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Tavibois est le nom du domaine que Mgr Albert Tessier (1995-1976) a façonné de ses rêves et de ses mains pendant près de vingt-cinq ans. Une partie d’une ancienne ferme de 324 arpents fut acquise en juin 1951 par trois connaissances, l’abbé Paul Boivin, le Dr Avila Denoncourt et l’abbé Tessier. Elle est située en Mauricie, le long de la rivière Petit Mékinac du Sud, pays au-delà des vieux villages, à l’est du Saint-Maurice, là où les bûcherons avaient remplacé les coureurs des bois, au début du 19e siècle.

Albert Tessier, prêtre du séminaire de Trois-Rivières, professeur d’histoire, est aussi connu comme cinéaste, conférencier, propagandiste de l’enseignement ménager mais moins comme bâtisseur. À Tavibois, il a aménagé des lacs artificiels, des îles, des barrages, des digues, des ponts, planté des milliers d’arbres et fait construire des dizaines de petits chalets, des chapelles, un musée, tous au cachet rustique, marqués à la tradition des menuisiers de chantier et de barrage. Plusieurs participent à cette oeuvre collective par des corvées, des dons, des commandes. Le père Wilfrid Cormier, c.s.v., par exemple, dessine la grande chapelle, le Dr Denoncourt sculpte des oeuvres religieuses décorant les chapelles.

Tessier déplace une partie de sa bibliothèque dans ce refuge estival. Il travaille non seulement de l’esprit mais aussi du corps, il y fait une cure de santé par l’exercice physique. Il y accueille philosophes, écrivains, religieux, mais aussi des artistes dont Jordi Bonet, qui y peint ses premières oeuvres au Québec. La terre de sable jaune rend impossible de faire du domaine une école d’agriculture. Tessier met donc Tavibois au service des écoles d’enseignement ménager. Disparues avec la réforme scolaire des années 1960, elles laissent un vide tant dans le coeur de Tessier qu’à Tavibois. Les filles de Jésus, qui dirigent l’Hôpital sanatorium Cooke où pratique le Dr Denoncourt, sont invitées à prendre un repos estival. Ainsi de fil en aiguille, cette communauté fut pressentie comme héritière d’une partie du domaine, la part de Tessier. Elle le prit en charge en 1966. Après s’y ajouteront les parts des autres propriétaires ainsi que les terrains achetés par Tessier après la formation du domaine.

Tavibois n’intéresse pas seulement par ses proportions immenses et la beauté du site mais par sa fonction d’animation culturelle et apostolique. Conférencier du monde rural, Tessier était très attaché à sa région et à son histoire. Il réunit autour de lui la jeune génération de professeurs clercs et laïcs, Lévis Martin, Gilles Boulet, Jacques Lacoursière. Ainsi Denis Vaugeois, jeune historien, est des invités de Tavibois, au début des années 1960, au moment même de la fondation du Boréal Express.

L’oeuvre de Mgr Tessier est à l’image de l’Église catholique contemporaine, elle s’est repliée sur ses fonctions apostoliques. Les intellectuels y seront moins nombreux dès les années 1970 et la fonction d’animation culturelle passera, selon l’auteur, à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Quelque temps Tavibois s’ouvrit l’été aux jeunes et aux familles pauvres. Bref, cette entreprise est celle d’un prêtre bâtisseur au pays des grandes rivières et des chantiers, l’oeuvre d’un utopiste qui en fera presque une abbaye de Thélème.

Ce livre bien rédigé, fondé sur une documentation étoffée, nous renseigne beaucoup sur la vie matérielle et associative de Tavibois, ainsi que sur ses dimensions esthétique et architecturale, sans compter l’éclairant petit chapitre sur l’histoire industrielle de la Mauricie. Cependant nous n’entendons que peu Mgr Tessier sur ce que nous pouvons nommer son apostolat de la nature, sur cette prière par le travail et cet amour pour les « terres basses et marécageuses » de ce paysage laurentien, espace « de pêche et de rêverie ».