Comptes rendus

Maurice Merleau-Ponty, Le Problème de la parole : cours au Collège de France, notes 1953-1954, Genève, MētisPresses, 2020, 280 pages[Record]

  • Xinqu Wendy Zhu

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  • Xinqu Wendy Zhu
    Doctorante en philosophie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS)

L’« expression » est un des thèmes principaux de la philosophie de Merleau-Ponty. À chaque évocation de ce sujet, le philosophe s’efforce d’en approfondir la conception pour finalement envisager les questions ultimes : dans quelle mesure l’homme peut-il exprimer ou faire s’exprimer l’être ? Comment la parole philosophique est-elle possible ? C’est dans ce sens-là que, dans la première moitié des années 1950, il se concentre sur le problème de l’expression et tente de proposer une position plus systématique, intégrant divers aspects de ce problème qui n’étaient traités que de façon dispersée. Le problème de la parole est le fruit d’un tel effort. Dans ce cours, en premier lieu, profitant de la distinction saussurienne entre parole et langue (à savoir celle entre la fonction productrice de sens et le langage déjà institué), Merleau-Ponty poursuit le projet ébauché dans Le monde sensible et le monde de l’expression. Il montre comment la parole agit en rendant possible la transfiguration du monde affectif en monde symbolique. La doctrine de Saussure constitue une référence essentielle pour Merleau-Ponty, car, en explicitant la fonction productrice de la parole, elle déborde en effet la discipline linguistique et converge avec sa propre orientation ontologique. Merleau-Ponty approfondit ensuite le concept de « parole » en explorant trois formes de langage dans notre vécu concret : l’acquisition du langage, le cas pathologique de l’aphasie et la littérature proustienne (respectivement comme forme « inchoative », « régressive » et « sublimée » du langage). Tout d’abord, examinons de plus près comment Merleau-Ponty prend pour point de départ méthodologique l’idée saussurienne de la « parole » (à savoir la fonction diacritique et productrice de sens). Avant tout, l’accent mis sur la « parole » nous aide à dépasser la conception substantialiste, qui considère le langage principalement dans sa fonction de « Wortbedeutungen », c’est-à-dire la correspondance ponctuelle établie entre signifiant et signifié. Le subjectivisme et l’objectivisme sont tous deux tributaires de cette position. Le subjectivisme se fonde sur l’attitude égocentrique. En croyant que sa propre existence est coextensive à l’être, il prend sa propre langue comme norme universelle. Par exemple, la métaphysique allemande élabore la philosophie à partir de son habitude linguistique indo-européenne attachée au verbe ; le logicisme identifie les catégories logiques universelles selon les catégories grammaticales indo-européennes. D’autre part, l’objectivisme, y compris la science du langage, considère la langue comme « résultat d’un devenir historique aveugle » et la réduit à de purs faits (p. 52). Cependant, en rupture avec le vécu, les faits sont paradoxalement rendus opaques, ce qui entraînerait alors un recours dogmatique qui conçoit une « perfection objective de la langue » ou des lois externes aux phénomènes pour assurer leur pouvoir porteur du sens (p. 56-57). Selon Merleau-Ponty, le subjectivisme et l’objectivisme sont des « équivalents du point de vue de la parole », ignorant le sujet parlant (p. 57). Parler, c’est vouloir l’intercompréhension entre moi et autrui, entre ma langue et d’autres langues. « Toute expression est transcendance » (p. 57). Dans le but de mettre en évidence la nature transcendante fondamentale du langage, le philosophe décrit son approche : « idée de la pluralité des langues comme langues à la 1re personne, comme paroles, et par la recherche du fondement de cette réciprocité » (p. 59). Parler, c’est transcender notre contact muet avec autrui et lui donner du sens. Merleau-Ponty se met ainsi à élucider la conception saussurienne de la « parole » en tant que fonction diacritique qui fait naître des significations. C’est ce qui, pour le philosophe, consiste en l’apport le plus original de Saussure. Selon Saussure, un son …

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