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Introduction

La controverse française sur la dimension affective de la relation enseignant-élève

La question des émotions ou des affects en éducation, en particulier ceux associés à la relation enseignant-élève (REE), n’est pas nouvelle. Il existe même une tradition, dans la pensée pédagogique, qui fait l’apologie de la relation affective entre l’éducateur et les enfants dont il a la charge. Cette tradition, représentée par ceux que Houssaye (1996) nomme les pédagogues du coeur, remonte au moins à Érasme (XVIe) ou Coménius (XVIIe) qui, tous deux, ont vanté les vertus de l’amour ou de l’affection du maître :

Sans nul doute, ce sera grand profit si celui qui entreprend à instruire un enfant se vêt, par une bonne inclination de courage, d’une affection de père et de mère envers l’enfant. Car en toute besogne, l’amour ôte grande partie de la difficulté

Érasme, 1990, p. 76

Plus tard, cette thématique a trouvé un écho chez des penseurs qui ont proposé des méthodes éducatives, en particulier pour les adolescents les plus inadaptés socialement (Pestalozzi, XVIIIe; Bosco, XIXe; Korczak, XXe ou Neill, XXe). Pour eux, l’affection est une condition nécessaire pour aider les jeunes socialement marginalisés à quitter le chemin de la déviance et de la violence : « les enfants délinquants, eux, ont besoin d’amour » (Korczak, 1979, p. 49). La dimension affective de la REE a donc souvent été approuvée pour ses effets et Rogers (1969) affirmait il y a plus de 50 ans qu’un changement général d’attitude enseignante dans le sens d’une amélioration des relations, que Wentzel (2012, p. 19) définit comme « des connexions durables entre deux individus, caractérisées par une certaine continuité, une histoire partagée et des interactions », pourrait générer une révolution dans le milieu scolaire.

Cependant, la relation et en particulier sa dimension affective asymétrique, fondée sur la sensibilité de l’enseignant et sa capacité à répondre aux signaux de l’enfant en faisant preuve d’acceptation et de chaleur affective (Pianta, 1999), a aussi ses détracteurs. Selon Houssaye (1996), les auteurs d’influence psychanalytique sont ceux qui ont émis, en France, les plus vives critiques. Par exemple, Baïetto (1982, p. 34) a dénoncé « le désir d’avoir prise sur l’autre » qui se cache derrière la relation affective. Un professeur de lycée français, par ailleurs psychanalyste, s’insurgeait récemment, dans une revue française au croisement de la psychanalyse et des réflexions professionnelles, contre cette « mode » qui consiste à « “écouter l’élève qui serait au centre du système” ce qui amène souvent à un “psychologisme ambiant” chez les professeurs à qui le jeune se confie » (Bouville, 2013, p. 173). Par ailleurs, Riley (2013) rappelle que la relation affective enseignant-élève est de nature à fournir une expérience émotionnelle corrective à des enseignants carencés. Cette idée, reprise à Wright et Sherman (1963), peut sembler inquiétante. Pourtant, l’affection de l’enseignant carencé peut aussi viser à épargner aux élèves cette carence à laquelle il est sensible. Par conséquent, la critique n’est pas si évidente.

En France, une autre critique, peut-être plus vive encore, vient de ceux qui, dans la polémique instruction/éducation soutiennent que le rôle de l’école et des professeurs est avant tout un rôle culturel de transmission des savoirs (« école de l’instruction », Lafforgue et Lurçat, 2007). La dimension affective de la REE apparaît alors comme une dérive qui met en péril la fonction transmissive verticale (Ferry, 2003). Par exemple, Finkielkraut (2007, p. 10) reproche à l’école d’être trop centrée sur les besoins de l’enfant et d’oublier les savoirs : « [l’institution] est-elle frappée de carence affective ou meurt-elle d’avoir misé sur l’amour des « gamins » pour assurer l’épanouissement des élèves? ». Dans la version la plus forte de cette thèse, les affects n’ont donc pas leur place à l’école (Brighelli, 2005, p. 30) : « que [l’enseignant] laisse polluer cette communication savante qu’est la transmission du savoir par des considérations sentimentales est une aberration ». En France donc, le débat instruction/éducation, impliquant la thématique de la relation affective, est encore un sujet de société polémique, comme en témoigne la récente chronique de Danièle Sallenave sur France Culture (14 février 2014, 7h37) qui prétend que l’école doit se limiter à un projet républicain d’instruction, ou encore celle d’Olivier Mazerolle sur RTL (29 septembre 2014, 8h14) qui dénonce le « délabrement » de l’école et explique que le décrochage scolaire trouve son origine dans la « pédagogie » qui s’est substituée à la « transmission des savoirs ». Ce contexte de controverse idéologique justifierait, à lui seul, l’examen de la littérature empirique sur la question.

Par ailleurs, la polémique touche également les professionnels, ce que pourrait venir étayer la visite de nombreux blogs d’enseignants[1] français, et résonne plus globalement dans l’institution scolaire. Par exemple, à l’occasion d’une enquête par questionnaire auprès d’enseignants du secondaire diffusée en ligne (Virat, Trouillet et Favre, 2014), une Inspectrice d’académie a réagi avec beaucoup d’inquiétude à l’évocation de la dimension affective :

On se pose la question de la conscience ou plutôt de l’inconscience de ce genre de propos et si en plus ils viennent d’une université publique c’est très curieux pour ne pas dire grave ! Peut-on évoquer l’existence d’émotions des enseignants au contact des élèves? […] J’ai averti le cabinet de la rectrice au vu de ces propos complètement déplacés. Que dirait-on d’un enseignant qui s’exprimerait ainsi en classe? Heureusement qu’un professeur de l’académie m’a alerté sur cette question

Virat, 2014a, p. 11

Dans ce contexte, il n’est finalement pas étonnant que les enseignants français fassent preuve d’une gêne à l’évocation, lors d’entretiens, de la dimension affective de la REE avec les adolescents (Virat, 2014b). En outre, les textes officiels sont très discrets sur la question. La racine « affect », par exemple, n’apparaît qu’une fois au sein du code de l’éducation, non pour décrire une relation mais pour caractériser l’une des facettes du développement de l’enfant à l’école maternelle (L 321-2). Ce silence est étonnant dans la mesure où s’accumulent, depuis plusieurs décennies, les études de psychologie de l’éducation portant sur la REE (Riley, en 2013, recense 2 276 articles scientifiques avec les mots-clés « teacher », « student » et « relationship ») et notamment sur sa dimension affective. En effet, depuis bientôt 25 ans et dans le sillage des travaux de Pianta et de ses collaborateurs, un champ de recherche s’est constitué autour de la dimension affective de la REE qui ne s’est malheureusement pas encore fait une place dans le cursus de formation des enseignants en France.

