Article body

Je dois à Thierry de Duve l’idée de cette intervention. J’ai assisté, lors d’un colloque intitulé “Juger l’art”[1], à une communication où il réfléchissait sur la phrase : “Ceci est de l’art”. Il s’agissait, pour lui, de considérer cette phrase comme une proposition singulière, comme aurait dit Kant, c’est-à-dire visant explicitement un objet précis – par exemple une toile de Manet ou l’urinoir de Duchamp. Je conserverai la même convention, mais je proposerai une autre analyse que celle de Thierry de Duve en m’appuyant sur la théorie de Peirce. Cet exercice est l’occasion pour moi de réfléchir sur l’image de l’art qui habite l’esprit de quelqu’un qui prononce la phrase “Ceci est de l’art” à l’endroit d’une chose déterminée. Elle est aussi l’occasion de réfléchir sur l’idée générale d’une certaine image qui habite l’esprit de quelqu’un pour participer à l’actualisation d’une relation sémiotique à finalité symbolique.

Préliminaires

Quelques mots, tout d’abord, sur la perspective dans laquelle j’aborde cette analyse peircienne. Je ne suis pas tombé dans la marmite peircienne comme Obelix est tombé dans celle de la potion magique. J’utilise plutôt Peirce comme Asterix ladite potion : de temps à autres, lorsque cela me semble opportun, j’attrape une fiole et avale son contenu. Autrement dit, je me désintéresse du dogme peircien, mais Peirce m’aide souvent à penser. Au contraire de ce médecin du XVIe siècle, si je me souviens bien, qui disait abandonner une idée s’il ne la retrouvait pas chez Aristote, j’abandonne Peirce quand je ne trouve pas chez lui une pensée qui me semble valoir quelque chose ou quand j’y trouve la pensée contraire.

Ici, je plaiderai en tout cas pour la puissance de la théorie peircienne de l’icône, sans la délier des aspects indiciels et symboliques évidemment. Cette théorie me semble couvrir deux notions de l’image : l’image-objet (une photo, un tableau, etc.) et l’image mentale. J’ai choisi ici de m’intéresser à la seconde. Ce qui attire plus particulièrement mon attention sur Peirce, c’est l’idée qu’un signe symbolique, pour pouvoir assumer cette fonction, doit à la fois solliciter le réel et le possible : “Un symbole est un signe naturellement propre à déclarer que l’ensemble des objets dénotés par n’importe quel ensemble d’indices qui puisse lui être attaché de certaines façons, est représenté par une icône qui lui est associée.” (CP 2.295). J’utiliserai principalement ce paragraphe 2.295 des Collected Papers dans la suite de mon texte.

Du beau et de l’art…

Thierry de Duve caresse le projet, depuis Au nom de l’art, de “relire la troisième Critique [kantienne], et d’abord l’antinomie du jugement esthétique, en remplaçant le mot “beau” par le mot “art””; ce serait là, ajoute-t-il, une “hypothèse à laquelle conduit le readymade, puisqu’il efface la distinction entre faire de l’art et juger de l’art” (1989 : 80-81). Il reprend plusieurs fois, tel un leitmotiv, ce schème de pensée par substitution : “À relire Kant en remplaçant le mot “beau” par le mot “art” on se trouve amené à formuler l’hypothèse d’une faculté de juger de l’art qui viendrait prendre la place du goût.” Ou encore : “Relire Kant d’après Duchamp, en remplaçant le jugement “ceci est beau” par le jugement “ceci est de l’art”, c’est considérer que le mot “art”, le nom de l’art, renvoie à la fois à une Idée esthétique inexponible, c’est-à-dire à une Idée de l’imagination que l’on ne peut prouver par la logique, et à une Idée rationnelle indémontrable, c’est-à-dire à une Idée de la raison que l’on ne peut montrer que dans le sensible.”

Sans m’engager dans une discussion approfondie sur cette manière de voir les choses, je vais considérer deux propositions :

  1. “Cette fleur est belle”,

  2. “Ceci est de l’art”.

