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1. Introduction

Dans les pays d’Afrique subsaharienne où se conjuguent croissance démographique rapide, sécheresse et manque de moyens financiers pour l’exploitation des ressources hydriques, l’accès à l’eau est un enjeu majeur et un défi considérable. Dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement de l’Organisation des Nations Unies (PNUD, 2001) et de ses propres objectifs de développement dans le secteur de l’eau, le Sénégal développe des programmes favorisant l’assainissement des eaux usées et l’accès à l’eau pour la population. Cependant, seule 67 % de la population en milieu rural au Sénégal dispose d’un accès raisonnable à l’eau contre 87 % en milieu urbain (MAHS, 2004). Les causes majeures d’une telle disparité résident dans l’inégale répartition des ressources hydriques et surtout dans le manque de moyens financiers. Ces limitations physiques et économiques obligent à échelonner les projets d’adduction et de traitement de l’eau.

Il est dès lors pertinent de développer des stratégies de gestion des ressources en eau pour répondre aux besoins les plus prioritaires et les plus pressants en matière d’approvisionnement en eau. Les instruments de calculs économiques classiques (rentabilité, coûts-bénéfices etc.) s’avèrent limités pour une telle gestion. En effet, toutes les variables du problème ne peuvent être ramenées à une échelle purement monétaire (Hajkowicset al., 2000). Les traditions socioculturelles, la motivation des intervenants, la préservation de l’environnement et le souci de répondre aux attentes des populations sont autant de facteurs d’importance qui sont difficiles voire impossibles à quantifier financièrement.

Nonobstant ces difficultés, le Sénégal met en place des outils pour favoriser un cadre de gestion efficace. À cet effet, une approche de gestion intégrée des ressources en eau a été initiée en 2004 par le Ministère de l’Agriculture et de l’Hydraulique du Sénégal (MAHS) et est pilotée par la Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau (DGPRE) (BAD, 2005). Néanmoins, des disparités marquantes demeurent tant au niveau local que régional (PNUD, 2001).

L’objectif du travail de recherche présenté ici est de contribuer à surmonter ces difficultés. Il s’agit de proposer une démarche structurée d’aide à la décision pour prioriser les interventions en matière d’approvisionnement en eau en milieu rural au Sénégal. Pour ce faire, nous proposons une analyse multicritère pour ranger des unités territoriales par ordre de priorité d’intervention. Le présent projet ne porte pas sur l’identification ou le choix de projets précis d’adduction ou de traitement d’eau ni sur leur financement. L’étude se situe en amont de ces derniers. Cet article présente les résultats et les différentes étapes de l’analyse multicritère pour la priorisation des interventions en matière d’approvisionnement en eau dans la région de Diourbel.

2. Contexte de recheche

2.1 Présentation de la région de Diourbel

La région de Diourbel est principalement rurale et s’étend sur une superficie de 4 769 km² subdivisée en trois départements, huit arrondissements (Baba-Garage, Lambaye, Ngoye, Ndoulo, Ndindy, Ndame, Kael et Taïf) et 33 communautés rurales (Figure 1). Elle abrite une population de 929 414 habitants (MAHS, 2005). Cette région qui a un climat soudano-sahélien chaud et sec ne reçoit, en moyenne, que 400 à 600 mm pour 30 à 40 jours de pluie avec une irrégularité spatio-temporelle très marquée (ARD-Diourbel, 2000). Les températures oscillent entre 27 et 30 °C avec un maximum entre avril et juin. La sécheresse dans les réseaux hydrographiques de surface du Car-Car (au nord) et du Sine (au sud-est) illustre la dégradation des conditions climatiques au cours des dernières décennies (Badianeet al., 2000).

Figure 1

Carte de la région de Diourbel et ses arondissements.

Map of the Diourbel Region.

Carte de la région de Diourbel et ses arondissements.

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L’approvisionnement en eau dans la région se fait essentiellement à partir de nappes d’eau souterraine avec une forte exploitation de la nappe du Maestrichtien. Bien que le potentiel hydrique de la région soit considéré comme important, la quantité disponible pour les populations de même que la qualité de ces eaux sont insatisfaisantes actuellement (MEFS, 2007). En effet, les points d’approvisionnement sont disparates. Les équipements sont à certains endroits insuffisants ou vétustes. Par ailleurs, les teneurs en fluorures sont au-dessus des normes sanitaires dans plusieurs communautés rurales de la région. Les problèmes d’assainissement tels que la proximité des fosses septiques avec le réseau d’eau potable, l’absence de système d’évacuation adéquat des ordures et des eaux usées, la pollution de la nappe superficielle, etc., se répercutent sur la qualité des eaux de consommation.

Située dans le bassin arachidier, la région de Diourbel a pour principales activités l’agriculture et l’élevage. Les difficultés d’ordre climatique, l’appauvrissement des terres et le manque d’infrastructures d’adduction d’eau constituent des obstacles majeurs au développement de ces activités. Diourbel, jadis zone maraîchère, souffre aujourd’hui de la sécheresse. Les agriculteurs ne peuvent compter que sur les eaux de pluie qui ne tombent que durant les trois mois d’hivernage et de manière irrégulière. Pour le reste, l’eau, souvent trop salée, est impropre à l’agriculture. À cause du manque de pâturages (les terres agricoles sont rares et très convoitées) et du manque d’eau, le bétail transhume tout au long de l’année entre le sud et le sud-est, séjournant même pendant une certaine période hors de la région. Une urbanisation croissante et une évolution démographique rapide (PNUD, 2001) accroissent ces difficultés et augmentent la pression sur les ressources hydriques.

