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Dans la recherche générale de stratégies pour favoriser l’intégration des collectivités territoriales au sein de la « société du savoir » désormais mondialisée, les collèges et les universités sont de plus en plus sollicités pour s’engager davantage dans leurs milieux (Watsonet al., 2013). Leur est ainsi proposé l’exercice d’une troisième mission associée à leur pertinence sociale, qui s’ajoute à leurs traditionnelles missions d’enseignement et de recherche (Uyarra, 2010; Charles, Kitagawa et Uyarra, 2013). La finalité de ce nouvel engagement recherché est clairement la création de nouveaux savoir-faire capables d’engendrer toutes sortes d’initiatives innovatrices. Malgré la nécessaire protection de l’indépendance de la science dont on désire toujours l’excellence (Readings, 2013; Baillargeon, 2011), l’unanimité semble forte concernant cet engagement supplémentaire demandé dans un contexte de diversité des idéologies et de concurrence des intérêts au sein des institutions d’enseignement supérieur. En réalité, les collèges et les universités désirent mieux contribuer à l’intelligence collective des territoires desservis, qui font face à l’accélération des changements globaux.

Plusieurs justifications sont données pour rendre compte de la nécessité de ce nouvel engagement (Nelson, 2004; Martin, 2012). On avance notamment que l’enseignement supérieur a historiquement toujours servi directement le progrès technique, en particulier pour la construction de grands ouvrages d’aménagement, l’organisation de la cité, les opérations militaires, la lutte contre les épidémies et famines, la Renaissance européenne, la révolution industrielle, la communication, etc. Il apparait de fait que la science a toujours profité à l’humanité, plus ou moins directement. La multiplication des disciplines académiques en serait la preuve la plus tangible. On considère à cet égard que la croissante demande sociétale de savoirs oblige aujourd’hui l’offre classique à se renouveler. Dans la recherche de moyens pour y parvenir, certaines expériences se démarquent particulièrement, telles les Land Grant Universities, University Settlement, Community Based Research ou encore les Open Universities (Varga et Erdös, 2019). Et on célèbre des cas récents de succès territoriaux tels que la Silicon Valley en Californie, la zone de Bangalore en Inde, Sophia-Antipolis en France, le Shenzhen en Chine, où des universités et collèges ont fort bien réussi leur engagement.

À cet effet, de nouveaux outils sont partout élaborés pour saisir et mieux soutenir les occasions nécessitant une forte intensité de savoir. De nombreux incitatifs gouvernementaux existent pour appuyer et stimuler cette participation tous azimuts des collèges et universités qui inévitablement, pour pouvoir poursuivre leur mission, cherchent à démontrer les bénéfices retirés socialement de leurs interventions. Si une image complète de cette nouvelle pratique universellement émergente est encore manquante dans la littérature, quelques modélisations générales sont néanmoins proposées (Etzkowitz et Leydesdorff, 1997; Lawton et Smith, 2007; Uyarra, 2010; Hazelkorn, 2016), dont la nôtre, tirée d’une synthèse des écrits disponibles (Proulx, 2019). Celles-ci doivent toutefois être nuancées à la lumière des multiples cas observés, dont les conditions territoriales spécifiques et différenciées (AASCU, 2012) nous éloignent d’un modèle universel (Ingallina, 2012; Sanchez-Barrioluengoet al., 2019).

En réalité, notre compréhension de cette troisième mission universitaire et collégiale s’avère encore trop limitée. Un examen approfondi fait largement défaut (UE, 2019), ne serait-ce que pour procéder à une analyse systématique au bénéfice d’une politique publique plus optimale en regard des efforts de recherche et d’innovation. Les efforts en ce sens se butent à la complexité d’un champ d’intervention collégiale et universitaire très vaste, aux limites méthodologiques liées à la saisie du phénomène d’innovation et à la volonté ferme des institutions d’obtenir de nouvelles ressources financières.

Fertiliser l’innovation

Signalons tout de suite qu’il n’existe pas de théorie générale de l’innovation. Cette absence est largement explicable par les limites de « l’innovamétrie », méthodologie encore incapable à l’heure actuelle de bien saisir cet incontournable moteur du développement dans ses relations de cause à effet. Inspiré par les travaux de Schumpeter (1883-1950), élaboré dans les années 1940 (Bush, 1945) et réactualisé depuis cette époque, le modèle linéaire devenu classique (Godin, 2006) propose néanmoins une séquence d’étapes successives (figure 1) impulsée en amont par la recherche scientifique (savoir), valorisée par des opérations segmentées et cheminant vers l’activité économique du marché (savoir-faire) en aval.

Figure 1

Segments du modèle linéaire de l’innovation

Segments du modèle linéaire de l’innovation
Source : Compilation et traitement CRDT-UQAC

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À l’observation des processus concrets, il fut d’abord constaté que l’invention issue de la recherche ne précède pas nécessairement l’innovation de nature technologique et économique qui se présente aussi dans des formes sociale, culturelle, politique, institutionnelle, organisationnelle. En outre, si le marché apparait déterminant en aval pour la réussite de l’activité économique innovante, il fut bien illustré que la demande pour les autres formes d’innovation n’est pas nécessairement marchande. L’impulsion ou l’incitation peut venir d’un problème à résoudre, d’une nouvelle solidarité, d’une possibilité financière, d’un mouvement sociopolitique, d’un potentiel de coopération, d’un débat d’idées, d’un regroupement spontané, d’une menace soudaine. La linéarité et la fermeture du processus illustré (figure 1) s’avèrent ainsi remises en question même si les segments correspondent à la réalité. On a à cet égard largement mis en évidence le jeu relationnel entre les acteurs de l’innovation qui fonctionne en rétroaction par essais-erreurs, en temps réel, dans l’action, sans respecter les étapes distinctes de la filiation du modèle linéaire. Il s’agit plutôt d’un phénomène dit learning-by-doing (Arrow, 1962) fertilisé par divers facteurs et de multiples acteurs appartenant ou pas aux différents segments du modèle linéaire illustré. Cette innovation par « apprentissage sur le tas », ou dans l’action, devient intelligible tel un processus fondamentalement ouvert, interactif, cognitif et créateur dont l’assise territoriale offre potentiellement aux relations sociales un support physique et institutionnel (Aydalot, 1986; Camagni, 1992; Florida, 1995; Cooke, 2001). Les concepts de district, milieu, technopole, système d’innovation, cluster, et de communautés apprenantes, deviennent ainsi très utiles pour faire en sorte que le territoire innove par la fertilisation croisée entre ses diverses composantes (Proulx, 2011). La métaphore de l’écosystème, largement présente actuellement dans le langage de la politique publique, exprime l’idée d’un soutien collectif à l’innovation, institutionnalisé et organisé, sur un territoire clairement identifié.

