Comptes rendus

Chanter, rire et résister à Ravensbrück. Autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux Enfers, dirigé par Philippe Despoix, Marie-Hélène Benoit-Otis, Djemaa Maazouzi et Cécile Quesney[Record]

  • Sophie Renaudin

Comment aborder les dimensions artistiques et comiques d’un document issu de la Seconde guerre mondiale, et comment les articuler avec sa nature historique et politique ? Voilà l’une des questions traitées dans l’ouvrage dirigé par Philippe Despoix, Marie-Hélène Benoit-Otis, Djemaa Maazouzi et Cécile Quesney, et résumée par les trois verbes qui en constituent le titre : Chanter, rire et résister à Ravensbrück. L’ouvrage, paru en mai 2018 aux Éditions du Seuil, s’intéresse à la question de l’art dans les camps de concentration nazis à travers l’étude d’un document inédit, LeVerfügbar aux Enfers, « opérette-revue » écrite à la fin de l’année 1944 par l’ethnologue et résistante Germaine Tillion alors qu’elle était détenue au sein du block 32 du camp de concentration de Ravensbrück. Instrument de survie et moyen de création d’une identité collective à l’heure même où la négation de la personne humaine atteint son degré maximal, LeVerfügbar aux Enfers est une oeuvre littéraire et musicale qui mobilise de nombreuses références issues d’un répertoire éclectique et qui fait place à une ironie parfois déconcertante. À cet égard, l’ouvrage Chanter, rire et résister à Ravensbrück prolonge la réflexion consacrée à la question de la créativité dans les camps et interroge la place du rire dans l’expérience concentrationnaire. De plus, en faisant alterner dialogues écrits et airs chantés tirés de la mémoire musicale et littéraire de Tillion et de ses camarades détenues, LeVerfügbar aux Enfers instaure un mode de parole à l’intersection de trois formes d’oralité : la voix parlée, le chant et le rire. La question de l’oralité à l’oeuvre dans la pièce avait déjà été abordée dans le second numéro du volume 3 de la Revue musicale OICRM, codirigé par Philippe Despoix et Marie-Hélène Benoit-Otis. Publié en mai 2016, ce volume proposait un compte rendu des travaux de l’équipe de recherche interdisciplinaire « Mémoire musicale et résistance dans les camps » sur l’objet d’étude qu’est LeVerfügbar aux Enfers. Il présentait également l’avancée des recherches portant sur la reconstitution des mécanismes de remémoration des airs dans la pièce et sur l’identification des citations, musicales et littéraires, dont est constitué le texte. L’ouvrage Chanter, rire et résister à Ravensbrück. Autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux Enfers se situe ainsi dans la continuité du volume publié en 2016. Les directeurs de l’ouvrage, Philippe Despoix, Marie-Hélène Benoit-Otis, Djemaa Maazouzi et Cécile Quesney, qui appartiennent au groupe de recherche « Mémoire musicale et résistance dans les camps », s’associent à des spécialistes provenant de disciplines variées pour examiner, sous différents angles et à une « échelle micrologique » (p. 19), l’« opérette-revue ». Il s’agit d’en explorer les « conditions d’existence, les sources et la forme en partie collective » (p. 17-18) et d’étudier les relations et réseaux de sens dans lesquels s’inscrit l’oeuvre. Cette problématique est pensée dans une longue temporalité : les récits analysés dans l’ouvrage sont à la fois l’histoire de la création du Verfügbar aux Enfers (Tillion cachée, grâce à la complicité de ses camarades, au fond d’une caisse de l’entrepôt du Bekleidung, le temps de l’écriture de la pièce), l’histoire du chemin parcouru par le manuscrit (depuis son exfiltration du camp par Jacqueline Pery d’Alincourt jusqu’à sa redécouverte dans les archives de son auteure) et l’histoire en train de se faire du manuscrit publié (ses différentes lectures, études et mises en scène). Temporalité longue, également, puisque les chercheurs s’intéressent à l’histoire racontée par la pièce elle-même : en faisant résonner des chants d’origine savante et populaire connus et mémorisés par les détenues, l’histoire se rapporte à la période qui précède la déportation. …

Appendices