2.2 L’approche méthodologique

Les décisions en matière de planification de projets d’infrastructures de production et de distribution d’eau relèvent souvent d’une analyse complexe ayant des objectifs conflictuels à intégrer (objectifs sociopolitiques, environnementaux et économiques). Elles ont un caractère multidimensionnel et intègrent un nombre d’intervenants important avec des systèmes de valeurs variés. Les approches purement objectives à la recherche d’une solution unique et optimale s’avèrent dès lors irréalistes (BanaeCostaet al., 2004a). Dans cette perspective, les approches multicritères constituent un support d’analyse adapté à la complexité d’une telle décision. Elles permettent de faciliter le processus de décision en le rendant plus explicite, rationnel et efficient. D’ailleurs, plusieurs études suggèrent l’utilisation de telles approches pour le développement d’une gestion efficace des ressources hydriques (Abu-Taleb et Mareschal, 1995; Hämäläinenet al., 2001; Hedia, 2004; Rajuet al., 2000; Tkach et Somonovic 2002).

Dans ce projet, l’analyse multicritère s’est effectuée en trois phases principales (Figure 2) : 1) la structuration du processus, 2) l’évaluation des unités territoriales puis 3) l’analyse des résultats ayant mené à un rangement de ces unités. La structuration du processus a débuté par la définition du contexte décisionnel avec l’identification des acteurs du processus. Les objectifs ont été définis ainsi que les critères permettant de mesurer le degré d’atteinte de ces objectifs par chacune des unités territoriales. Durant la seconde phase, les méthodes et les paramètres permettant de rendre opérationnels les critères ont été élaborés. Les unités territoriales ont été évaluées sur chaque critère et l’agrégation a été réalisée à l’aide du logiciel M-MACBETH (Measuring of Attractiveness by Categorical Based Evaluation Technique) (Bana e Costa et Vansnick, 1999). Enfin, les résultats et la démarche ont été analysés.

Figure 2

Schéma du processus d'élaboration de la démarche.

Schematic view of the methodology.

Schéma du processus d'élaboration de la démarche.

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3. Structuration du processus

3.1 Identification des acteurs et des décideurs

Le secteur de l’eau au Sénégal se distingue par un très grand nombre et une forte diversité d’acteurs, par des réformes organisationnelles fréquentes et par la séparation qui est faite entre les zones rurales et urbaines. Cinq grands groupes d’intervenants ayant des influences plus ou moins grandes dans la gestion de l’eau peuvent être identifiés. Les collectivités locales assument une responsabilité grandissante dans la maîtrise d’ouvrages locaux et la planification de projets de petite et moyenne envergures (réhabilitation de puits modernes, la promotion des systèmes autonomes individuels, etc.). Au niveau rural, les populations sont des acteurs significatifs au sein des projets d’adduction d’eau. Elles ont un droit de regard sur les choix et priorités d’investissement à travers le processus participatif d’élaboration des plans locaux. Mais, dans les faits, leur participation est pour l’instant limitée. Le secteur privé et la société civile (bureaux d’étude, bailleurs de fonds et banques) sont aussi fortement impliqués dans la gestion et la distribution des ressources en eau. En fait, les bailleurs de fonds internationaux sont des intervenants majeurs. Les organismes non gouvernementaux constituent des promoteurs importants de projets en hydraulique rurale mais c’est au niveau des services techniques de l’État que les projets sont validés (Hane, 2006). L’État est le responsable de l’atteinte des objectifs de desserte en eau au niveau national. Il veille à la préservation, à la protection des ressources en eau et de l’environnement ainsi qu’à la pérennité de l’approvisionnement en eau. Il assume aussi la maîtrise d’ouvrage de grands projets hydrauliques. L’État, par l’entremise de ses organes (ministères, directions et agences), est donc le décideur ultime en matière d’allocation des ressources en eau.

L’importance du nombre de parties prenantes rendant presque impossible la participation de tous, même à différents niveaux d’implication, nous avons dû choisir des représentants de ces parties prenantes. Les organismes qui ont été sollicités à divers stades de l’étude sont mentionnés dans les sections 3.3, 3.4 et 4.

3.2 Choix des unités territoriales

Dans la terminologie de l’aide à la décision, les éléments sur lesquels les décideurs doivent se prononcer sont nommés « options ». Dans le cas présent, il s’agit d’arrondissements qui sont des unités territoriales administratives (voir les huit arrondissements à la Figure 1). Ce choix, plutôt que celui d’unités physiques hydrographiques, s’explique par le fait que l’eau vient essentiellement de grandes nappes souterraines qui couvrent une bonne partie de la région à l’étude. L’échelle de l’arrondissement a été choisie de sorte à correspondre à la plus petite échelle à laquelle les informations sont significatives et exploitables, et à concorder le plus possible avec une représentation mentale que se font les intervenants de leur territoire. L’arrondissement, lequel est la plus petite unité territoriale pour laquelle les informations sont les plus complètes, correspond également à un découpage administratif déjà établi. Les décisions en matière de développement (en dehors des projets individuels) se prennent d’ailleurs souvent en suivant le découpage administratif du territoire. Parmi les huit arrondissements que compte Diourbel, celui de Ndame abrite une communauté rurale aux caractéristiques particulières. Il s’agit de la communauté de Touba Mosquée considérée comme une communauté rurale mais qui est en fait une ville de plus de 400 000 habitants. Cette ville a donc été exclue de l’analyse.