Il est entendu à cet égard que par la contiguïté des acteurs, qui facilite les effets de proximité (imbrication; mixité; convivialité; confiance; mimétisme; complicité; réflexivité; échanges; transitivité; réciprocité; cohérence), les institutions territoriales, en particulier celles de l’enseignement supérieur, peuvent agir à divers degrés comme une assise communautaire favorisant la connectivité et la qualité de relations cognitives entre les diverses expertises et intérêts (Pecqueur et Zimmerman, 2004; Bochsma, 2005; Julien, 2007; Torre, 2012-2014). S’avère central à cet effet le jeu relationnel entre les diverses parties prenantes au sein d’une démarche institutionnalisée d’apprentissage collectif conduisant à la combinaison appropriée de facteurs d’innovation sous diverses formes (Torre, 2018). Il existe désormais une infinité d’expérimentations territoriales en cours, souvent observées par la recherche scientifique comme s’il s’agissait de laboratoires vivants.

La politique publique a mis en place dans ce but un bon nombre de services spécialisés qui s’ajoutent aux services déjà anciens (publics, privés et communautaires), pour faciliter les processus d’apprentissage collectif de nouveaux savoir-faire. On mise en effet sur des principes tels que l’incubation d’initiatives, les implications sociales, les transferts technologiques, la veille environnementale, la promotion culturelle, le financement du risque, la culture entrepreneuriale, la rationalité décisionnelle, etc. Cet ensemble de services relativement intensifs dans le domaine du savoir, souvent associés au secteur « tertiaire supérieur », dit aussi « quaternaire » et relativement bien présent en région (Proulx et Maltais, 2019), s’inscrivent au coeur du processus d’innovation territorialisé (Shearmur and Doloreux, 2015; Pinto, Fernandez-Esquinas et Uyarra, 2015). Aussi, et ce n’est pas le moindre des facteurs favorables, des intermédiaires tels que des animateurs socioéconomiques, des regroupements communautaires, des entremetteurs, des sociétés de promotion, des catalyseurs, des agents de développement et autres têtes de réseaux jouent un rôle dans la mise en interaction cognitive (Den Hertog, 2000; Nauwelaers, 2010). Au sein des modèles territorialisés de soutien à l’innovation, cette intermédiation s’inscrit telle une cible stratégique correspondant à la réalité territoriale (Crevoisier et Jeannerat, 2015).

La figure 2 illustre le modèle interactif du processus d’innovation qui tient désormais compte des quatre grandes composantes ou catégories d’acteurs au sein du système territorialisé. Fondamentalement collective, la conception de l’innovation s’effectue dans l’action à travers un jeu complexe de relations cognitives difficilement saisissables. Nos observations ont néanmoins permis de mettre en relief différentes initiatives concrètes des établissements d’enseignement supérieur en périphérie québécoise, qui témoignent de cette volonté de soutenir les différents territoires desservis. Des mécanismes institutionnels spécifiques existent déjà (comités, groupes de travail, cercles, meetings, interfaces organisées, etc.) pour interpeller les acteurs au sein de processus d’apprentissage sur le tas qui s’effectuent autour d’enjeux concrets (problèmes, menaces, occasions, besoins, etc.). D’autres encore sont nécessaires. Le territoire offre à cet égard une assise pertinente et des témoins pour dépister des enjeux communs et faciliter l’interaction, la connectivité, les maillages ainsi que l’apprentissage collectif conduisant à des initiatives innovatrices.

Figure 2

Modèle interactif de l’innovation

Modèle interactif de l’innovation
Source : CRDT-UQAC

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Notre hypothèse est que les collèges et les universités de la périphérie québécoise alimentent de diverses manières les systèmes territorialisés d’innovation. Par une analyse concrète de l’exercice de leurs missions depuis leur création (offre de programmes, offre de services, créneaux de recherche, nombre et types de projets de recherche) (Proulx et Maltais, 2019), nous désirons mesurer leur degré d’engagement à cet égard, principalement dans les régions québécoises. Chemin faisant, nous participerons aussi à la bonification de l’innovamétrie si nécessaire à la modélisation du phénomène d’innovation. Pour ce faire, notre échantillon concerne cinq universités (UQ) établies en région à Chicoutimi, Trois-Rivières, Rimouski, Rouyn et Gatineau ainsi que les 13 collèges (cégeps), Gaspésie (et les Îles), Matane, Rimouski, Rivière-du-Loup, La Pocatière, ITA La Pocatière, Chicoutimi, Jonquière, Alma, Saint-Félicien, Baie-Comeau, Sept-Îles et Abitibi-Témiscamingue.

Les UQ et les cégeps sont associés au Québec à des « institutions nouvelles d’enseignement supérieur ». Le qualificatif « nouveau » distingue certains établissements dans le vaste mouvement universel de multiplication des universités et des collèges au cours des 19e et 20e siècles, afin de répondre aux besoins de main-d’oeuvre qualifiée dans un monde en développement social, culturel et économique plus rapide tiré par l’industrialisation, l’urbanisation, la démographie. Si d’emblée la mission de fabriquer des connaissances (recherche) préconisée par le réformateur Humboldt (1769-1859) fut généralement ajoutée à la classique mission de diffusion des connaissances (enseignement), les institutions universitaires ou collégiales nouvelles se démarquent par des caractéristiques spécifiques (Roy et Gingras, 2012). Publiques, elles émergent d’un désir affirmé de changements sociaux par la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur (Riverin, 1991; Ferretti, 1994). Sont inventées à cette occasion des modalités organisationnelles, administratives et pédagogiques particulièrement originales. Elles sont en outre généralement consacrées par des finalités telles que la liberté académique, l’autonomie, la collégialité, la pensée critique, la participation et d’autres valeurs humanistes. Chaque collège et chaque université est unique par ses attributs et spécifique par les caractéristiques de son aire de rayonnement.