La proposition (1) exemplifie pour Kant le jugement esthétique. Le philosophe l’analyse ainsi. Premièrement, ce n’est pas une proposition universelle, comme “Toutes les roses sont belles”, mais une proposition singulière : elle désigne une rose concrète, individuelle; en esthétique, dit-il, on veut soi-même examiner la chose. Deuxièmement, cette proposition ne consiste pas à appliquer le concept de beau à la fleur considérée; la rencontre avec cette fleur produit un certain état mental (jeu libre et harmonieux de l’entendement et de l’imagination) que nous exprimons dans le jugement en disant que la chose est belle; la beauté n’est pas une propriété de la chose, mais un sentiment sur elle. De manière complémentaire, Kant dit que le concept de beau n’est pas un concept déterminé pouvant nourrir la connaissance (au sens restreint), mais un concept indéterminé employé dans la réflexion. Quant à la proposition (2), on semble pouvoir dire qu’elle est également une proposition singulière, puisqu’elle concerne une chose concrète que l’on examine de soi-même. En revanche, il semblerait qu’elle applique le concept d’art à cette chose, que l’art soit une propriété de la chose et qu’il n’y ait pas d’état mental spécial qui caractérise la rencontre de ce concept déterminé avec la chose.

C’est cette analyse que Thierry de Duve conteste lorsqu’il propose de substituer “art” à “beau” dans la troisième Critique. À première vue, la radicalité de cette substitution, son extension à tout le texte kantien, semble mener à une absurdité. Il faudrait alors prendre en compte une proposition comme “Cette fleur est d’art”. Kant n’aurait évidemment pas fait cette erreur. Il dit explicitement qu’“en face d’un produit des beaux-arts on doit prendre conscience que c’est là une production de l’art et non de la nature” (§ 45). Toutefois, il ajoute aussitôt (de Duve l’objecterait à juste titre) : “mais dans la forme de ce produit [artistique] la finalité doit sembler aussi libre de toute contrainte par des règles arbitraires que s’il s’agissait d’un produit de la simple nature.” L’art n’est pas la nature, mais doit être perçu comme s’il l’était; il est le produit d’un travail, mais ce travail doit rester inaperçu dans le produit fini. Laissant de côté cette piste – le génie, la différence entre l’art de la nature et la nature de l’art, etc. – qui nous éloignerait de notre sujet, je veux surtout considérer la possibilité de différencier strictement “beau” et “art” suivant le critère de l’antinomie du subjectif et de l’objectif, de l’indéterminé et du déterminé, du sentiment et du concept. Car, on peut contester que nos propositions (1) et (2) soient aussi nettement distinguées qu’il semble au premier abord : on peut contester que les propriétés de l’objet soient négligeables dans le jugement de beauté autant qu’on peut contester qu’aucune subjectivité ne règle le jugement d’art; on peut contester que l’idée de beau, même comme idée esthétique, ne soit pas au moins partiellement déterminée autant qu’on peut contester que l’idée d’art soit pleinement déterminée dans l’esprit de chacun; on peut douter, enfin, que (1) ne ressortisse qu’au sentiment et (2), seulement au concept.

En fait, la question est de savoir de quelle nature sont les catégories de beau et d’art que l’on utilise dans nos jugements empiriques. Évidemment, quant à “beau”, Kant écarte l’empiricité. Il vise le jugement pur, puisque le jugement esthétique est, pour lui, le type de jugement qui exemplifie le jugement en général et dans sa pureté. Le beau présupposé dès l’entrée de son propos est déjà un beau purifié, une catégorie pure telle qu’elle fonctionne dans le jugement pur. Pour revenir à la convention évoquée en commençant, ce qui nous intéresse ici, c’est un jugement empirique prononcé devant un objet précis. Ce n’est pas seulement un jugement singulier en général, mais un jugement singulier prononcé dans un conditionnement pragmatique déterminé. Dans ce cas, l’individu qui prononce “Cette fleur est belle” ou “Ceci est de l’art” n’utilise pas un concept pur, indéterminé ou déterminé, mais disons une notion, quelque chose qui, comme le disait, Wittgenstein peut être flou tout en étant suffisant pour assurer la communication : “On peut dire, écrit-il, que le concept “jeu” est un concept aux limites effacées, un concept flou. – “Mais un concept flou est-il seulement un concept”? – Une photographie floue est-elle seulement l’image d’une personne? Y a-t-il avantage à remplacer une photographie floue par une qui soit nette? L’image floue n’est-elle pas souvent ce dont nous avons justement besoin?” (Wittgenstein 1986, § 71 : 150).

