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Desiderata

Max Ehrmann

Va paisiblement ton chemin à travers le bruit et la hâte et souviens-toi que le silence est paix. Autant que faire se peut et sans courber la tête, sois ami-amie avec tes semblables. Exprime ta vérité calmement et clairement. Écoute les autres, même les plus ennuyeux ou les plus ignorants. Eux aussi ont quelque chose à dire. Fuis l’homme à la voix haute et autoritaire : il pèche contre l’esprit. Ne te compare pas aux autres, par crainte de devenir vain ou amer, car toujours tu trouveras meilleur ou pire que toi. Jouis de tes succès, mais aussi de tes plans. Aime ton travail, aussi humble soit-il, car c’est un bien réel dans un monde incertain. Sois sage en affaire, car le monde est trompeur. Mais n’ignore pas non plus que vertu il y a, que beaucoup de personnes poursuivent un idéal et que l’héroïsme n’est pas chose si rare. Sois toi-même et surtout ne feins pas l’amitié. N’aborde pas non plus l’amour avec cynisme, car malgré les vicissitudes et les désenchantements il est aussi vivace que l’herbe que tu foules.

Incline-toi devant l’inévitable passage des ans, laissant sans regret la jeunesse et ses plaisirs. Sache que pour être fort tu dois te préparer, mais ne succombe pas aux craintes chimériques qu’engendrent souvent fatigue et solitude. En deçà d’une sage discipline, sois bon avec toi-même. Tu es bien fils-fille de l’univers; tout comme les arbres et les étoiles, tu y as ta place. Quoi que tu en penses, il est clair que l’univers continue sa marche comme il se doit.

Sois donc en paix avec Dieu, quel qu’il puisse être pour toi; et quelles que soient ta tâche et tes aspirations dans le bruit et la confusion, garde ton âme en paix.

Malgré les vilenies, les labeurs, les rêves déçus, la vie a encore sa beauté. Sois prudent-prudente. Essaie d’être heureux-heureuse.

Prière à Dieu

Voltaire

Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, et de tous les temps: s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un coeur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes; comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les antres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.

Traité sur la tolérance, chapitre 13, 1763