La théorie de l’attachement

Le cadre de la théorie de l’attachement proposé par Pianta (Pianta et Steinberg, 1992) s’est trouvé occuper rapidement une place centrale dans les recherches sur la REE (Davis, 2003), même lorsqu’il s’agit d’analyser les relations entre adolescents (population visée par le présent travail) et enseignants. Par exemple, lorsque Ryan, Stiller et Lynch (1994), dans l’une des études pionnières, évaluent la dimension affective de la REE à travers le sentiment de sécurité affective des adolescents, ils mobilisent le cadre de la théorie de l’attachement et utilisent comme outil psychométrique l’Inventory of Adolescent Attachment (Greenberg, Siegel et Leitch, 1983) conçu initialement pour évaluer la sécurité affective ressentie à travers la relation aux parents.

La théorie de l’attachement s’appuie sur l’existence d’un système motivationnel ou comportemental inné visant au maintien de la proximité physique et affective avec d’autres individus (Bowlby, 1969). D’abord décrit chez le jeune enfant, le système d’attachement s’active lorsque la figure d’attachement, généralement un proche parent, n’est pas disponible. Les situations d’insécurité interne ou externe (vulnérabilité, peur, fatigue, tristesse, angoisse, colère, maladie, etc.) en activent le mécanisme (Bowlby, 1969). Si les comportements d’attachement (sourires, regards, cris, pleurs, déplacements, etc.) permettent un rétablissement de la proximité, l’enfant éprouve un sentiment de joie ou de sécurité (Bretherton, 1985) et d’autres systèmes peuvent s’activer, comme les systèmes de prestation de soin ou d’exploration (responsables de l’attention et du soutien aux autres pour le premier et des comportements d’exploration ou de découverte pour le second). C’est ce que Bowlby (1969) a caractérisé avec la notion de base de sécurité, indispensable au comportement exploratoire. Poursuivant cette idée, une manière récente de mobiliser la théorie de l’attachement consiste à regarder le fonctionnement d’un système comportemental comme déterminé par l’état d’activation d’autres systèmes comportementaux, en particulier le système d’attachement (Shaver et Mikulincer, 2010). En effet, certains systèmes ne s’activeraient qu’après désactivation du système d’attachement. L’attention se porte alors, non plus sur un système pris isolément, mais sur l’interaction entre différents systèmes comportementaux (Feeney et Van Vleet, 2010).

A long terme, la disponibilité et la sensibilité de la figure d’attachement aux besoins de l’enfant fournissent la base de sécurité nécessaire au développement cognitif et socio-affectif (Milijkovitch, Dugravier et Mintz, 2010). Au contraire, les enfants qui vivent des relations d’attachement de type insecure, qui ne peuvent pas compter sur la présence et le soutien de figures d’attachement suffisamment disponibles et sensibles, ont davantage de risque de présenter des symptômes internalisés (dépression, angoisse, etc.) ou externalisés (troubles du comportement, etc.) (Kobak et Sceery, 1988; Lamas, Vulliez Coady et Atger, 2010). Ceci s’explique par l’histoire de l’interaction d’un individu avec ses figures d’attachement, qui se trouve être progressivement intériorisée et organisée au sein de modèles internes opérants (Bowlby, 1969). Ces modèles, secure ou insecure, déterminent la manière d’anticiper les relations à venir et sont intégrés de manière stable à la personnalité d’un individu (Bretherton, 1985).

D’après les classifications proposées par Ainsworth puis Main, les liens d’attachement insecure peuvent être de trois types : évitant, anxieux (ou ambivalent ou encore préoccupé) et désorganisé. D’après Bartholomew et Horowitz (1991), le type évitant décrit des personnes qui se protègent des déceptions relationnelles en se méfiant des relations trop intimes et en gardant un sentiment d’indépendance et d’invulnérabilité. Le type anxieux décrit les personnes dont l’estime d’elles-mêmes est totalement dépendante de la reconnaissance des autres. Le type désorganisé combine les deux types précédents et donne lieu à des comportements peu cohérents.

Si la nécessité de relations d’attachement secure pour le développement de l’enfant et de l’adolescent fait consensus, certains auteurs ont soutenu que les modèles d’attachement pouvaient être remaniés à la suite de nouvelles expériences interpersonnelles sécurisantes, comme c’est parfois le cas pour des élèves (Venet, Schmidt, Paradis et Ducreux, 2009) ou pour des adolescents qui s’attachent à un adulte leur fournissant un soutien important. Toute la question ici est de savoir si l’enseignant peut jouer le rôle de figure d’attachement pour ses élèves ou, a minima, fournir une base de sécurité suffisante pour étayer l’activation des systèmes de prestation de soins et d’exploration.

Objectifs de la présente étude

Les constats qui viennent d’être faits peuvent être résumés en trois points. Ils montrent :

  • l’existence d’une controverse idéologique, en France, qui porte sur la relation affective enseignant-élève et sa légitimité,

  • l’existence d’un champ de recherche fécond portant sur la REE n’ayant pas encore donné lieu à de nombreuses revues francophones de la littérature (le travail de Fortin, Plante et Bradley, 2011, fait donc exception) et qui, par conséquent, n’est pas mobilisé dans la formation des enseignants en France,

  • l’existence d’un cadre théorique fréquemment mobilisé, à savoir la théorie de l’attachement, pour interpréter les résultats qui s’accumulent dans ce champ.