3.3 Identification des objectifs et formulation des critères

Au niveau national, le document de stratégie de réduction de la pauvreté sert de référence à l’élaboration des plans sectoriels de développement (dont celui des ressources en eau) et de programme d’investissement (MEFS, 2003). Le Code de l’Eau et le Code de l’Environnement (République du Sénégal, 1981 et 1983) sont également deux documents de réglementation concernant les ressources hydriques. Les priorités d’allocation des ressources en eau selon l’usage y sont précisées. À partir des entrevues avec des intervenants du secteur de l’hydraulique au Sénégal et de l’ensemble des documents cités ci-dessus, nous avons identifié les objectifs d’un approvisionnement en eau qui visent à améliorer les conditions de vie des populations rurales. Ces objectifs sont présentés à la figure 3. Nous avons ensuite élaboré des critères pour mesurer les degrés d’atteinte de ces objectifs par les différents arrondissements :

  • Critère 1 : Qualité des eaux souterraines;

  • Critère 2 : Acceptabilité des coûts de l’allocation;

  • Critère 3 : Satisfaction des besoins domestiques en eau;

  • Critère 4 : Accessibilité au point d’eau;

  • Critère 5 : Satisfaction des besoins en eau pour la production agricole; et

  • Critère 6 : Potentiel de développement.

Figure 3

Arbre des objectifs, critères et indicateurs de mesure.

Hierarchy of objectives, criteria and measurement indicators.

Arbre des objectifs, critères et indicateurs de mesure.

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Les évaluations des arrondissements sur ces critères nous permettent d’arriver à un rangement de ces arrondissements en ordre de priorité pour d’éventuels projets de développement de ressources hydriques. Le critère 2 est relatif à l’acceptabilité et, subséquemment, à la faisabilité économique des projets éventuels d’adduction d’eau. La tarification est également un moyen de gestion de la demande. Par la tarification, on limite le gaspillage des ressources. En outre, au-delà des préoccupations sanitaires, l’eau, dans ses diverses utilisations, est un facteur de réduction de la pauvreté et un vecteur de développement considérable. La prise en compte du critère potentiel de développement (critère 6) est liée à cet objectif. Le choix de ce critère vient aussi pallier la faiblesse d’une démarche essentiellement basée sur l’état actuel des choses. En matière de planification, l’aspect projection est important et c’est ce qu’apporte ce critère.

Tous les critères ont été validés par sept représentants de différents ministères (Agriculture et Hydraulique; Environnement et Protection de la nature; Prévention, Hygiène publique et Assainissement; Réseau hydrographique national), par un représentant de l’Agence Régionale du Développement rural de Diourbel (ADR-Diourbel), par un représentant de l’Agence Régionale de Développement de Diourbel (DRDR-Diourbel) et par deux représentants de la Société de Distribution d’Eau (SDE) et de la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES). À noter que, dans un premier temps, un critère sur la satisfaction des besoins en eau du cheptel avait été retenu. Cependant, ce critère n’a pu être gardé faute de données suffisantes pour faire les évaluations des arrondissements.

3.4 Évaluations des arrondissements

Afin d’évaluer les arrondissements sur les différents critères, il a fallu élaborer des indicateurs de mesure. Deux orientations s’offraient à nous dans l’élaboration des indicateurs de mesure : la première étant de prioriser les populations les plus nécessiteuses, c’est-à-dire celles pour lesquelles les lacunes sont les plus grandes par rapport à leurs besoins; la seconde étant de réduire globalement le plus possible les lacunes quitte à favoriser des arrondissements plus populeux où les lacunes sont relativement plus faibles mais qui peuvent représenter en absolu des déficits importants. En se basant sur les documents d’élaboration des plans sectoriels de développement et des programmes d’investissement pour le Sénégal (MEFS, 2003; République du Sénégal, 2005), la première orientation a été choisie en visant une réduction des inégalités entre arrondissements, c’est-à-dire en utilisant des indicateurs relatifs plutôt que des indicateurs absolus. À noter que les indicateurs développés pour l’évaluation des arrondissements sur la base des critères ont été validés par des représentants des organismes suivants : SDE, PEPAM (Programme eau potable et assainissement du Millénaire), DGPRE, ARD-Diourbel, DRDR-Diourbel et Collectivité de Diourbel.

3.4.1 Critère 1 - Qualité des eaux souterraines

Les populations de la région de Diourbel s’approvisionnent à partir de trois types de nappe d’eau souterraine, et ce, en proportion variable (les gammes de profondeur de pompage sont indiquées entre parenthèses) : Éocène (40 à 95 m), Paléocène (105 à 280 m) et Maestrichtien (215 à 365 m). La qualité de ces nappes varie dans la région. Il a donc fallu évaluer la qualité globale des eaux souterraines captées dans un arrondissement donné. Globalement, la qualité d’une eau dépend de paramètres physico-chimiques et microbiologiques. Dans la présente étude, cette évaluation se limite aux paramètres physico-chimiques car il n’a pas été possible d’obtenir de données qui auraient permis de distinguer les eaux pompées du point de vue de leur qualité microbiologique (voir la description des infrastructures de captage dans la section portant sur le critère 3). Les trois paramètres physico-chimiques considérés sont ceux qui posent le plus de problème au niveau de Diourbel et pour lesquels l’information était disponible, à savoir les résidus secs (cela est très proche des solides totaux dissous et de la teneur en sels totale), les nitrates et les fluorures.

