturaliste et institutionnaliste). Des chercheurs qui ont travaillé sur cette thématique, Kamdem (2000) adopte une approche qui cadre particulièrement avec notre problématique. Il identifie deux perspectives : la « perspective rationaliste et fonctionnaliste » et la « perspective culturaliste et humaniste ».

Il n’est pas inutile de rappeler que nombre de chercheurs, africains et étrangers, soutiennent que dirigeants et managers africains mettent l’accent sur une valeur comme la convivialité à l’intérieur des organisations, « plutôt que sur des relations basées sur la logique de l’efficacité » (Bakengela Shamba et Livian, 2014, p. 5). C’est la minceur relative de cette perspective qui a conduit Bourgoin (1984) à soutenir que les méthodes de gestion occidentales ne cadrent pas avec la culture africaine. Pour cet auteur, l’inclinaison des Africains pour la recherche de relations sociales harmonieuses rend la direction participative par objectifs inapplicable sur le continent. C’est d’ailleurs à regret que Kamdem (2017) souligne que la démarche adoptée par Bourgoin (généralisation des résultats obtenus par Hofstede, 1984), met davantage l’accent sur la dimension instrumentale du leadership considéré comme une « technique de commandement », au mépris de la dimension relationnelle et humaine.

En dépit des explications des échecs répétitifs des « entreprises africaines » fournies par les experts occidentaux, Bakengela Shamba et Livian (2014) considèrent que « le paradigme de l’environnement externe » ne peut à lui seul permettre la compréhension de ces entreprises. Parce qu’ils ne prennent pas en compte la pluralité des variables explicatives et contingentes qui influencent la pratique de la gestion en Afrique, ces modèles généraux ne sont pas convaincants. Les deux chercheurs plaident par conséquent pour une approche de « l’hybridité segmentée ». Car l’Afrique n’est pas isolée du reste du monde dans sa totalité. La notion d’hybridation leur permet ainsi de saisir la complexité du tout, rendant ainsi possible la prise en compte de la diversité des formes de gouvernance en fonction de différents types d’organisations.

La démarche adoptée par ces deux chercheurs est intéressante dans la mesure où elle leur permet de passer en revue cinq types d’organisations, de façon à identifier les situations où peuvent émerger des pratiques spécifiques, ou encore, des situations où des problématiques davantage universelles prennent corps. Les deux chercheurs considèrent que la performance des entreprises en Afrique dépend de la combinaison de différentes approches théoriques. Parmi les organisations dont les caractéristiques ont été analysées dans la partie francophone du continent africain (Ouest et Centre) (les grandes entreprises locales, les ONG, les filiales de multinationales, les PME et les TPE), les variables identifiées dans le cadre de notre réflexion sur le leadership paternaliste cadrent davantage avec les PME.

En sorte que, si le « paradigme de l’environnement externe » cantonne le management à un certain « folklorisme » (Bakengela Shamba et Livian, 2014), l’ouverture du continent ainsi que ses transformations actuelles appellent à une approche rénovée, notamment en ce qui concerne les pratiques de GRH (Hounkou et Pichault, 2008), particulièrement en contexte de PME (Tidjani et Kamdem, 2010).

Au sujet des deux faces du leadership paternaliste : la question de l’encastrement des comportements

De manière générale, les deux faces du leadership paternaliste sont considérées comme antagonistes. Dans la perspective d’accéder à une compréhension fine de cette forme de direction des hommes en Afrique dans toute sa complexité, singulièrement dans le contexte des PME, nous considérons que ces deux interprétations se complètent mutuellement.

Ce dont le leadership paternaliste est la traduction

Les pratiques organisationnelles se rapportent à des traditions et à des représentations différentes dont le paternalisme est l’une des dimensions. S’agissant principalement du contexte culturel, on considère habituellement que l’Afrique est un continent marqué par des normes de la vie communautaire (Etcheu, 2013).

Si cette approche a été relativisée par Kamdem (2010), qui affirme que l’individualisme est présent dans les sociétés d’Afrique, on considère généralement que l’appartenance à une telle structure sociale donne différents droits à ses membres dont l’assistance ou le soutien de la communauté. De tels privilèges ont pour contrepartie des obligations sociales : les personnes bénéficiaires doivent témoigner de la reconnaissance vis-à-vis de leurs bienfaiteurs (Etcheu, 2013).