Par conséquent, il semble pertinent de s’interroger sur les résultats des recherches empiriques sur la dimension affective de la REE et sur les éclairages fournis par la théorie de l’attachement. Or, se questionner ainsi revient à se poser plusieurs questions, parmi lesquelles : comment la dimension affective de la REE est-elle mesurée? Quels sont ses effets sur les adolescents? Comment la théorie de l’attachement permet-elle de comprendre ces résultats? Quelles en sont les implications pratiques?

L’objectif de la présente étude est donc de présenter une brève synthèse des résultats des recherches longitudinales sur les effets de la REE avec les adolescents et de montrer que ces résultats sont cohérents avec le choix du cadre interprétatif de la théorie de l’attachement, en particulier la dynamique des systèmes comportementaux.

Méthode

Le choix fait ici est celui de recenser les études longitudinales portant sur les effets de la dimension affective de la REE. Ces résultats sont susceptibles de mettre en évidence des relations entre des variables à moyen et à long terme (lien entre la dimension affective de la REE au temps 1 et les variables dépendantes évaluées au temps 2, quelques mois ou quelques années plus tard). Pour ce faire, les bases de données Academic Search Premier, ERIC, Francis, PsycArticles, Psychology and Behavioral Sciences Collection, PsycINFO et SocIndex ont été interrogées à l’aide de la métabase EBSCOhost en juillet 2014. Les mots-clés utilisés sont « teacher* student* relationship* » et « adolescen* ». En exigeant la présence du terme « longitudinal » dans le résumé, il en ressort quelques dizaines d’articles issus de revues à comité de lecture, dont 24 mettent en évidence des effets de la REE rapportés dans cette étude. Tout d’abord, les outils de mesure utilisés seront détaillés. Ensuite, les effets rapportés seront décrits (voir tableau 1). Ceci permettra, in fine, de discuter de l’apport de la théorie de l’attachement à la compréhension des effets de la dimension affective de la REE.

Résultats

Les mesures utilisées

Les études longitudinales recensées sont toutes des études quantitatives. La REE y est évaluée à partir de questionnaires. A l’exception de deux études (Davidson, Gest et Welsh, 2010; Rudasill, Reio, Stipanovic et Taylor, 2010), qui utilisent des questionnaires à destination des enseignants, les données sont recueillies à partir d’auto-questionnaires à destination des élèves. En effet, une évaluation par les adolescents eux-mêmes s’est montrée plus pertinente pour prédire les effets de la REE (Murray, Murray et Waas, 2008).

Afin d’évaluer la dimension affective de la REE, la plupart des auteurs se contentent de quelques items (de 2 à 9) généralement créés pour les besoins de leur étude. Ces items évoquent, entre autres, « l’intérêt personnel des enseignants pour les élèves » (Barile et al., 2012; Gregory et Weinstein, 2004; Liu et Wang, 2008; You, Hong et Ho, 2011; You et Sharkey, 2009), le sentiment des élèves d’être « compris et soutenus » (Liljeberg, Eklund, Fritz et af Klintenberg, 2011), le fait d’entrer en dialogue personnel avec les enseignants (Overbeek et al., 2006) ou le sentiment d’être soutenu et aimé (Rueger, Malecki et Demaray, 2010). Le concept qui revient le plus souvent dans ces items est le concept de care (Crosnoe et Elder, 2004; Hallinan, 2008; Kidd et al., 2006; McNeely et Falci, 2004; Murberg, 2010; Yeung et Leadbeater, 2010). Ce concept, même s’il ne s’y limite pas, traduit la dimension affective de la REE, basée sur les émotions positives associées au sentiment d’être considéré et soutenu. Cette dimension se trouve aussi dans l’étude de Fruiht et Wray-Lake (2013) qui pourtant fait un peu exception puisque elle utilise un seul item demandant aux adolescents s’ils ont eu un enseignant « qui a fait une différence positive et importante dans leur vie ». Tous les items évoqués jusque là n’ont pas fait l’objet de procédures de validation psychométriques. S’il est clair qu’ils renvoient à la dimension affective, il n’est pas certain qu’ils lui soient spécifiques, notamment lorsqu’ils évoquent simplement le « soutien ». En effet, il est admis que le « soutien » met en jeu des dimensions instrumentale, matérielle, informationnelle ou émotionnelle (Émond, Fortin et Picard, 1998).

Quelques études ont recours à des instruments validés pour évaluer la dimension affective de la REE. Wang, Brinkworth et Eccles (2013) utilisent la Teacher-Student Relationship Scale (TSRS, Feldlaufer, Midgley et Eccles, 1988). Davidson, Gest et Welsh (2010), Rudasill, Reio et Stepanovic (2010) et Giguère, Morin et Janosz (2012) utilisent la Student-Teacher Relationship Scale (STRS, Pianta et Steinberg, 1992; Pianta, 2001), certains de ses items ou des items qui s’en inspirent. La STRS est un instrument de référence, traduit et validé dans de nombreuses langues. L’outil d’origine, élaboré dans le cadre de la théorie de l’attachement appliqué à la REE (Pianta, 1998), comprend trois sous-échelles (Pianta, 2001). Les deux dimensions principales sont la chaleur et le conflit, alors que la dépendance est plus périphérique et n’explique qu’un faible pourcentage de la variance totale. C’est pourquoi la relation enseignant-élève est souvent évaluée à partir de deux dimensions uniquement (Perreault, 2011). Pianta lui-même, sur le site de l’université de Virginia[2], conseille d’utiliser une version abrégée de la STRS en regroupant les items sur deux dimensions, chaleur et conflit. Un score de chaleur élevé indique que la relation se caractérise par une grande proximité affective et que l’enseignant se sent compétent parce que les élèves l’utilisent comme source de soutien (Pianta, 2001). Au contraire, un score de conflit élevé indique des conflits fréquents, où l’enseignant perçoit les élèves comme imprévisibles ou colériques, le conduisant à se sentir épuisé émotionnellement et inefficace (Pianta, 2001).

