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Le programme de logements à loyer modique (HLM) de la SHQ représente la composante la plus importante du logement social au Québec, bien qu’elle demeure largement méconnue. Il s’agit pourtant d’un milieu éminemment stratégique au regard des problèmes sociaux et des pratiques d’action communautaire s’y déroulant. Ce programme s’adresse aux personnes à faible revenu, qui sont sélectionnées en fonction de leurs revenus et de l’état du logement qu’elles occupent. Selon les données de la SHQ (2003), le parc HLM public relevant de la gestion des offices municipaux d’habitation (OMH) et excluant l’administration régionale de Kativik est composé de 547 OMH dont quatre ont plus de 2 000 unités de logement (Montréal, Québec, Longueuil, Gatineau). La majorité de ces logements ont la vocation d’accueillir des personnes âgées, soit 35 257 (dont 10 681 à Montréal) ou des familles (25 857, dont 9 695 à Montréal).

Dans le cadre d’un projet de recherche financé par la SHQ, une étude (Morin, Aubry et Vaillancourt, 2006) a réalisé un inventaire analytique des pratiques d’action communautaire se déroulant dans ce milieu. Ces pratiques ont été définies comme tout projet en milieu HLM visant à renforcer la prise en charge de leur milieu par et pour les résidents, et tout projet visant à créer des milieux de vie communautaire, sociale et familiale adaptés aux besoins des personnes qui y évoluent. Cette recherche a notamment mis en valeur l’importance du palier local dans la mise en place de solutions adéquates aux réalités quotidiennes des personnes. C’est sur un territoire précis que se créent les alliances et les synergies, éléments clés de toute entreprise de lutte contre la marginalisation des HLM. Ces nouveaux arrangements d’acteurs se retrouvent justement dans les lieux où l’on travaille ensemble à briser les barrières envers le milieu HLM et ses résidents. S’élabore et se construit une forme originale de développement des communautés. Ce texte est structuré autour de cette démonstration.

Nous présenterons d’abord notre cadre théorique fondé sur le développement des communautés de même que la méthodologie de travail. Un état de situation en milieu HLM permettra ensuite de saisir les particularités du travail d’action communautaire en ce milieu, travail qui s’appuie maintenant sur les changements législatifs survenus en 2002. Deux pratiques d’action communautaire se référant aux deux modèles de développement des communautés identifiés seront exposées afin de permettre au lecteur d’appréhender les dynamiques locales en présence. Nous concluons sur l’apport de la recherche au renouvellement des politiques et pratiques sociales en milieu HLM.

Le développement des communautés

Le terme de communauté locale inclut tout à la fois le territoire vécu, le milieu de vie, le quartier ou la paroisse en milieu urbain et le village en milieu rural. Tous ces milieux ont toutefois été l’objet de telles transformations ces dernières décennies et leurs fondements en ont été si profondément ébranlés qu’« il est difficile de prévoir quelles seront à l’avenir les assises de la communauté locale » (Dumont, 1995). De plus, les politiques sociales de l’État providence ont parfois entraîné des effets pervers, de « décapitalisation » des liens sociaux (Paquet, 1999) ; ainsi, au lieu d’améliorer la qualité de vie de leurs habitants, la création d’habitations à loyer modique (HLM) destinées aux familles démunies a souvent provoqué une dégradation de leurs conditions de vie (Giddens, cité par Denis, 2005).

Les pratiques de développement des communautés représentent des éléments de réponse à cette réflexion de Fernand Dumont puisqu’elles renvoient à l’ensemble des « approches d’action communautaire fondées sur la participation des membres d’une communauté et sur le développement de leur emprise collective sur leurs ressources et leurs institutions locales » (Leroux et Ninacs, 2002 : 26). En effet, un tel développement structurant ne peut faire autrement que de s’appuyer sur ces nouvelles assises de la communauté locale. Nous sommes donc ici dans un processus de renforcement des réseaux naturels, communautaires et professionnels maillant les ressources locales et assurant une meilleure coopération afin de promouvoir, de valoriser et de soutenir les capacités – au sens de capabilités – (Sen, 2003) des individus et des communautés. Cela se traduit, notamment, par un sentiment d’appartenance et de participation citoyenne (Ninacs, 2002).

