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Depuis les élections québécoises de l’automne 1998, le débat sur le « modèle québécois » a été relancé d’abord par les hommes politiques, puis par des leaders d’opinion et des chercheurs de diverses tendances (Paquet, 1999 ; Migué, 1999 ; Raynauld et Raynauld, 1999). Ce débat, qui touche aussi bien le développement social que le développement économique, est nécessaire à condition toutefois de sortir de l’enlisement qu’entraîne nécessairement la seule mise en perspective de positions antagoniques irréductibles : plus de marché versus plus d’État. Ces deux positions supposent que le modèle issu de la Révolution tranquille est encore présent pour le meilleur ou pour le pire : dans un cas, on cherche à le maintenir ; dans l’autre, à le détruire. Pour nous, ce modèle relève du passé : il n’existe plus comme tel. S’il est intéressant d’y revenir pour comprendre pourquoi il est bien dépassé, les repères pour penser l’avenir ne peuvent être fournis que par un nouveau paradigme. Ainsi, dans le débat en cours sur le modèle québécois, il y a plus que deux positions qui se ramèneraient, dans un cas, à être pour ou, dans l’autre, à être contre. Pour nous, il y en a au moins trois. Une première qui met l’accent sur la continuité avec le modèle de la Révolution tranquille. Une deuxième qui consiste à le modifier de manière néolibérale, c’est-à-dire en donnant plus de place au marché. Une troisième qui consiste à le modifier d’une manière solidaire, c’est-à-dire en donnant plus de place à la société civile. Cette troisième position est celle dont s’inspire notre démarche.

Le modèle hiérarchique et centralisateur hérité de la Révolution tranquille

Dans la foulée de la Révolution tranquille, une série d’initiatives ont été prises par les gouvernements québécois successifs (Lesage, Johnson, Bertrand, Bourassa et Lévesque) et par les grands acteurs sociaux autour du développement du Québec. Ces initiatives ont fini par constituer un « modèle québécois de développement », dont l’unité était assurée par des compromis s’articulant autour d’un interventionnisme étatique, du nationalisme économique, d’une démocratisation des services collectifs et d’une modernisation de l’économie et des infrastructures. Inspiré par l’approche keynésienne dans l’économie et par celle de Beveridge dans le social, ce modèle relève d’une approche hiérarchique et centralisatrice.

Pour les politiques économiques, la grande entreprise et l’organisation bureaucratique sont valorisées sans réserve. L’État se perçoit comme le mieux outillé pour réaliser une planification économique incitative de sorte qu’il n’hésite jamais à se faire entrepreneur pour favoriser la diversification industrielle. Ces interventions sont principalement définies à partir du périmètre du Québec selon une vision favorable à l’autosuffisance, et ce, quitte à investir lourdement dans les « canards boiteux ». Les dépenses publiques dans le domaine économique (excluant les autres niveaux de gouvernement) passent de 8,5 % en 1961 à 26,8 % du PIB en 1985. C’est la période où les grandes sociétés d’État sont mises sur pied, dont la SGF dès 1962. Du point de vue du nationalisme économique, les données compilées pour ces années montrent que de 1961 à 1987 le contrôle des francophones est passé de 47,1 % à 61,6 % pour l’ensemble de l’économie. Dans l’industrie de la finance, cruciale pour une maîtrise du développement, ce contrôle passe par exemple de 25,8 % à 58,2 %.

Dans le domaine social, la Révolution tranquille des années 1960 et la réforme Castonguay des années 1970 ont amené un progrès indéniable marqué par les demandes social-démocrates des mouvements sociaux. La modernisation du système d’éducation et des services sociaux et de santé a signifié un accroissement considérable de l’intervention de l’État sur le plan du financement, de la régulation et de la dispensation des services. Du même coup, ces services sont devenus davantage accessibles et gratuits dans l’ensemble de la société québécoise. Toutefois, l’organisation des services devenus plus universels s’est déployée selon un rapport avec les citoyens comparable à celui que l’on retrouve dans la très grande entreprise de l’époque, c’est-à-dire un rapport hiérarchique et bureaucratique. Avec le recul du temps, il ressort plus clairement que, dans le domaine de la santé et des services sociaux, les réformes des années 1960 et 1970, en dépit de leurs effets positifs, entretenaient un net penchant pour l’hospitalocentrisme : plus de services de santé et de bien-être devenaient accessibles et gratuits, mais à condition d’être consommés dans les centres hospitaliers et dans les centres de services sociaux plutôt que dans les milieux de vie naturels des personnes aux prises avec des problèmes de santé et de bien-être. C’est ainsi que les services à domicile sont demeurés dramatiquement sous-développés et que les CLSC ont été sous-utilisés jusqu’à la fin des années 1970. De même, les solidarités communautaires, la prévention et les déterminants sociaux de la santé et du bien-être sont demeurés négligés par les autorités publiques jusqu’à tout récemment.