Effets scolaires de la REE avec les adolescents

Les performances scolaires sont, depuis plusieurs décennies, la variable de prédilection des recherches empiriques en psychologie de l’éducation (Attali et Bressoux, 2002). Rien d’étonnant donc à ce que les études longitudinales recensées s’intéressent souvent aux effets scolaires de la dimension affective de la REE. En outre, elles produisent des résultats cohérents entre elles. Par exemple, Gregory et Weinstein (2004) ont mis en évidence son lien avec les résultats à des tests standardisés en mathématiques. De même, Davidson, Gest et Welsh (2010) ont montré l’effet de la proximité affective sur les compétences en mathématiques, lecture, écriture et sciences (voir aussi Catalano, Oesterle, Fleming et Hawkins, 2004). A l’inverse, une relation conflictuelle permet de prédire un taux de redoublement supérieur (Crosnoe et Elder, 2004). Par ailleurs, le fait, pour un adolescent en fin de secondaire, d’avoir un mentor[3] parmi ses enseignants augmente le niveau de diplôme atteint six ans plus tard (Fruiht et Wray-Lake, 2013). Comme l’ont également indiqué les études corrélationnelles (Wentzel, 1998), les études longitudinales indiquent que la REE est liée aux résultats scolaires.

Au-delà des résultats scolaires, Hallinan (2008) et Rueger, Malecki et Demaray (2010) ont mis en évidence le lien entre la REE et l’intérêt pour l’école. You et Sharkey (2009) ont montré que la REE a une influence sur l’engagement des élèves du secondaire, mesuré à partir de la tendance à oublier ses affaires ou ses devoirs. A l’inverse, l’amotivation des élèves peut être prédite par une REE de moins bonne qualité (Hascher et Hagenauer, 2010). En outre, la motivation scolaire peut être associée à l’attachement à l’école ou à la perception de soi en contexte académique, tous deux influencés par la relation à l’enseignant (Liu et Wang, 2008; Davidson, Gest et Welsh, 2010). Enfin, la REE favorise les attributions causales internes, elles-mêmes responsables d’une plus forte motivation et d’une plus grande réussite à l’école (You et Sharkey, 2009).

Au-delà de la performance et de l’implication, le comportement social à l’école a été l’objet de plusieurs études longitudinales. Par exemple, Crosnoe et Elder (2004) ont évalué l’effet positif de la relation affective sur l’absentéisme et les exclusions disciplinaires. Par ailleurs, Yeung et Leadbeater (2010) ont observé son impact sur les difficultés émotionnelles et comportementales, comme des difficultés à suivre les instructions ou à réguler ses émotions. Ces difficultés sont peut-être associées à un moindre bien-être à l’école, bien-être qui est soutenu par une relation chaleureuse (Davidson, Gest et Welsh, 2010). Il n’est donc pas étonnant que la relation soit, au bout du compte, un facteur de protection contre le décrochage scolaire (Barile et al., 2012), puisque il est admis par ailleurs que de faibles résultats, une faible motivation et un comportement inadapté en sont des facteurs de risque (Janosz, 2000). En conclusion, toutes les études longitudinales répertoriées qui s’intéressent aux effets scolaires de la REE ont mis en évidence des résultats statistiquement significatifs (voir tableau 1 pour une présentation des valeurs statistiques obtenues), à l’exception d’une seule (Murberg, 2010) qui n’est pas parvenue à mettre en évidence le lien entre la REE et la passivité des élèves en classe.

Effets extrascolaires de la REE avec les adolescents

Certaines études ont également tenté de mettre en évidence des effets extrascolaires de la REE. Tout d’abord, la dimension affective de la REE protège contre les symptômes internalisés. Par exemple, Rueger, Malecki et Demaray (2010) ont montré que la qualité de la relation atténue les symptômes anxieux et dépressifs chez les élèves du secondaire. D’autres auteurs (Overbeek et al., 2006; Wang et al., 2013) ont obtenu des résultats similaires avec les symptômes dépressifs uniquement. Kidd et al. (2006) ont aussi observé une réduction du nombre de tentatives de suicide chez les adolescents ayant une relation chaleureuse avec l’enseignant (de même chez McNeely et Falci, 2004, pour les pensées suicidaires et les tentatives de suicide). En outre, la REE réduit l’adoption de comportements à risque, notamment en matière de santé ou de sécurité routière (McNeely et Falci, 2004; Rudasill et al., 2010).

Les études longitudinales ont aussi mis en évidence le lien entre la relation affective et les comportements antisociaux. Overbeek et al. (2006) ont étudié l’effet de la REE sur le vol, le vandalisme et la consommation de drogue. Tiet, Huizinga et Byrnes (2010) retrouvent ces effets sur la délinquance, la consommation de drogue et l’appartenance à un gang, tout comme McNeely et Falci (2004) qui ont aussi montré l’impact de la REE sur l’usage d’armes par les adolescents. De même, Catalano et al. (2004), Giguère et al. (2011), Liljeberg et al. (2011), Wang et Dishion (2012) et Wang, Brinkworth et Eccles (2013) présentent des résultats semblables. Les effets de la REE hors de l’école sont donc bien documentés aujourd’hui : une relation chaleureuse est associée à de moindre problèmes de comportements alors qu’une relation conflictuelle permet de prédire les symptômes externalisés.

Discussion

Dynamique des systèmes comportementaux

La présente recension a montré les nombreux effets positifs de la REE. Cette dernière a un impact aussi bien dans le domaine scolaire (sur les résultats, la motivation, les comportements, le plaisir, la persévérance, etc.) que dans le domaine extrascolaire (sur les symptômes anxieux et dépressifs, la prise de risques, la consommation de drogue, les comportements déviants et délinquants, etc.). Tous ces résultats pourraient être interprétés à l’aide de différentes théories. C’est sur la théorie de l’attachement que s’appuiera la discussion, et en particulier la dynamique des systèmes comportementaux, qui est une manière récente de mobiliser la théorie de l’attachement et le concept de base de sécurité (Shaver et Mikulincer, 2010).

