Article body

Plus de 171 millions d’individus dans le monde souffrent de diabète, un chiffre qui aura doublé dans 25 ans [1]. L’étiologie de cette maladie est complexe, des facteurs génétiques et environnementaux (suralimentation et sédentarité) étant étroitement associés. On distingue le diabète de type 1 résultant d’une destruction auto-immune progressive des cellules β pancréatiques, et le diabète de type 2 caractérisé par une résistance à l’insuline accompagnée d’une incapacité des cellules β à sécréter l’insuline. Dans le MODY (maturity onset diabetes of the young) - une forme particulière du diabète de type 2 - des mutations ont été identifiées dans des gènes codant pour des facteurs de transcription (HNF-4α, HNF-1α, IPF-1, HNF-1β et NeuroD) impliqués dans le développement du pancréas, puis dans le fonctionnement physiologique des cellules β matures [2].

Un autre facteur de transcription, Pax4, joue lui aussi un rôle essentiel dans la multiplication et la maturation des cellules β lors du développement pancréatique embryonnaire. En effet, l’invalidation de ce gène par recombinaison homologue chez la souris supprime la différenciation des cellules à insuline et conduit à une mort néonatale liée à un diabète aigu [3]. Cependant, la fonction de Pax4 demeure inconnue dans les îlots matures. L’expression de Pax4 est élevée dans les insulinomes humains mais faible dans les cellules β normales, suggérant une corrélation entre les concentrations de Pax4 et la réplication cellulaire [4]. Récemment, des variations génétiques (mutations et polymorphismes) dans le gène codant pour Pax4 ont été associées à une susceptibilité de développer un diabète de type 1 ou 2 dans des populations japonaises, scandinaves, afro-américaines et suisses [5-8]. L’équipe de A. Biason-Lauber (Université de Zurich, Suisse), avec notre participation, a mis en évidence que le polymorphisme Ala1168Cys du gène pax4 est associé au développement du diabète de type 1 [8]. En effet, le risque relatif de développer un diabète de type 1 est quatre fois plus élevé chez les enfants homozygotes C/C avec des anticorps circulants anti-cellules d’îlots (marqueurs précoces d’une attaque auto-immune contre les cellules β) que chez les hétérozygotes A/C [8]. Ces diverses études suggèrent une implication directe de Pax4 dans la différenciation et la régénération des cellules β. Une hypothèse serait que Pax4 module la masse des cellules β en contrôlant leur prolifération. Il serait alors envisageable de développer des agents pharmacologiques activateurs de Pax4 pour stimuler in vivo la prolifération des cellules β et compenser ainsi leur perte pathologique.

Nous avons pu confirmer le rôle fondamental de Pax4 dans la cellule β [9]. En effet, les facteurs de croissance, activine A et β-celluline (membres respectivement de la famille des transforming growth factors et epidermal growth factors), stimulent l’expression du gène pax4 et la prolifération des cellules β dans les îlots de rat. L’effet de la β- celluline est inhibé par la wortmannine, indiquant que la voie de signalisation de la phosphatidylinositol-3-kinase intervient dans l’activation de Pax4. La surexpression constitutive de Pax4 dans les îlots de rat au moyen d’adénovirus recombinants induit une augmentation de la réplication des cellules β qui, normalement, prolifèrent peu à l’âge adulte (Figure 1). Une analyse du profil d’expression des gènes impliqués dans la réplication cellulaire révèle que l’ARNm du facteur de transcription c-myc, ainsi que celui de son gène cible Id2, sont augmentés, identifiant ainsi la voie c-myc/Id2 comme médiatrice entre Pax4 et la réplication cellulaire [9]. Chez la souris, S. Pelengaris et al. ont démontré que la surexpression de c-mycin vivo induit transitoirement la réplication des cellules β, suivie d’une mort cellulaire (apoptose) massive [10]. Par ailleurs, la surexpression additionnelle du gène anti-apoptotique bcl-xl protège de cette apoptose [10]. Dans les îlots de rat surexprimant Pax4, nous avons également observé une induction du transcrit Bcl-xL. L’augmentation de cette protéine membranaire mitochondriale altère les concentrations de calcium dans cet organite ainsi que la production d’ATP. Comme l’ATP est le médiateur clé entre le métabolisme du glucose et la libération d’insuline, une diminution de la sécrétion d’insuline serait attendue. Nous avons effectivement démontré que les cellules β surexprimant Pax4 diminuent leur sécrétion d’insuline en réponse au glucose. Pax4 agirait donc comme une molécule coordinatrice de la plasticité et de la survie des cellules β en contrôlant l’expression des gènes c-myc et bcl-xl, aux dépens de la sécrétion d’insuline (Figure 2).

Figure 1

La surexpression de Pax4 induit la prolifération des cellules β pancréatiques.

La surexpression de Pax4 induit la prolifération des cellules β pancréatiques.

La prolifération (anti-BrdU, en jaune), l’expression de l’insuline (anti-insuline, en rouge) et les noyaux (DAPI, en bleu) sont détectés par immunofluorescence dans les cellules β d’îlots de rat dispersés, puis infectés avec des adénovirus codant pour la protéine β-galactosidase (témoin, A) ou le facteur de transcription Pax4 (B). Une augmentation de la réplication est observée dans les cellules surexprimant Pax4 (daprès [9]).

-> See the list of figures

Figure 2

Mécanisme d’activation de la prolifération des cellules β pancréatiques par Pax4.

Mécanisme d’activation de la prolifération des cellules β pancréatiques par Pax4.

Des facteurs de croissance, comme la β-celluline, induisent la voie de signalisation de la phosphatidyl inositol 3 kinase (PI3-K) qui, à son tour, stimule l’expression endogène de Pax4. Ce facteur de transcription augmente spécifiquement l’expression de l’oncogène c-myc qui, par l’intermédiaire du gène Id2, induit la réplication cellulaire. En parallèle, Pax4 active l’expression du gène bcl-xl, qui protège la cellule β des effets néfastes apoptotiques que peut déclencher la voie c-myc/Id2. En revanche, les signaux mitochondriaux (augmentation des concentrations de calcium et synthèse de l’ATP) sont modifiés, atténuant ainsi de façon transitoire la sécrétion d’insuline induite par le glucose.

-> See the list of figures

Des altérations constitutives du gène pax4 pourraient donc compromettre la réplication et la survie des cellules β. Nous avons vérifié ce postulat en faisant exprimer, in vitro dans des îlots humains au moyen d’un adénovirus recombinant, le gène pax4 porteur de la mutation identifiée dans la population japonaise. Comme attendu, les îlots surexprimant la forme mutée de Pax4 prolifèrent nettement moins que ceux surexprimant la forme normale de la protéine et sont plus susceptibles à l’apoptose induite par des cytokines, médiatrices de la destruction cellulaire [9]. Pax4 serait donc un allié des cellules β en les protégeant des stress physiologiques.

En conclusion, le facteur de transcription Pax4 joue un rôle primordial dans la plasticité et la survie de l’îlot de Langerhans. Des variations génétiques dans ce gène entraînent un déséquilibre entre la prolifération et l’apoptose des cellules β, ce qui favoriserait le développement du diabète.