La qualité physico-chimique globale de l’eau captée dans un arrondissement a été évaluée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, les informations présentes dans les rapports de Badianeet al. (2000) et de l’ARD-Diourbel (2000), les données du PEPAM (2006) et celles de la base CHRONO de la DGPRE (2008) ont été compilées. Cela a permis d’estimer les teneurs en résidus secs de chaque nappe dans chaque arrondissement. Pour les nitrates, les nappes plus profondes (Paléocène et Maestrichtien) ont été considérées comme non contaminées puisque la contamination de surface, essentiellement d’origine agricole, n’atteint pas a priori ces nappes. Cela a été confirmé par la compilation des données disponibles qui montre que la concentration en nitrates chute brutalement quand l’eau souterraine est captée à plus de 70 m. Dans le cas des fluorures, la contamination est, a priori, naturelle et donc cela dépend de la nature des minéraux avec lesquels l’eau souterraine est en contact. Ne disposant pas de données locales, la teneur en fluorures a été appréciée de manière globale pour un arrondissement donné. Trois niveaux d’appréciation ont été définis pour chaque paramètre : bonne, médiocre et mauvaise (Tableau 1). Ces niveaux ont été établis sur la base des normes de l’OMS, en vigueur au Sénégal (OMS, 2004). Le premier niveau de qualité correspond à des concentrations relevées respectant majoritairement la norme de l’OMS; le troisième niveau correspond à des concentrations dépassant en majorité la norme de l’OMS; et le second niveau est un niveau intermédiaire compris entre les deux précédents.

Tableau 1

Intervalles de qualité d'eau souterraine.

Underground water quality intervals.

Intervalles de qualité d'eau souterraine.

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Nous avons ensuite défini une règle d’agrégation qui mène à huit classes de qualité globale d’eau souterraine (Très mauvaise, Mauvaise, Très médiocre, Médiocre, Passable à médiocre, Passable, Passable à bonne et Bonne). Il s’agit d’une échelle de dangerosité globale où les fluorures sont les éléments les plus déterminants suivis des nitrates puis des résidus secs (Tableau 2). Finalement, le niveau de qualité retenu pour l’arrondissement est celui de la nappe d’eau souterraine la plus captée. L’échelle du critère qualité d’eau correspond donc à l’évaluation globale définie au tableau 2. L’arrondissement est d’autant plus prioritaire que son niveau de qualité d’eau est mauvais.

Tableau 2

Détermination de la qualité globale de l'eau.

Determination of overall water quality.

Détermination de la qualité globale de l'eau.

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3.4.2 Critère 2 - Acceptabilité des coûts de l’allocation

Pour chacun des arrondissements de la région, l’acceptabilité des coûts de l’allocation a été mesurée à travers un questionnaire transmis à 18 présidents de communauté rurale (PCR) sur les 33 que compte la région. Les PCR sont des représentants et des résidants de la communauté rurale. La population administrée par les PCR interrogés représente au moins 50 % de la population de chacun des arrondissements. L’approche choisie consiste à poser directement la question sur la volonté de payer pour l’installation de nouveaux branchements privés ou l’amélioration des infrastructures publiques d’eau potable et d’eau d’irrigation. Trois niveaux de réponses sont possibles : oui, non, peut-être. En accordant une valeur de 0 à une réponse négative (non), de 0,5 à une réponse incertaine (peut-être), et de 1 à une réponse positive (oui), les arrondissements ont été évalués en calculant le pourcentage de la somme de oui et de peut-être dans l’ensemble des réponses. Plus le pourcentage obtenu est élevé, plus la volonté de payer des populations de l’arrondissement pour une amélioration du service est jugée grande. Les arrondissements où le pourcentage de réponse positive est le plus grand sont jugés prioritaires.

3.4.3 Critère 3 - Satisfaction des besoins domestiques en eau

L’évaluation sur ce critère a été effectuée à l’aide d’un des indicateurs proposés par le PEPAM pour l’accès à l’eau : « l’équivalent point d’eau » (EPE). Un EPE correspond en fait à une borne fontaine qui est supposée alimenter 300 habitants à raison de 25 L•pers‑1•j‑1 (MAHS, 2004). Les autres ouvrages d’alimentation en eau peuvent être ramenés à l’EPE selon une table de conversion (MAHS, 2004). Les directives de l’OMS sur la quantité d’eau destinée aux usages domestiques précisent l’importance de satisfaire les besoins en eau des populations à la fois en ce qui a trait à la quantité et à la qualité (OMS et UNICEF, 2004). Ainsi, seules les infrastructures, qui garantissent une eau de qualité suffisante du point de vue microbiologique et qui sont retenues dans l’inventaire sénégalais des points d’eau disponibles pour les populations (la borne fontaine, le puits moderne, le branchement privé et le forage avec pompe à motricité humaine), ont été considérées dans la présente étude. L’indicateur de mesure retenu pour l’évaluation des arrondissements est le taux de satisfaction en matière d’approvisionnement en eau :