Dans la perspective de l’attachement, l’effet de la dimension affective de la REE sur les variables scolaires peut se comprendre de plusieurs manières. Certains auteurs expliquent que l’effet sur les variables scolaires peut s’expliquer par les comportements de demande d’aide instrumentale que s’autorise l’élève qui a une relation positive avec ses enseignants. C’est donc le soutien instrumental qui médiatiserait le lien entre la relation affective et les variables scolaires. Une autre explication s’appuie sur la reconnaissance d’un besoin fondamental de sécurité affective. La dimension affective de la REE, parce qu’elle satisfait partiellement ce besoin, favorise le bien-être des élèves qui agirait sur leur motivation et leur investissement en classe. Plus précisément, l’effet scolaire de la relation affective peut se comprendre comme la résultante de l’équilibre entre les systèmes comportementaux. En effet, en considérant que la dimension affective de la REE étaye le sentiment de sécurité affective des adolescents, le modèle de Bowlby prévoit alors une relative désactivation du système d’attachement. Cette désactivation permet que s’activent d’autres systèmes, comme le système exploratoire. Par exemple, Jacobsen et Hofmann (1997) ont montré que les adolescents secure ont de meilleurs résultats scolaires et que cette relation est partiellement médiatisée par l’attention et la disposition à s’engager dans des activités d’apprentissage, qui peuvent être vues comme des manifestations du système exploratoire puisque l’apprentissage implique curiosité et découverte. De même, Larose, Bernier et Tarabulsy (2005) ont mis en évidence le rôle médiateur de l’attention sur le lien entre les modèles d’attachement (secure ou insecure) et la réussite académique d’étudiants québécois. Par ailleurs, Aspelmeier et Kerns (2003) ont montré que les modèles d’attachement des étudiants étaient prédictifs des comportements exploratoires dans le domaine académique. Ou encore, Feeney et Thrush (2010) ont montré expérimentalement, avec une population d’adultes mariés, que la sécurité affective fournie par le conjoint augmentait l’enthousiasme, l’implication et la performance dans une tâche nouvelle. Tous ces résultats peuvent être compris comme la conséquence de l’activation du système exploratoire lorsque l’individu se sent sécurisé. Les différentes études longitudinales recensées qui montrent les effets scolaires de la relation affective peuvent être interprétées de cette manière. La sécurisation fournie par une REE chaleureuse permet une activation du système exploratoire qui favorise l’implication dans les activités d’apprentissage et, par conséquent, la réussite scolaire.

Tableau 1

Synthèse des études recensées

Synthèse des études recensées

nc = non communiqué

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Les effets extrascolaires de la dimension affective de la REE ont également été interprétés de différentes manières. S’agissant des symptômes internalisés, les effets peuvent s’expliquer en termes de soutien social, qu’il s’agisse de soutien émotionnel ou instrumental. L’adolescent qui entretient une relation de qualité avec son enseignant se sent moins seul émotionnellement et parvient davantage à trouver de l’aide pour faire face aux difficultés qu’il rencontre. Ces deux types de soutien ont pour résultat de réduire les symptômes anxieux et dépressifs de l’adolescent. La théorie de l’attachement explique le lien entre la qualité des relations affectives établies avec les personnes les plus significatives et les symptômes internalisés par la la construction des modèles internes opérants. Ces schémas mentaux incluent des représentations de soi, des autres et des interactions sociales. Les adolescents insecure, en particulier de type anxieux, parce qu’ils manquent ou ont manqué de confiance en la disponibilité et la sensibilité de leurs figures d’attachement, se trouvent dans un état d’anxiété important dès qu’ils rencontrent la moindre situation de stress. Ils ont une image d’eux-mêmes beaucoup plus négative, ce qui peut favoriser les symptômes dépressifs. Pour ces adolescents, la dimension affective de la REE agirait sur les symptômes internalisés par l’intermédiaire d’une modification des représentations d’attachement qui, bien que stables, sont susceptibles d’évoluer au contact des enseignants (Venet, Schmidt, Paradis et Ducreux, 2009).

Dans la mesure où les symptômes internalisés sont perçus comme la conséquence des modèles d’attachement, l’interprétation du lien entre la relation affective et l’évolution de ces symptômes ne s’appuie pas directement sur la dynamique des systèmes comportementaux. Une hypothèse peut toutefois être proposée. Si, comme cela a été évoqué plus haut, la sécurisation affective à travers une REE chaleureuse entraîne une relative activation du système exploratoire de nature à favoriser l’engagement et la réussite scolaire, il est probable que s’ensuive une amélioration de l’estime de soi scolaire, qui protège l’adolescent contre les symptômes internalisés. Il se pourrait donc que la dynamique des systèmes comportementaux permette d’expliquer un lien indirect entre la dimension affective de la REE et les symptômes internalisés.

S’agissant du lien entre la relation affective et les symptômes externalisés, la théorie de l’attachement permet de formuler trois interprétations distinctes (Fonagy, Target, Steele, et Steele, 1997; Greenberg, Speltz, et DeKlyen, 1993). Premièrement, à l’exemple des symptômes internalisés, le lien peut s’expliquer par les modèles internes opérants. Les adolescents insecure, en particulier de type évitant, perçoivent l’environnement social comme une menace et les relations comme insatisfaisantes et caractérisées par la colère, la méfiance, le chaos et le manque de confiance (Greenberg et al., 1993). Cette représentation favorise une sélection biaisée des informations, une interprétation hostile des situations sociales et une tendance à choisir des réponses agressives dans les situations perçues comme menaçantes (Dodge, Bates, et Pettit, 1990). Ce mécanisme fournit une explication aux comportements agressifs de type réactif et mettant en jeu de fortes émotions négatives. Selon cette interprétation, la dimension affective de la REE agirait sur les symptômes externalisés via une modification des représentations d’attachement des adolescents et de leur manière de traiter l’information sociale.

Deuxièmement, certains auteurs ont proposé une vision fonctionnelle où les problèmes de comportement sont une manifestation du système d’attachement (Mayseless, 1991). En situation d’insécurité, les comportements agressifs ou antisociaux auraient pour fonction d’influencer le comportement des figures d’attachement. Cette stratégie, apprise durant l’enfance, vise le maintien de la proximité et de la disponibilité de l’entourage lorsqu’aucun autre comportement d’attachement ne produit ce résultat (Baumeister et Leary, 1995; Osterman, 2000). Selon cette analyse, l’effet sécurisant de la relation affective, parce qu’il satisfait partiellement aux besoins d’attachement, entraînerait une réduction des comportements d’attachement que seraient les troubles du comportement.

