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Au coeur du projet souverainiste québécois se trouve une définition culturelle de la nation. Les propos tenus par Jacques Parizeau suite à l’échec du référendum de 1995 sont venus remettre en question les balises identitaires de cette nation en démontrant les limites qu’implique sa définition culturelle. Ce modèle, élaboré par Fernand Dumont, paraît désormais incapable d’une part « de répondre adéquatement au défi de la pluralité qui interpelle le Québec » (p. 33) et d’autre part de permettre la réalisation de la souveraineté. Dès lors, la nation québécoise doit être redéfinie. Plusieurs propositions de rechange ont été élaborées. Geneviève Mathieu explore et procède dans cet ouvrage à une synthèse des idées et des protagonistes qui structurent le débat sur la redéfinition de la nation au Québec présentement afin d’en faire ressortir les principaux enjeux. À partir d’une analyse de l’importance du modèle dumontien dans le premier chapitre, G. Mathieu examine dans les chapitres subséquents quatre propositions de rechange : la culture publique commune[1], la nation civique, la nation sociopolitique et la nation conçue comme francophonie.

Le modèle de nation culturelle est, selon G. Mathieu, le « pivot du débat sur la redéfinition de la nation au Québec » (p. 124). Pour cette raison, le modèle dumontien est le point de référence autour duquel l’auteure déploie son propos. F. Dumont défend une conception culturelle de la nation (la nation est « une entité historiquement définie qui lutte, à l’aide d’un nationalisme culturel, pour sa survie » — p. 19) qui fait référence à tous les francophones d’Amérique. Pour F. Dumont, la nation québécoise n’existe pas, car celle-ci ne possède pas d’antécédents historiques. Le Québec n’est que l’assise territoriale et le projet politique de la nation française en Amérique. En ce sens, la nation française serait le sujet politique unitaire d’un Québec souverain (p. 29). L’appartenance à la nation est ainsi définie par le partage de caractéristiques culturelles communes. F. Dumont propose la langue française en tant que pôle identitaire et culture de convergence permettant « à l’immigrant de s’assimiler à la nation française » (p. 30). Selon cette approche, « pour devenir membre de la nation française, l’immigrant doit s’assimiler en adoptant la référence nationale, c’est-à-dire la mémoire du sujet politique unitaire qu’est la nation française » (p. 31). Cette vision nationale s’appuie sur une lecture particulière de l’histoire des Canadiens français qui oppose identité culturelle et citoyenneté politique (p. 24). Cette histoire a démontré, selon F. Dumont, l’incompatibilité entre « le désir républicain de souveraineté populaire, de démocratie et de libéralisme… [et les] institutions françaises que sont le droit civil, le régime seigneurial, la religion catholique ainsi que la langue française. Ces institutions représentent certes un héritage national qui incarne la lutte pour la survivance, mais elles ne s’accommodent pas très bien de l’idéal d’égalité qui est au coeur du projet républicain » (p. 24).

G. Mathieu reprend l’idée de Jacques Beauchemin selon laquelle la valorisation sans précédent du droit et de la démocratie dans les années 1990 a accentué l’importance « de la reconnaissance du pluralisme et de la diversité identitaire » au sein du nationalisme québécois. Dans ce contexte, la quête d’un nouveau paradigme implique la présence du sujet politique éclaté qui suppose non pas un projet collectif visant l’affirmation de la nation française d’Amérique, mais un projet individualisé qui vise le respect des droits et libertés, ainsi que l’intégration démocratique dans une nation politique (p. 37). La mise en oeuvre de ce projet individualisé implique, du reste, le rejet de l’idée que la culture publique doive procéder d’une culture nationale spécifique. En ce sens, « [l]e degré d’ethnicité admissible dans la définition de la nation québécoise, eu égard au contexte politique actuel, représente la seconde cible visée par les protagonistes du débat » (p. 125). Pour G. Mathieu, la question fondamentale devant laquelle le Parti Québécois se retrouve donc est la suivante : « [est-il] possible d’adapter le projet politique du sujet unitaire, l’indépendance du Québec, au sujet politique éclaté, c’est-à-dire à l’ensemble des habitants du Québec (et non pas uniquement aux Canadiens français) » (p. 128).

Or l’auteure juge que les modèles proposés actuellement ne permettent pas de relever ce défi. Selon G. Mathieu, ils sont soit incapables de reconnaître le rôle clé de la culture pour la « nation québécoise », soit incapables de dépasser les limites du modèle dumontien. G. Mathieu conclut son ouvrage en soulignant qu’il n’existe pas, à ce jour, de « véritable modèle de remplacement au modèle de la nation culturelle » (p. 133). De tous les modèles examinés dans cet ouvrage, l’auteure soutient que le modèle de nation conçue comme francophonie nord-américaine, développé par Gérard Bouchard, est le plus prometteur, puisque celui-ci tient compte du bagage historique québécois. G. Bouchard définit la nation par le dénominateur commun de la langue française sur le continent américain. Sa démarche implique une révision de l’histoire nationale permettant de faire ressortir l’universalité et la diversité du passé canadien-français, ce qui permet aux nouveaux arrivants de se l’approprier. Pour Bouchard, « la souveraineté n’est pas une fin en soi, elle est plutôt le véhicule d’un projet de société où la langue française n’est plus seulement un trait identitaire à préserver, mais constitue en plus l’assise d’une dynamique d’appartenance et de participation » (p. 111). Cependant, le modèle de francophonie nord-américaine ne constitue, pour G. Mathieu, qu’une assise à partir de laquelle il faut approfondir la réflexion.

Somme toute, G. Mathieu s’interroge sur la façon dont on peut articuler une nation qui soit inclusive (en fonction des principes de libertés et de droits individuels) et possède à la fois des éléments substantiels d’appartenance (comme la langue par exemple). Qui est Québécois ? est une excellente synthèse du débat sur la redéfinition de la nation au Québec. G. Mathieu précise clairement les enjeux et les implications de la situation actuelle, de même que ceux de chaque modèle proposé sur le plan de l’ethnicité, ainsi que sur le plan des rapports tissés par les auteurs entre citoyenneté et nationalisme. Parallèlement, l’ouvrage permet de réfléchir sur l’impact de la pensée de F. Dumont sur le Québec contemporain. Toutefois, G. Mathieu ancre son analyse dans le modèle de l’État-nation. Elle ne remet pas en question la nécessité pour la nation québécoise d’être le fondement du projet politique souverainiste. Une telle remise en question mènerait pour certains à la fin du projet souverainiste québécois. L’on doit plutôt supposer que seule cette démarche pourrait permettre de réellement rendre compte de l’identité hybride des citoyens et des citoyennes.