Périphérie

Par sa géographie, son accessibilité, ses établissements humains, son économie, sa culture, la vaste périphérie dans laquelle s’inscrit notre échantillon n’est aucunement neutre du point de vue des missions exercées par les collèges et les universités qui y sont présentes. Par l’entremise de grands cycles structurels, les régions ont vécu une occupation territoriale tout à fait particulière (sédentarisation autochtone; forte distance entre les lieux; importante mobilité des acteurs; nordicité) et fortement dépendante de la présence de bassins de ressources naturelles à exploiter (Proulx et Maltais, 2019). Ce qui occasionna le décollage économique souvent explosif de divers petits lieux et milieux dispersés, de la Matapédia à l’Ungava, en passant par la Minganie, la Vallée de l’Or, le Lac-Saint-Jean, la Jamésie. Des avant-postes de pénétration territoriale se sont établis par la polarisation d’activités diverses, comme Sept-Îles, Rouyn, Rimouski, Saguenay. Depuis deux siècles, une quantité phénoménale de matières premières a été livrée sur des marchés fluctuants. La forte érosion manifeste de la richesse, peu valorisée à cause de l’absence de transformation de la matière sur les sites, a fortement limité la maturation des économies territoriales spécialisées (Proulx, 2012b). Le modèle Centre - Périphérie bien connu (Holland, 1976) a été confirmé au Québec. Ce qui a incité le gouvernement québécois à renouveler les régimes forestier, maritime et minier. La question des redevances versées par les extracteurs de ressources a été étudiée. L’hydroélectricité a été nationalisée. Et l’on conçut également une politique territoriale à l’endroit des régions (Simard, 1979; Proulx et Prémont, 2019).

À cet effet, Québec frappa un coup double au milieu des années 1960. À travers les découpages régionaux (Brouillette, 1959), il désigna d’abord des pôles de croissance hiérarchisés (MIC, 1966) autour desquels furent découpées en 1968 les régions administratives, auxquelles furent confiées des responsabilités comprenant la planification territoriale. Québec était alors à la recherche d’actions novatrices et structurantes. On cibla d’emblée la nécessité de nouveaux foyers de croissance sous la forme d’hôpitaux, de collèges, d’universités, d’agences publiques, etc. Vers les pôles désignés convergèrent aussi de nouvelles infrastructures de transport. On tenta aussi d’attirer des industries associées à la transformation des matières premières dans un esprit de diversification économique.

Cette mise en place d’équipements, d’infrastructures et de services publics en région s’effectua à travers de nouvelles conditions qui ont modifié et modifient encore considérablement l’environnement général des périphéries (Bradshaw, 2001, 2010; Howlett et Brownsey, 2008). Certaines tendances lourdes nous permettent de mieux saisir, en synthèse, les principales composantes de la transition en cours dans la périphérie québécoise (Proulx, 2014). D’abord, l’extraction des ressources naturelles a largement atteint ses limites d’expansion pour des raisons de rupture des réserves dans les terres agricoles, le poisson, la forêt, alors que les bassins miniers et hydrauliques inexploités sont souvent difficilement accessibles. Les gains technologiques dans les activités extractives s’accompagnent d’une réduction des postes de travail et de l’emploi; cela a un impact sur la désormais nécessaire acceptabilité sociale des nouveaux projets, qui dès lors sont certes moins structurants. Puisque les matières premières sont largement expédiées à l’état brut sur les marchés, cela offre peu d'occasions aux entreprises régionales et donc peu de perspectives d'emplois. En d’autres termes, le processus d’industrialisation enclenché sur les lieux d’extraction en début de filière, ne s’accompagne pas suffisamment d’activités de transformation qui pourraient jouer un rôle compensatoire pour les emplois perdus par l’intensification technologique (productivité). En conséquence la démographie, qui était explosive pendant la première moitié du 20e siècle en région, est devenue stagnante à partir des années 1960 et se trouve même en léger déclin actuellement (figure 3). Certes, les collectivités autochtones dispersées sur l’immense espace périphérique connaissent une croissance de leur population ainsi qu’un éveil socioculturel, mais les économies locales en ces lieux éloignés et souvent enclavés offrent peu d’occasions à des entreprises et de perspectives d’emploi. Heureusement, la tertiarisation générale de l’économie (commerces/services) s’effectue très bien en région. Elle déborde d’ailleurs dans le secteur quaternaire (services spécialisés; conseils technologiques; Recherche & Développement; conception; culture scientifique; communication; technologies de l’information et de la communication; etc.) qui offre un potentiel intéressant.

Figure 3

Évolution démographique de la périphérie* du Québec

Évolution démographique de la périphérie* du Québec
Source : Statistique Canada, rescensements de 1851 à 2014 (*GÎM, BSL, SLSJ, C-N, AT et NDQ); Traitement CRDT-UQAC

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Face à cette nouvelle problématique au sein de la périphérie québécoise, la stratégie largement préconisée par les pouvoirs publics concerne le processus de diversification économique par l’innovation dans le contexte de l’actuelle société du savoir. Dans ce texte, nous examinerons les missions effectuées par les cinq UQ et les 13 collèges établis en région du Québec pour alimenter les systèmes territorialisés d’innovation. Les données collectées proviennent des archives des différents établissements concernés, des fichiers PRISME de l’Université du Québec et des fichiers SOBEC du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES).

Enseignement ciblé

Initialement déjà présent, l’enseignement collégial s’est rapidement déployé en région après 1967, en multipliant les disciplines et en portant le nombre des Collèges d’enseignement général et professionnel (Cégep) à treize. Dans la foulée, plusieurs centres d’études collégiales ont été établis à distance des campus principaux afin de mieux desservir les clientèles dispersées. Du côté universitaire en région, ce furent d’abord les campus de Chicoutimi (UQAC) et de Trois-Rivières (UQTR) en 1969, ensuite en 1973 celui de Rimouski dans le Bas-Saint-Laurent—Gaspésie et finalement ceux de Gatineau (1981) en Outaouais (UQO) et de Rouyn (1983) en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). La plupart de ces campus furent établis à partir des écoles spécialisées déjà présentes dans les territoires. Toutes ces UQ possèdent des centres hors du campus principal pour bien desservir leur territoire de rayonnement. Collèges et UQ représentent bel et bien des pivots de la connaissance scientifique enseignée en région. Les cinq UQ étudiées rayonnent aussi, par ailleurs, en région centrale, en particulier l’UQO dans la région métropolitaine de Montréal, l’UQTR dans le centre du Québec et l’UQAR dans la région métropolitaine de Québec.