Les acteurs de la Révolution tranquille ont appliqué une recette qui avait fait ses preuves ailleurs et qui formait un cercle vertueux : une présence plus importante de l’État pour s’assurer d’un équilibre socialement acceptable des grands indicateurs économiques, une syndicalisation plus importante qui permet une croissance des revenus et, par la même occasion, une augmentation de la demande effective. Mais au‑delà de sa description « vertueuse », les limites du modèle se font sentir assez tôt, d’autant plus que le Québec a loin d’avoir été précoce dans la mise en oeuvre de ce modèle de développement. Dès les années 1970, comme les recherches l’ont amplement démontré pour la plupart des pays de l’OCDE, les gains de productivité élevés sur lesquels reposait le modèle de la production en série s’effondrent, mettant fin à une dynamique interne positive.

Dans le cas du Québec, cette gestion étatique du développement économique a plus ou moins été un échec du point de vue de l’emploi. Après une amélioration importante pendant les années 1960, le chômage est en progression constante par la suite, atteignant un sommet lors de la récession de 1981-1982. Sur le plan des services collectifs, les résultats sont également moyens tant du point de vue du décrochage scolaire que de leur incapacité à répondre aux nouveaux besoins sociaux. Plus profondément, la démocratie sociale ancrée dans les intérêts collectifs et régionaux est plutôt dévalorisée au profit d’une démocratie représentative qui s’en remet aux technocrates pour prendre les « bonnes décisions » à partir de Québec. Par la suite, la participation est définie en termes de consultation visant à alimenter des administrations publiques désireuses d’homogénéiser le plus possible les différences.

Ainsi, dès le début des années 1970, les tensions sociales atteignent leur paroxysme avec la radicalisation des syndicats qui optent pour un syndicalisme de combat et une gauche politique qui s’investit dans des groupuscules d’extrême-gauche. À la démocratie représentative incarnée par les dirigeants politiques est opposée la démocratie directe, voire une autogestion qui fait de Tricofil un symbole. Après avoir contribué à son édification, les mouvements sociaux ont donc remis explicitement en cause le modèle de la Révolution tranquille, notamment son approche hiérarchique et ses limites au regard de la démocratie. Par la suite, les gouvernements ont également cherché à sortir de ce modèle. Dès la fin des années 1970, le gouvernement péquiste propose des sommets pour la concertation et met de l’avant une politique misant sur le virage technologique et la conquête des marchés externes. Dans la visée du Québec inc., la grande entreprise privée et l’agence publique autonome apparaissent comme des alternatives à la hiérarchie publique pourvu que le contrôle québécois francophone soit assuré.

La critique est également venue de la droite. Dans le contexte de la crise des finances publiques et des mesures impopulaires adoptées par le PQ lors de la récession de 1981-1982, la vision néolibérale a alors acquis une légitimité suffisante. Porté par l’enthousiasme des nouveaux acteurs politiques provenant du milieu des affaires, qui ont l’intention d’appliquer au Québec le modèle utilisé en Grande-Bretagne, Robert Bourassa forme des groupes de travail pour clarifier les principes et le programme de ces acteurs. Leurs rapports (les fameux rapports des sages) sont déposés au milieu de l’année 1986. Ils préconisent une rupture, une mutation dans « l’art de gouverner », et visent explicitement à remplacer les arrangements institutionnels construits antérieurement par un régime fondé sur l’autorégulation marchande. Pour diverses raisons, Robert Bourassa, à partir de 1987-1988, refuse d’adopter la vision fondamentaliste d’un État absent de l’activité économique. Il « sonne la fin de la récréation », comme le dit un journaliste à l’époque. C’est un échec pour la vision ultralibérale, mais c’est le début de la fin du modèle hiérarchique, comme nous l’expliquerons plus loin.

