Comptes rendus

Alex Gagnon, Les métamorphoses de la grandeur. Imaginaire social et célébrité au Québec de Louis Cyr à Dédé Fortin, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2020, 575 p.[Record]

  • Andrée Fortin

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Dans cet ouvrage de près de 600 pages, Alex Gagnon présente quatre figures de la célébrité. La première figure sur laquelle il se penche est celle du commandant Robert Piché; c’est le héros, celui qui a réalisé l’exploit de poser un avion en panne de carburant sans perte de vie en 2001. La deuxième est celle de Dédé Fortin, lequel incarne le génie, en tant que chanteur et compositeur des chansons des Colocs, groupe des années 1990, célébré tant par le public que la critique. En troisième lieu, il aborde le cas de Louis Cyr, le champion qui s’est fait connaitre pour ses records de force à la fin des années 1890. Enfin Karla Homolka incarne la figure du monstre dans les décennies 1990 et 2000. Gagnon ne s’intéresse pas à ces quatre personnes, mais à leurs personnages publics tels qu’ils circulent à travers la presse écrite ou électronique, les caricatures, les livres, les émissions de télévision, les films, voire les lieux de mémoire, comme la Maison Louis Cyr, mais aussi la correspondance adressée par le public à Robert Piché et reproduite dans sa biographie ou celle déposée à la porte de Dédé Fortin après sa mort. Gagnon étudie aussi, bien sûr, ce que les personnages ont dit d’eux-mêmes. Ainsi Robert Piché a parlé de son exploit à de nombreuses occasions et a agi comme consultant pour le film qui lui a été consacré (Sylvain Archambault, Piché entre ciel et terre, 2010). Dédé Fortin a accordé des entrevues avant sa mort et ses chansons, surtout celles de son dernier disque, ont été lues de façon rétrospective, notamment la chanson Belzébuth qui ouvre et ferme le film qui lui a été consacré (Jean-Philippe Duval, Dédé à travers les brumes, 2009). Louis Cyr, né en 1863, a publié ses Mémoires, d’abord dans La Presse en 1908, mais pour Gagnon, il s’agit bel et bien de « notre contemporain », ce qu’il s’emploie à démontrer en détail, et à cet égard le film de 2013 de Daniel Roby, Louis Cyr, l’homme le plus fort du monde, qui a gagné tant le Jutra du meilleur film que celui du Billet d’or (autrement dit celui du film ayant eu la plus grande assistance), a joué un grand rôle. L’imaginaire social analysé est ici, en gros, celui du nouveau millénaire. Alex Gagnon s’inscrit en ce sens dans la lignée des travaux de Benoit Melançon sur Maurice Richard et de Frédéric Demers sur Céline Dion. Ce qu’Alex Gagnon propose, ce sont davantage des déclinaisons de la grandeur et de la célébrité que des métamorphoses de celles-ci. L’imaginaire lié au commandant Piché serait celui de la rédemption. Le célèbre pilote ayant été dans sa jeunesse emprisonné aux États-Unis pour trafic de drogue, avant d’obtenir un pardon, et ayant également surmonté son alcoolisme. L’imaginaire associé à Dédé Fortin est celui du sacrifice, lié à la « la figure romantique du génie malheureux » (p. 200). Louis Cyr incarne l’antithèse du Québécois né pour un petit pain. Quant à Karla Homolka, c’est la seconde chance qui caractérise son personnage. Et d’ailleurs, que fait Karla Homolka parmi ces figures québécoises? C’est qu’après sa peine de prison, celle-ci s’est installée non pas dans son Ontario d’origine, mais au Québec. N’empêche, elle fait ici figure de repoussoir, seule figure négative, seule figure féminine, seule anglophone. Notons qu’une figure féminine positive, celle de Céline Dion, a déjà été analysée par Frédéric Demers, et que les figures négatives au Québec sont rares. Quelle autre célébrité féminine Gagnon aurait-il pu analyser? Bien sûr Mary Travers, dite La Bolduc, aurait pu …

Appendices