Les Cégeps permettent d’obtenir deux types de diplômes d’études collégiales (DEC), dans l’enseignement professionnel (DEC technique) et dans l’enseignement préuniversitaire (DEC Pré-U). Les 13 établissements situés en région ont vu le nombre total de leurs DEC techniques passer de 51 en 1967 à 211 programmes en 2018, avec des sommets de 240 programmes en 1988 et de 243 en 2002. Pour chaque collège, les choix des DEC techniques menant à un diplôme du ministère de l’Éducation sont généralement en adéquation avec les besoins collectifs de leur aire de rayonnement (Héonet al., 2006). Par ailleurs, certaines spécialisations professionnelles (Milieu naturel à Saint-Félicien; Technologie minérale à Sept-Îles; Art et technologie des médias à Jonquière; Aquaculture en Gaspésie, etc.) s’affichent souvent comme des créneaux exclusifs, plus ou moins protégés, pour attirer des étudiants de l’extérieur de la région, voire du pays. Enfin, douze collèges sur treize en région sont diversifiés quant à leur offre de formation technique (Bouchard, 2020), ce qui illustre bien leur souhait de contribuer à l’accessibilité aux études supérieures.

Pour les UQ en région, il est intéressant de noter que le nombre de programmes de 1er cycle offerts a quintuplé de 1973 à 2016, passant de 161 à 547. Cette forte croissance est actuellement stabilisée, sauf à l’UQAT et l’UQO où la tendance se poursuit. Les programmes d’études de cycles supérieurs illustrent aussi, au fil du temps, un nombre croissant qui atteint 261 en 2016 et continue d’augmenter. Environ 30 % de ces programmes de cycles supérieurs répondent totalement ou en partie à des besoins régionaux spécifiques (Proulx, 2019), ce pourcentage grimpe à 42 % dans le cas de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

En outre, signalons que les cinq UQ des régions périphériques offrent de plus en plus de programmes courts et même des microprogrammes. Ce type de produits éducatifs a tout simplement explosé au sein de ces institutions, leur nombre passant de 35 en 1990 à 181 en 2000-2001, puis à 299 en 2010-2011, et enfin à 369 en 2018-2019, dont 240 s’adressaient à des étudiants du 1er cycle et le reste aux étudiants des cycles supérieurs (figure 4). Conjugués aux autres données présentées ci-dessus, ces programmes courts illustrent parfaitement l’effort investi pour accroitre l’accessibilité aux formations universitaires et ainsi améliorer la capacité d’utilisation du nouveau savoir par les ressources humaines. Notons que nombre de ces courtes formations répondent à des besoins régionaux spécifiques, c’est le cas pour 39 % des programmes courts offerts à l’UQAC.

Figure 4

Évolution de l’offre totale de programmes courts par les UQ

Évolution de l’offre totale de programmes courts par les UQ

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Au fil des années en région, les vagues de diplômés se sont gonflées au sein d’un continuum éducatif entre les techniques professionnelles au collégial et les postdocs universitaires. Précisons que la proportion de la population ayant fait des études collégiales (FC, 2016) est passée de 16 % dans les années 1960 à 64 % en 2012. Du côté de la diplomation universitaire, de moins de 2 % qu’il était dans les années 1960, le taux global a décuplé en périphérie québécoise pour atteindre 17,1 % en 2012 – 18,7 % en Abitibi-Témiscamingue, 14,6 % dans le Nord et sa côte, 17,6 % au Saguenay–Lac-Saint-Jean et 14,1 % en Gaspésie (Gauthier, 2014). Si cette croissance annuelle fut fulgurante dans les décennies 1970 et 1980, elle se poursuit depuis, mais à un rythme plus lent, avec un ressac global bien marqué dans la seconde moitié de la décennie 1990. Pas moins de 9 791 étudiants (5 539 baccalauréats, 1 349 maitrises, 2 445 certificats, 101 doctorats et 457 DESS) furent diplômés en région par ces cinq UQ en 2016, soit plus de 20 fois les quelques centaines du début des années 1970. Notons que 70 % des 3 863 diplômés en 1980-81 étaient des bacheliers alors que ce ratio se situe à 56 % en 2015-2016.

Bref, un très grand nombre d’étudiants diplômés dans diverses disciplines ont contribué ou contribuent par leur expertise universitaire et collégiale à faire progresser les activités politiques, économiques, sociales et culturelles de la périphérie. Ils n’ont pas tous été formés en région. La proportion de la population active ayant un grade collégial ou supérieur en région était de 38,4 % (ISQ, 2019). Ces nouveaux experts contribuent pleinement à la capacité d’innovation et de changement nécessaire pour soutenir le progrès des régions à l’ère de l’économie du savoir (Polèse et Shearmur, 2002).

Formation continue

Outre cet enseignement, les collèges et universités en région s’impliquent dans la formation continue, généralement bien ciblée sur les besoins réels (perfectionnement de la main-d’oeuvre, émergence de nouvelles compétences) afin de mieux desservir les collectivités et leur système d’innovation.

En plus des cheminements régulier, professionnel ou technique, qui sont bien régis par le ministère de l’Éducation, les cégeps ont depuis 1984 pris sous leur responsabilité de délivrer des attestations d’études collégiales (AEC) bien spécifiques, destinées à une clientèle adulte (figure 5). Les AEC répondent généralement à des besoins régionaux spécifiques tels que l’exploration diamantifère, la sylviculture, la technologie minérale, l’exploitation d’un verger nordique, la gestion agricole, la gestion des prêts étudiants, etc. Là aussi, certains programmes ciblent des spécialisations visant à attirer des étudiants de l’extérieur. Ils sont à ce titre un levier d’innovation pour la main-d’oeuvre au service de leur territoire de rayonnement.

Figure 5

Évolution de l’offre de AEC collégiales en région

Évolution de l’offre de AEC collégiales en région
Source : MEES, Système des objets d’études collégiales, 2017. CRDT-UQAC

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Dans cet esprit, les constituantes régionales des UQ s’avèrent considérablement engagées envers leur milieu sous l’angle de la formation continue (tableau 1). De nombreuses formations courtes et très courtes, répondant à des besoins précis, s’ajoutent aux programmes réguliers que nous avons analysés ci-dessus. Ces produits éducatifs bien ciblés, voire faits sur mesure, conduisent généralement à l’obtention de crédits, attestations et autres formes de reconnaissance en lien avec un gain de connaissances.