où A (m3•j‑1) est l’approvisionnement en eau et où les indices « P » et « N » correspondent respectivement aux approvisionnements présents et nécessaires. AP est calculé à partir du recensement des ouvrages provenant à la fois de la base de données PROGRES (Programme de gestion des ressources en eaux souterraines; référence pour les ouvrages d’adduction d’eau souterraine) de la DGPRE et des plus récentes enquêtes effectuées dans le cadre du PEPAM. Il est à noter cependant que ces données renseignent sur l’existence physique des ouvrages mais pas sur leur état de fonctionnalité. La valeur de AN est déterminée à partir du nombre d’habitants de l’arrondissement (données provenant du recensement de la population de 2002; MAHS, 2005) et de l’objectif à moyen terme du PEPAM d’approvisionnement en eau en zone rurale, c’est-à-dire 25 L•pers‑1•j‑1 (MAHS, 2004). Plus le taux de satisfaction est faible, plus l’arrondissement est jugé prioritaire.

3.4.4 Critère 4 - Accessibilité au point d‘eau

Quatre types d’information ont été utilisés pour l’évaluation sur ce critère. Il s’agit du nombre d’habitants, du type et du nombre d’infrastructures d’adduction d’eau, ainsi que de la position géographique des villages. Ces informations proviennent des résultats de l’enquête sur les infrastructures des villages de Diourbel (PEPAM, 2006) pour la base de données PROGRES. L’accessibilité au point d’eau est évaluée en mesurant, dans un premier temps, la distance parcourue par les populations pour s’approvisionner en eau. Le logiciel de système d’information géographique ArcView GIS 3.2 a servi à effectuer les calculs de distance parcourue par les habitants de chaque arrondissement pour combler leurs besoins en eau en ce qui a trait à la quantité. Le déficit ou l’excédent d’eau de chaque village a été évalué sur la base de 25 L•pers‑1•j‑1. L’hypothèse de base est la suivante : les habitants des villages déficitaires en eau vont combler leur déficit avec l’excédent du village (ou des villages) excédentaire(s) le(s) plus proche(s). La position géographique des habitants se confond à celle du centre du village auquel ils sont rattachés. Cette démarche de calcul permet de déterminer la distribution des distances de marche pour chaque arrondissement. L’indicateur de mesure retenu pour l’évaluation des arrondissements est la proportion d’habitants parcourant plus d’un kilomètre. Un arrondissement est d’autant plus prioritaire que son pourcentage d’habitants ne bénéficiant pas d’un accès raisonnable, et parcourant donc une distance supérieure à 1 km pour s’approvisionner en eau, est important.

3.4.5 Critère 5 – Satisfaction du besoin en eau pour l’agriculture

Les difficultés rencontrées dans la collecte des données nécessaires au calcul précis du déficit hydrique (DH), une méthode très utilisée dans l’évaluation des besoins en eau pour l’agriculture, ont conduit à l’élaboration d’un indicateur simplifié de satisfaction de la demande en eau d’irrigation (ISDEI). Cet indicateur, qui est inspiré du DH, se calcule comme suit :

où Dmil90 est la demande en eau d’irrigation (mm•an‑1) et P sont les précipitations (mm•an‑1).

La demande en eau pour l’agriculture est évaluée en utilisant une culture de référence pour la région qui a été choisie avec l’aide du Centre National de Recherche Agronomique de Bambey, à savoir le mil variété 90 jours. La valeur retenue pour Dmil90 est de 457 mm•an‑1. Cette valeur correspond à l’évapotranspiration maximale pour le mil (variété 90 jours) telle que déterminée par l’Institut Sénégalais de Recherche Agronomique. La quantité d’eau de pluie par arrondissement représente la quantité d’eau disponible (en mm•an‑1), les précipitations constituant à plus de 90 % la source d’eau pour l’agriculture dans la région (les précipitations ont été supposées homogènes dans un arrondissement donné). Les valeurs du ISDEI, qui ont servi à l’évaluation des arrondissements sur le critère satisfaction du besoin en eau pour l’agriculture, ont été calculées avec les données pluviométriques datant de 1997, 1998 et 2004. Ces dernières sont les seules années pour lesquelles les données étaient complètes. À noter que les données pour l’année 2005 étaient également disponibles mais ces données n’ont pas été retenues car il s’agit d’une année exceptionnelle du point de vue pluviométrique. Plus le ISDEI est bas, plus l’arrondissement est jugé prioritaire.

3.4.6. Critère 6 - Potentiel de développement

Ce critère a été évalué de manière qualitative par un responsable de la DRDR-Diourbel et ancien responsable de l’ARD-Diourbel. Le DRDR oeuvre au nom du ministère de l’Agriculture à la mise en place d’une politique de développement agricole cohérente et à contribuer à renforcer la promotion des initiatives régionales et locales. L’ARD a, quant à elle, pour mission de permettre la coordination et l’harmonisation des interventions et initiatives des collectivités locales en matière de développement local en général. Le responsable interviewé s’est basé sur un certain nombre de vecteurs de développement tels que la qualité des sols pour l’agriculture, l’organisation sociale et l’esprit d’entreprenariat et a effectué son évaluation du potentiel de développement des arrondissements sur une échelle composée de sept niveaux : Très grand, Grand++, Grand+, Grand, Moyen+, Moyen, Faible. Plus son potentiel de développement est jugé élevé, plus l’arrondissement est jugé prioritaire pour l’allocation des ressources en eau.

