Recensions

Lumières de la gauche de Stéphanie Roza, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022, 299 p.

  • Thibaut Dauphin

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Deux ans après La Gauche contre les Lumières ? (Fayard, 2020) qui avertissait les partis et les mouvements de gauche du risque de radicalisation et, in fine, d’éloignement mortel d’avec les Lumières et la Révolution française, Stéphanie Roza propose aux lecteurs d’explorer la nature et l’importance de ce « lien identitaire » (p. 11) qui modèle les attitudes philosophiques et politiques. L’ouvrage adopte le style naturel d’une progression chronologique, où des ensembles d’acteurs sont discutés pour éclairer les rapports particuliers qu’ils entretiennent avec l’héritage illuministe. Je résumerai ici chaque chapitre, et suivrai d’une appréciation générale. Roza présente d’abord trois figures de l’égalité sociale, sexuelle et raciale, à travers Gracchus Babeuf, Mary Wollstonecraft et Toussaint Louverture. Dans ce XVIIIe siècle long, le rapport aux Lumières est largement assumé, mais point déjà la volonté d’en « radicaliser la signification et la portée en leur conférant une cohérence et une extension maximale » (p. 55), véritable marqueur de l’histoire de la gauche qu’explore abondamment l’autrice jusqu’à la dernière page. Dès le début du siècle suivant, le XVIIIe siècle se retrouve en procès, et des griefs se dessinent selon les sensibilités des accusateurs : le déisme, le contractualisme et la Terreur (Saint-Simon), l’empire de la raison contre les passions humaines (Charles Fourier), le matérialisme et le déisme (Pauline Roland), les Lumières bourgeoises trop timorées (Louis Blanc), etc. Roza souligne alors l’écart fréquent entre les attitudes déclarées à l’endroit des Lumières et de la Révolution, et la place réelle, implacable et incontournable qu’elles occupent dans les idées et les discours de la gauche. Le troisième chapitre est spécialement dédié à la réception de l’Aufklärung en Allemagne. L’autrice y examine notamment le républicanisme jacobin de Ludwig Börne, passeur des idées issues de la Révolution française pour la jeunesse contestataire allemande, et le jeune-hégélien Karl Friedrich Köppen, qui voit dans le siècle précédent « l’impulsion originelle à l’élan moderne vers la liberté (p. 104), et qui n’hésite pas à invoquer la figure de Frédéric II. Le rapport est plus critique chez Bruno Bauer, qui incrimine les idéologies de l’Allemagne du XIXe, jugées « pas assez radicales » (p. 109). Le chapitre note ensuite une certaine ambivalence chez Marx et Engels. Les deux auteurs seraient, « à leur manière […] des enfants des Lumières » (p. 129), mais cet héritage serait loin d’être immaculé, comme l’illustrent les saillies de Marx contre la Déclaration montagnarde de 1793, grimée en ambassadrice de l’individualisme. Chez les marxiens en effet, et malgré une certaine tendresse de l’auteur du Capital pour les Lumières dites « modérées » (Jonathan Israël, 2002), le XVIIIe siècle représente dialectiquement le triomphe de la bourgeoisie et l’incubateur du socialisme et du communisme. Le chapitre suivant introduit les positions de trois figures incontournables de l’anarchisme : Pierre-Joseph Proudhon, Michel Bakounine et Pierre Kropotkine. Le premier considère la Révolution comme une matrice du socialisme, mais la juge aussi bourgeoise, terrible quand elle poursuit les maximes du Contrat social, ou au contraire timorée dans son matérialisme, ce qui explique l’inclination pour Voltaire de l’auteur de Qu’est-ce que la propriété ? (Proudhon). Bakounine nourrit, lui, une passion vibrante pour les Lumières françaises, qui s’arrête toutefois à la Terreur, au jacobinisme de Robespierre et de Babeuf, ou même encore, peut-être sous l’influence des sentences de Proudhon, au « despotisme le plus impitoyable » (Bakounine, p. 154) qui sommeille entre les lignes de Rousseau. Sur un autre registre, Kropotkine ose une critique scientifique du contractualisme, et préfère glorifier les sans-culottes plutôt que les grands noms de la philosophie bourgeoise. Quoique le gouvernement démocratique et la loi …