Méthodologie

Notre matériau empirique se répartit comme suit : 57 entrevues[1] ont été réalisées dans 13 OMH, dont 8 ayant un nombre d’unités de logement supérieur à 1 000 (Montréal, Trois-Rivières, Saguenay, Gatineau, Sherbrooke, Québec, Longueuil, Laval) ; cinq autres territoires, choisis pour leurs pratiques innovantes, ont également été l’objet d’entrevues dans les offices ayant une taille de 101 à 999 unités de logement (Châteauguay, Lévis, Magog, Rivière-du-Loup et Mont-Joli). Nous avons effectué des entrevues semi-structurées auprès de trois personnes provenant d’univers différents (associations de locataires, gestionnaires ou intervenants OMH, organisateurs communautaires en CLSC ou intervenants d’organismes communautaires), ce qui nous a permis de recouper les informations et réflexions des observateurs. Toutefois, afin de mieux cerner les pratiques de la région montréalaise, nous avons plutôt réalisé trois entrevues dans chacune des six sous-régions du territoire. Au total, ces entrevues se sont réparties comme suit :

  • 18 entrevues ont été effectuées auprès des personnes travaillant pour un OMH ;

  • 19 entrevues ont été réalisées auprès des personnes impliquées dans les associations de locataires ;

  • 14 entrevues ont été menées auprès des personnes oeuvrant en CLSC ;

  • 6 entrevues ont été faites auprès des personnes actives dans les organismes communautaires.

Ces entrevues reliées à des expériences particulières nous ont ainsi permis de relever deux modèles de développement des communautés. Le premier s’adresse d’abord et avant tout aux locataires envisagés comme communauté d’appartenance, parfois non exclusivement, mais toujours de façon secondaire à la communauté environnante. Ce modèle de développement nous est apparu le plus fréquent ; on y retrouve donc autant des projets visant l’ensemble des locataires, par exemple à l’OMH de Lévis, que d’autres destinés aux familles ou aux aînés.

L’autre modèle de développement des communautés dépasse franchement les frontières de l’OMH et est initié par des offices et/ou des CLSC ; les organismes communautaires y jouent habituellement un rôle très important. Il possède une base territoriale plus ample et des visées d’intervention sociale allant bien au-delà du milieu HLM. Deux tendances peuvent être distinguées. L’une est destinée aux habitants du quartier, incluant les locataires d’une habitation à loyer modique, comme à Jean-Dallaire/Front (Gatineau). L’autre, plus rare encore, renvoie à un travail d’organisation communautaire initié par un CLSC et ayant pour objet le développement du logement social dans une municipalité ; en cette matière, Châteauguay représente un cas d’espèce. Précisons que ces deux modèles ne sont pas mutuellement exclusifs ; ainsi, à l’OMH de Montréal (OMHM) et l’OMH de Québec (OMHQ), les deux modèles de développement sont juxtaposés. De même, dans les expériences les plus achevées du premier modèle de développement, celles de Lévis, Trois-Rivières et Mont-Joli, nous pouvons discerner une logique d’ouverture à la communauté extérieure au HLM.

Une commune condition de dénuement

L’ampleur des changements survenus au sein de la composition des locataires depuis une dizaine d’années, selon nos répondants, représente probablement la donnée principale permettant de saisir la complexité de la dynamique associative en milieu HLM. La population en milieu HLM est perçue par nos répondants comme étant de plus en plus marginalisée, fragilisée et défavorisée. Trois facteurs ont fortement contribué à cette évolution : la fin des loyers plafonds en 1982, qui a contribué à l’exode des travailleurs ; la modification des critères d’attribution en 1990, qui a favorisé la venue des personnes les plus économiquement défavorisées en milieu HLM ; et la fin de la construction des HLM en 1994 à la suite du désengagement du gouvernement fédéral. Donc, plus que jamais la question de l’habitation publique semble inséparable de celle de la pauvreté.