Dans ce type de société, les structures organisationnelles des entreprises se caractérisent par l’importance accordée à la hiérarchie ainsi que par la faible formalisation des procédures. Redding et Pugh (1986) ont observé cette réalité dans différentes entreprises, aussi bien en Asie qu’en Afrique, notamment dans le contexte des PME. Sur cette base, Colle (1993) n’a pas eu tort de considérer que les PME sont un prolongement de la famille. Comme l’observe Torrès (2001), l’unité de production des « PME africaines » ressort de la cellule familiale. Le paternalisme se présente en cela comme la sixième dimension de la culture (Etcheu, 2013).

Parce qu’il implique autoritarisme, le paternalisme est décrié en Occident. Mais si le paternalisme peut être considéré dans ces sociétés à la fois comme autoritaire et manipulateur, cette forme de direction des hommes a des implications positives dans les cultures où il est ancré (Aycan, 2005). Différentes études (Cheng et al., 2004; Osland et al., 1999) soulignent qu’en Amérique Latine, en Asie et au Moyen-Orient, le paternalisme est interprété comme un style de direction des hommes efficace (Etcheu, 2013).

Au Maghreb, les règles de fonctionnement des entreprises (les systèmes de gestion des ressources humaines notamment) considérées comme paternalistes prennent appui sur des normes intériorisées, en marge des règles formelles (Scouarnec et Silva, 2006). La qualité des relations interpersonnelles se caractérise par la soumission à l’autorité et au refus de remettre en question le style de leadership. Dans une étude comparative entre entreprises réalisée au Nigéria, Ahiauzu (1983) observait que les dirigeants appartenant à la communauté Haoussa font montre d’un style paternaliste agrégé à une sujétion à l’autorité relativement aux dirigeants issus de la communauté Ibo (Etcheu, 2013).

Parce qu’elle suggère le lien entreprise/société, la présente réflexion convie à une interrogation autour des implications du leadership paternaliste.

Une interrogation autour des implications pratiques du leadership paternaliste

Pour rendre compte des implications du leadership paternaliste, nous mobilisons trois exemples tirés d’une étude (Etcheu, 2013) réalisée au Cameroun. Trois PME familiales (X, Y et Z) sont présentées suivant les types d’organisation et les critères de sélection du personnel en vue de la formation. Nous avons fait le choix de réduire le propos à ce qui vaut en matière de validation empirique.

Présentation des cas

Le premier exemple (cas X) est une société de transformation de la matière plastique. À sa création, l’objectif de l’entreprise était de « donner » de l’emploi aux jeunes et, seulement ensuite, de rechercher le profit. Il s’agissait également d’encourager le personnel à se loger et à se marier. Le Directeur Général achetait des parcelles de terrain pour la construction; l’entreprise participait au financement de la dot. Ce « levier de motivation » conduisait les employés à appeler le Directeur Général « papa ».

L’entreprise avait sélectionné et envoyé trois employés en Italie, au cours de ses premières années d’existence, pour une formation dans le domaine de la maintenance. Quelques années après, la sélection ne posait plus de problème, puisqu’elle se faisait sur le tas, par des experts occidentaux (Italiens et Français) ou par un expert local.

L’entreprise avait par la suite sollicité les services d’un expert-comptable dans le cadre d’une formation sur les nouvelles méthodes et techniques du plan comptable. Peu de temps après, parmi le personnel de l’entreprise sélectionné pour une formation sur les techniques de l’informatique et de la communication, se trouvait la fille du DG. Le chef d’entreprise comptait sur l’acquisition de compétences par cette dernière. Il envisageait de lui confier le poste de responsable commercial. Mais celle-ci a démissionné quelques temps après la formation. Devenue irrégulière à son poste de travail, elle avait fait savoir au DG qu’elle projetait de quitter l’entreprise. Ce dernier ne s’y est pas opposé. Sa fille faisait sa fierté. Le DG considérait que même après son départ, sa fille allait lui venir en aide s’il se retrouvait en difficulté.

Le deuxième exemple (cas Y) est une société à responsabilité limitée (SARL) spécialisée dans le commerce de gros et de détail du matériel de construction et de mobilier de maison. Après quelques années de fonctionnement, alors même qu’il urgeait de former le personnel, la direction considérait que les dépenses engagées étaient irrécupérables et que de tels investissements n’amélioreraient pas la situation de l’entreprise.

L’entreprise avait finalement sélectionné et envoyé deux salariés, « membres de la famille du PDG en France », pour une formation en gestion de stocks et en gestion des techniques de vente. Ce choix était motivé par une raison. Certains employés, membres de la famille du dirigeant, s’étaient plaints de ce qu’ils n’étaient pas rémunérés à la hauteur du lien qui les unissait à celui-ci. Le PDG demanda au Directeur Administratif et Financier d’ajuster le salaire de quelques-uns d’entre eux au niveau des salaires des cadres de l’entreprise. Deux membres de la famille du PDG allèrent se former en France dans la perspective d’accéder à des postes de responsabilité davantage qualificatifs et correspondants aux salaires qui leur étaient versés.