La dénonciation de l’interventionnisme étatique, de la part de Jean Charest à l’occasion de la dernière campagne électorale, puis les interventions successives de Claude Castonguay (1999a, 1999b, 1999c), de Marcel Boyer, directeur du CIRANO, ainsi que de Jean-Luc Migué (1999) contre les effets pervers du modèle québécois semblent exprimer la résurgence de cette vision néolibérale. Ces interventions s’enferment dans une vision de l’économie qui interdit à l’État d’être porteur de choix collectifs. À quelques nuances près, cette vision s’appuie sur les mêmes principes qui avaient alimenté le projet des « sages » de 1986. Ces ténors du courant néolibéral expriment un projet de société fondé sur l’autorégulation marchande, qui devrait favoriser spontanément l’initiative des individus, faire réussir les élèves et guérir les malades, ouvrir le secteur public à la concurrence du secteur privé et procéder à des baisses radicales des taxes en prenant exemple sur le gouvernement Harris en Ontario.

Le simplisme de l’ultra-droite n’a d’égal que celui de l’ultra-gauche qui ne trouve rien d’autre à proposer que la défense des acquis de la Révolution tranquille et des diverses modalités d’intervention de l’État. Ce faisant, cette gauche assimile au néolibéralisme toute initiative visant la démocratisation du travail, la décentralisation des politiques publiques ou encore la revalorisation de la société civile. À partir du moment où les crises rendent impossible la reproduction de l’ancien modèle, la vision qui affirme vouloir retourner en arrière pour retrouver l’esprit du providentialisme s’enferme ni plus ni moins dans une vision de conservatisme social. De même, l’autorégulation marchande proposée par l’ultra-droite ne pourrait se réaliser sans régression sociale. La vision de l’ultra-gauche comme celle des ultra-libéraux représentent les deux faces d’une même vision duale du monde, mettant dos à dos le marché et l’État, l’un étant d’essence naturelle voire divine, alors que l’autre est le mal incarné. Une telle dichotomie rend tout compromis impossible. Dans la seconde partie de ce texte, nous présenterons les éléments d’un nouveau paradigme de développement.

Émergence d’un nouveau modèle autre que néolibéral ?

Le modèle québécois tel qu’il a été élaboré à la suite de la Révolution tranquille est dépassé. Seule une partie de plus en plus minoritaire de la gauche, l’ultra-gauche, veut encore l’approfondir se refusant à y voir ses limites. En revanche, la proposition de l’ultra-droite pour plus de marché est également dépassée tant du point de vue théorique (voir les analyses du dernier Prix Nobel, Amartya Sen) que du point de vue des pratiques. Le pays qui s’approche le plus de l’autorégulation marchande, les États-Unis, a vu le seul gouvernement fédéral accorder pas moins de 125 milliards de dollars américains par année aux entreprises dans les années 1990 (Barlett et Steele, 1998). De plus, cette approche met de l’avant une vision conservatrice qui instrumentalise le social au profit de la seule économie marchande et affiche un mépris souverain pour tous les acteurs collectifs. Si l’on examine attentivement les expérimentations et les initiatives de la société québécoise au cours des dernières années, il apparaît clairement que les pratiques inspirées par une bonne dose de pragmatisme nord-américain sont éloignées aussi bien du modèle de la Révolution tranquille que du néolibéralisme.

Dans le nouveau modèle en émergence, l’État est défini comme un partenaire qui est ainsi invité à valoriser la société civile et la démocratie sociale. La concertation des acteurs sociaux est exigée par ces derniers non seulement pour sortir de la crise mais aussi pour créer un espace public susceptible de contribuer à la formulation et à la mise en oeuvre des politiques publiques. Dans cette visée, une stratégie industrielle offensive suppose une coordination gouvernementale décentralisée : tables de concertation, grappes industrielles, promotion de l’entreprise-réseau, contrats sociaux dans les relations de travail, etc. Au lieu d’oeuvrer à la mise en place d’une structure industrielle pleinement diversifiée, l’État favorise quelques secteurs stratégiques pour tirer profit de l’insertion du Québec dans l’économie-monde. À cette fin, il met de l’avant une stratégie axée sur l’offre intégrée : R-D, formation de la main-d’oeuvre, accès au financement, etc. Dès lors, l’État n’a pas à devenir entrepreneur et gestionnaire des entreprises : une participation minoritaire lui suffit pour affirmer des demandes visant l’intérêt général. Ainsi, la nouvelle SGF a clarifié sa stratégie de capital patient et refait le consensus parmi les principaux acteurs, comme en témoignent les appuis récents de l’AMEQ et de beaucoup d’acteurs régionaux. Dans cette visée, Investissement-Québec (ex-SDI) a reçu de nouvelles ressources pour s’ouvrir à une économie plurielle. Ce nouveau modèle ne vise pas à sortir du capitalisme, mais les différences avec le néolibéralisme deviennent suffisamment marquées pour susciter l’engagement de ceux et celles qui sont disposés à travailler pour une société plus humaine.