Le vieillissement des résidents, en majorité des femmes, dans les habitations pour personnes âgées, conjugué à la baisse de l’âge d’admission dans plusieurs de ces immeubles, constitue un aspect important du profil changeant des personnes résidant en HLM, et ce, dans un contexte où les aînés aspirent légitimement à demeurer à domicile le plus longtemps possible. Autre phénomène d’importance : l’arrivée massive en milieu HLM des familles issues des communautés culturelles ; cette situation touche essentiellement les grands centres urbains (Montréal, Québec) et quelques autres villes-centres d’importance (Laval, Longueuil, Gatineau, Sherbrooke). Finalement, nombre de répondants ont constaté que les personnes avec des problèmes de santé mentale majeurs étaient plus nombreuses qu’auparavant dans le milieu, dont certaines seraient sans suivi. Vu l’absence d’un réseau de services communautaires qui aurait fait de la prévention et du suivi auprès des personnes tout en travaillant en étroite collaboration avec d’autres secteurs d’activité, les répondants n’ont pu faire autrement que constater l’ampleur des problèmes et des défis que cette situation posait au milieu HLM. Cette situation a été relevée tant dans le milieu des familles que dans celui des personnes âgées. Plusieurs répondants ont signalé que cela contribuait à amplifier le sentiment d’insécurité. De plus, les problèmes de santé mentale de nature transitoire et de détresse psychologique semblaient également bien présents chez d’autres résidents.

Ces modifications des plus significatives dans la composition des résidents se sont produites dans un environnement déjà stigmatisé (Salzer, 1998). En effet, être pauvre dans une société où l’on est défini en fonction de ce que l’on vaut et de ce que l’on peut acheter représente une tare qui nous situe en bas de l’échelle sociale et économique (Hastings, 2004 ; Palmer et al., 2004). De plus, il s’agit d’un milieu de vie caractérisé par une promiscuité difficile à supporter ; le bruit, les rumeurs de toutes sortes colportées par le placotage provoquent des tensions ou des situations d’évitement. Parfois, les conflits peuvent être exacerbés par un choix de cadre bâti et d’aménagement physique peu favorables à la convivialité, particulièrement dans les ensembles immobiliers regroupant plusieurs bâtiments. Faut-il se surprendre alors que les répondants nous ont fait plusieurs commentaires sur la fréquence des conflits entre locataires ? « La capacité de cohérence, permettant plus ou moins bien de vivre ensemble, fait place aux forces d’éclatement » (Kaufmann, 1983 : 179). S’exerce alors un phénomène de déliaison sociale que les acteurs essaient de contrer par différentes stratégies.

Des outils au service du développement des communautés

En 2002, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 49 : Loi modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec (Gouvernement du Québec, 2002). Dorénavant, en vertu de l’article 57 de la Loi sur la Société d’habitation du Québec (L.R.Q., chapitre S-8), tel qu’il est modifié par l’article 10 du projet de loi 49, un office peut « mettre en oeuvre toute activité à caractère social et communautaire favorisant le mieux-être de sa clientèle ». L’article 58.1 de la Loi constitutive de la SHQ est également modifié de façon notable par la reconnaissance formelle du droit d’association des locataires : « Tout locataire de logements d’habitation administrée par un office a le droit de faire partie d’une association de locataires. Il a de plus le droit de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration. » Chaque office doit créer un comité consultatif de résidents (CCR) et tous les offices qui administrent plus de 2 000 logements d’habitation doivent créer des comités de secteur. Finalement, en 2004, le Manuel de gestion de la SHQ pour les OMH est modifié, afin de faciliter l’opérationalisation de ces activités à caractère social et économique. Ce manuel de gestion propose aux OMH un modèle comportant trois pôles d’intervention : l’approche communautaire, l’action auprès des personnes et le partenariat intersectoriel. L’objectif général de ce modèle est de favoriser le développement social, grâce à des actions communautaires et sociales, et d’assurer ainsi l’exercice de la pleine citoyenneté des résidents en milieu HLM. Il n’en demeure pas moins que l’ampleur des défis à relever est immense par rapport aux ressources financières et humaines présentement disponibles.

L’un des aspects les plus manifestes de cette évolution du rôle des offices est sans aucun doute la multiplication des démarches partenariales. Une démarche partenariale de type interne renvoie explicitement à la nature des liens que l’office va développer avec le CCR, les associations de locataires ou avec d’autres offices. Une association forte, représentative des locataires, constitue un atout important dans la réalisation du mandat de développement social et communautaire des offices. Plusieurs d’entre eux ont donc mis sur pied des processus favorisant un étroit partenariat avec les associations de locataires.