L’image mentale

Le flou dont il s’agit ici n’est toutefois pas le flou d’une image-objet. Le concept flou est porté par une marque linguistique qui est nette. Dans un autre langage, c’est le signifié, et non le signifiant, qui est flou. Je préfère toutefois me tourner vers Peirce pour traiter cette question. Je poursuis la citation précédente du paragraphe 2.295 des Collected Papers pour y puiser d’autres aliments à mon propos : “Pour montrer ce que cette définition compliquée signifie, prenons comme exemple de symbole le mot “aime”.” Rappelons que la définition compliquée c’est celle qui dit qu’“un symbole est un signe naturellement propre à déclarer que l’ensemble des objets dénotés par n’importe quel ensemble d’indices qui puisse lui être attaché de certaines façons, est représenté par une icône qui lui est associée”. Elle est “compliquée” parce qu’elle complique la définition du symbole en y intégrant les deux autres modalités du signe dont il s’agit justement de la différencier : l’indice et l’icône. Il convient de souligner que c’est dans cet aspect du système peircien que réside la difficulté de réinvestir Peirce dans un discours non exégétique : en isolant ce que le système unit, on risque la simplification; en unissant ce que le système sépare, on risque la complication. Mais par goût personnel, je fais de Peirce une lecture moins kantienne (par catégories) qu’hégélienne, par le mouvement de pensée – ne disait-il pas : “Ma philosophie ressuscite Hegel, quoique dans un étrange costume” (CP 1.42)… De ce point de vue, on préfère la productivité des catégories plutôt que leur classification, la systémique conceptuelle plutôt que la systématique catégorielle.

On est parti de la définition du symbole à partir du mot qui est la réplique d’une “loi acquise” pour l’interpréter : “homme” est un signe parce qu’on a l’habitude d’interpréter cette réplique comme signifiant un homme (CP 2.292). Aussitôt après, il est apparu nécessaire d’introduire la fameuse complication : le symbole n’existe qu’en se matérialisant dans des individus et nous informe sur leurs qualités; le symbole doit “dénoter un individu et signifier un caractère”. Cependant, on peut aussi discerner le symbole authentique, “qui a une signification générale”, et “deux sortes de symboles dégénérés, le symbole singulier dont l’objet est un individu existant, et qui signifie seulement les caractères que cet individu peut réaliser; et le symbole abstrait dont le seul objet est un caractère.” En d’autres termes, il semble qu’on ait ces quatre possibilités de définition du symbole :

  1. le symbole en tant que loi en général : “homme” signifiant un homme;

  2. le symbole en tant qu’il s’applique à un individu : “homme” pour désigner tel homme;

  3. le symbole en tant qu’il s’applique à un individu et informe sur ses qualités : “homme” pour désigner tel homme et informer qu’il a la qualité d’homme;

  4. le symbole en tant qu’il dénote une qualité : “homme” pour informer que quelque chose (quelqu’un) a la qualité d’homme.

Les trois cas b, c et d expriment en diverses combinaisons possibles le fait qu’“un constituant d’un symbole peut être un Index, et un constituant peut être une Icône”. Le cas qu’évoque Peirce en 2.295 concerne la situation c, c’est-à-dire, cette fois, le recours nécessaire aux deux constituants supplémentaires :

Associée à ce mot [“aime”], il y a une idée qui est l’icône mentale d’une personne en aimant une autre. Maintenant il nous faut comprendre que “aime” se trouve dans une phrase; car ce qu’il peut signifier en lui-même, s’il signifie quelque chose, n’est pas ce qui est en question. Soit la phrase : “Ézéchiel aime Houlda”. Ézéchiel et Houlda doivent donc être ou contenir des indices; car sans indices il est impossible de désigner ce dont on parle. Une description superficielle ne préciserait pas si ce sont simplement des personnages d’une ballade; mais qu’ils le soient ou non, les indices peuvent les désigner. Or, l’effet du mot “aime” est que la paire d’objets dénotés par la paire d’indices Ézéchiel et Houlda est représentée par l’icône, ou l’image que nous avons dans l’esprit, d’un amoureux et de sa bien-aimée.

