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S’il est généralement admis que des virus sont impliqués dans la survenue de certains cancers, le rôle du virus simien SV40 dans la carcinogenèse chez l’homme est controversé. Deux études récentes publiées dans le Lancet [1, 2], montrant l’existence de séquences d’ADN de SV40 dans des lymphomes non hodgkiniens, relancent un débat qui avait déjà récemment rebondi avec la découverte de séquences d’ADN de type SV40 dans les mésothéliomes [3].

SV40 est un polyomavirus, genre qui comporte également les virus BK (BKV) et JC (JCV) qui infectent largement la population générale [4]. Le virus JC est responsable de la leuco-encéphalopathie multifocale progressive, et le virus BK d’atteintes de l’appareil urinaire chez les immunodéprimés (en particulier de cystites hémorragiques chez les patients ayant reçu une greffe de moelle osseuse, et de sténoses urétérales chez les patients ayant reçu une transplantation de rein). On peut détecter le génome de ces virus dans certaines tumeurs humaines, comme des médulloblastomes ou des neuroblastomes. Ces polyomavirus ont en commun l’expression dprotéine, l’antigène T (Tag), susceptible d’interagir avec des protéines cellulaires telles que p53 et pRb et d’entraver leur fonctionnement. Ces protéines jouent un rôle important dans le contrôle de l’intégrité de l’ADN et de la prolifération cellulaire.

L’origine des questions actuellement posées sur le rôle de SV40 dans la survenue de certaines tumeurs humaines remonte aux années 1960, avec la découverte d’une contamination par SV40 de lots de vaccins contre la poliomyélite, et la démonstration ultérieure du développement de tumeurs chez des hamsters qui avaient reçu des inoculations de polyomavirus. Chez ces animaux, des tumeurs, rares dans l’espèce humaine, étaient observées : épendymomes, tumeurs du plexus choroïde et ostéosarcomes, ainsi que des lymphomes. Par exemple, l’injection intracérébrale de BKV chez le hamster provoquait des tumeurs du plexus choroïde et des ostéosarcomes [5] et JCV induisait des médulloblastomes, des méningiomes et des épendymomes [6]. L’injection de SV40 provoquait, elle, des ostéosarcomes et des lymphomes [7] et, plus récemment, Cicala et al. [8] ont montré que l’instillation intra-pleurale de SV40 provoquait le développement de mésothéliomes.

Partant de ces observations, différents auteurs ont recherché la présence de polyomavirus dans les tumeurs humaines de même type que celles qui étaient observées expérimentalement. Dans les années 1990, plusieurs travaux ont fait état de la présence de séquences d’ADN de polyomavirus dans différentes tumeurs humaines. Bergsagel et al. [9] montraient qu’environ 50 % des tumeurs du plexus choroïde observées chez l’enfant, et la majorité des épendymomes étudiés, contenaient des séquences d’ADN compatibles avec celles de SV40, et exprimaient une protéine réagissant avec un anticorps anti-Tag. Dans quelques cas, SV40 était effectivement identifié par séquençage de l’ADN amplifié par PCR. Des résultats similaires ont été obtenus par d’autres auteurs dont certains ont, de plus, mis en évidence des séquences d’ADN de BKV dans les tumeurs [10].

Une seconde vague d’intérêt pour SV40 s’est développée à partir de 1994, à la suite des résultats précédemment mentionnés sur le mésothéliome. On a en effet évoqué le rôle étiologique potentiel d’un autre facteur ou d’un co-facteur, et en particulier d’un virus, dans le développement de cette tumeur primitive de la plèvre, considérée comme résultant dans la majorité des cas (70 % à 80 %) d’une exposition aux fibres d’amiante. L’intervention possible d’un autre facteur étiologique, outre son intérêt scientifque, était susceptible de remettre en question l’attribution des responsabilités dans les processus de réparation ou d’indemnisation des patients atteints de mésothéliome. D’après les diverses études qui ont porté sur le mésothéliome, il ressort que des séquences d’ADN correspondant au génome de SV40 sont détectées dans ces tumeurs, mais ce n’est pas le cas dans toutes les tumeurs, et cette hétérogénéité dépend aussi bien des pays que des études. Ces divergences ne sont pas limitées au mésothéliome. Pour revenir aux lymphomes non hodgkiniens, un travail récent concluait que SV40 était rarement présent dans ces tumeurs [11].

