Abstracts
Résumé
Les succès récents du clonage animal démontrent que le noyau d’une cellule somatique adulte différenciée peut retourner à un état de type embryonnaire, lui permettant de repasser par les étapes qui conduisent à la naissance d’un animal viable et normal. Même si les rendements restent très faibles, l’obtention de ces animaux illustre la plasticité extraordinaire du noyau et l’influence de son environnement cytoplasmique sur le profil d’expression des gènes. Seul jusqu’à présent le cytoplasme ovocytaire s’est montré capable d’induire une telle « reprogrammation ». Les mécanismes moléculaires sous-jacents font désormais l’objet de nombreuses études, notamment pour comprendre les modifications des marques épigénétiques et les remaniements de structure chromatinienne impliqués dans cette reprogrammation. Cet article fait le point sur les principaux résultats obtenus par la mise en oeuvre de cette approche expérimentale qu’est le clonage.
Summary
The fact that the nucleus of a differentiated somatic cell can be reprogrammed in order to sustain embryonic development is now well established. Experiments of somatic cell nuclear transfer (cloning) have proved that a foreign nucleus introduced into an enucleated oocyte can give rise to physiologically normal offsprings, with a normal lifespan. Such evidence of genome expression plasticity is also observed experimentally with heterokaryons, created by the fusion or the nuclear transfer between two somatic cells, where differentiated nuclei are able to express genes characteristic of the host cell. However, the epigenetic mechanisms that permit nuclear plasticity remain poorly understood. In this paper we present the main evidences showing important modifications of the large scale organisation of chromosomal domains and of the DNA methylation pattern upon nuclear transfer and during the first cleavages. These modifications of epigenetic marks, brought by an intimate contact between the chromatin and the recipient oocyte cytoplasmic factors, appear essential for further development. They are established over the first cell cycles of development. The onset of embryonic genome activation and the first cellular differentiation events that occur over the implantation period are two additional check-points of reprogramming that appear to be also highly dependant on epigenetic alterations. Beyond those stages, defective placental functions might be directly responsible for the fetal and postnatal physiopathologies frequently observed in cloned animals. No direct link between preimplantation reprogramming defaults, placental disfunctions and low development to term has been established yet. The epigenetics studies which are now used to characterise loci specific and probably genotype dependant alterations in cloned animals of different species will provide unvaluable help to define the role of epigenesis in the achievement of a developmental program.
Article body
L’épigenèse est étroitement associée à la régulation de l’expression des gènes. Elle contribue à leur expression différentielle à la fois dans le temps et dans l’espace, et participe ainsi au contrôle de leur état actif ou réprimé. Selon une terminologie maintenant bien établie, les modifications épigénétiques - ou marques épigénétiques - sont les facteurs qui modifient l’expression des gènes de manière héritable au cours des divisions cellulaires (en mitose, voire en méiose), sans impliquer de modifications des séquences nucléotidiques concernées (selon Robin Holliday [1]). Ces marques incluent les modifications post-traductionnelles (méthylation, acétylation, phosphorylation et myrystoylation) des parties aminoterminales des histones, essentiellement des histones H2A, H2B, H3, H4, qui forment le coeur protéique des nucléosomes, la méthylation de l’ADN, sa structure locale (position des nucléosomes) et à longue distance (organisation en domaines), mais aussi sa localisation nucléaire et sa période de réplication pendant la phase S (Figure 1, [2]) ((→) m/s 2005, n° 4, p. 371 et 384).