4. Rangement des arrondissements

4.1 Le logiciel M-MACBETH

Le logiciel M-MACBETH qui a servi à ranger les arrondissements en matière de priorité pour des projets éventuels de développement de ressources hydriques est un outil d’aide multicritère à la décision appliquant la méthode MACBETH. Cette méthode a déjà été appliquée à divers cas réels d’aide multicritère à la décision (Bana e Costaet al.; 2004a, Bana e Costa et Soares, 2004b).

MACBETH permet à un décideur (ou à un analyste) de construire une fonction de valeur pour chaque critère. Une telle fonction de valeur établit une relation entre l’évaluation d’une option (un arrondissement dans notre cas) et son score (un niveau de priorité d’intervention dans notre cas). L’élaboration d’une fonction de valeur inclut le choix des évaluations qui correspondent au niveau de performance inférieure (0) et au niveau de performance supérieure (100). Pour établir une fonction de valeur, le décideur (ou l’analyste) compare deux à deux les niveaux d’évaluation suivant ce critère en utilisant l’échelle d’attractivité suivante : nulle (les deux évaluations sont jugées égales), très faible, faible, modérée, forte, très forte, extrême (une évaluation est jugée extrêmement forte par rapport à l’autre). Ce faisant, il construit sa fonction de valeur pour le critère considéré. Le système vérifie simultanément la consistance des réponses et fournit des propositions en cas d’inconsistance. Au terme de cette étape, le logiciel propose une échelle numérique soumise à l’appréciation du décideur. Celui-ci a la possibilité de revenir sur son jugement et d’y apporter des changements. L’échelle ainsi obtenue est une échelle cardinale représentative des jugements de valeur du décideur.

4.2 Pondération des critères

La pondération des critères a été faite par 13 personnes lors d’entrevues privées - Direction de l’environnement (deux personnes), SDE (deux personnes), SONES (une personne), MAH (une personne), APRHN (Agence de Promotion du Réseau Hydrographique National) (une personne), DGPRE (trois personnes), DRDR-Diourbel (une personne), Ministère du plan (une personne) et Direction de l’hydraulique (une personne). La technique d’évaluation utilisée est celle du point fixe (Hajkowiczet al., 2000). Le décideur est appelé à distribuer, sur l’ensemble des critères, un nombre de points fixé d’avance, 100 en l’occurrence. Pour faciliter la distribution des points, il a été proposé aux intervenants de classer les critères, représentés par des fiches par ordre d’importance, et de les éloigner selon leur importance relative en y intercalant des cartes blanches avant de leur assigner un poids. À noter que les pondérations ont été choisies alors qu’il y avait encore un 7e  critère sur les besoins en eau du cheptel. Suite au retrait de ce critère, le poids de ce critère a été redistribué sur les autres poids au prorata de leur valeur initiale. Les poids moyen, minimal et maximal pour chaque critère sont présentés au tableau 3.

Tableau 3

Pondérations, évaluations et priorités.

Weights, evaluations and priority levels.

Pondérations, évaluations et priorités.

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4.3 Fonctions de valeur

Pour la présente étude, et à une exception près, nous avons élaboré nous-mêmes les fonctions de valeur en fonction des informations dont nous disposions (voir ci-dessous). Dans le logiciel M-MACBETH, nous avons défini les fonctions de valeur. Les fonctions de valeur sont présentées graphiquement à la figure 4. Pour les critères Acceptabilité des coûts de l’allocation (Figure 4e) et Accessibilité au point d’eau (Figure 4f), les fonctions de valeur sont considérées linéaires. Pour ces deux critères, les bornes sont les mêmes à savoir :

  • L’évaluation de 0 % correspond à une performance de 0 sur l’échelle MACBETH;

  • L’évaluation de 100 % correspond à une performance de 100 sur l’échelle MACBETH.