Il arrivait que le candidat choisi par le PDG et son épouse ne corresponde pas aux critères définis; situation qui pouvait occasionner des tensions au sein de l’équipe au point de démotiver certains collègues. Le PDG considérait que les départs répétés des employés sont le fait des candidats au recrutement n’appartenant pas à la même communauté (ethnie, région, etc.) que lui. Ces employés finissaient par démissionner puisqu’ils n’arrivaient pas à s’intégrer. Le délégué du personnel, appelé « chef des enfants », jouait le rôle de chef de famille.

Le troisième exemple (cas Z) est une société anonyme (SA) spécialisée dans la transformation des polyéthylènes. Le cadet et le cousin du Responsable Administratif et du Personnel (RAP) avaient été choisis pour une formation en vue de la fabrication de nouveaux produits. Un expert externe assurait la formation sur le lieu de travail chaque semaine, pendant une période de six mois.

Au cours des années 1990, période liée à la dévaluation du franc CFA et à la baisse de salaire au Cameroun, l’entreprise avait recruté sans tenir compte du profil de qualifications au poste. Par la suite, des formations avaient été organisées en interne. Le RAP avait recruté son cadet et son cousin, qui disposaient des qualifications requises pour les postes. Ce choix était fondé sur le désir du RAP d’aider financièrement ses « frères ». Mais pour des raisons d’indiscipline, il les licencia deux années après.

Devenus arrogants après la formation, le cadet et le cousin du RAP faisaient croire aux autres salariés qu’ils étaient intouchables. Or, dans cette entreprise, le « travail bien fait » comptait par rapport aux relations. Le fils du PDG, qui dirigeait une unité de production, avait déjà été licencié pour motif d’incompétence et d’indiscipline. L’entreprise ne comptait plus d’enfants du fondateur dans ses effectifs.

Discussion

Le style de direction des hommes adopté par les dirigeants a une incidence aussi bien sur les objectifs que sur l’efficacité des trois PME. En raison de l’insatisfaction professionnelle, des départs sont enregistrés dans ces entreprises. Dans le cas X, un départ volontaire que le dirigeant trouve normal, puisqu’il n’attend pas de retour de l’investissement en formation. Dans le cas Y, on enregistre un départ dû au climat de travail, et dont l’origine est la difficulté d’intégration des employés du fait de différences d’origines sociales. Dans le cas Z, les départs involontaires sont liés l’incompétence et à l’indiscipline.

En prenant appui sur ce diagnostic, il paraît légitime d’observer que si Etcheu (2013) soutient l’idée selon laquelle les dirigeants de PME en contexte camerounais raisonnent davantage en termes de prise en compte des contingences sociales et culturelles dans les pratiques de leadership que de fonctionnalité opérationnelle et de rentabilité économique de leurs entreprises, les résultats d’une étude récente (Etogo, 2019) révèlent que les dirigeants de PME au Cameroun raisonnent à la fois en termes d’efficacité, dans leurs tâches quotidiennes, et en termes de prise en compte des contingences sociales et culturelles, s’agissant des relations de travail.

Sur ce point précis, Tidjani et Kamdem (2010) nous enseignent « qu’il existe au moins deux façons de gérer les ressources humaines dans les entreprises en Afrique : une approche par les processus sociaux et une autre par l’atteinte des objectifs de l’entreprise. La première contient deux orientations possibles […] : une orientation stratégique consistant en une décision managériale d’intégrer processus sociaux et GRH et une autre qui suggère une adaptation au contexte considéré comme une contrainte » (Etogo et Estay, 2013, p. 30). Comme l’écrit Etogo (2019, p. 26) : « Les obligations sociales et coutumières des acteurs économiques en Afrique cohabitent avec leur volonté d’adopter par l’usage une rationalisation occidentale des modes d’organisation et de gestion. Cette conjugaison révèle que la responsabilité traditionnelle et africaine de l’entreprise participe de la modernisation de l’économie ». Selon ce chercheur, les dirigeants de PME au Cameroun intègrent les contingences sociales et culturelles dans les pratiques de leadership en considérant cette démarche à la fois comme une stratégie (en termes d’opportunités à saisir) et comme une contrainte (en termes d’obligations sociales et traditionnelles à gérer).