Une démarche partenariale de type externe peut englober une association de locataires, mais ne constitue pas une voie obligée. Plusieurs variantes de cette ouverture de l’institution vers l’extérieur sont possibles, que ce soit avec des organismes communautaires, les municipalités, des institutions publiques tant du secteur de la santé que des services sociaux et de l’éducation, grâce à la participation à des tables de concertation. Il y a ici un processus fondamental de mise en commun des expertises réciproques. Plusieurs types de services peuvent découler d’un tel processus : logement avec soutien communautaire, service aux familles, service d’insertion, etc. (OMHM, 2003). Dans sa forme la plus achevée, une véritable démarche intersectorielle s’établit : la somme de chacun des acteurs créant une synergie qui dynamise le milieu de vie HLM ou le quartier s’il y a lieu. Les deux exemples présentés ci-après témoignent d’un tel processus d’action communautaire.

La communauté HLM : l’expérience de Lévis

Le volet HLM de l’office de Lévis compte 893 logements. Ici aussi, à la suite du constat de l’augmentation des problèmes sociaux, l’OMH de Lévis a entrepris, durant les années 1990, « un chantier de développement social humain et collectif », pour reprendre la notion qui a cours en ce milieu.

Le terme chantier évoque un lieu où l’on construit. La notion de développement reflète la croissance harmonieuse. Le terme humain quant à lui réfère à la dignité de l’individu. Enfin, le concept de collectivité évoque la participation à la gestion de la vie d’une communauté.

OMH Lévis, 2000 : 2

Afin de briser la chaîne d’échecs, d’exclusion sociale et de dépendance en milieu HLM et d’en faire un lieu d’épanouissement tant individuel que collectif, de même que de réussite humaine, cet office a agi comme acteur pivot auprès des organismes du milieu et a su initier une forte concertation intersectorielle sur le territoire lévisien. Ce processus d’innovation sociale s’est donc appuyé d’abord et avant tout sur cette entreprise publique qu’est l’Office d’habitation municipal.

Afin de concrétiser cette ouverture vers l’extérieur, une logique de partenariat doit évidemment prévaloir et, en effet, l’Office « siège sur tout ce qui bouge » ; donc on essaie d’avoir des représentants dans tous les organismes pertinents et intéressés. Par exemple, M. Dussault, directeur général de l’OMHL, est président de la Fondation de la corporation du Patro de Lévis et vice-président du centre communautaire. Cela a facilité l’accès des locataires à un autobus lorsque ceux-ci en avaient besoin dans le cadre d’une sortie, de même qu’aux cuisines communautaires. Outre d’être présent dans nombre d’organismes, il importe également, selon M. Dussault, de siéger aux tables de concertation, car cela permet de projeter de nouvelles actions que ce soit avec le CLSC, la Commission scolaire ou des organismes communautaires, comme La Maison de la Famille. Ainsi, pour des locataires ayant des problèmes de santé mentale, l’Office a développé un partenariat étroit avec le CLSC Desjardins, qui a notamment permis l’embauche de deux case managers affectés à plein temps à l’intervention auprès de ces personnes ; de cette manière, on prévient nombre d’hospitalisations. L’Office, en collaboration avec le CLSC et l’Agence de développement de réseaux locaux intégrés de santé et de services sociaux de Beauce-Appalaches, a également mis sur pied deux projets de logements sociaux pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale.

Toujours dans ce même esprit de dynamisme, l’Office a développé un projet de tourisme social en étroite concertation avec l’association des locataires. Cela a permis à 15 jeunes en situation de décrochage scolaire et social – quatre de ces jeunes recevaient des prestations de la sécurité du revenu – de vivre une expérience hors du commun. L’idée était de mettre « ces jeunes dans des positions de réussites adaptées à leur réalité et qu’en leur faisant vivre une expérience de voyage humanitaire avec un défi qui les amènera à se dépasser, ils développeront des compétences et un réseau qui les aidera dans leur intégration » (OMH Lévis, 2003 : 5).

Ce projet s’est déroulé durant toute l’année 2005 ; pendant quarante semaines, à raison de trente heures par semaine, ces jeunes ont été préparés à leur séjour[2]. En septembre, ils sont demeurés un mois en Équateur et un film vidéo a été réalisé sur cette expérience (Corporation renaissance, 2005). On cherche également à agir en amont des problèmes afin que les jeunes des habitations ne deviennent pas de futurs locataires. Le projet « Mon chez moi, c’est mon affaire » a ainsi sensibilisé un groupe de jeunes à l’importance d’avoir un milieu de vie agréable, sécuritaire et confortable et de s’y impliquer activement. Ces jeunes ont reçu une allocation et ils ont réussi par la suite à réaliser leur rêve : participer à un cours de plongée sous-marine et faire un voyage en Floride.