De manière schématique, l’hétérochromatine (inactive) est caractérisée par la désacétylation des histones H3 et H4, la méthylation sur la lysine 9 de l’histone H3, la méthylation de l’ADN, la condensation de la chromatine, une position de la séquence à la périphérie du noyau et une réplication tardive au cours de la phase S. À l’inverse, l’euchromatine (active) est caractérisée par l’acétylation des histones H3 et H4, la méthylation de H3 sur la lysine 4, une structure plus décondensée, une position à l’intérieur du noyau et une réplication précoce en début de phase S. Tous ces facteurs dépendent les uns des autres, selon des mécanismes dont on connaît certains éléments, mais pas encore parfaitement la hiérarchie. Par exemple, des protéines ayant une forte affinité pour l’ADN méthylé peuvent s’associer à des histones-désacétylases et méthyltransférases. Ainsi, la protéine HP1 (heterochromatin protein 1), qui interagit avec l’histone H3 méthylée sur la lysine 9, peut elle-même recruter une histone méthyltransférase (pour revue, voir [3]). En revanche, les mécanismes gouvernant l’état de condensation, la localisation nucléaire et le moment de la réplication sont beaucoup moins bien connus. C’est l’ensemble de ces marques épigénétiques qui permettent la répression (ou l’activation) de gènes spécifiques de tissus dans les cellules différenciées, et le maintien de leur profil d’expression au cours des divisions successives.
La reprogrammation reflète la capacité d’un noyau à modifier le répertoire des gènes qu’il exprime normalement dans le tissu auquel il appartient. Le terme reprend le concept de « programme », forgé par François Jacob et Jacques Monod pour désigner la séquence d’informations à la fois prédéterminée dans le génome, dépendante du temps et nécessaire aux synthèses protéiques. Il suppose une réorientation du déroulement de la séquence d’information. Une définition récente propose de définir la reprogrammation comme « la dominance moléculaire d’un type cellulaire sur un autre, conduisant à donner à un noyau les caractéristiques du type cellulaire dominant » [4]. Cette définition prend en compte le rôle déterminant de l’environnement cytoplasmique bien mis en évidence dans les expériences de transfert d’un noyau embryonnaire ou somatique dans le cytoplasme d’un ovocyte énucléé (le type cellulaire dominant).
Clonage et plasticité du noyau
Les premières expériences de reprogrammation datent maintenant d’un demi-siècle (1952), lorsque Briggs et King obtinrent un têtard après transplantation d’un noyau de blastula dans un ovocyte énucléé de grenouille [5]. Dix ans plus tard, le laboratoire de J. Gurdon produisit quelques grenouilles adultes, mais avec un plus faible rendement, en utilisant des cellules différenciées de l’endoderme intestinal [6, 7]. Ces expériences pionnières montrèrent que, même si le rendement diminuait avec la progression de la cellule donneuse vers l’état différencié, cet état montrait une certaine « plasticité » et l’extinction de gènes caractéristiques n’était pas irréversible, leur expression pouvant, de fait, être réactivée.
Le déroulement complet d’un programme de développement à partir de noyaux de cellules somatiques différenciées adultes n’a pu à ce jour être obtenu que chez les mammifères. Une faible proportion des embryons reconstitués, moins de 10 % seulement, est capable, dans les cas les meilleurs, de donner des jeunes viables, et un tiers environ de ces jeunes meurent dans les jours suivant la naissance. Néanmoins, la plupart de ceux qui survivent peuvent se développer apparemment tout à fait normalement [8]. L’existence de ces quelques animaux (Figure 2) démontre que le cytoplasme de l’ovocyte peut complètement reprogrammer l’activité d’un noyau somatique.
Les faibles taux de développement obtenus après clonage sont dus à la fois aux effets iatrogènes des techniques utilisées et aux défauts de reprogrammation du noyau étranger [9]. Les premiers événements qui se produisent après l’introduction du noyau dans le cytoplasme ovocytaire sont en effet déterminants. Nous avons notamment montré que la rupture initiale de l’enveloppe du noyau donneur apparaît essentielle [10, 11] pour assurer un contact intime entre la chromatine donneuse et le cytoplasme receveur. C’est sans doute pour cette raison, ainsi qu’à cause de la synchronisation entre le cycle cellulaire de la cellule donneuse et celui du cytoplasme receveur [12], que le transfert d’un noyau somatique en mitose s’accompagne d’une augmentation sensible du taux d’embryons se développant au stade blastocyste. Cependant, la reprogrammation reste un processus complexe car, même dans ces conditions, le taux de développement à terme est très faible ((→) m/s 2002, n° 2, p. 169).