Tableau 1

Offre des UQ en matière de formation continue

Offre des UQ en matière de formation continue
Source : CRDT-UQAC

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Chaque UQ régionale possède un centre spécifique (tableau 1) entièrement dédié à cette fonction particulière (Proulx, 2019). L’accessibilité à la formation continue s’accentue grâce au nombre croissant de points de service déconcentrés sur le territoire de rayonnement et à une utilisation accrue des outils virtuels. Ces formations s’adressent aussi à des clientèles pointues, notamment les gestionnaires de secteurs divers, le milieu municipal, le troisième âge, etc. Signalons que l’UQAT et l’UQAC possèdent en outre des bâtiments spécifiques pour accueillir les services destinés spécialement aux Premières Nations qui accèdent de plus en plus à l’enseignement supérieur (Proulx, 2012b).

Recherche ciblée

Afin d’améliorer la productivité des entreprises et de soutenir le développement du territoire de rayonnement des cégeps, le gouvernement du Québec a mis en place, dès 1983, les Centres collégiaux de transfert technologique (CCTT) déployés en plusieurs phases ou étapes distinctes (Piché, 2011). Sur la base des expertises reconnues au sein des collèges, la mission principale de ces centres consiste à effectuer, sous forme de partenariats, de la recherche appliquée centrée sur des besoins des milieux, que ce soit dans des secteurs industriels traditionnels (la foresterie, la métallurgie, les pâtes et papiers, l’aérospatiale) ou dans des nouveaux champs d’activité plutôt intersectoriels (la robotique, la géomatique, la production automatisée, les technologies environnementales, etc.). À partir de la décennie 2000, les CCTT agréés par le gouvernement ont investi des champs d’activité encore moins traditionnels tels que le génie alimentaire, les résidus industriels, l’imagerie numérique, les médias interactifs et la logistique avancée. Récemment, plusieurs de ces centres collégiaux ont été agréés dans la spécialité de l’innovation sociale, ce qui illustre le fait que les changements sociétaux qui s’imposent actuellement au Québec ne sont pas uniquement de nature technologique (Vigneault, 2019), mais de plus en plus transdisciplinaires.

Parmi les 49 CCTT en activité au Québec à la fin de 2017, 16 sont rattachés aux 13 cégeps situés en périphérie. De 2012 à 2017, ces centres régionalisés ont porté plus de 400 projets spécifiques de recherche appliquée et de transfert répondant à des besoins bien exprimés par des partenaires tels que des PME, des organisations, des municipalités, des organismes à but non lucratif (OBNL). À lui seul, AGRINOVA du Collège d’Alma a mené 89 de ces projets. Parce qu’ils répondent à des problèmes réels sur le terrain, les recherches et transferts menés par les CCTT sont généralement de courte durée, entre six mois et un an. En outre, en 2017, les CCTT ont permis de soutenir la présence en périphérie de plus de 420 emplois associés au secteur du tertiaire supérieur. À lui seul, le collège de Gaspé et des Îles en regroupe 175 par l’entremise de ses trois CCTT (CGI, 2017).

La recherche appliquée et les transferts technologiques se sont aussi développés en lien avec les expertises pointues et reconnues au sein des cinq UQ en région. Grâce au concours de nouveaux programmes gouvernementaux et à l’implication de corporations privées, plusieurs chaires de recherche appliquée et de R & D (recherche et développement) se sont greffées aux laboratoires et centres accrédités de recherche fondamentale. Des commandites de recherche ont été sollicitées et honorées au sein d’un ensemble de nouveaux partenariats avec les milieux.

De fait, le financement public et privé de la recherche des cinq UQ en région, qui était de 22,5 M$ en 1990-1991, a explosé au cours des années 1990 (Proulx, 2018) pour atteindre un sommet de 110 M$ en 2010-2011, et s’est stabilisé ensuite. Si chacune des cinq constituantes UQ observées s’est spécialisée dans des créneaux spécifiques correspondant aux grandes spécialisations économiques de sa région de rayonnement, en regard de l’ensemble de la recherche universitaire on constate néanmoins une tendance à la diversification dans plusieurs champs scientifiques, laquelle offre ainsi un potentiel considérable de transfert de savoir dans les milieux en attente de savoir-faire nouveaux. De fait, nous avons constaté (figure 6) des ratios élevés et très élevés de ciblage pointu de la recherche appliquée sur les besoins spécifiques des régions, qui atteignent 30 % pour l’UQTR et l’UQO, 63 % pour l’UQAC et plus de 80 % pour l’UQAR et l’UQAT.

Relations publiques

Afin de répondre à une demande sociale grandissante, une stratégie de représentation de chaque établissement UQ en région s’est aussi affirmée dans les années 1980 et 1990, notamment par l’entremise de services de relations publiques qui se sont davantage structurés et formalisés (tableau 2). Pour les 13 collèges en région, nous ne disposons pas de données compilées pour ce type de services qui se sont aussi professionnalisés. Cette formule relationnelle souple, mais plus formalisée, s’est généralisée dans l’enseignement supérieur en aboutissant souvent à des commandites, des contrats ou tout simplement à des services rendus plus ou moins bénévolement.

Figure 6

Recherche universitaire ciblée sur des besoins régionaux

Recherche universitaire ciblée sur des besoins régionaux
Source : CRDT-UQAC

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Le tableau 2 nous permet de constater que les relations publiques sont devenues une fonction administrative à part entière dans les UQ localisées en région. Ces services exercent de multiples tâches reliées à la représentation de l’image des institutions d’enseignement supérieur. Elles maitrisent les principaux messages institutionnels, évidemment sous l’autorité de l’administration principale .

Tableau 2

Services de communications et relations publiques 5 UQ

Services de communications et relations publiques 5 UQ
Source : CRDT-UQAC

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Culture entrepreneuriale

Concernant le soutien à l’entrepreneuriat, les quelque 400 projets conduits en partenariat par les 16 CCTT en région, au cours du quinquennat 2012-2017, illustrent bien l’intensité de l’engagement des collèges pour que ce type de recherche appliquée fasse cheminer des idées, des intentions et des volontés vers des actions, initiatives et activités novatrices dans le milieu. Ces projets, subventionnés par des deniers publics et évalués pour leur pertinence scientifique par les pairs (notamment les programmes PART) sont ciblés sur des besoins réels du territoire. Ce soutien à l’innovation dans les opérations se trouve au centre de la plupart des projets de transfert des CCTT qui accompagnent les entrepreneurs et les porteurs de dossiers dans la bonification des savoir-faire. Nous n’avons pas pour l’instant de données compilées en matière d’investissement, de valeur ajoutée, de salaires versés, etc. qui permettraient d’en mesurer précisément les retombées. Mais nous savons que par cette intensité de soutien, l’esprit d’entreprise en périphérie du Québec bénéficie d’une assistance concrète des collèges pour innover dans les activités sociales, culturelles et économiques.