Tout cela n’aurait pu se réaliser sans la participation collective des premiers intéressés : les résidents. Les rapports entre l’Office et les résidents se sont ainsi profondément transformés dans ce processus. Sous l’impulsion de l’Office, l’association des locataires a amorcé ses activités en 1997 dans l’optique de briser l’isolement des locataires et de créer des occasions d’échanger. Pour ce faire, on a cherché à faire participer tous les locataires dès le début avec l’appui constant de l’Office. Des personnes déléguées ont été graduellement nommées dans chaque habitation afin de contribuer à l’identification des besoins. Vingt-trois locataires siègent au CCR. Tous les mois, les responsables de l’Office déjeunent avec l’exécutif du CCR ; l’association et l’office veulent garder un contact régulier avec eux. Cela crée une dynamique très intéressante, qui semble motiver fortement les locataires ; par exemple, ceux-ci peuvent aller jusqu’à réaliser certains travaux d’entretien dans les habitations. Des assemblées de locataires ont lieu deux fois par année.

L’association gère le 15 $ par logement et par année attribué par l’OMH aux associations d’immeuble, et ce, pour l’ensemble du parc immobilier ; elle peut donc répartir la subvention en fonction des besoins collectifs prioritaires reconnus par les délégués. Ce fait témoigne de la force de l’association, puisque cette dernière est arrivée à fédérer l’ensemble des besoins et aspirations des locataires. En même temps, l’association a à coeur de rendre accessibles à ses membres des services individuels. Par exemple, elle met un barbecue de style commercial à la disposition de ses membres pour un coût minime, et même gratuitement lorsque la famille est démunie.

La création et le maintien de ce sentiment d’appartenance ont favorisé l’entraide entre locataires ; une personne va en accompagner une autre à son rendez-vous à l’hôpital, une autre va annoncer à la télévision communautaire qu’elle a un divan à donner. On crée donc une dynamique nouvelle dans les immeubles et l’association réussit ainsi plus facilement à utiliser le potentiel de ses membres et à les responsabiliser quant à leurs différents rôles, celui de parents par exemple :

Ils ont plus à coeur de contrôler ; ils ne sont pas marginalisés, ni ciblés comme des bons à rien. Ça, c’est important. J’habite un immeuble familles où il y a beaucoup d’ados. C’était l’enfer avant. Les jeunes en bas montaient par les balcons jusqu’au troisième par l’extérieur. Aujourd’hui, tu ne vois plus ça. La chaise que tu avais pouvait se ramasser en bas où elle disparaissait. C’était ordinaire. Aujourd’hui, plus jamais tu ne vois cela (Boudreau, association de locataires, Lévis).

Au nombre des activités mises sur pied ces dernières années, nous retrouvons tant des activités de loisir, comme des fêtes, des voyages, des jeux pour les enfants, que des services. Ainsi, s’étant aperçue que des personnes handicapées mangeaient très mal, l’association a instauré un système permettant la distribution gratuite d’un repas par jour à ces personnes dans les habitations concernées.

Il importe donc d’abord de développer le sentiment d’appartenance des locataires à leur milieu. Une fois la communauté renforcée, il est beaucoup plus facile pour les locataires de s’ouvrir à d’autres possibilités.

L’idée, c’est effectivement de leur offrir des services à l’intérieur de la bâtisse et de les amener à utiliser les services de l’extérieur. La stratégie, c’est de les mettre en action tranquillement, pour éventuellement les faire sortir, puis les intégrer dans un centre communautaire, dans les organismes du milieu. On ne veut pas ghettoïser. La première action, c’est de les faire bouger. La deuxième, c’est de les amener à utiliser les services de la communauté. Donc, peut-être la première fois prendre l’autobus avec eux, puis de rester toute la journée là ; la deuxième fois de partir pendant 15 minutes et ainsi de suite. Il faut prendre le temps de le faire convenablement, sinon ils deviennent insécures et ne reviennent pas (Brulotte, OMHL).