Sous la pression des mouvements sociaux (syndical, communautaire, féministe, coopératif), l’État québécois des années 1990 a donc été amené à reconnaître une pluralité d’acteurs sociaux organisés. Ces acteurs sociaux ont un rôle déterminant du fait qu’ils ont l’autorité et habituellement les moyens pour encourager la diffusion des innovations qui surgissent plus souvent qu’autrement à l’échelle locale. Les Conseils régionaux de développement, les tables sectorielles de concertation, les comités sectoriels de main-d’oeuvre et la Société québécoise de développement de la main‑d’oeuvre puis les Commissions de partenaires du marché du travail, les Centres locaux d’emploi (CLE) et les Centres locaux de développement (CLD) sont autant d’espaces nouveaux où les acteurs représentatifs de la société civile peuvent participer à l’élaboration, puis à la mise en oeuvre des stratégies de développement. Ce faisant, le rôle de l’État est transformé puisque l’on passe d’une intervention étatique en principe externe à la société civile à une intervention arrimée à une multiplicité de lieux de délibération. Cette ouverture sur le partenariat peut être observée aussi bien dans les entreprises que dans les services collectifs.

Dans les entreprises, nos études de cas permettent d’observer une diversité d’innovations organisationnelles et institutionnelles. S’il est manifeste que l’organisation « tayloriste » est encore présente sur le terrain, elle a été néanmoins ébranlée aussi bien par la crise du travail que par les formes de la concurrence et les nouvelles technologies. Les formes les plus intéressantes de modernisation incitent à repenser le partage du pouvoir entre la direction et les travailleurs syndiqués, à travers entre autres les comités paritaires et la négociation continue, d’une part, et la réorganisation du travail à travers le travail en équipe et la requalification du travail, d’autre part. Depuis le début des années 1980, la participation des travailleurs à la propriété des entreprises est devenue possible à partir de deux fonds de travailleurs et d’une trentaine de coopératives de travailleurs-actionnaires dans lesquelles les syndicats sont engagés.

Du côté des organisations communautaires, on observe une évolution semblable. Depuis deux décennies, les organisations communautaires qui valorisent la participation des usagers se sont donné une vision du développement où les frontières entre le social et l’économique ont été remises en question. Ainsi, la nouvelle économie sociale situe les services de proximité non seulement dans le domaine de la santé et des services sociaux mais également dans le cadre du développement local. Le concept de développement économique communautaire affirme avec force cette liaison de l’économique et du social. La période actuelle est également marquée par la reconnaissance institutionnelle des organisations communautaires et de femmes qui ont été appelées à siéger aux côtés des syndicats et du patronat pour relever le défi du chômage, de la pauvreté et des besoins sociaux non satisfaits. Dans le domaine de la santé et des services sociaux, les organismes communautaires, grâce à leurs luttes et à leur vigilance incessantes, ont obtenu dans le cadre de la réforme Côté-Rochon une reconnaissance qui ne rétrécit pas leur identité et leur rôle à la seule livraison des services, un financement plus durable et la possibilité d’influencer l’élaboration et l’application de la politique d’évaluation les concernant. Nos recherches sur les organismes communautaires dans le domaine sociosanitaire en particulier mettent en évidence le fait que la reconfiguration de l’État-providence peut se faire autrement que par la privatisation et la marchandisation des services collectifs.