Troisièmement, le lien entre la relation affective et les symptômes externalisés peut être vu comme la conséquence de la dynamique des systèmes comportementaux. La théorie de l’attachement prévoit en effet que l’insécurité affective stimule le système d’attachement et limite l’orientation prosociale (Richters et Waters, 1991). Au contraire, la satisfaction des besoins d’attachement permet, en plus de l’activation du système exploratoire, l’activation du système de prestation de soins, qui s’exprime à travers les comportements prosociaux (Collins et Ford, 2010). Selon cette interprétation, le sentiment de sécurité procuré par une REE chaleureuse favorise l’orientation prosociale et vient inhiber les problèmes de comportement. Les adolescents dont le système de prestation de soins est activé font davantage attention aux besoins des autres, ce qui aide à réguler les comportements antisociaux.

La présente revue de la littérature fait donc état de résultats qui se laissent interpréter de différentes manières. La théorie de l’attachement, souvent invoquée par les travaux sur la REE, fournit un cadre théorique heuristique pour discuter les effets de sa dimension affective. A partir des concepts de modèle interne opérant, de comportement d’attachement ou de dynamique des systèmes comportementaux, il est possible de comprendre comment une REE chaleureuse, parce qu’elle fournit une base de sécurité, peut influer sur le devenir des adolescents. Une question se pose alors : l’enseignant joue-t-il le rôle de figure d’attachement?

La relation enseignant-élève est-elle une relation d’attachement?

Si l’attachement a été défini comme un lien affectif fort qui dure dans le temps (Ainsworth, 1989), toutes les relations affectives, même si elles s’étendent sur plusieurs années, ne sont pas nécessairement des relations d’attachement. Pour Kennedy et Kennedy (2004), un lien d’attachement avec une figure autre que parentale se reconnaît à la présence d’une attention physique et émotionnelle, à l’importance du temps partagé et au fort investissement émotionnel. Dugravier, Guedeney et Mintz (2006) rappellent qu’un critère du lien avec une figure d’attachement vient des conséquences dévastatrices que représente sa perte dans la vie d’un individu. Pour soutenir que l’intimité entre amis a une fonction d’attachement, Vignoli, Nils et Rimé (2005) s’appuient sur le fait que cette intimité favorise l’autonomie individuelle. Enfin, Kesner (2000), s’intéressant à la REE en particulier, rappelle les deux critères d’Ainsworth (1989) pour reconnaître un lien d’attachement : la détresse ressentie lors d’une séparation durable ou imprévue et le sentiment de sécurité et de réconfort lors du rétablissement de la relation, d’où la notion de base de sécurité.

S’appuyant sur ces critères, des auteurs ont récusé l’assimilation de la REE à une relation d’attachement. Kesner (2000) et, plus récemment, Venet et al. (2009) évoquent la courte durée de la relation (généralement une année scolaire), la limitation de l’interaction au contenu scolaire et le partage de l’attention de l’enseignant entre tous les élèves comme étant des conditions défavorables à la construction d’un véritable lien d’attachement. De plus, Davis (2003) ainsi que Bergin et Bergin (2009) rappellent le peu de temps partagé entre un enseignant et ses élèves dans l’enseignement secondaire. L’enseignant ne peut donc pas être une figure d’attachement stricto sensu selon ces auteurs.

Pourtant, des travaux sur la résilience ont montré que la relation avec un enseignant pouvait fournir un soutien déterminant à des élèves vulnérables (Olsson, Bond, Burns, Vella-Brodrick, et Sawyer, 2003; Smokowski, Reynolds, et Bezruczko, 2000). Certains auteurs qualifient par conséquent les enseignants de tuteurs potentiels de résilience (Lecomte, 2007). En somme, la REE est reconnue comme une relation parmi les plus importantes dans la vie d’un individu (Kesner, 2000; Pianta, 1999). Par conséquent, la REE ne peut être caractérisée qu’au cas par cas : il arrive parfois que certains élèves investissent fortement une relation avec des enseignants. En France, c’est sans doute davantage le cas dans les dispositifs d’enseignement qui accueillent des jeunes en difficultés sociales et où la fonction enseignante laisse souvent la place à la fonction éducative élargie (Périer, 2009). Le contenu des interactions y dépasse largement le domaine académique et touche à la vie personnelle et familiale de l’élève (Virat, 2014b). De plus, les groupes d’élèves sont souvent restreints dans les structures d’enseignement spécialisé, ce qui accroît la quantité d’interactions avec l’enseignant. Enfin, la relation peut se poursuivre après l’année scolaire et il n’est pas rare que des adolescents viennent trouver leur ancien professeur pour partager des épisodes importants de leur vie, notamment lorsqu’ils sont en difficulté. Dans ces situations, la personne de l’enseignant n’est pas interchangeable aux yeux de l’élève et peut devenir une figure d’attachement. Ce qui compte n’est plus seulement le soutien et l’attention fournie mais le fait que le soutien et l’attention viennent de tel enseignant en particulier, qui a pris une place fondamentale dans la vie de l’élève. Dans ces situations, les critères d’Ainsworth semblent applicables et il est pertinent de parler de relation d’attachement.