La création en 2004 de la division des services sociocommunautaires représente la consécration d’un processus d’innovation sociale tant d’ordre institutionnel qu’organisationnel de cette entreprise publique au centre d’une forte dynamique d’intervention communautaire concertée. Cette transformation au sein de l’organisation a permis à ce milieu HLM de devenir un lieu de possibilités croissantes.

L’intervention dans le quartier Jean-Dallaire/Front

Les auteurs qui ont documenté l’intervention dans le quartier Jean-Dallaire/Front (Favreau et Fréchette, 2002 ; Dion, 2002 ; Bertrand, 1999) ont décrit ce dernier comme un lieu de grande pauvreté marqué par la stigmatisation. Il s’agit d’un quartier de près de 1 000 habitants, structuré principalement par la présence de 125 unités de logement à loyer modique. Ces bâtiments ont été construits au début des années 1970, durant la période des expropriations massives à Hull. Les problèmes de promiscuité, d’insécurité – ce quartier était surnommé « le petit Chicago » –, d’isolement et de faibles relations de voisinage étaient fréquents au sein de cette communauté. Les intervenants du CLSC de Hull étaient donc appelés à intervenir fréquemment auprès des habitants du quartier, et ce, dans un contexte de méfiance de la part de ceux-ci envers les institutions.

En 1987, à la suite d’une formation sur l’intervention milieu et à la demande d’une mère de famille du quartier pour l’organisation d’un carnaval d’enfants, le CLSC a commencé à agir de façon plus structurée dans le quartier. Cela a donné lieu graduellement à la mise sur pied d’une équipe multidisciplinaire visant à développer la vie de quartier avec ses locataires. En 1992, la Congrégation Notre-Dame (CND) s’est investie dans la dynamique communautaire du quartier et deux religieuses sont venues y habiter. En 1993, la Maison de l’amitié, située dans un logement de l’Office, fut inaugurée et, la même année, le comité de quartier fut créé. Graduellement, l’équipe du CLSC s’est retirée du travail d’intervention dans le quartier. Au fil des ans, nombre d’activités ont vu le jour : club de devoirs, cuisines collectives, ateliers de couture, activités « bouts de choux », ateliers d’informatique, etc. Ces activités se déroulent la plupart du temps à la Maison de l’amitié, qui constitue le lieu pivot de l’intervention du comité des résidents. Décrite comme un lieu neutre, non astreint à une logique de services (Dion, 2002), la Maison de l’amitié accueille toute personne du quartier, quelle que soit la demande.

La Maison de l’amitié n’est pas une salle à même l’édifice. C’est un petit peu à part. C’est une maison où tout le monde est bienvenu, tout le monde y va pour prendre un café. Le matin, l’on y trouve un monsieur qui demeure en haut de l’immeuble ; il est en train de prendre son café, puis jaser avec une madame. C’est tout le temps comme ça. Je pense que c’est la condition pour qu’il y ait beaucoup de monde (Bertrand, CLSC Hull).

Les résidents peuvent socialiser avec leurs voisins qui ne sont plus considérés comme menaçants. Cette ouverture aux autres est d’autant plus importante que la mise à distance des voisins a été identifiée comme le motif principal pour ne pas s’impliquer dans les activités (Dion, 2002). Graduellement, ce processus de renforcement de la communauté, qui a cours depuis plus d’une décennie, a transformé les problèmes en projets collectifs. Les représentations sociales associées au quartier ont commencé à changer, et même si c’est encore une minorité de personnes qui se sont impliquées, on a tout de même assisté à un développement de l’entraide : « Le don crée le lien » (Dion, 2002).

Selon Favreau et Fréchette (2002 : 13), les retombées de ce travail de longue durée peuvent être résumées comme suit :

  1. il se fait moins d’interventions de service public dans le quartier ;

  2. la vie est plus saine ;

  3. le quartier dispose désormais d’un pôle de développement propre ; une maison de quartier ;

  4. des leaders locaux susceptibles de maintenir et de développer de façon durable l’organisation du quartier et travailler à la reproductibilité de l’expérience ailleurs ;

  5. la confiance, la dignité, la fierté ont regagné du terrain : désormais une partie de la population croit qu’il est possible de changer les choses.