Apport des fusions cellulaires (hétérocaryons) à l’étude de la reprogrammation
Avant le succès du clonage, la plasticité de l’état différencié avait déjà été étudiée dans les années 1980 au travers d’hétérocaryons, produits de la fusion stable de deux types cellulaires différenciés. En particulier, la fusion de cellules primaires issues des trois lignages embryonnaires (endoderme, mésoderme et ectoderme) avec des cellules musculaires primaires de souris montra que, pour tous ces types cellulaires, des gènes musculaires préalablement silencieux pouvaient être réactivés en absence de synthèse d’ADN [13-15]. Ces expériences mirent en évidence le rôle essentiel du dialogue entre cytoplasme et noyau pour la modification de l’état différencié [16] ; elles montrèrent aussi que des modifications de méthylation de l’ADN étaient indispensables pour ces modifications de profil d’expression [17].
Plus récemment, il a été rapporté que la mise en contact de noyaux de fibroblastes avec des extraits de cytoplasme de lymphocytes T provoquait l’expression de gènes spécifiques des lymphocytes T [18]. Même si ces expériences n’ont encore pu être reproduites par d’autres laboratoires, il est clair que cette démarche pourrait permettre de déterminer le(s) facteur(s) cytoplasmique responsable(s) de cette « reprogrammation ».
Encore plus récemment, des hétérocaryons entre des thymocytes de souris, cellules à un stade final de différenciation, et des cellules ES pluripotentes ont été réalisés. Il apparaît que le gène marqueur de cellules pluripotentes, Oct4, est éteint dans les thymocytes et réactivé dans les hétérocaryons, alors que des gènes actifs des thymocytes, tels que Thy-1 et c-myc, sont éteints dans les hétérocaryons. L’analyse fine du profil de méthylation de l’ADN et des modifications des histones présentes dans les régions promotrices de ces gènes suggère un schéma de « reprogrammation nucléaire » dans lequel les modifications des histones et l’établissement d’une structure décondensée de la chromatine seraient l’étape intermédiaire indispensable, permettant ensuite l’installation sur la chromatine de complexes activateurs ou répresseurs spécifiques de chaque gène envisagé [19].
Le pouvoir du cytoplasme ovocytaire
Que ce soit chez les amphibiens ou chez les mammifères, la reprogrammation de la chromatine implique d’importants mouvements de protéines entre le noyau donneur et le cytoplasme receveur [20, 21]. Dans le cas du xénope, par exemple, 75 % des protéines nucléaires sont perdues par le noyau donneur, et ces échanges nucléocytoplasmiques s’accompagnent d’un gonflement important du noyau, d’une forte diminution de son contenu en hétérochromatine et de la disparition d’un nucléole fonctionnel [22, 23].
L’importance, dans ce remodelage, de facteurs nucléaires provenant de l’ovocyte a été mise en avant par des données récentes obtenues chez la souris [24]. Par ailleurs, les meilleures capacités de remodelage sont obtenues, quelle que soit l’espèce mammifère considérée, à partir d’ovocytes receveurs en métaphase II énucléés (stade auquel se produit normalement la fécondation) : le cytoplasme de ces ovocytes tirerait donc une partie au moins de son pouvoir de reprogrammation de sa concentration en facteurs nucléaires. Ce pouvoir n’est toutefois que transitoire : chez la souris, le transfert d’un noyau, même embryonnaire, dans un ovocyte énucléé juste après la fécondation est suivi d’une reprogrammation très limitée de son activité, alors que la même opération effectuée avant la fécondation permet un développement à terme [25]. Les raisons de cette perte brutale du pouvoir de remodelage du cytoplasme ovocytaire après la fécondation sont sans doute de deux types : la ségrégation dans le noyau des protéines nucléaires présentes dans le cytoplasme au stade métaphase II (et dont on a vu plus haut l’importance) et l’ensemble des processus moléculaires liés à l’activation de l’ovocyte, parmi lesquels l’activité calcique : en effet, une modulation du signal calcique peut modifier le cours du développement de l’embryon de mammifères [26].
