RECENSIONS DE LIVRES

Cabanas, E. et Illouz, E. (2018). Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Paris, France : Premier Parallèle[Record]

  • Léandre Bouffard

…more information

  • Léandre Bouffard
    Université de Sherbrooke

Edgar Cabanas enseigne la psychologie à l’Université de Madrid et est également rattaché à l’Institut Max-Planck à Berlin. Il publie régulièrement des critiques à l’endroit de la psychologie positive. Eva Illouz est chercheure à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris et enseigne la sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle a publié quelques ouvrages sur le thème du « marché des émotions ». On dirait que les auteurs consacrent leur vie à la critique pour ne pas dire à la démolition de la psychologie positive. Le texte qui paraît au verso du livre résume bien leur propos. « Le bonheur est partout, […] Il a imprégné notre imaginaire culturel, jusqu’à occuper une place centrale dans nos existences, ad nauseam » (p. 9). Au début du présent siècle, on recensait chez Amazon 300 titres comportant le terme bonheur, aujourd’hui 2000. Selon les auteurs, on en est venu à croire que le bonheur est « un ensemble d’états psychologiques susceptibles d’être instaurés et commandés par la volonté […], le seul but qui vaille la peine de poursuivre, le critère à l’aune duquel il nous faudrait désormais mesurer la valeur de notre vie » (p. 10). Il est présenté comme « une affaire de choix personnel ». C’est le message qui découle, par exemple, du film The pursuit of happyness (2006) dont le rôle principal est joué par Will Smith; ce message est également proposé par des personnes influentes comme Oprah Winfrey et a été imposé depuis deux décennies par … la psychologie positive « à grand renfort de financement ». Pourtant, les études réalisées dans le cadre de la psychologie positive démontrent bien que les facteurs sociaux ne sont pas négligés et que le bonheur n’est pas seulement considéré comme une affaire de responsabilité personnelle. Sous l’influence de cette psychologie positive, le bonheur est entré dans les universités et tient une bonne place dans les priorités sociales et politiques. D’après les auteurs, il est même devenu « une marchandise » comme les autres, une obsession, une obligation, « une sorte de pornographie émotionnelle »! Les auteurs ont donc entrepris de montrer les faiblesses épistémologiques, théoriques, phénoménologiques, méthodologiques et morales de cette approche qui, selon eux, s’impose malgré les critiques venant de toutes parts. Critiques amplifiées par les auteurs, plutôt redondantes et, pour la plupart, injustifiées. Le premier chapitre porte sur la naissance et l’expansion de la psychologie positive. Selon les auteurs, cette nouvelle approche « a insufflé de l’oxygène à une discipline – la psychologie – chroniquement incapable de trouver son objet d’étude, une discipline ayant un besoin perpétuel de réinvention conceptuelle pour conserver son rang, s’attirer des financements et rester ‘à la mode’ » (p. 41-42). Cette psychologie positive s’est imposée grâce au travail de Martin Seligman (président de l’APA en 1998-99) qui a reçu « une illumination », de Mihaly Csikszentmihalyi (désigné comme « un autre born again »), d’Ed Diener, Barbara Fredrickson, Sonya Lyubomrisky ainsi que de Richard Layard de la London School of Economics et de multiples autres « experts du bonheur ». Ce chapitre me donne l’impression que les auteurs décrivent l’apparition d’une mafia, d’un groupe terroriste ou d’une secte religieuse avec ses « choristes », ses « prosélytes », ses « avocats » et ses « apôtres » dont le terme revient environ 10 fois par chapitre. Un élan semblable se poursuit dans les chapitres suivants. La psychologie positive… Avec ces dernières critiques : cacher les problèmes sociaux, imposer la culture de l’entreprise et exploiter les travailleurs, les auteurs ne font pas la part des choses entre les chercheurs et ceux qui …

Appendices