Peirce parle ici d’“icône mentale”. À “Ézéchiel aime Houlda” sont associées une paire d’indices et une icône mentale. Cette altération du symbole pur, en général, ne retire strictement rien à la fonction symbolique : “aime” continue à fonctionner comme loi pour la signification de la phrase considérée, mais ce fonctionnement exige ici l’ancrage de l’indicialité, de la référence existentielle (peu importe qu’il s’agisse ou non d’existants fictifs), ainsi que l’activation d’un donné mental, de sa référence thématisante (qui peut agir aussi bien dans une représentation réelle que mentale).

“Ceci est de l’art”

Cette phrase propose une situation sensiblement différente d’“Ézéchiel aime Houlda”, outre la disparité des répliques de symbole utilisées : dans la convention où je me situe, il y a, en plus de la phrase, l’objet visé qui est un objet au sens d’une chose concrète. L’indice “Ceci” établit directement la connexion avec cette chose concrète. Mais cette situation n’est pas un empêchement à l’activation de l’iconicité. Peirce s’est interrogé sur la sorte d’image qui présuppose elle-même cette sorte de connexion : la photographie, du moins instantanée. Les théoriciens de la photographie en ont même fait leurs choux gras, considérant toutefois à tort que Peirce aurait considéré ce médium comme indiciel plutôt qu’iconique. Mais on sait que le sémioticien, outre qu’il spécifiait “photographie instantanée”, considérait que son indicialité mécanique, la connexion physique entre le sujet et la photo par l’entremise du déclic de l’appareil, caractérisait plutôt une manière d’accès à l’iconicité pour la photographie, la copie du peintre sur modèle en étant, d’ailleurs, une autre (moins mécanique, fabriquée dans un laps de temps plus long).

Comment l’iconicité est-elle présente dans “ceci est de l’art”? Le premier réflexe est de l’accrocher à “art” – la désignation de tel objet comme art est accompagnée par une image mentale de ce qu’est l’art. Mais, avant d’en venir là, puisque c’est là où je veux en venir, on peut aussi s’interroger sur l’iconicité du mot “est”. On évacue la question si on considère ce mot comme simple copule : “simplement la forme accidentelle que la syntaxe peut prendre” dit Peirce (2.319 : 183), “purement formelle” à la différence du sujet et du prédicat (2.343 : 196). Cependant, Benveniste souligne qu’il convient de distinguer pour “être”, “la “copule”, marque grammaticale d’identité” et “un verbe de plein exercice”, et donc de “préciser s’il s’agit de la notion grammaticale ou de la notion lexicale” (1966 : 185-86). On notera d’ailleurs que, alors même qu’il affirme que le contenu d’être (being) est vide dans les propositions où le verbe sert de copule, Peirce note que “la copule (ou plutôt le verbe qui est copule dans l’un de ses sens) signifie ou bien est actuellement ou bien serait dans des phrases comme “Il n’est pas de griffon” et “Un griffon est un quadrupède ailé”” (1.548 : 288). Être peut avoir beaucoup d’autres sens et, en tant que verbe à part entière, au-delà de la simple forme copulative, il peut s’analyser comme “aime” dans la comptine évoquée par Peirce. Être peut signifier, dans le genre de phrase qui nous intéresse, ou bien être-là, le fait d’être (au lieu de ne pas être), ou bien exister comme, ici comme objet, évoquant donc l’image de ce qui existe ou celle de la possession d’un certain mode d’existence. Pour “Ceci est de l’art”, le fait que la chose existe est déjà impliqué dans l’indicialité de la phrase (même si on désignait sans regarder quelque chose que quelqu’un est en train d’escamoter) et l’essentiel réside dans le fait qu’on peut supposer statistiquement que le locuteur associe “est” à la forme canonique de l’oeuvre d’art, tandis que certaines configurations inhabituelles (installation ou autre) nécessiteraient un ajustage plus ou moins pénible, une décision même.