Même si c’est avec des rendements parfois très faibles, des animaux normaux et féconds ont été obtenus par transfert de noyau somatique provenant de types cellulaires très différents (Tableau I). Le cytoplasme de l’ovocyte est donc capable de reprogrammer l’activité de noyaux de cellules ayant atteint des stades avancés de différenciation : ainsi, l’obtention de souris clonées viables à partir de noyaux de cellules neuronales postmitotiques démontre que le retour à l’état totipotent est aussi possible pour les noyaux de cellules en différenciation terminale [27]. Toutefois, les chances de succès deviennent alors très faibles : au laboratoire, alors que nous obtenons régulièrement des clones bovins viables à partir de noyaux de cellules fibroblastiques cutanées maintenues in vitro à l’état proliférant, nous n’avons jamais pu mener à leur terme les gestations induites à partir de noyaux de kératinocytes issus des mêmes lots de cellules donneuses, mais différenciées à l’état postmitotiques [28]. L’efficacité du clonage décroît progressivement quand on passe des cellules embryonnaires (blastomères) aux cellules foetales, puis adultes : non seulement les taux de développement à terme diminuent mais, de façon surprenante, la mortalité foetale tend à se manifester plus tardivement au cours de la gestation [29] bien qu’il n’existe à l’heure actuelle pas d’explication à cette observation. La durée totale de la culture ou l’âge de l’animal donneur ne sont pas directement en cause, mais bien l’état différencié du noyau. Comme cela avait été montré chez les amphibiens au siècle dernier, les possibilités de réorganisation du noyau vers un état totipotent diminuent avec son état initial de différenciation mais, contrairement à ce que l’on croyait alors, une reprogrammation complète demeure possible.
Reprogrammation et remaniements chromatiniens
Comme dans le cas des hétérocaryons, l’exposition rapide du noyau somatique aux facteurs ovocytaires (cytoplasmiques et nucléaires) se traduit d’emblée par de profonds remaniements de son organisation : gonflement important, réduction de la quantité d’hétérochromatine, disparition des nucléoles fonctionnels au profit de pseudonucléoles (NLB, nucleolus-like bodies) [10] (Figure 3). Ces caractéristiques sont très similaires à celles des pronoyaux d’un embryon normal, ce qui suggère à nouveau que la morphologie « inhabituelle » des pronoyaux (par rapport à celle de noyaux somatiques) n’est pas le fait de l’histoire antérieure des deux ensembles de chromatine (ovocyte, d’une part, et spermatozoïde, d’autre part), ni même de leur séparation, mais bien le fait de l’exposition au cytoplasme ovocytaire. Ainsi, un facteur « de disparition du nucléole » a été caractérisé dans l’ovocyte de xénope [30].