La fonction de valeur du critère Qualité des eaux souterraines (Figure 4a) a une allure semi-hyperbolique décroissante. La différence d’attractivité entre les niveaux de qualité diminue en tendant vers le niveau « Bonne ». Les jugements sur les différences d’attractivité des niveaux qualitatifs de performance du critère Potentiel de développement ont été bâtis à partir des indications fournies par un représentant de l’ARD-Diourbel, lequel a précisé, lors de l’évaluation, la relation qu’il y avait entre les niveaux consécutifs. Ainsi, par exemple, le niveau « Grand++ » se situe entre le niveau « Très grand » et le niveau « Grand+ » (voir la fonction de valeur à la Figure 4b). Pour le critère de Satisfaction des besoins domestiques en eau, la priorité maximale correspond à une quantité de 5 L•pers‑1•j‑1 (80 % de déficit par rapport à 25 L•pers‑1•j‑1 ). Il s’agit du minimum recommandé en zone tropicale (Gleick, 1996). La priorité minimale correspond à une quantité de 35 L•pers‑1•j‑1 (surplus de 40 % par rapport à 25 L•pers‑1•j‑1 ). Il s’agit de la quantité recommandée par l’OMS. Cette valeur est considérée comme l’objectif à long terme pour l’approvisionnement en eau en milieu rural au Sénégal. C’est également l’extrémité supérieure de la fourchette de quantité d’eau consommée par jour par les personnes disposant d’un branchement privé (30-35 L•pers‑1•j‑1 ), estimée d’après une enquête effectuée en 1996 (sur la faisabilité de la réforme du secteur) et une autre effectuée en 2004 pour le projet REGEFOR (MAHS, 2004). Une fonction décroissante non linéaire est définie entre ces deux bornes (voir Figure 4c). Cela reconnaît le fait qu’un déficit est d’autant plus important que la quantité disponible est faible. La fonction de valeur du critère Satisfaction des besoins en eau pour la production agricole a été établie en considérant deux niveaux de référence intermédiaires entre les niveaux supérieur et inférieur qui correspondent à des ISDEI de respectivement -100 % et +100 %. Les niveaux intermédiaires correspondent à des pluviométries de 200 mm et de 378 mm. D’après la FAO (1992), l’agriculture pluviale n’est pas praticable quand les précipitations varient entre 100 et 300 mm. En prenant la moyenne de ces valeurs, à savoir 200 mm (ISDEI = -56 %), nous avons estimé que la différence entre celle-ci et un manque absolu d’eau de pluie (ISDEI = -100 %) pour satisfaire les besoins de la plante de référence peut être considérée comme faible (selon les jugements sémantiques proposés par le logiciel M-MACBETH). Le second point intermédiaire correspond à une pluviométrie de 378 mm (ISDEI = -17 %) qui est la valeur d’évapotranspiration minimale de la plante de référence. Entre cette valeur et la valeur maximale (ISDEI = +100 %), la différence d’attractivité est jugée faible. La fonction de valeur a été construite à partir de ces deux différences d’attractivité et est présentée sur la figure 4d.

Figure 4

Fonctions de valeur.

Value functions.

Fonctions de valeur.

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4.4 Rangement des arrondissements

À partir des évaluations (Tableau 3), des fonctions de valeur et de la pondération moyenne des critères, un score global est calculé sur une échelle de 0 à 100 pour chaque arrondissement. Le calcul est une moyenne pondérée. Les scores des arrondissements, qui correspondent à leur priorité d’intervention en matière d’approvisionnement en eau, sont présentés au tableau 3. De manière générale, les scores varient de 21/100 à 49/100 sur l’échelle MACBETH, et ce, pour les pondérations moyennes. Les trois arrondissements les plus prioritaires sont G (49/100), F (44/100) et H (39/100). Les deux arrondissements les moins prioritaires sont D (21/100) et B (24/100). Les trois autres arrondissements (A, C et E) se situent entre ces deux groupes.

Afin de vérifier dans quelle mesure le rangement des arrondissements est dépendant des pondérations, les scores minimaux et maximaux ont été déterminés pour chaque arrondissement. Rappelons en effet que 13 jeux de poids ont été obtenus (voir section 4.2) et donc qu’un rangement basé uniquement sur une pondération moyenne pourrait cacher une réalité plus complexe. Pour un arrondissement donné, le score minimal correspond au score calculé avec le jeu de poids le plus défavorable à cet arrondissement, c’est-à-dire celui qui donne le score le plus bas à cet arrondissement. Le score maximal correspond quant à lui au jeu de poids le plus favorable. Ces scores minimaux et maximaux sont présentés à la figure 5. Il est intéressant de constater dans cette figure que les pondérations ne modifient pas la tendance observée pour les scores calculés avec la pondération moyenne. Bien que les pondérations varient significativement et qu’elles aient un impact sur les valeurs des scores, cela ne remet pas significativement en cause le rangement basé sur les pondérations moyennes. En effet, pour 100 % des pondérations, l’arrondissement G demeure le plus prioritaire tandis que pour plus de 70 % des pondérations, les arrondissements F et H gardent, respectivement, leur deuxième et leur troisième place par ordre de priorité décroissante (Tableau 4). Par ailleurs, pour près de 80 % des pondérations, les arrondissements B et D maintiennent, respectivement, leur avant-dernière et leur dernière place dans ce rangement (Tableau 4). Dans l’ensemble, le rangement des arrondissements du tableau 3, établi pour la pondération moyenne, semble donc valide vis-à-vis des préférences des décideurs consultés au cours de l’étude.

Figure 5

Effets des pondérations sur le rangement des arrondissements.

Effects of weighing on district ranking.

Effets des pondérations sur le rangement des arrondissements.

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Tableau 4

Fréquence de rangement

Ranking frequency.