En observant que les recherches en contexte africain abordent le leadership paternaliste soit comme un obstacle culturel, soit comme un facteur mobilisateur, il paraît nécessaire de définir un ensemble de référents communs à partir desquels la variation des comportements peut être abordée. Relativement à notre problématique, deux grandes lignes de tension traversent les trois cas de PME : la tension universalité/paternalisme et la tension performance/paternalisme.

La première tension se vit différemment en Occident où le paternalisme est décrié (Bernoux, 2009). Au même moment, le paternalisme est valorisé au Cameroun (Etcheu, 2013). Dans le cas X par exemple, le DG soutient qu’il est capital de faire le bien autour de soi. Victor Fotso, l’un des bâtisseurs du secteur privé au Cameroun, considère que le bien que nous faisons peut nous revenir (à notre fils, notre fille, une personne chère, etc.) sous quelque forme que ce soit. Il est donc hors de propos d’attendre un retour sur investissement. Ce qui compte, c’est la reconnaissance, la loyauté et le respect, aussi bien vis-à-vis du dirigeant, de ses enfants et de ses bien-aimés (Fotso et Njougla, 1976). Alors que sous d’autres cieux les avantages sociaux sont considérés comme une nécessité de l’exercice d’une fonction ou de l’amélioration de l’efficacité de l’entreprise, la sélection et l’attribution d’une formation sont assimilées à des faveurs accordées par le dirigeant (Etcheu, 2013).

La deuxième tension permet d’observer que le paternalisme est abordé dans les trois cas de PME sous l’angle de l’atteinte des objectifs d’efficacité organisationnelle et de performance. L’atteinte de ces objectifs justifie par exemple le licenciement du cadet et du cousin du RAP, ainsi que celui du fils du PDG. Même si les finalités peuvent être différentes de ce qui peut être observé dans d’autres régions du monde, le fonctionnement souhaité demeure une exigence permanente pour une direction gagnante des hommes. Divers éléments du paternalisme peuvent jouer un rôle positif ou négatif relativement à ces exigences. Les trois exemples révèlent que l’approche culturelle du paternalisme n’est pas toujours un atout. La mondialisation économique actuelle sert donc de cadre de réflexion à une telle problématique, étant donné que les deux faces du leadership paternaliste reposent sur des façons différenciées de direction des hommes.

Dans ce contexte, si les contingences sociales et culturelles restent permanentes, c’est sans doute parce qu’elles font partie intégrante des comportements de leadership paternaliste. Le problème se situe donc ailleurs. Il se pose en termes de niveau ou de degré d’intégration des processus sociaux dans les pratiques de leadership. Si bien qu’il s’agit d’assurer une sorte d’équilibre en se gardant d’accorder plus de poids à l’une des deux faces du leadership paternaliste.

Quelles perspectives pour repenser le leadership paternaliste ?

La mise en oeuvre d’une forme de leadership paternaliste qui prenne en compte aussi bien la fonctionnalité économique de l’entreprise que les contingences sociales et culturelles commande d’initier une démarche de changement.

En tant que construction sociale dynamique, la culture de direction des hommes dominante en Afrique peut connaître des changements. Parce que les êtres humains ne sont pas des fiches vides sur lesquelles la culture imprime ses scripts, les dirigeants peuvent tirer parti de leurs dotations cognitives et, ainsi, développer leurs propres règles de comportement internes qui assureront la modification des obligations sociales et culturelles là où cela est nécessaire. Les leaders africains sont capables de façonner l’évolution et le dynamisme des cultures nationales sur le continent, produisant un nouvel ensemble de règles de comportements (Kuada, 2010). Pour atteindre cet objectif, les trois pistes de recherche identifiées par ce chercheur restent valables.

  • Il paraît légitime de questionner l’hypothèse selon laquelle les leaders africains sacrifient les objectifs organisationnels au profit de gains personnels et familiaux. La question est celle de savoir si ces affirmations restent pertinentes, au point d’exercer une influence aussi bien sur le comportement des leaders que sur la performance organisationnelle. La question en filigrane est celle de savoir s’il existe un style de leadership qui améliorerait la performance organisationnelle en Afrique. Cette question reste ouverte.

  • Il s’agit de s’intéresser au type de stratégies de développement que pourraient adopter les leaders sur le continent. Le leadership en contexte africain doit prendre en compte à la fois des pratiques importées de l’Occident et certaines valeurs locales dominantes. Cette perspective stipule que toute construction d’un style de leadership approprié doit être développée et formulée en prenant en compte des éléments de contexte.

