Disputatio

Réponses à mes critiques[Record]

  • Jocelyn Benoist

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  • Jocelyn Benoist
    Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La lecture faite par Ronan de Calan de la couverture de mon livre est généreuse. Elle est aussi excessive. Il est bien vrai que j’ai choisi ce magnifique Klee pour toutes les suggestions qu’il offrait, qui sont bien de l’ordre de ce que développe Ronan. Il est bien entendu tout aussi vrai que je n’avais pas tout cela en tête, en tout cas avec ce degré de clarté et d’explicitation. Faut-il y voir quelque chose comme le « terme » (terminus) de mon intentionalité, suivant le modèle « pragmatiste » emprunté à James que j’essaie de mettre en place dans la seconde partie de ce livre ? Mon intentionalité s’accomplirait alors en définitive sous la plume de Ronan en un sens qui ne serait pas celui d’une interprétation, mais d’une effectuation. Il y aurait là une belle image de la vie de l’esprit telle que je l’entends — c’est-à-dire, entre autres propriétés, toujours aussi collectif. Ce commentaire iconographique ayant donné le la de son analyse, la présentation que Ronan de Calan fait de mes thèses est aussi exacte que provocante et me donne beaucoup d’idées pour poursuivre dans et au-delà de la voie tracée par le livre. Je me contenterai donc de réagir informellement à quelques-unes de ces stimulations. Je voudrais tout d’abord relever une remarque qui me paraît très importante en termes d’intelligence de mon projet. Ronan de Calan écrit : « Cela signifie aussi que, pour Jocelyn Benoist, le modèle sémantique qu’il avait pu utiliser par ailleurs ne suffit plus à pallier ses défauts. » Et en effet, c’est bien là un des enjeux essentiels du livre : sortir, en recourant d’un côté au pragmatisme comme philosophie qui accorde au faire une priorité à la fois génétique et constitutive sur le sens, et de l’autre à la pragmatique linguistique, comme théorie des usages possibles du sens (ou en tout cas d’un certain sens : linguistique), d’un modèle « purement » sémantique de l’intentionalité. Les limites de l’intentionalité jouaient la dimension pragmatique comme un élément de critique externe du sens, et donc de l’intentionalité, ce qui supposait l’admission implicite de la validité en ce qui concerne cette dernière du modèle sémantique nourri par la tradition intentionaliste canonique (celui qu’on voit encore à l’oeuvre dans le présent débat, dans la contribution de Denis Fisette, qui identifie essentiellement la théorie de l’intentionalité à une théorie du contenu). Ici, la référence au pragmatisme fait sortir l’intentionalité de cette fonction de simple vecteur d’un sens déjà fait, et la restitue à ce qui représente une forme de tâche : celle de l’édification d’un sens, avec toute la variété de dimensions et de significations (cognitive, mais aussi pratique, morale, émotionnelle, esthétique, etc.) que peut présenter une telle exigence. Ainsi, le concept d’intentionalité sort du registre strictement sémantique pour prendre en charge tout le secteur traditionnellement considéré comme pragmatique, avec les contraintes que cela comporte inévitablement — contraintes de réalité — dont on découvre alors qu’elles s’appliquaient en fait aussi de plein droit à la dimension sémantique, dont l’étanchéité supposée avait jusque-là empêché de le voir. Dans son analyse de ma forme de réalisme, Ronan de Calan relève aussi l’importance fondamentale du cadre conventionnel (que nous soyons dans un monde social, donc, pourrait-on dire, conventionnel) qui constitue la base de la normativité intrinsèque d’au moins certaines formes (sémantiques, par exemple) d’intentionalité. C’est en effet un point très important. Je dois avouer, cependant, que c’est aussi une difficulté majeure de mon analyse que je n’ai pas vraiment affrontée dans ce livre — je le faisais un peu plus dans Les limites de l’intentionalité …

Appendices