La conclusion qui s’impose et semble faire consensus consiste à reconnaître que la REE se trouve quelque part entre une relation d’attachement et une relation d’un autre type (Bergin et Bergin, 2009; Lynch et Cicchetti, 1997; Riley, 2010). La notion de « base de sécurité », tirée de la théorie de l’attachement, a été adaptée pour former le concept de « sécurité affective » et fréquemment utilisée pour caractériser la disponibilité et la sensibilité de l’enseignant, c’est-à-dire la capacité à reconnaître les besoins d’un enfant, à y répondre avec chaleur, à donner à l’enfant le sentiment d’être reconnu et accepté (Larose, Bernier, Soucy, et Duchesne, 1999; Pianta, 1999; Venet et al., 2009). La notion de sécurité affective est donc employée pour qualifier la dimension affective de la REE tout en la rapprochant de la relation parent-enfant (Kesner, 2000; Venet et al., 2009; Yeung et Leadbeater, 2010). Mayseless (2010) parle, à ce titre, d’une dynamique d’attachement qui met en jeu le système d’attachement, par opposition à un lien d’attachement complet qui aboutit à la construction d’une véritable figure d’attachement. Cette distinction permet à Mayseless et Popper (2007) d’utiliser la théorie de l’attachement pour analyser le lien des adultes avec les leaders et les institutions. Cette notion de dynamique d’attachement peut être appliquée lorsque une relation fournit une base de sécurité, c’est-à-dire qu’elle apporte du soutien et du réconfort, en particulier en cas d’angoisse ou de stress, même si elle ne satisfait pas aux autres critères d’une figure d’attachement, comme la détresse dans le cas d’une séparation durable ou imprévue. Cette distinction entre dynamique d’attachement et lien d’attachement complet a aussi été utilisée pour caractériser les relations de supervision en psychothérapie (Watkins et Riggs, 2012). Elle s’avère pertinente pour le champ de la REE et permet de caractériser l’usage de la notion de « sécurité affective » en substitution à celle de « figure d’attachement ». Les élèves peuvent être dans une dynamique d’attachement avec l’enseignant sans que ce dernier ne soit pleinement une figure d’attachement.

Implications, limites et perspectives

Implications pratiques

En synthétisant les nombreux effets positifs de la dimension affective de la REE, aujourd’hui difficilement contestables, la présente recension apporte quelques éléments factuels en mesure de reléguer le débat autour des affects en éducation. Les discours qui contestent l’intérêt de la dimension affective relationnelle à l’école sont des discours théoriques ou idéologiques qui négligent les résultats empiriques. Le silence des instructions officielles françaises sur cette thématique apparaît finalement en décalage avec les connaissances actuelles. Si ce silence a pour vocation de ménager les uns ou les autres, engagés dans la polémique, il risque aussi de fournir un terreau pour le maintien de cette polémique, y compris dans l’institution éducative. Au contraire, faire état des résultats sur la question pourrait permettre de dépassionner le débat en transformant les émotions en un objet de réflexion professionnelle. La présente synthèse pourrait dès lors s’avérer utile dans la formation des enseignants en France, qui n’a pas intégré ce champ de la psychologie de l’éducation.

En outre, la formation des enseignants est souvent pointée comme le premier levier qui permette une amélioration des relations sociales à l’école (Owens et Ennis, 2005; Pianta, 1999). Les présents résultats indiquent l’importance de sensibiliser les enseignants aux besoins de sécurité affective des adolescents et au rôle de la relation affective avec l’enseignant dans la satisfaction de ces besoins. Une approche par la théorie de l’attachement permettrait d’en expliquer les nombreux effets positifs. En particulier, la dynamique des systèmes comportementaux permet de comprendre que la sécurisation affective et l’implication dans les activités d’apprentissages sont liées. Une sensibilisation de ce type stimulerait sans doute l’engagement affectif des enseignants avec leurs élèves et soutiendrait les attitudes favorables à une REE chaleureuse et que Bergin et Bergin (2009) résument ainsi :

  • disponibilité et sensibilité aux signaux de stress des élèves,

  • attentes scolaires élevées, attention et aide à la réussite de chaque élève,

  • soutien à l’autonomie et possibilité donnée aux élèves de faire des choix,

  • pratiques disciplinaires basées sur le développement de l’empathie plutôt que sur la coercition,

  • pratiques pédagogiques collaboratives,

  • interaction autour de contenus extracurriculaires,

  • attitude prosociale emprunte de respect et de renforcements positifs.

Si les enseignants peuvent ainsi jouer un rôle important dans la vie des élèves, la perspective de l’attachement interroge, au delà des pratiques éducatives enseignantes, l’organisation du système éducatif lui-même. Pour permettre l’établissement de relations sociales de qualité, notamment entre enseignants et élèves, un certain nombre de préconisations organisationnelles ont également été formulées (Bergin et Bergin, 2009; Murray et Pianta, 2007; Noddings, 1988; Pianta, 1999) :

  • faire de la dimension affective de la relation éducative un objet de travail, de réflexion et de formation,

  • réduire le fractionnement de l’emploi du temps pour augmenter le temps de contact entre chaque enseignant et ses élèves,

  • permettre un suivi des élèves par les enseignants à plus long terme (par exemple sur plusieurs années consécutives),

  • assurer la continuité des lieux et des relations en limitant le turnover des enseignants et les changements de composition des classes,

  • favoriser des écoles et des classes de petites tailles, limiter le ratio élèves/enseignant,

  • promouvoir une culture de la coopération dans les établissements scolaires, en substitution au climat compétitif, aussi bien entre les élèves qu’entre les enseignants,

  • soutenir les activités extrascolaires,

  • favoriser les interactions famille/école et familles/enseignants, notamment en assurant le suivi d’une fratrie par la même équipe d’enseignants,

  • adopter un type de gouvernance démocratique avec les équipes éducatives.

Au vu des effets de la REE recensés ici et à la lumière de la théorie de l’attachement, toutes ces préconisations, dont les modalités de mise en oeuvre mériteraient évidemment d’être approfondies, devraient aujourd’hui être une priorité pour les institutions éducatives.

Limites et perspectives

Comme cela a été évoqué au fil du texte, il pourrait être intéressant de prolonger les travaux présentés de plusieurs manières. Comme le remarque Wentzel (2012), les questionnaires utilisés interrogent généralement les élèves sur leur perception de la relation avec l’ensemble des enseignants. Les items proposés aux élèves ne permettent pas d’évaluer le lien avec tel ou tel enseignant en particulier. A la marge, Tiet et al. (2010) ainsi que Wang et Dishion (2012) ont demandé aux adolescents le nombre d’enseignants qu’ils appréciaient ou qui s’intéressaient aux élèves. Pourtant, la question des relations avec chacun des enseignants en particulier semble importante puisque les élèves ont, dans le secondaire, plusieurs enseignants avec qui les relations peuvent être très différentes. Qu’est-ce qui, en fin de compte, est le plus important : une relation chaleureuse avec un enseignant ou avec tous les enseignants? Les études recensées n’apportent aucun élément de réponse.