Depuis 25 ans dans les 5 établissements UQ en région, l’esprit d’entreprise est encouragé par un mécanisme formel de promotion d’initiatives appelé « centre d’entrepreneuriat ». Ces centres d’entrepreneuriat sont financés par des commandites et subventions et échappent largement au contrôle des institutions hôtesses. Le patriarche parmi ces centres est celui de l’UQTR qui regroupe l’équipe d’experts la plus importante. Nous avons étudié et comparé les activités des cinq centres bien actifs en mettant en exergue une dizaine d’attributs (tableau 3). Outre les fonctions d’enseignement et de recherche exercées par l’UQTR et dans une moindre mesure par l’UQO, le soutien dispensé à l’entrepreneuriat prend surtout la forme d’animation de la culture entrepreneuriale et de conception de plans d’affaire visant à lancer et consolider des entreprises.

Tableau 3

Soutien à l’entrepreneuriat au sein des 5 UQ en région

Soutien à l’entrepreneuriat au sein des 5 UQ en région
Source : Compilations et traitement CRDT-UQAC

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Évidemment, le soutien à l’entrepreneuriat étudiant représente une fonction importante de toutes les constituantes UQ en région. Signalons que l’UQAT accorde une attention tout à fait particulière aux entreprises autochtones tandis que l’UQO dispense des enseignements dans ce domaine autant au 1er qu’au 2e cycle d’études. Il n’existe pas de programme doctoral en entrepreneuriat. En revanche, on trouve au sein des UQ en région des programmes de 3e cycle en administration des affaires, en management de projets, en développement régional et en sciences sociales appliquées.

En ce qui concerne la diffusion de connaissances, nous ne disposons d’aucun portrait statistique formel et global permettant de mesurer et comparer les retombées reliées aux efforts collégiaux et universitaires envers la culture entrepreneuriale en région. Malgré les progrès évidents dans la multiplication des messages incitatifs diffusés tous azimuts, les effets concrets sur l’esprit d’entrepreneuriat en évolution s’avèrent certes difficiles à saisir. Isoler les contributions locales et régionales des CCTT et des centres universitaires dédiés à l’entrepreneuriat, à travers les apports des diverses agences de développement, relève d’une opération complexe. Bien que les initiatives régionales novatrices soient réelles dans différents champs économiques, culturels et sociaux, l’explosion de l’entrepreneuriat tant attendue n’est comparativement pas au rendez-vous (FEQ, 2019). Cela s’explique largement par le manque d’occasions d’affaires en contexte régional. En ces lieux, l’intensité dans l’émergence de telles initiatives s’avère fortement dépendante des grandes immobilisations effectuées dans les secteurs traditionnels reliés à l’exploitation des ressources naturelles. En région, nous le répétons, ce sont les mégaprojets qui créent initialement l’environnement économique en offrant des occasions pour les entrepreneurs, bien appuyés notamment par les services spécialisés des cégeps et des UQ.

Interactions quotidiennes

La liberté d’expression des professeurs et chercheurs génère beaucoup d’interactions quotidiennes, ne serait-ce qu’à travers leur participation à divers groupes de la société civile organisée. Aussi, les experts collégiaux et universitaires offrent des avis formels et informels, souvent à leur insu. Ils livrent à l’occasion des allocutions. Plusieurs participent à des conseils, commissions, tables et comités. D’autres rencontrent des experts du milieu. Certains deviennent même, à l’occasion, des élus locaux. On les mobilise aussi pour exprimer leur vision, documenter des problématiques, élaborer de nouvelles options, établir des éléments de faisabilité en vue d’actions futures, etc. Il arrive également que ces experts s’engagent socialement de manière formelle. Bref, la proximité des acteurs, leur sentiment d’appartenance territoriale, leur convivialité et leur réseautage alimentent une imbrication naturelle entre le capital humain des institutions d’enseignement supérieur et celui de leur zone de rayonnement.

Bien qu’il n’existe pas de comptabilité formelle dans ce domaine, on constate néanmoins qu’il se tisse autour des institutions d’enseignement supérieur une vaste nébuleuse de relations cognitives qui alimentent l’intelligence collective des systèmes d’innovation en région. En ce qui concerne les cinq UQ, nous avons tenté de mesurer et d’analyser leurs contributions à la planification territoriale (Proulx, 2018) et au soutien à l’innovation (Proulx, 2019). Les collèges furent aussi l’objet de saisie (Piché, 2011; Vigneault, 2019). Ces conclusions se butent encore aux limites de l’innovamétrie.

Terminons sur ce point en mentionnant un aspect important concernant la diffusion de rapports de recherche, documents publiés, notes formalisées, chroniques dans les médias, etc. Les professeurs et chercheurs sont porteurs de messages significatifs et de signaux forts. Plusieurs revues et journaux corporatifs font appel à ces experts. Les trois numéros annuels de la revue Organisations et Territoires constituent un véhicule très utile de ce point de vue. Il arrive également que ces experts de l’enseignement supérieur jouent leur rôle d’intellectuels en livrant des messages critiques non sollicités, qui peuvent contribuer à stimuler une intelligence collective parfois sclérosée. La libre expression d’idées, d’avis, de critiques, de perspectives, etc. représente un service précieux rendu par les institutions d’enseignement supérieur aux collectivités.