D’ailleurs en 1997, quatre quartiers se sont regroupés pour fonder un inter-quartiers. Son rôle principal « consiste à favoriser la solidarité entre les membres afin de rendre l’intervention plus efficiente » (Inter-quartiers de Gatineau, 2004 : 6). On cherche ainsi à développer une approche transversale qui permettra une intervention multisectorielle dans le cadre d’un étroit maillage entre les institutions et les organismes concernés.

Conclusion

Le tissu relationnel en milieu HLM repose sur des bases fragiles ; il importe alors de favoriser de meilleures relations interpersonnelles entre les résidents. On ne peut espérer développer des actions collectives dans ce milieu, s’il n’y a pas un sentiment de confiance envers les autres. Le sentiment d’appartenance peut alors s’y développer, de même qu’une implication des résidents. Comme les habitations à loyer modique jouent un rôle de plus en plus important dans l’intégration des personnes issues des communautés culturelles, la consolidation et la mise en place de pratiques facilitant un vivre-ensemble plus harmonieux se révèlent à cet égard impérieuses.

Par ailleurs, si l’on veut développer la compétence d’agir des résidents, il importe qu’ils aient l’impression qu’en prenant la parole, cela aura des effets positifs sur le milieu. Sur cette question, les OMH ont une responsabilité première de s’assurer que le développement social et communautaire imprègne l’ensemble de l’organisation. À cet égard, l’expérience des associations de locataires en Grande-Bretagne est instructive, puisque depuis plus de vingt ans « les résidents sont devenus de plus en plus pour les gouvernements des acteurs clés dans l’amélioration de leur qualité de vie et la rénovation urbaine de leur milieu » (Cairncross, Clapham et Goodlad, 2001 : 154 ; traduction libre). Pour les auteurs, toutefois, cette demande d’implication s’est effectuée dans un contexte général de « responsabilités sans pouvoir pour les résidents », ce qui est loin d’être un facteur favorable à leur participation et au développement du sentiment d’appartenance.

La consolidation et le développement de la vie associative en milieu HLM ne pourront se réaliser si les associations, surtout celles oeuvrant en milieu familles, n’ont pas accès au financement stable et récurrent. Dans ce milieu précis, les pratiques d’action communautaire sont majoritairement issues des organismes communautaires. Il importe donc de concilier les intérêts de ces deux acteurs, qui sont manifestement convergents. Ainsi, des projets structurants pour le milieu pourront plus facilement émerger et, de ce fait, les résidents seront à même de développer une base solide reposant sur une activité locale et une expérience organisationnelle.

Les modifications législatives apportées en 2002 ont indéniablement contribué à renforcer les pratiques de développement social et communautaire, déjà en plein essor sur certains territoires, et s’appuyant non seulement sur des offices mais aussi sur les associations de résidents, les organismes communautaires et les CLSC. Il y a donc ici un processus de démocratisation du logement social public qui se poursuit et s’enrichit constamment, grâce à la contribution des institutions publiques et du tiers secteur. (Vaillancourt, 2001). Un processus de transformation sociale se constitue alors, dans lequel des OMH deviennent de nouvelles formes d’entreprises publiques et où un système d’opportunités s’appuie sur l’empowerment des résidents. Cette nouvelle culture organisationnelle tente de concilier deux registres d’action en apparence inconciliables : celui de l’assistance aux personnes et celui de la compétence à agir de ces mêmes personnes. Se mettent en place des facteurs de conversion : des droits en capacité, du fait d’être titulaire de prestations sociales en liberté de choisir et d’agir, exercée par les résidents (De Leonardis et Emmenegger, 2005). La notion de « nouveau service public » – dans lequel se retrouvent des valeurs démocratiques comme la nécessité de la collaboration, du dialogue et d’un leadership conjoint entre les fonctionnaires et les citoyens – va également dans cette direction (Denhardt et Denhardt, 2003). Le CCR, à cet égard, s’il est soutenu adéquatement, représentera un apport fondamental à l’instauration de ce nouveau service public.

Toutefois, ces innovations demeurent précaires, car il y a des limites à la capacité locale de prendre en charge la cohésion sociale d’un territoire. Un patrimoine d’expériences et de compétences s’est développé, mais il a besoin d’être soutenu plus sérieusement par l’État, afin de relever cet immense défi social et politique que constitue l’inclusion des résidents en milieu HLM dans la société québécoise.