Ces facteurs ovocytaires n’agissent sans doute pas de manière immédiate, ainsi que le montre la Figure 3, qui présente en parallèle l’état de condensation de la chromatine et la distribution de la protéine spécifique de l’hétérochromatine HP1 après transfert d’une cellule ES (cellule souche embryonnaire) de souris dans un ovocyte en métaphase II énucléé. Dans les cellules d’origine, l’hétérochromatine péricentromérique de plusieurs chromosomes se rassemble dans des compartiments caractéristiques, appelés « chromocentres », fortement enrichis en protéine HP1 (ligne 1). En revanche, dans les pronoyaux d’embryons normaux, la chromatine est globalement très décondensée, sauf autour des NLB, où elle est partiellement marquée de HP1 (dernière ligne). Dans les embryons clonés, on s’aperçoit que la distribution de HP1 est uniforme dès 4 heures après activation ; elle reste en l’état tout au long du cycle, à l’exception d’accumulations observables à la périphérie des NLB (lignes 2, 3, 4). En revanche, 4 heures après activation, la totalité des noyaux somatiques transférés ont conservé des blocs de chromatine condensée. Six heures plus tard, presque 70 % d’entre eux ont une chromatine de densité uniforme (ligne 4), sauf à la périphérie des NLB où la chromatine condensée est à nouveau fortement enrichie en HP1. La majorité des noyaux obtenus 10 heures après fusion a ainsi une structure globale très similaire à celles des pronoyaux d’embryons normaux. Les modifications observées suggèrent un remaniement complet de l’organisation des chromosomes : les séquences péricentromériques, initialement associées entre elles dans les chromocentres, semblent se disperser dans un premier temps pour finalement se concentrer essentiellement à la périphérie des NLB, où elles sont à nouveau associées à HP1. En outre, la dissociation de HP1 et la décondensation de la chromatine ont suivi des cinétiques différentes, suggérant que l’histone H3 méthylée sur la lysine 9, cible de HP1, a été rapidement et uniformément déméthylée dans l’hétérochromatine péricentromérique des noyaux transférés, cependant que d’autres modifications des histones responsables de la condensation de la chromatine se sont maintenues plus longuement.
Par la suite, au stade 2-cellules, la structure nucléaire et la répartition de HP1 dans les embryons obtenus par transfert de noyau sont tout à fait similaires à celles des embryons normaux. Il en est de même pour les histones de liaison de type H1, dont les variants ovocytaires (histone H100) remplacent très rapidement (dans les 5 minutes qui suivent l’introduction du noyau) et apparemment complètement les histones H1 somatiques du noyau étranger [31]. Ce retour d’une structure chromatinienne somatique à un état de chromatine embryonnaire peut être considéré comme la preuve d’une remise à zéro de son organisation, si ce n’est de son activité fonctionnelle, par le cytoplasme ovocytaire.
Reprogrammation et méthylation de l’ADN
Chez les vertébrés, la méthylation de l’ADN sur les résidus cytosines affecte 70 % à 80 % des dinucléotides CpG. Elle constitue une modification épigénétique essentielle au développement, et l’inactivation des gènes responsables de cette méthylation (gènes des méthyltransférases de l’ADN DNMT-1, -3a ou -3b) induit chez la souris de nombreuses anomalies de développement, voire une létalité [32, 33] ((→) m/s 2005, n° 4, p. 390).
Cette modification paraît impliquée aussi bien localement dans la répression transcriptionnelle de gènes isolés qu’au niveau d’un chromosome entier, comme dans le cas de l’inactivation du X (pour revue, voir [34]). Le degré de méthylation de l’ADN varie beaucoup selon les tissus et leur état de différenciation.
Des modifications de méthylation très importantes ont lieu au cours du développement embryonnaire pré-implantatoire, où elles accompagnent la reprogrammation de la chromatine des gamètes de l’état de totipotence (dans les blastomères) à l’état différencié (dans les nouvelles lignées cellulaires du foetus en formation), via l’état de pluripotence (dans les cellules de la masse interne du blastocyste). Une fois établi, le profil de méthylation spécifique à chaque type cellulaire est relativement stable. C’est pourquoi la reprogrammation du noyau transféré, c’est-à-dire la suppression du profil de méthylation spécifique à la cellule donneuse et le rétablissement d’un profil embryonnaire, semble indispensable dans le cas du clonage.