Fréquence de rangement

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5. Analyse des résultats et de la démarche

Dans l’ensemble, les intervenants consultés se sont montrés intéressés et favorables à la démarche d’aide à la décision multicritère proposée. La participation importante des intervenants a enrichi son élaboration et lui apporte beaucoup de légitimité. Cependant, il a été impossible de réunir l’ensemble des représentants pour une concertation directe vu leur grand nombre. La gestion des ressources en eau au Sénégal se caractérise par la séparation qui est faite entre le rural et l’urbain, par le très grand nombre d’intervenants avec des prérogatives quelques fois similaires et par les restructurations fréquentes des organes d’État concernés. Ceci complique la coordination des efforts et la mise en place d’une approche participative dont la nécessité dans la gestion des ressources en eau est pourtant reconnue (ARD-Diourbel, 2000; BAD, 2005; République du Sénégal, 2005). Des organes officiels de coordination et de concertation comme le Conseil Supérieur de l’Eau et le Comité Technique de l’Eau ont été mis en place mais nous n’avons pas trouvé de traces d’activité de ces organismes. On peut supposer ainsi qu’il existe des obstacles d’ordre structurel (dynamique hiérarchique complexe) à la concertation directe entre les groupes d’intervenants, notamment en ce qui concerne les entités étatiques. L’étude n’a pas permis d’identifier ces obstacles de manière précise. Il serait intéressant de les analyser dans une étude ultérieure afin d’essayer de les surmonter.

La principale difficulté rencontrée lors de l’élaboration de la démarche s’est située au niveau de la qualité et de la disponibilité des données. Il s’agit d’un handicap majeur pour les évaluations suivant les critères. Par exemple, l’évaluation du critère Qualité des eaux souterraines, par exemple, ne prend pas en compte l’ensemble des paramètres physico-chimiques d’importance ni les paramètres microbiologiques car ces informations ne sont pas complètes dans les bases de données de la DGPRE chargée de leur traitement et de leur stockage. Un critère initialement retenu sur la satisfaction des besoins en eau pour le cheptel a dû être abandonné faute de données sur les quantités d’eau actuellement disponibles pour l’abreuvage du cheptel. Le problème se pose également concernant le recensement des infrastructures (leur nombre et leur fonctionnalité). En outre, la connaissance du nombre d’habitants par localité est essentielle à la démarche. Pourtant, l’information disponible sur la population par localité n’est qu’une estimation effectuée dans le cadre du PEPAM à partir des données du recensement de 2002 et des taux de croissance par localité datant de 1988. Les consultants du PEPAM n’ont pu avoir accès à des données plus récentes auprès de la Direction de la Prévision et de la Statistique. Une tentative a aussi été entreprise dans le cadre de cette étude mais sans succès.

Concernant, le critère Acceptabilité des coûts de l’allocation, les évaluations par les décideurs n’ont été faites que sur la base de l’acceptabilité financière des populations sans tenir compte de leur capacité de payer. La prise en compte de ce second aspect pourrait se faire dans le futur au moyen d’enquêtes. En outre, l’analyse aurait pu s’opérer à plus petite échelle : celle de la communauté rurale (reconnue comme l’unité territoriale administrative de base pour l’allocation lorsque l’analyse est menée à l’échelle d’une région). Toutefois, toutes les informations nécessaires à l’évaluation des critères ne sont pas disponibles actuellement à cette échelle. Ainsi, dans la perspective de mettre en place des outils de planification mais aussi de suivi et d’évaluation, des efforts devraient être faits dans la collecte de données actualisées et précises et dans l’échange d’informations entre les divers intervenants. Étant donné le développement rapide des technologies de l’information et de la communication, ces problèmes pourraient être surmontés du point de vue technique.

L’approche présentée pourrait aussi être améliorée en utilisant le logiciel M-MACBETH pour les pondérations des critères. En effet, les poids devraient être sur une échelle ratio et refléter l’importance relative d’un changement d’unité sur la fonction de valeur (Hajkowiczet al., 2000), ce qui n’est pas garanti avec la méthode du point fixe utilisée.

6. Conclusion

A l’instar d’un certain nombre de pays en voie de développement, le Sénégal initie des projets de petite et moyenne envergures pour répondre à l’urgence de l’approvisionnement en eau dans le monde rural. En amont de ces projets, l’insuffisance des moyens impose qu’un choix soit fait quant aux priorités d’intervention en matière d’approvisionnement en eau. En tant que ressource naturelle vitale intégrant bien d’autres dimensions (sociale, environnementale, humaine, culturelle), l’eau ne peut être traitée comme un simple bien économique dont l’allocation dépendrait de l’équilibre entre l’offre et la demande. La multiplicité de ses dimensions (UNESCO, 2009) impose une gestion intégrée et concertée qui s’avère complexe. Dans le cadre de la présente étude, le contexte décisionnel a donc été analysé selon un point de vue multicritère. Des critères ont été proposés dans le but de faciliter, à l’échelle régionale, la priorisation des besoins en eau en milieu rural au Sénégal. Ces critères sont en rapport avec le système de valeurs de différents intervenants identifiés dans la gestion des ressources en eau et les objectifs fixés par l’État. Des indicateurs de mesure pour ces critères ont été proposés dans le contexte du Sénégal. Ces indicateurs, des pondérations définies par des intervenants sénégalais, et des fonctions de valeur définies à l’aide du logiciel M-MACBETH, ont permis de ranger les arrondissements de la région rurale de Diourbel par ordre de priorité. D’après les résultats obtenus, trois de ces arrondissements ressortent comme plus prioritaires du point de vue de l’approvisionnement en eau. Globalement, l’application d’une telle démarche d’aide à la décision s’avère donc tout à fait faisable. Néanmoins, une amélioration de la collecte et de la compilation de données sur l’utilisation de l’eau au Sénégal faciliterait l’expansion et le raffinement de ce type de démarche.