Ensuite, une question importante concerne les populations susceptibles de ressentir les effets bénéfiques de la dimension affective de la REE. Il a souvent été écrit que les adolescents en difficultés scolaires et sociales en bénéficiaient davantage (Fallu et Janosz, 2003; Murray et Pianta, 2007). Pourtant, si certaines des études recensées ont montré que la REE n’a pas le même effet sur les adolescents selon leur niveau scolaire (effet plus important pour les élèves de faible niveau, Liu et Wang, 2008) ou leur origine géographique (effet plus important pour les élèves issus de zones socialement déstructurées, Tiet et al., 2010), d’autres travaux ont rapporté des résultats où n’apparaît aucun effet de modération entre la REE et ses effets. Par exemple, Gregory et Weinstein (2004) ont soutenu que l’effet de la REE sur les résultats en mathématiques n’est pas plus important pour les élèves qui décrivent une proximité moins forte avec leurs parents. La présente recension paraît donc lacunaire sur la question de l’effet différentiel, qui reste une thématique à explorer. Par rapport à la relation parent-enfant, la REE a-t-elle un effet cumulatif ou compensateur?

Enfin, les déterminants de la dimension affective de la REE n’ont pas été beaucoup étudiés (Yoon, 2002). Vu le consensus sur l’importance de la relation affective, l’étude des déterminants présente un enjeu majeur pour les recherches ultérieures dans ce champ. Parmi les études recensées, seule celle de Barile et al. (2012) étudie des déterminants de la relation. La taille de l’école et le taux de mixité ethnique sont inversement corrélés à la qualité affective de la REE. Par ailleurs, la relation est moins chaleureuse avec les élèves des catégories socio-économiques les plus défavorisées. De plus, les aspirations parentales concernant la réussite académique de leurs enfants est associée à une meilleure relation. Crosnoe et al. (2004) ont, de manière similaire, montré que le niveau d’éducation des parents et le fait d’avoir une famille biparentale favorisaient la REE. De plus, pour ces auteurs, la REE est généralement plus positive au sein des écoles privées et de celles où les élèves se sentent plus en sécurité. Par ailleurs, la politique de notation des enseignants a un impact sur leur relation avec les élèves : une notation par les élèves eux-mêmes favorise l’établissement de relations chaleureuses alors qu’une politique de récompense des meilleurs enseignants par l’administration le contrarie (Barile et al., 2012). En somme, il apparaît que la REE est dépendante du contexte dans lequel elle s’insère (composition sociale, organisation des classes) mais les résultats dans ce champ sont encore relativement peu nombreux.

Les études corrélationnelles sont un peu plus nombreuses et quelques articles de synthèse présentent les déterminants reconnus de la REE (Murray et Pianta, 2007; Myers et Pianta, 2008) : facteurs externes (origine sociale, relations familiales…), facteurs individuels (tempérament des élèves, genre…) et facteurs organisationnels (taille de l’école, taille des classes…). Quelques études ont plus précisément mis en évidence le rôle de l’enseignant dans la REE, ce que n’ont pas encore fait les études longitudinales. Par exemple, Yoon (2002) a évalué l’effet négatif du stress enseignant et des affects négatifs sur la dimension affective de la REE. Kesner (2000) a montré que l’histoire d’attachement des enseignants explique une petite part de la variance de la dimension chaleur dans la REE. Greenglass, Fiksenbaum et Burke (1996), avec une approche théorique un peu différente, ont obtenu des résultats cohérents avec ceux de Kesner. Les enseignants qui déclarent bénéficier de davantage de soutien émotionnel (de la part des collègues, des supérieurs, de la famille et des amis) sont également ceux qui sont les moins susceptibles d’agir de façon détachée et impersonnelle avec les élèves en période de stress. Des travaux récents ont encore indiqué que l’amour compassionnel des enseignants pour leurs élèves était prédictif de la qualité de la REE (Virat et al., 2014). En outre, l’expérience professionnelle semble inversement corrélée avec la chaleur dans la relation alors que le niveau de diplôme y est corrélé positivement (McDonald Connor, Son, Hindman, et Morrison, 2005; Stuhlman et Pianta, 2002). Toutefois, les études transversales qui ont permis d’obtenir ces résultats n’ont pas nécessairement été réalisées auprès d’enseignants du secondaire. Elles fournissent donc des pistes à explorer pour évaluer les déterminants de la REE avec les adolescents.

Une autre limite à cette recension provient des résultats statistiques eux-mêmes. En effet, les études, s’appuyant sur des stratégies de régression linéaire ou de modélisation par équations structurelles, font état de résultats significatifs mais modérés. La REE au temps 1 n’explique en général que quelques pourcents de la variance des variables éducatives au temps 2 (voir tableau 1). Si cela peut se comprendre au vu de la durée des études (jusqu’à 17 ans pour la plus longue), il n’en demeure pas moins que la relation n’est qu’un facteur parmi d’autres qui déterminent les effets scolaires et extrascolaires chez les adolescents.

Parmi les limites de ce travail, il faut également noter que la théorie de l’attachement, qui a le mérite d’aider à comprendre l’importance de la dimension affective de la REE, n’est pas suffisante pour décrire intégralement les effets de la REE (Davis, 2003). En effet, Fruiht et Wray-Lake (2013) ont montré que le soutien reçu de la part d’un mentor est plus bénéfique si ce mentor est un enseignant, ce qui signifie que le soutien affectif n’est pas le seul en jeu et que la dimension pédagogique est également importante. Darling, Hamilton et Niego (1994) dénoncent à ce propos les travaux qui ne s’intéressent aux relations jeunes-adultes qu’à travers la dimension affective. Pour eux, la REE est avant tout caractérisée par le soutien instrumental et se limite au domaine académique. Si la présente recension pointe les limites de tels propos, elle ne saurait pour autant laisser penser que la dimension de la sécurité affective est suffisante pour décrire intégralement la fonction enseignante. D’autres travaux (Georgiou et Kyriakides, 2012; Wentzel, 2012) proposent justement de s’intéresser à la REE à partir de deux dimensions orthogonales : le soutien affectif d’un côté et les attentes ou exigences de l’enseignant de l’autre. En somme, les perspectives ne manquent pas.