Une telle inconstance - peut-être liée à une différence géographique - existe en ce qui concerne la présence des séquences de SV40 dans les ostéosarcomes [12]. Cette variabilité géographique a été également remarquée pour le mésothéliome où des séquences d’ADN compatibles avec celles de SV40 ont été détectées dans la plupart des études publiées à partir de patients vivant aux États-Unis, en Australie et en France, mais pas en Finlande, ni en Turquie par exemple. Ces différences ont suscité la réalisation de deux études multicentriques portant sur les mésothéliomes ; elles ont abouti à des résultats opposés. Selon Testa et al. [13], la présence de séquences d’ADN de SV40 était confirmée, alors que Strickler et al. [14] n’en détectaient pas. Les difficultés méthodologiques dues aux faibles quantités de polyomavirus présentes dans les échantillons expliquent probablement ces observations contradictoires. Elles soulignent la nécessité d’une standardisation des analyses et l’importance de réaliser de nombreux contrôles pour éviter les résultats artéfactuels. Cet aspect vient d’être récemment étudié lors d’une réévaluation de la présence de SV40 par PCR dans les mésothéliomes, en Belgique [15]. Des problèmes liés à la pureté des anticorps anti-Tag SV40 ont été également mentionnés [16].

À ces questions d’ordre méthodologique s’ajoute celle posée par les divergences de résultats observés à partir d’échantillons provenant de tissus sains. En effet, des séquences d’ADN de SV40 ont été détectées dans ces échantillons et les taux de positivité sont extrêmement variables selon les études, qu’il s’agisse de sang périphérique, de tissu normal ou d’autres types de tumeurs.

La découverte de séquences d’ADN et de la protéine virale dans les tumeurs n’implique pas une relation causale entre la présence des séquences virales et la survenue de la tumeur. Les études effectuées chez le hamster (il existe aussi quelques rares études réalisées chez la souris) démontrent cependant que les polyomavirus peuvent provoquer différentes sortes de tumeurs pour lesquelles, chez l’homme, les facteurs étiologiques restent inconnus. Cette observation justifie à elle seule la recherche du rôle de ces facteurs dans l’oncogenèse. Actuellement, si l’attention est focalisée sur SV40, les autres polyomavirus oncogènes détectés chez le hamster n’ont pas été systématiquement recherchés dans les tumeurs humaines, à quelques exceptions [10]. Jusqu’ici, la suggestion d’un lien entre SV40 et cancer n’a pas été apportée par des études épidémiologiques étudiant le retentissement possible de la vaccination des années 1955-1965 sur la fréquence des cancers [17, 18]. Cependant, la puissance de ces études est nécessairement limitée par les imprécisions quant à l’exposition et la faible fréquence des tumeurs d’intérêt (voir encadré sur le rapport de l’IOM). Aujourd’hui, on s’interroge toujours sur le mode de circulation de SV40 dans la population générale. Des analyses plus précises de l’ADN de SV40 retrouvé dans les tumeurs pourraient apporter des indications sur l’origine de la contamination. Dans les tumeurs, sur la base de l’étude de séquences enhancer dans la région régulatrice, il semblait que le virus se trouvait sous sa forme primitive (archetypal), alors que les vaccins utilisaient un variant possédant une duplication d’une séquence de 72 pb. Un lot de vaccin, récupéré de manière très inattendue [19], a été étudié récemment, montrant la présence d’ADN contenant une ou deux séquences enhancer de 72 pb [20]. Dans l’étude de Vilchez et al. [2], le séquençage de l’ADN réalisé sur 5 cas de lymphomes non-hodgkiniens a montré, pour 3 d’entre eux, une séquence similaire à celle du virus détecté dans les vaccins contaminés.

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On peut s’interroger sur la signification de la présence ou de l’absence de facteurs ou de co-facteurs inducteurs de l’oncogenèse chez des sujets exposés 30 ou 40 ans auparavant à ces facteurs. On sait que le développement d’une tumeur est un processus long, qui comporte plusieurs événements mutationnels, selon les tumeurs et la nature de l’agent transformant. En l’absence de détection de séquences SV40, on ne peut toutefois pas exclure une action virale au cours de l’une des étapes de la transformation néoplasique, en particulier s’il n’y a pas d’intégration de l’ADN viral dans l’ADN cellulaire. S’il est très important, aujourd’hui, de trouver une méthodologie fiable de détection des polyomavirus, et/ou de rechercher des produits d’expression de leurs gènes, il est nécessaire de mieux comprendre le mode d’intégration du virus dans les cellules. Il est également important de rechercher, pour une meilleure identification des facteurs de risque, des marqueurs biologiques de l’exposition témoignant des dommages spécifiques faits aux cellules, en relation avec le processus néoplasique.