L’innovation et l’économie sociale au coeur du modèle québécois. Entretiens avec Benoît Lévesque, par Marie J. Bouchard, Presses de l’Université du Québec, collection Politeia, 374 pages.[Record]

  • Martine D’Amours

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  • Recension écrite par
    Martine D’Amours
    Professeure associée à l’Université Laval

Cet ouvrage bien particulier, conçu sur le mode de conversations entre les sociologues Marie J. Bouchard et Benoît Lévesque, permet de se familiariser avec la production de ce dernier, mais aussi avec le contexte de cette production. À travers la trajectoire personnelle et professionnelle de Benoît Lévesque, on revient sur l’histoire récente du Québec (de 1960 à aujourd’hui), sous le prisme des innovations et des transformations sociales, qui est aussi le programme de recherche du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), que celui-ci a co-fondé, dans les années 1980, avec Paul-R Bélanger. Avant d’aller plus loin, et par souci de transparence, l’auteure de ces lignes confesse son profond respect à l’égard de Benoît Lévesque, qui a été son directeur de mémoire de maîtrise et son co-directeur de thèse de doctorat, une filiation qui l’a amenée à être membre du CRISES depuis le début des années 2000. Revenons maintenant à l’ouvrage, qui est divisé en trois grandes parties. La première, qui couvre les trois premiers chapitres, retrace le parcours personnel et professionnel de Benoît Lévesque, depuis son enfance bas-laurentienne jusqu’à la retraite active qu’il poursuit aujourd’hui. La deuxième, composée de cinq chapitres, est consacrée aux trois principales thématiques de recherche auxquelles il a consacré sa carrière, soit l’innovation sociale (chapitre 4), l’économie sociale (chapitre 5) et le modèle québécois de développement (chapitres 6 à 8). La dernière partie, composée du seul chapitre 9, revient sur le sens de l’engagement du chercheur, et plus spécifiquement du sociologue. D’abord enseignant aux niveaux primaire et secondaire avant la Révolution tranquille, puis successivement professeur-chercheur à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), puis à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Benoît Lévesque a d’abord été spécialiste des coopératives et du développement régional, avant de contribuer au développement du champ de la sociologie économique, puis de développer l’ambitieux programme de recherche dont traite en bonne partie cet ouvrage. Ce n’est pas un hasard s’il est devenu un précurseur de la recherche en partenariat, qui suppose co-construction et coproduction des connaissances avec les acteurs sociaux, compte tenu de l’importance qu’il accorde au rôle joué par la société civile. Ses premières recherches en partenariat l’ont été avec les coopératives, puis avec les centrales syndicales CSN et FTQ, et ont en commun l’intérêt pour la démocratisation des milieux de travail. Venons-en au premier champ de recherche dont traite l’ouvrage : les innovations sociales. Les entretiens avec Marie J. Bouchard permettent de remonter à l’origine du concept, qui, pour Benoît Lévesque et ses collègues, s’inscrivait en rupture avec le courant marxiste althussérien, dominant à l’époque dans le champ de la sociologie. Leurs travaux s’inspiraient d’autres courants théoriques, donc celui de la sociologie des mouvements sociaux d’Alain Touraine, et celui de la Théorie française de la régulation, pour mettre l’accent sur les innovations plutôt que sur la reproduction, bref sur ce qui naît plutôt que sur ce qui disparait en période de crise. Ils se démarquaient aussi d’un autre courant important à l’époque, celui portant sur (et se limitant à) l’innovation technologique. Pour Bélanger et Lévesque, les innovations technologiques ont besoin des innovations sociales. En témoignait la réussite économique de certains pays, comme l’Allemagne et les pays scandinaves, qui reposait en bonne partie sur des innovations relatives à la formation professionnelle en entreprise, la priorité accordée à la qualification, à la participation des travailleurs à divers niveaux, etc. C’est ainsi que s’amorce, dans les années 1980, un programme de recherche empirique analysant les innovations sociales qui se développent alors dans divers types d’entreprises : entreprises privées (équipes semi-autonomes de travail, participation des travailleurs à la définition de l’organisation du travail), …