« Elle n’est pas outillée » (p. 143). Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il commenté la candidature de Ségolène Royal aux élections présidentielles françaises de 2007. Outre qu’elle illustre, on ne peut plus clairement, les manifestations nombreuses de sexisme qui ont ponctué la tentative infructueuse de Ségolène Royal d’accéder au sommet du pouvoir exécutif de l’Hexagone, cette déclaration du chef de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) est révélatrice du statut toujours marginal des femmes en politique française, notamment sur la scène présidentielle. Pourtant, nous démontre Mariette Sineau, les Françaises ont réalisé des avancées importantes sous la Cinquième République, en place depuis 1958 : d’invisibles, elles sont devenues incontournables. Là réside l’essentiel de la thèse que défend l’auteure, qui est directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), plus précisément au Centre de recherches politiques de sciences po (Cevipof) à Paris. Les institutions ont leur importance, certes, mais elles n’agissent pas comme par magie : l’élection au suffrage universel du président ou de la présidente de la République n’aurait sans doute pas aménagé un forum aux réclamations des femmes en l’absence d’un mouvement féministe exerçant des pressions sur les candidates et les candidats désireux de trôner à la tête de l’État. Mariette Sineau en veut pour preuve les présidentielles de 1988 et de 2002 : le féminisme traversant alors une période de reflux, les candidats Chirac et Mitterrand ont prêté une oreille discrète (pour ne pas dire distraite) aux doléances des femmes, au contraire des rendez-vous électoraux de 1974, de 1981 et, surtout, de 1995. À ces occasions, écrit l’auteure, « [l]es féministes ont su, à diverses reprises – surtout lorsqu’elles étaient en phase avec l’état de l’opinion – utiliser la campagne présidentielle pour subvertir les idées reçues sur les femmes, tenter de convaincre les présidentiables qu’un autre partage du pouvoir entre les sexes est possible et même souhaitable, pour le bien-être de la société tout entière » (p. 59). Si les pressions exercées par le mouvement des femmes sur les présidentiables les ont contraints à aménager un certain espace aux questions de femmes dans leurs stratégies électorales, les électrices leur ont-elles rendu la monnaie de leur pièce? Paradoxalement non, « les partis et les présidentiables de gauche, qui se posent en avocats du droit des femmes, [étant] délaissés par [les électrices] » (p. 63). Certes, le vote féminin n’est pas homogène, et ce sont ces complexités que Mariette Sineau met au jour dans le chapitre 3. Par exemple, elle note pour la période 1965-2007 un déplacement des votes des femmes de la droite vers la gauche, phénomène aussi observé dans d’autres pays (dont le Canada, les États-Unis et la Grande-Bretagne). Cette migration du vote féminin s’explique par les mutations du statut socioéconomique des Françaises : elles sont plus scolarisées, ont de meilleurs emplois et gagnent de meilleurs salaires, elles ont moins d’enfants et pratiquent moins leur religion. Pourtant, si ce n’est que de manière exceptionnelle (par exemple, elles appuient beaucoup moins Jean-Marie Le Pen que les électeurs : cette hostilité à l’extrême-droite a aussi été observée dans d’autres pays comme l’Allemagne), depuis le milieu des années 90 le sexe n’est pas un déterminant majeur du vote en France. Et la présence d’une candidate compétitive dans la course présidentielle de 2007 n’a rien changé à la donne : « force est de constater que Ségolène Royal a bel et bien échoué dans la conquête de l’électorat féminin » (p. 168). Et vlan! Le second pôle argumentatif de La force du nombre traite de la performance de Ségolène Royal à titre de candidate socialiste à l’élection présidentielle de 2007. Celle-ci …
Mariette Sineau La force du nombre. Femmes et démocratie présidentielle. Paris, Éditions de l’Aube, 2008, 205 p.[Record]
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Manon Tremblay
Université d’Ottawa