Il est important de souligner que, chez les mammifères, la reprogrammation des modifications épigénétiques au cours du développement normal ne suit pas toujours la même cinétique. Ainsi, seule la souris présente une déméthylation rapide et totale du génome paternel juste après la fécondation [35] ; par la suite, le degré de méthylation décroît à chaque réplication jusqu’au stade blastocyste[1], puis il y a reméthylation dans les cellules de la masse interne au moment de l’implantation [36, 37]. Chez le bovin, nous avons montré que la situation est proche de celle observée chez la souris, avec une déméthylation cependant moins importante [38]. Plus différent encore, l’embryon ovin ne subit qu’une déméthylation partielle entre la fécondation et le stade 8-cellules, puis à nouveau au stade de blastocyste précoce (Figure 4). Par la suite, aucune étape de reméthylation n’a été mise en évidence, mais il est possible qu’elle ait lieu au cours de la phase d’élongation du blastocyste avant l’implantation (14 jours chez l’ovin).
De nombreuses études se sont récemment intéressées, en terme de méthylation, au devenir du noyau donneur juste après son transfert et au cours des cycles suivants. Ces études démontrent une reprogrammation incomplète du profil somatique de méthylation en un profil de type embryonnaire.
Ainsi, chez l’ovin, le noyau de la cellule somatique donneuse est, après introduction dans l’ovocyte receveur, soit fortement méthylé (répartition et intensité du profil de méthylation similaire à celui observé avant transfert), soit partiellement déméthylé (profil similaire à celui d’un pronoyau après fécondation in vivo) [39]. Cette déméthylation serait due à un mécanisme actif, contrôlé par l’ovocyte [40], et non encore identifié. Quant à l’absence de déméthylation, observée dans plus de 50 % des embryons reconstitués, elle pourrait être liée aussi bien à une hétérogénéité dans la population d’ovocytes receveurs (par exemple, une capacité de déméthylation variable) qu’à une hétérogénéité dans la population de cellules donneuses (par exemple, un degré de méthylation variable) [37]. On note en effet que, dans la majorité des cellules donneuses cultivées sans sérum durant les cinq jours précédant le transfert de noyau, le taux de DNMT1 et le degré de méthylation global chutent. Plusieurs études réalisées chez différentes espèces suggèrent une meilleure efficacité de clonage avec ces cellules. Nous avons toutefois montré au laboratoire que cette déprivation sérique n’était pas requise, par exemple chez le bovin : dans cette espèce, les noyaux de cellules non privées de sérum restent, après transfert dans des ovocytes, totalement méthylés contrairement aux pronoyaux d’embryons fécondés in vitro [38]. Des différences entre espèces ou dans la procédure de transfert de noyaux pourraient donc aussi entrer en ligne de compte dans le taux de réussite du clonage.
Aux stades suivants, ces deux types de profils de méthylation (hyperméthylation et déméthylation partielle) peuvent toujours être distingués. Cependant, le pourcentage d’embryons clonés hyperméthylés décroît au cours du temps tandis que, parallèlement, les pertes enregistrées à chaque clivage chutent, suggérant que les embryons clonés hyperméthylés ne survivent pas aussi efficacement que les autres (c’est-à-dire, les clones partiellement déméthylés) au cours du développement pré-implantatoire (Figure 4) [39]. La reprogrammation de cette marque épigénétique qu’est la méthylation de l’ADN lors du transfert de noyau paraît donc corrélée au développement de l’embryon, du moins jusqu’au stade blastocyste. Mise à part cette étude, une seule autre équipe a observé une corrélation entre le degré de reprogrammation du profil nucléaire (en termes de méthylation de l’ADN et de méthylation de l’histone H3 sur la lysine 9) et le pourcentage de développement jusqu’au stade blastocyste [41].
Des points de contrôle distribués tout au long de la vie embryonnaire
Les résultats présentés ci-dessus suggèrent que la reprogrammation du noyau transféré, dès les premiers clivages, est une étape cruciale pour le développement de l’embryon : il s’agit là d’un premier point de contrôle. Ainsi, dans les embryons clonés ne présentant pas une hyperméthylation, le degré de déméthylation passive au cours des premiers stades est identique à celui observé dans les embryons obtenus par fécondation in vivo, suggérant une reprogrammation précoce efficace.
