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Faut-il brûler le modèle social français ? par Alain Lefebvre et Dominique Méda, Paris : Seuil, 2006, 156 pages, ISBN 2-020859-70-X[Record]

  • Hedva Sarfati

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  • Hedva Sarfati
    Ancienne directrice au BIT
    Consultante AISS « marché du travail et réforme de la protection sociale »

Titre provoquant dans la lignée d’ouvrages parus récemment sur les raisons de la performance décevante de la France, cet ouvrage met particulièrement en cause les politiques économiques, sociales et éducatives inadaptées qu’ont poursuivi depuis vingt-cinq ans les gouvernements de gauche comme de droite. (Notons, à titre d’exemples, les ouvrages de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Comment nous avons ruiné nos enfants, Paris, La Découverte, 2006 et Le capitalisme est en train de s’autodétruire, Paris, La Découverte, 2005; Thomas Philippon, Le capitalisme d’héritiers, Paris, République des Idées, Seuil, 2007.) Ces politiques n’ont pas réussi à venir à bout d’un chômage massif et persistant, ni à dynamiser le marché de l’emploi qui est caractérisé par les faibles taux d’emploi des jeunes, des femmes et des personnes à mi-parcours de la vie professionnelle. Quelles sont les raisons de ce constat sans complaisance ? Les auteurs se demandent si ce sont les responsables politiques qui n’ont pas su définir des politiques pour faire fonctionner le modèle français ou si c’est le modèle social français qui est en crise. Et, dans ce dernier cas, s’il est possible de changer de politique sans toucher aux principes fondamentaux qui sous-tendent le modèle de protection sociale et le droit du travail. Sur la deuxième question, ils répondent dans l’affirmative, constatant que le modèle social français (notons que les auteurs définissent le « modèle social » comme « l’ensemble des principes, règles et arrangements institutionnels qui organisent les relations sociales ») subit une crise majeure attestée par tous les indicateurs du marché du travail, notamment les taux élevés de chômage, y compris de longue durée, bien supérieurs à la moyenne européenne, et ce malgré quelques baisses entre 1997 et 2001 (et, ajoutons, en 2006-7). Le chômage affecte de façon disproportionnée les diverses catégories de la population, touchant davantage les jeunes, les seniors et les personnes peu qualifiées ; de même, les taux d’emploi français sont parmi les plus faibles en Europe, touchant là aussi davantage les jeunes, les plus âgés et les femmes de tout âge ; et l’emploi lui-même a changé de nature, avec une forte croissance des emplois temporaires et précaires, à faible productivité, sans avenir, offrant peu de sécurité d’emploi et des faibles chances de sortir du chômage ou de trouver un emploi stable. D’ailleurs, notent-ils, il n’y a pas d’incitations aux employeurs pour investir dans la formation et le « capital humain » des salariés, notamment précaires. Ainsi s’érige un marché du travail de plus en plus dual et inégalitaire. En réponse à la première question, les auteurs scrutent les politiques et les arrangements institutionnels que la France a utilisés pour faire face à ces problèmes. Là aussi, le constat est accablant. La mobilité professionnelle est faible et concerne principalement une « mobilité de précarité » de jeunes ouvriers et employés non qualifiés et des personnes en seconde partie de carrière. Qui plus est, les personnes les plus fragiles ont du mal à accéder aux dispositifs publics d’accompagnement vers l’emploi. L’effort de formation continue diminue depuis 1971 et n’est pas utilisé pour prévenir la dégradation des compétences, améliorer l’employabilité ou faciliter la mobilité. Il est concentré sur les plus diplômés et a peu d’effet. L’accompagnement des demandeurs d’emploi est éclaté et cloisonné – les fonctions de placement, d’indemnisation et de formation relèvent de trois organismes publics distincts et l’organisation territoriale comporte quatre niveaux – d’où un déficit de pilotage et une moindre efficacité de l’ensemble du dispositif qui est ainsi peu accessible aux demandeurs d’emploi. Cette fragmentation rend aussi difficile la sécurisation des parcours professionnels sur l’ensemble de la vie active, pourtant clé du succès …