Un nouveau modèle qui s’exprime par des expérimentations plutôt que par une vision globale

Ces expérimentations qui ont le plus souvent été impulsées par des acteurs de la société civile ont été rendues possibles par des politiques du gouvernement du Québec et parfois par celles du gouvernement fédéral. Cependant, le nouveau modèle sous-jacent à ces expérimentations novatrices n’a été explicité jusqu’à maintenant par aucun gouvernement, ni aucun parti politique. De plus, les indices du nouveau modèle cohabitent souvent avec d’autres indices relevant du modèle néolibéral (ex. le discours sur les baisses de taxes tellement à la mode en Amérique du Nord) ou encore, plus fondamentalement, avec les assises institutionnelles de l’ancien modèle de la Révolution tranquille. Ainsi, les innovations locales et sectorielles entrent parfois en contradiction avec le système institutionnel macrosocial et les stratégies des grands acteurs sociaux. Si bien que des représentants de la haute fonction publique québécoise, lors d’une récente conférence annuelle de l’administration publique, n’avaient pas tort d’observer une certaine ambivalence dans la stratégie gouvernementale : « Le gouvernement Bouchard manque de vision et de cohérence dans les nombreuses réformes qu’il a instaurées. Les gestes contredisent fréquemment le discours officiel, notamment en matière de décentralisation » (Lessard, 1999). En fait, ce qui est qualifié ici de « manque de vision » pourrait tout aussi bien être décrit comme la cohabitation, sur le plan des pratiques et du discours du gouvernement du PQ, de plusieurs visions ou modèles concernant le développement économique et social. Sur le plan du discours, plusieurs dirigeants du PQ, à commencer par le premier ministre, ont multiplié les déclarations de fidélité au modèle québécois en en parlant au singulier comme s’il n’avait pas changé depuis 40 ans. Mais sur le plan des actes, on ne retrouve pas un seul modèle, mais une tension entre deux hypothèses de renouvellement du modèle issu de la Révolution tranquille et la réforme Castonguay. On retrouve une tension entre la possibilité de renouveler le modèle québécois en prenant la voie néolibérale ou en prenant ce que nous pourrions nommer ici la voie du développement partenarial et solidaire.

Par ailleurs, les innovations les plus spectaculaires parmi celles qui s’inscrivent dans la voie du développement démocratique et solidaire sont venues de l’économie sociale. La reconnaissance politique des acteurs de cette nouvelle économie et la diffusion sur une large échelle des modèles culturels qui leur sont associés sont la preuve de la place significative qu’ils ont prise : dans l’espace économique en créant de nouveaux types d’entreprises et de nouvelles formes de coordination entre elles ; dans l’espace social, en trouvant des réponses originales à des problématiques dans les domaines de la santé, de l’exclusion sociale, du développement local, de la création d’emplois, etc. ; dans l’espace politique, en participant à la reconfiguration des instances de développement local (ex. création des CLD à partir de l’expérience réussie des CDEC et des SADC). En somme, les expérimentations qui nous permettent d’avancer l’hypothèse d’un nouveau modèle de développement en émergence concernent aussi bien les transformations des rapports de travail que les transformations des rapports de consommation. De ce point de vue, l’économie sociale n’est qu’un chantier parmi d’autres, mais un chantier qui témoigne des différences existant entre les visions néolibérale et partenariale. En effet, le néolibéralisme fait également appel à l’économie sociale pour mobiliser la proximité et les relations interpersonnelles ; mais il le fait au profit des seules activités marchandes ou comme solution de dernier recours pour les exclus de l’économie de marché.

En somme, même si nombre d’expérimentations novatrices sur le terrain économique et social témoignent de l’émergence d’un nouveau modèle québécois misant sur de nouvelles solidarités, il serait prématuré d’affirmer que ce nouveau modèle existe de façon claire et irréversible. Le nouveau paradigme sur lequel les acteurs feraient consensus comme au temps de la Révolution tranquille est encore à expliciter. Sous cet angle, les expérimentations sur le terrain sont nettement en avance sur le discours des acteurs et des gouvernements. D’où l’importance d’un travail d’analyse et de construction théorique qui permette de circonscrire plus clairement la nature des enjeux et la portée des conflits. Dans cette visée, la seule dénonciation, à la lumière du modèle précédent, perd une grande partie de sa portée (Hekpazo, 1999) alors que les propositions allant dans le sens de la démocratisation invitent les acteurs sociaux à devenir plus actifs comme l’argumentait récemment Gérald Larose (1999). Dans une période de transition, la référence au modèle québécois de la Révolution tranquille peut encore être faite, mais ceux et celles qui s’en tiennent à cette seule référence risquent de se retrouver dans la position de celui qui conduit sa voiture en ne regardant que dans son rétroviseur.