Cependant, à la transition 16-cellules/morula chez l’ovin, le taux de perte augmente de nouveau significativement (Figure 4). Ce deuxième point de contrôle d’une « bonne » reprogrammation coïncide avec la mise en route du génome embryonnaire (EGA, embryonic genome activation) dans cette espèce. Cette étape de transition entre contrôle maternel et contrôle zygotique de l’expression des gènes est indispensable à la poursuite de l’embryogenèse. À ce stade, la déméthylation insuffisante de séquences réprimées dans les cellules somatiques, mais nécessaires à l’embryon, pourrait être la cause d’anomalies d’expression de gènes aboutissant à un défaut, voire un arrêt, du développement.
En effet, les embryons ovins clonés qui ne se sont pas déméthylés présentent de larges focus d’hétérochromatine fortement méthylés, très similaires à ceux observés dans les cellules somatiques et analogues aux chromocentres observés chez la souris (Figure 4). Au cours du développement embryonnaire normal, ces focus ne sont détectables qu’à partir du stade 8-cellules, leur formation résultant d’une réorganisation nucléaire importante lors de l’EGA. La persistance de ces focus, d’origine somatique, reflète des défauts de remodelage de l’organisation nucléaire qui pourraient altérer l’expression de gènes essentiels au développement et s’exprimant à ces stades très précoces. Des focus hyperméthylés similaires ont été observés après transfert de noyaux chez le bovin [37] et des anomalies d’expression ont notamment été observées pour plusieurs gènes dans des embryons bovins et murins clonés [42-44]. Chez la souris, il a été montré que le noyau transféré maintient une activité transcriptionnelle de type somatique pendant plusieurs cycles de division [45]. Des profils d’expression anormaux ont par ailleurs été corrélés au blocage précoce (au stade de l’EGA) après transfert interspécifique de fibroblastes embryonnaires de souris dans des ovocytes bovins [46].
Les études conduites chez les ruminants montrent que, malgré ces deux points de contrôle, au passage desquels on peut imaginer que les clones mal « reprogrammés » ont arrêté leur développement, 50 % des clones arrivant au stade blastocyste présentent une hyperméthylation des cellules du trophectoderme, en comparaison d’embryons fécondés in vivo. Or, de ces cellules dérivent en majorité les tissus extra-embryonnaires (placenta, sac vitellin) ; des anomalies de méthylation à ce stade pourraient conduire à un défaut de placentation et d’implantation ainsi qu’à des problèmes d’interactions entre tissus, notamment entre les tissus embryonnaires et extra-embryonnaires. Cela pourrait expliquer les perturbations dans le déroulement de la gastrulation, observées chez la souris (A. Jouneau et al., article soumis pour publication). Chez les ruminants, ces anomalies sont corrélées avec les fortes pertes observées après introduction des blastocystes clonés dans une femelle receveuse [29, 47]. Les premiers stades du développement post-implantatoire constitueraient donc un troisième point de contrôle.
Reprogrammation à l’échelle du génome ou reprogrammation de gènes spécifiques ?
Bien que la reprogrammation de la méthylation globale de l’ADN semble ici refléter la capacité de développement du clone, il faut souligner la difficulté de déterminer clairement l’impact du degré de reprogrammation d’un tel facteur épigénétique dans une situation où le taux de réussite est faible et où l’on ne possède aucune méthode d’analyse non invasive aux stades précoces, analyse qui permettrait d’établir un lien direct entre facteur étudié et développement à terme.