  • Les leaders africains doivent concevoir des systèmes qui facilitent l’apprentissage à travers diverses sources d’idées et l’intégration de celles-ci dans des instruments de management nouveaux et appropriés, qui pourraient améliorer la qualité de la direction des hommes à tous les niveaux de la société. Il s’agit ici de considérer que le processus d’apprentissage augmenterait les capacités dynamiques des employés africains et améliorerait leur potentiel créatif. L’autonomisation des employés fait d’ailleurs partie des conditions préalables au développement des connaissances et à la créativité.

Une telle approche révèle qu’en contexte africain, les deux faces du leadership paternaliste comptent. Dans le contexte de mondialisation actuel, si l’on prend en compte ces deux dimensions, l’on se retrouve tout de même dans une situation paradoxale : comment peut-on considérer que les valeurs culturelles peuvent être convoquées comme un levier de mobilisation et d’implication des personnes au travail et estimer, dans le même temps, qu’elles entravent l’expression de pratiques de leadership efficaces ?

Dans la démarche de conciliation, le leadership paternaliste est confronté aussi bien aux vices qu’aux vertus dont il est tributaire, de manière à affronter à la fois l’ambiguïté et la contradiction (Morin, 2004). La nécessité de la compréhension des deux interprétations suppose de reconnaître la complexité de ce style de direction des hommes, ainsi que la nécessité de composer avec ses deux faces, qui semblent antagonistes. La présence de contradictions n’est pas en soi une preuve de l’inconsistance du leadership paternaliste, mais un indice de la complexité éthique liée à l’exercice du pouvoir.

Il n’y a donc pas à choisir entre la dimension fonctionnelle et productive, et la dimension relationnelle et domestique de l’entreprise. La seule position théorique qui tienne est celle de la coévolution, inscrite dans la perspective de rendre les règles des deux dimensions compatibles. Pour pertinente qu’elle soit, cette approche comporte pourtant une limite. Elle présente l’inconvénient de réduire le changement à un problème de leadership ou d’éthique. La problématique s’étend alors aux rapports entre société et entreprise. Dans les discussions, les dirigeants gardent des possibilités d’arbitrage.

Parmi les stratégies de mise en oeuvre du changement, il y a l’intégration des différences de rationalités et de logiques. Comme l’écrit Bernoux (2010, p. 304), « Pas plus qu’un seul modèle de valeurs, il n’y a un seul modèle de rationalité, la reconnaissance des rationalités correspondant à celle de la pluralité des valeurs ». En se gardant de prendre en compte les deux faces du leadership paternaliste dans une même analyse, c’est se priver de quelque force explicative.

La conciliation de la dimension fonctionnelle et productive, et la dimension relationnelle et domestique de l’entreprise, permet de comprendre que dirigeants et subordonnés sont tous des acteurs du changement. Toute démarche de changement commande la reconnaissance de ce qu’elle suppose : la prise en compte de la rationalité des acteurs qui y sont engagés. C’est à juste titre que Terssac (1992) souligne que pour faire fonctionner un système, « on n’a pas seulement besoin de rationalité économique » (Bernoux, 2010, p. 307). Si la prise en compte de la dimension relationnelle et domestique peut conduire à des dérives, il importe également de tenir compte de cela.

Une telle approche commande un apprentissage qui appartient aussi bien au dirigeant qu’aux subordonnés. Au-delà d’être cognitif, l’apprentissage est aussi relationnel et interactif. Sur le sujet, nombre de recherches comparatives internationales soulignent que l’organisation des entreprises diffère selon les pays, en sorte que le schéma d’organisation rationnelle doit prendre en compte les traits spécifiques locaux (Sainsaulieu, 1987). Comme l’ont relevé les théoriciens de la contingence, les organisations sont « des systèmes ouverts dont les membres sont en interrelation […] Et c’est finalement la qualité des relations, la reconnaissance ou la non-reconnaissance, qui motivent ou démotivent » (Bernoux, 2010, p. 309).

Conclusion

Cette présentation des vices et des vertus du leadership paternaliste en contexte africain a permis de poser les bases du dépassement des deux interprétations. Il s’est agi de cerner la nature du leadership paternaliste dans les organisations en Afrique ainsi que les potentiels de changement qui peuvent améliorer aussi bien la performance organisationnelle que la croissance économique sur le continent. Notre propos dans cet article n’est pas de faire l’apologie des valeurs culturelles, encore moins de les rejeter, mais de relever que les deux faces du leadership paternaliste se complètent. Par sa capacité à rendre les règles des deux dimensions compatibles, l’imbrication nous est parue opportune pour relever que ces dernières comptent toutes. L’enchevêtrement participe à la fois de la distinction et de la conjonction des deux interprétations.