Évènements

Dans un esprit de valorisation et de diffusion, des colloques sont régulièrement organisés sur des thèmes spécifiques. Ils interpellent souvent divers milieux non seulement pour assister, mais aussi pour participer concrètement à la bonification et la vulgarisation de contenus spécialisés qui cheminent dans leur aspect opératoire. Pour l’ensemble des cinq UQ et des treize cégeps des régions, bon an mal an, entre 10 à 15 évènements importants et plusieurs rendez-vous collégiaux bien visibles stimulent la réflexion collective sur des enjeux collectifs, en s’appuyant sur la maitrise théorique des professeurs et des chercheurs. Dans le même but sont aussi organisés des cercles de conférence, des séminaires et des rencontres collectives selon diverses formules. L’une de ces formules consiste en l’organisation de forum ouvert sur le milieu, portant sur des enjeux socialement pertinents comme la décentralisation, l’économie sociale, le développement local, l’énergie renouvelable, les partenariats autochtones, etc. Ces évènements et rendez-vous avec les milieux donnent souvent naissance à des initiatives concrètes et s’inscrivent en adéquation avec le modèle interactif de l’innovation (figure 2).

En ce sens, le Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a conduit entre 2003 et 2009 une démarche collective de prospective afin d’alimenter l’élaboration d’une vision 2025 pour la région administrative du Saguenay—Lac-Saint-Jean (Proulx, 2007). L’exercice a permis d’ouvrir de nouvelles avenues pour l’avenir régional.

Notre analyse des forces et faiblesses de l’exercice effectué (tableau 4) nous a permis de tirer quelques leçons (Proulx, 2016). Pour que la réflexion collective sur un territoire conduise à la créativité et éventuellement à des initiatives innovatrices, l’une des conditions réside dans la nécessaire instabilité institutionnelle qui provoque la décristallisation des postures individuelles et corporatives et rend possible le choc des idées, des opinions, des points de vue, sans toutefois que la convivialité nécessaire à la poursuite de l’apprentissage collectif ne soit perdue. De fait dans les milieux, il faut un bon degré de turbulence qui crée un sentiment collectif d’urgence d’agir, propice à la mobilisation et à l’interaction. À cette condition territoriale essentielle s’en ajoute une autre tout aussi incontournable, à savoir le recul réflexif généralement provoqué par le désir collectif de s’élever au-dessus de l’instabilité institutionnelle initiale afin de se donner une vision plus globale. Bref, pour inciter et soutenir de telles initiatives novatrices, les systèmes d’innovation territorialisés nécessitent une interaction cognitive. Bien qu’à des degrés et combinaisons variables, les établissements d’enseignement supérieur en région ont des outils pour jouer ce rôle à la fois interactif et réflexif.

Tableau 4

Caractéristiques du processus collectif Vision 2025 au SLSJ

Caractéristiques du processus collectif Vision 2025 au SLSJ
Source : CRDT-UQAC

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Un engagement considérable

Depuis cinq décennies, les collèges et UQ en région du Québec se sont fortement engagés pour mieux servir leur aire respective de rayonnement institutionnel. La forte croissance du nombre de programmes offerts dans une diversité de disciplines est sans équivoque à cet égard. Quelque 30 % des programmes réguliers sont bien ciblés sur des besoins de leur milieu. Les centres hors campus se sont multipliés. Les programmes courts et très courts ainsi que la formation continue sont venus compléter cette volonté d’accessibilité à l’enseignement supérieur en région. La recherche a littéralement explosé en épousant largement sa forme appliquée (transfert), sans oublier la R & D. Rappelons qu’à l’UQAT et à l’UQAR, 80 % de la recherche a pour but de satisfaire les besoins des milieux desservis. Les services de relations publiques se sont professionnalisés. La culture entrepreneuriale a été stimulée et les nouvelles initiatives en ce sens ont été soutenues jusqu’à leur succès. Les évènements de réflexion collective furent au rendez-vous, en particulier les traditionnels colloques qui, en région, se sont ouverts à la formule interactive de style Forum. Il faut noter aussi, à la suite de Fontanet al. (2018), que les professeurs et chercheurs ont tissé avec les milieux de nombreux liens formant une vaste nébuleuse qui déborde largement les partenariats formels, lesquels se sont aussi multipliés.

En réalité, le défi de la troisième mission collégiale et universitaire a été fort bien relevé. L’engagement régional supplémentaire demandé universellement aux institutions d’enseignement supérieur s’avère déjà réel au sein des systèmes d’innovation territorialisés dans les régions du Québec. Notre hypothèse est ainsi vérifiée. De nouveaux outils d’incubation d’activités et de transfert vers les savoir-faire sur le terrain ont été mis en oeuvre, sans oublier le rôle des services de relations publiques, des évènements participatifs ainsi que des interactions quotidiennes entre professeurs et chercheurs. Ce constat rend l’engagement collégial et universitaire encore plus évident et original pour soutenir l’innovation par l’entremise de l’enseignement et de la recherche appliquée,. Ces résultats des expérimentations menées en région peuvent permettre de tirer des leçons afin de pointer les enjeux très actuels du nouvel engagement collégial et universitaire.

Nous avons signalé qu’après une période d’explosion, le financement de la recherche stagne globalement depuis la fin de la décennie 2000. Néanmoins, cette mission universitaire et collégiale progresse encore avec les nouveaux CCTT et les nouveaux laboratoires de recherche universitaire. De nouvelles spécialisations collégiales continuent d’émerger, comme la fourrure nordique à Saint-Félicien, l’innovation ouverte à Rivière-du-Loup et l’imagerie numérique à Matane. Au sein des UQ régionales, signalons les gains de diversification des intérêts qui furent obtenus par la multiplication des spécialités, des objets et des programmes d’enseignement (figure 7). De nombreux laboratoires et groupes deviennent très actifs aussi dans une panoplie de spécialités telles que les énergies renouvelables, les ressources aquatiques, le management de projet, la démocratie, la santé nordique, les rejets miniers, la gouvernance autochtone, l’écologie du paysage, etc. Elles s’ajoutent à des spécialisations devenues classiques telles que les sciences de la mer, le givrage atmosphérique, les études régionales, les ressources minérales, les PME et l’entrepreneuriat, la forêt, l’organisation communautaire, etc. Bref, par la diversification de l’expertise collégiale et universitaire, la présence des institutions d’enseignement supérieur en périphérie stimule clairement la diversification économique, sociale et culturelle de régions encore trop spécialisées. À cet égard, le fort rebondissement de la diplomation collégiale et universitaire en périphérie représente certainement un grand succès, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour rejoindre la moyenne québécoise. Ce qui pose la question de l’accessibilité à l’enseignement supérieur et des besoins de qualification des ressources humaines en région.