Les données établies chez la souris montrent que tous les animaux issus de transfert de noyaux qui survivent après la naissance ont en moyenne entre 0,2 % et 0,5 % des locus étudiés anormalement méthylés [48]. C’est à la fois peu (4 locus seulement sur les 1 490 locus étudiés) et beaucoup si les locus touchés affectent des fonctions essentielles de l’organisme. Toutefois, et dans l’état actuel des données, il n’apparaît pas que la reprogrammation induite par le transfert de noyau puisse être associée, chez les clones, à une augmentation de la fréquence de tumeurs, souvent reliée à des dérèglements épigénétiques [49]. D’un autre côté, il est connu que des anomalies de méthylation de l’ADN au niveau de certains îlots CpG peuvent affecter l’expression de gènes soumis à empreinte [50]. Or, de telles anomalies se retrouvent chez les clones murins [42, 51], et une partie des phénotypes anormaux observés présentent de fortes similarités avec ceux attribués aux défauts d’empreinte [52, 53]. De tels défauts d’empreinte peuvent aussi résulter directement des conditions de manipulation des embryons (et notamment des conditions de culture [54]), mais les pertes au cours du développement sont généralement moins importantes.
Il semblerait donc que certains locus sont particulièrement sensibles aux variations épigénétiques et à la reprogrammation. Par ailleurs, des polymorphismes dans la distribution de certaines régions différentiellement méthylées pourraient expliquer les différences importantes dans le taux de développement des embryons clonés, pour un même type cellulaire, selon la lignée de noyaux donneurs [55]. C’est pourquoi nous cherchons à présent à comparer le profil de méthylation d’animaux clonés. L’établissement, pour un tissu donné, de cartes spécifiques des régions différentiellement méthylées [56], cartes établies à partir d’animaux clonés physiologiquement normaux ou dont le développement a été compromis au cours de la période foetale, permettrait d’établir un lien direct entre méthylation de l’ADN et capacité de développement, en s’affranchissant du polymorphisme de séquence. Les données ainsi acquises pourraient alors être utilisées comme de nouvelles covariables dans les schémas classiques de sélection.
Conclusions
La reprogrammation des marques épigénétiques après tranferts de noyaux se déroule comme au cours du développement normal, c’est-à-dire de manière progressive sur plusieurs cycles mais avec une cinétique souvent différente : le remodelage chromatinien juste après introduction du noyau donneur est suivi d’étapes plus lentes de modifications de la méthylation de l’ADN et des histones. L’idée émergeant de ces analyses est celle de l’existence de plusieurs points de contrôle, un premier durant les premiers clivages précédant la mise en route du génome embryonnaire, un deuxième au moment de la mise en place de la transcription embryonnaire et au moins un troisième, avant (ou pendant) que se mettent en place les axes de développement de l’embryon et s’établissent les premières relations tissulaires entre l’embryon proprement dit et l’organisme maternel (implantation).
Cependant, nous ne savons pas encore si les anomalies tardives du développement si souvent observées chez les clones résultent directement d’une reprogrammation incomplète du génome transféré au moment des premières étapes de différenciation, ou indirectement de défauts d’expression plus précoces de gènes spécifiques, par exemple lors de la mise en route du génome. En effet, il est maintenant bien établi, y compris sur le plan moléculaire, qu’en dehors de toute « reprogrammation », des changements de l’environnement maternel induits par des régimes alimentaires spécifiques au début ou pendant la gestation, peuvent également modifier la méthylation de l’ADN des descendants [57].
Mais cette « programmation foetale » doit être distinguée de la reprogrammation de l’activité du noyau après clonage.
Au vu de l’ensemble de ces données, le recours au clonage apparaît comme une voie de recherche qui, bien qu’encore nouvelle, est prometteuse pour définir la part de l’épigenèse dans la mise en place et la réalisation d’un programme de développement.
Appendices
Note
-
[1]
Il s’agit d’une déméthylation passive liée à la réplication, la méthylation étant semiconservative (par opposition à une déméthylation active qui ferait intervenir une déméthylase).
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