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S’inscrivant dans la foulée des travaux de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles (Commission Bouchard-Taylor), l’ouvrage de K. Fall et G. Vignaux analyse les représentations de l’autre et de soi qui ont émergé et ont été entretenues au cours de la controverse sur les accommodements raisonnables au Québec. Les auteurs se fondent sur l’analyse de cent quarante-trois articles parus dans la presse québécoise, et principalement dans le journal Le Devoir, précisent-ils, entre les mois d’août et novembre 2007. L’objectif qu’ils poursuivent est d’éclairer comment se construisent les notions récurrentes (accommodement, laïcité, multiculturalisme …) au cours du débat sur les accommodements raisonnables. L’ouvrage propose enfin une réflexion sur la culture et l’identité québécoises, ainsi que sur ses rapports avec la culture et l’identité musulmanes.
D’entrée de jeu, la méthode adoptée pour cette recherche pourrait surprendre le lecteur averti. D’une part, la pertinence de la période retenue peut être mise en doute. Plusieurs auteurs (Maryse Potvin et Jean Baubérot entre autres) ont en effet montré que la controverse sur les accommodements raisonnables a atteint son point culminant au mois de janvier 2007 et le rapport de la Commission Bouchard-Taylor lui-même rappelait que la plupart des représentations véhiculées dans la presse québécoise reposaient sur des « incidents » survenus de mars 2006 à février 2007. D’autre part, on se surprendra de la priorité donnée au Devoir dans cette recherche et de l’absence de référence à d’autres quotidiens, notamment La Presse, The Gazette et le Journal de Montréal, dont les traitements de la controverse sur les accommodements raisonnables ont d’ailleurs alimenté plusieurs études et productions scientifiques.
La première partie consacrée aux notions présentes dans le débat fait l’objet de nombreuses approximations et imprécisions, cela probablement parce qu’elle se fonde souvent sur des sources secondaires. À titre d’exemple, l’ouvrage n’hésite pas à prendre le contrepied de la littérature scientifique pour indiquer que les accommodements raisonnables, qui étaient à l’origine accordés à titre individuel, se seraient désormais transformés en normes sociales appliquées à tout le groupe religieux concerné. Il poursuit en présentant l’ « affaire » du YMCA de Montréal comme un premier cas d’accommodement raisonnable alors même que de nombreux juristes et sociologues ont montré que tel n’était pas le cas. Dans le même ordre d’idées, dans une section consacrée à la laïcité, les auteurs se réfèrent aux écrits d’un journaliste, qui renvoie lui-même à un universitaire qui interprète la pensée d’un autre universitaire… pour aborder, non pas les processus de laïcisation, mais bien de sécularisation de la société. Au final, les tentatives des auteurs de définir près d’une dizaine de notions en quelque 35 pages se soldent par de nombreux raccourcis qui contrastent avec la minutie des travaux mêmes de la Commission Bouchard-Taylor dans l’effort de clarification de concepts centraux à une réflexion sur la gestion des différences culturelles.
La deuxième partie de l’ouvrage contraste avec la première. Consacrée à une présentation des concepts de culture et d’identité, elle donne du corps à l’ouvrage et ouvre des perspectives théoriques stimulantes pour analyser la controverse sur les accommodements. On regrettera néanmoins que l’argumentation développée ne soit que très rarement mise en lien avec les matériaux de recherche analysés par les auteurs.
Les deux dernières parties de l’ouvrage, consacrées à la présence de la notion d’accommodement dans l’islam et aux représentations que les Québécois entretiennent à l’égard de ceux qui pratiquent cette religion, soulèvent la question de ce que les auteurs qualifient de « cointégration ». Loin d’être dénuées d’intérêt, ces parties ne s’articulent cependant que sur l’importance donnée au fait musulman au cours de la controverse sur les accommodements raisonnables. Toutefois, si cette controverse a certes touché les musulmans québécois, elle est pourtant bien née d’une jurisprudence impliquant un membre de la communauté sikhe montréalaise et s’est entretenue avec des « affaires » impliquant aussi bien des demandes émises par des membres de communautés juives (YMCA, souccahs à Outremont, synagogue de Val-Morin…) et sikhes (port du turban au port de Montréal), et par les témoins de Jéhovah (refus de transfusion sanguine), que de demandes émises par des musulmans (cours prénataux, interdiction du port de hijab dans un tournoi de soccer…). Dès lors, si la controverse a suscité certaines « images de l’autre », comme l’indique d’ailleurs le titre de l’ouvrage, c’est d’un autre « étranger », d’un autre « immigré » qu’il s’est agi, et non pas spécifiquement d’un autre « musulman » même si les membres de cette communauté n’ont pas, c’est évident, été épargnés.
Au final, il est difficile de se laisser convaincre par l’ouvrage de K. Fall et G. Vignaux. Si les objectifs initiaux poursuivis par les auteurs étaient honorables, l’ouvrage ne peut cependant satisfaire un public averti. Ne se référant que très peu à la littérature scientifique pourtant abondante qui a été produite par les spécialistes de la question des accommodements raisonnables – et notamment aux nombreux écrits des membres du comité-conseil de la Commission Bouchard-Taylor – l’ouvrage reste donc essentiellement une courte synthèse comportant de nombreuses faiblesses que nous avons signalées.