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L’ouvrage sous la direction de Sophie Brière regroupe un ensemble de contributions signées par plus d’une douzaine de chercheur.e.s muldisciplinaires de l’Université Laval (administration, droit, sciences et génie, médecine, éducation), associé.e.s à un vaste programme de recherche portant sur l’avancement et la rétention des femmes dans des métiers traditionnellement exercés par les hommes.

Ce sont 11 métiers ou professions qui font l’objet des présentations et des analyses de ce livre : les avocates, professeures en sciences et génie, directrices des finances, policières, ingénieures, agentes correctionnelles, gestionnaires d’établissement collégial, inspectrices en santé et sécurité et en alimentation; les professions du domaine de la santé, dont médecine, pharmacie et dentisterie; celles du domaine du développement international et de l’action humanitaire (DIAH). Outre l’introduction et la conclusion, les 10 chapitres sont construits sur un modèle similaire, et présentent quelques statistiques et l’état des connaissances sur la profession étudiée, la méthodologie utilisée et les résultats de la recherche réalisée sur chacun des terrains. De plus, trois grandes sections classent les professions étudiées dans cet ouvrage, rendant compte, premièrement, de celles qui demeurent problématiques, puis de celles à surveiller, et finalement de celles qui sont en transformation.

L’introduction informe des visées de la recherche, des questions qui l’ont alimentée et des objectifs poursuivis tout au long de sa réalisation (2015-2018), rappelant la toile de fond théorique (féministe et institutionnelle) et méthodologique (grounded theory et standpoint theory) qui l’a guidée. Deux premiers tableaux viennent illustrer ces assises, 1.1) le cadre d’analyse et les variables de recherche et 1.2) l’échantillonnage (p. 6 et 8). Puis un 3e tableau (1.3) clôt cette introduction en systématisant les résultats obtenus dans un cadre d’analyse détaillé et comparatif utilisant trois couleurs distinctes (rouge, jaune et vert), situant ainsi les traits marquants de chacune des professions étudiées, et offrant, sous cette forme graphique, une synthèse et un éclairage très parlants pour saisir rapidement l’ensemble du corpus et, plus spécifiquement, les aspects sous lesquels des obstacles restent à franchir ou, au contraire, de réelles avancées ont été accomplies (p. 10-12).

Cinq professions sont repertoriées dans la section des professions demeurant problématiques : les avocates en pratiques privées; les professeures en sciences génie; les professions du secteur de la finance; les policières, et les carrières ouvertes aux femmes dans le milieu du DIAH. Les difficultés éprouvées sont principalement associées au fait qu’il existe une culture organisationnelle et une vision de l’exercice de ces professions construites sur un modèle essentiellement masculin et parfois même paternaliste, donnant à voir à des degrés divers des préjugés tenaces et des stéréotypes qui se perpétuent malgré l’arrivée des femmes au sein de ces professions. La nature du travail, les conditions qui y sont associées et l’intensité avec laquelle on demande de l’exécuter (pression, performance, dévouement à la tâche avant tout, horaires atypiques, déplacement et séjour prolongé à l’extérieur du pays) sont des éléments qui cohabitent difficilement avec la réalité que vivent une majorité de femmes, marquée entre autres par la maternité et la conciliation travail famille, puisque ce sont les femmes qui assument encore souvent la double charge de travail qui en résulte. Ces milieux exigent donc de la part des femmes qu’elles fassent individuellement l’effort de s’adapter aux structures et aux cultures organisationnelles déjà existantes, plutôt que ce soient les structures qui prennent en compte ces réalités et procèdent à des aménagements permettant aux nouvelles venues de s’y plaire, de faire leur travail et d’y rester.

Si les professions classées dans la section des professions à surveiller n’échappent pas à plusieurs problèmes soulignés pour le groupe précédent, la différence qui s’y opère concerne les ingénieures et tient au faible nombre d’inscrites dans les programmes de formation fournissant un bassin restreint de candidates potentielles à la profession. Au contraire, pour les professions en santé, les trois programmes concernés (médecine, dentisterie et pharmacie) accueillent depuis des années une majorité de femmes; les difficultés touchent donc davantage les femmes médecins et dentistes déjà en poste et tiennent, entre autres, à l’exigence de composer avec une culture de la performance, des horaires atypiques, la rémunération à l’acte (médecine), le développement et le maintien d’une clientèle (dentiste).

L’intégration, la rétention et l’avancement des femmes dans les trois professions qui ont été classées dans la troisième section, celles des professions « en transformation », sont facilités en partie par la mise en place dans ces professions (agentes correctionnelles, cadres dans les cégeps et inspectrices) de programmes d’accès à l’égalité développés au cours des années 90 par le gouvernement du Québec et qui ont nettement favorisé l’embauche des femmes. D’autres mesures s’ajoutent à ces programmes, notamment la mixité réelle de ces milieux, la prise en charge des mêmes tâches et des mêmes rôles par les hommes ou par les femmes, et des conditions de travail qui favorisent la rétention. D’autres éléments favorables sont les salaires, les congés les régimes de retraite, ou des aménagements concernant la conciliation entre travail et vie personnelle.

Au terme de la lecture se dégage un ensemble de conditions qui deviennent incontournables et doivent être mises en place pour que de réelles avancées puissent se réaliser et faciliter la venue et le maintien en poste des femmes qui choisissent ces filières professionnelles traditionnellement associées aux hommes. Dans la palette de ces conditions à privilégier, on trouve : 1) l’importance d’un engagement organisationnel faisant foi d’une volonté réelle et d’une remise en question des modèles qui ont prévalu auparavant dans ces milieux, 2) un processus de recrutement qui tient compte de l’arrivée des femmes au sein des milieux professionnels, 3) des conditions et un processus de travail qui sont à repenser, 4) la conciliation du travail avec la vie personnelle et familiale, 5) la prise en compte du climat de travail et l’instauration d’une culture d’égalité et de diversité au sein des organisations, 6) un accompagnement individuel, et 7) l’adaptation des processus liés aux postes de décision et aux spécialisations (p. 233-241).

Que l’on s’intéresse à la condition des femmes en général et à leur avancement, à la place qu’elles occupent dans l’espace du travail salarié et des filières professionnelles dans lesquelles elles choisissent de s’engager, ou aux avancées qu’elles ont effectuées au fil des décennies dans celles qui ne leur étaient pas acquises d’emblée, cet ouvrage en intéressera plusieurs en ce qu’il permet d’embrasser plus qu’un secteur professionnel et donne des pistes pour consolider la présence des femmes et leur apport au sein de ces métiers et professions; il montre également les aspects positifs de leur intégration à ces milieux, notamment pour la façon dont elles exécutent et marquent le travail qu’elles y accomplissent.