Vitesse de croisière

Une autre leçon tirée de notre analyse des faits concerne la vitesse de croisière atteinte dans la multiplication des efforts consentis pour l’engagement supplémentaire des collèges et des UQ dans leurs milieux. L’offre de savoir semble avoir atteint, ou presque, son expansion maximale. Bien sûr, il existe encore des possibilités pour développer de nouveaux CCTT, de nouvelles chaires de recherche appliquée, de nouveaux programmes longs ou courts, de nouvelles AEC et de nouvelles formations pointues. Mais les tendances sur plusieurs décennies montrent qu’une croissance plus ou moins rapide a fait place à la stabilité et même à un léger déclin pour certains indicateurs (Bouchard, 2020). Les nouvelles spécialités sont devenues plus rares. Ainsi pour les UQ et collèges en région, la période effervescente de forte expansion apparait terminée. La consolidation semble s’imposer en misant sur la diversification. S’il est clair que la demande pour un engagement accru dans la troisième mission se manifeste, la transition multidimensionnelle vécue en périphérie nécessite une mixité d’expertises ouvrant les perspectives pour appréhender l’avenir, ce qui nourrit ensuite la recherche et l’enseignement. Ces perspectives peuvent émerger des complicités entre les trois missions.

Figure 7

Spécialités des professeurs-chercheurs dans les 5 UQ en région

Spécialités des professeurs-chercheurs dans les 5 UQ en région
Source : CRDT-UQAC

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En raison de la stagnation démographique régionale et de l’offre croissante d’enseignement à distance par des institutions d’enseignement supérieur situées dans les grands centres urbains, les bassins de clientèle où puisent les 13 collèges et les cinq universités en région ne s’élargiront pas. Les nouvelles niches de recherche appliquée combleront à peine les reculs dans les grands créneaux régionaux ciblés jadis. L’éclatement multidisciplinaire de la recherche se poursuivra dans un esprit de diversification, certes. Mais celle-ci sera néanmoins limitée par l’absence de nouveaux besoins à satisfaire et de nouvelles spécificités territoriales potentielles à valoriser.

En outre, le développement de la troisième mission des universités et des collèges est freiné par un manque d’outils disponibles. En effet, les champs d’intervention offerts dans les années 1980-1990 par de nouveaux concepts opératoires tels que l’animation communautaire, l’incubation d’entreprises, le transfert de savoir, l’implication sociale, la recherche-action, sont désormais des acquis. Les acteurs de l’innovation se sont multipliés en occupant fort bien le terrain grâce non seulement aux institutions d’enseignement supérieur, mais aussi aux services spécialisés du secteur tertiaire supérieur, aux organisations du secteur public – notamment municipal – et aux groupes de la société civile organisée (Bourque, 2008; Proulx et Maltais, 2019). Au total, beaucoup d’agents de tous acabits oeuvrent actuellement de manière indépendante sur le terrain de la liaison entre le savoir et le savoir-faire (figure 2). Bien que la coopération soit présente, la concurrence est vive. Ils sont largement autocentrés et même repliés sur leurs intérêts individuels et corporatistes. Selon notre modélisation, encore limitée, de leur fonctionnement, la connectivité de ces divers acteurs de l’innovation se tisse davantage par maillage que par système. Des médiateurs de l’interaction cognitive jouent un rôle important, plus ou moins formellement (Proulx, 2012c). Un pilotage global de la connectivité s’avère indispensable sur les territoires (OCDE, 2007). De ce point de vue, il n’existe pas de mécanisme collectif facilement opérationnel pour générer des convergences et des synergies à même de mieux susciter et soutenir les initiatives innovatrices. Les collèges et universités peuvent-ils contribuer à ce rôle de pilotage de la connectivité dans les systèmes d’innovation territorialisés en région?

On constate que l’enseignement supérieur offert en région représente un levier très important pour soutenir l’innovation dans ses formes technologiques, économiques, sociales, administratives, culturelles, organisationnelles, institutionnelles. Les missions classiques d’enseignement et de recherche sont déjà considérablement orientées vers la réponse à des besoins des milieux. La formation continue s’avère un outil original et très efficace en ce sens. Et le transfert du savoir bénéficie d’un bon nombre de moyens concrets pour assister les acteurs de la périphérie à relever des enjeux pertinents en améliorant leur savoir-faire grâce à la contribution des experts des collèges et des universités. Pour l’ensemble de leur oeuvre, les cégeps et les UQ localisés en région se présentent en réalité comme une composante majeure des systèmes d’innovation territorialisés en se situant, autant par leur forme que par leur contenu, au coeur des relations cognitives.

Malgré les avancées récentes dans la modélisation du phénomène des interactions de nature cognitive, nous comprenons encore mal comment fonctionne le jeu relationnel des divers acteurs impliqués dans les processus d’apprentissage conduisant à l’innovation, qui à son tour, alimente le développement. Nous savons qu’il existe de nombreux intermédiaires. Nous savons aussi que certains services spécialisés du secteur tertiaire supérieur sont importants, très importants même dans certains cas. Pour tous ces acteurs, il est bien reconnu que les territoires agissent comme creusets des relations cognitives grâce aux effets de proximité.

Terminons en soulignant que chaque collège et chaque université fait face au défi du renouvellement de son engagement au sein de son aire de rayonnement, en particulier dans le domaine du soutien à l’innovation. Diverses propositions bien contrastées existent dans la littérature récente. À l’un des extrêmes, certains analystes souhaitent vivement un retrait radical de l’enseignement supérieur de sa troisième mission à forte pertinence sociale et le retour à une institution du type « tour d’ivoire » consacrée à la recherche fondamentale et à l’enseignement des fondements théoriques. À l’autre extrême, d’autres analystes préconisent l’affirmation beaucoup plus vigoureuse de l’entrepreneuriat universitaire et collégial par une intensification des relations d’affaires avec le secteur privé, et notamment par l’acquisition totale ou partielle d’actifs économiques. Entre ces deux positions opposées, l’enseignement supérieur se trouve face à plusieurs options intermédiaires qui se situent certes dans un continuum entre la recherche fondamentale et la demande sociale de savoir-faire utile, mais qui surtout impliquent une panoplie d’acteurs bien intentionnés envers le soutien général aux initiatives innovatrices de diverses natures. Nous avançons que la poursuite de l’engagement collégial et universitaire dans les régions du Québec nécessite impérativement de mieux saisir et comprendre le fonctionnement actuel des systèmes d’innovation territorialisés. À partir d’une telle modélisation, un pilotage territorial deviendra possible pour soutenir la médiation des acteurs sur des enjeux bien ciblés.