Cependant, on voit bien que l’icône mentale que l’on associe à “est”, en l’occurrence, est solidaire de celle que l’on associe à “art”, à la conception que recouvre ce mot, à sa définition. Il y a dissociation si une certaine conception de l’art impliquant qu’il est le produit du travail d’un peintre ou d’un sculpteur rencontre un objet qui ne l’est visiblement pas, par exemple un urinoir. Cela signifie que le “exister comme objet” présupposé dans ma phrase est insuffisant; “est de l’art” y ajoute toutes sortes de présuppositions possibles sur la définition de l’art et cela devient peut-être : “est un tableau ou une sculpture” ou “est un objet produit par un peintre ou par un sculpteur”. On verra tout à l’heure que c’est encore insuffisant : un peintre ou un sculpteur peuvent produire des objets qui ne sont pas reconnus par un expert comme art. Mais, pour l’instant, je ne m’intéresse pas encore à l’expertise (ni évidemment à ses conditions sociales, institutionnelles ou autres : à ce sujet je renvoie à mes livres L’Art comme fait social total [1998] et Qu’est-ce que l’art? [2000]). Je m’intéresse plutôt à la manière dont fonctionne la sémiotique de “Ceci est de l’art” indépendamment des instances judicatives qui en règlent collectivement (socialement) la valeur de vérité.

On a beaucoup discuté, dans le cadre de l’esthétique anglo-saxonne, autour de la définissabilité de l’art, pour la plupart du temps conclure à son indéfinissabilité. On peut suivre Goodman lorsqu’il souligne que, dans ces débats, on ne distingue pas assez la définition scientifique de la définition ordinaire (qu’il appelle préscientifique [1972 : 134]). Je n’y vois toutefois pas de quoi redonner l’espoir d’une définition scientifique, au terme d’un travail intellectuel quelconque; à la fin de ce texte je parlerai de l’instance dont dépend le verdict de cette définition, et ce n’est aucune science, de l’art ni d’autre chose. Ce que je tire de la réflexion de Goodman, c’est plutôt l’idée qu’une définition n’est pas nécessairement scientifique. L’argument contre la définition de l’art que l’on tire du fait qu’elle est floue se retourne dès lors que l’on admet – j’en reviens à cette idée – qu’une définition floue est encore une définition. Qui plus est, du côté d’un récepteur ordinaire, la définition, non scientifique, contraire à toute expertise même, peut être d’une fermeté absolue : pour moi, l’art c’est cela, pas autre chose, et contre vents et marées, je persiste et signe. C’est là, on l’a vu aussi, que le jugement sur l’art rejoint le jugement de goût : la conviction personnelle envers son propre sentiment échappe à toute discussion. Hume, qui le disait, s’intéressait surtout à la manière dont, par-delà cette autovérité du sentiment, pouvait se construire une norme universelle (disons sociale) du goût. Or, il y a une autre manière de s’élever à cette sorte de règle ou de loi : par derrière toute définition individuelle (de l’art par exemple), il y a le travail mental qui vise à ériger en loi ce qui n’est qu’une appréciation personnelle. Ma conviction sur ce qu’est l’art peut procéder de mes affects ou de déterminations culturelles et, plus sûrement des deux (que, d’ailleurs, je prends les uns pour les autres). En tout cas, elle fonctionne comme loi, comme symbole. Cela veut dire qu’elle ne s’applique pas qu’une fois sur un seul objet, mais qu’elle est applicable à toutes sortes d’autres objets, maintenant et dans le futur (“un symbole est une loi, ou régularité du futur indéfini”, 2.293). “Ceci est de l’art” veut dire : à la chose qui est devant moi et que je suis en train d’examiner j’applique la définition qui convient à ce que j’ai l’habitude de tenir pour de l’art et que je tiendrai à l’avenir pour tel, jusqu’à nouvel ordre.

Les notions d’icône, d’indice et de symbole ont la particularité de s’appliquer sur plusieurs plans dont l’entrelacement compose le substrat sémiotique de la communication. De même que “art” est un symbole en tant que mot (une réplique de symbole, plus précisément) et un symbole en tant que support d’une définition de l’art, la phrase “Ceci est de l’art” comporte deux relations indicielles, l’une apportée par le déictique “Ceci”, l’autre par le fait qu’entre art et l’objet ainsi visé se noue la relation indicielle de l’ordre du symptôme : cet objet qui est devant moi, si je le considère comme de l’art, joue le rôle de représentant de cette catégorie, d’indice ou de symptôme. Goodman dirait, pour ce second cas, que l’objet est un échantillon de l’art, qu’il l’exemplifie, ou encore que ses propriétés sont des symptômes de l’art : c’est pour lui ce qui constitue l’art comme symbole. La position de Peirce me paraît plus précise et plus cohérente : ce qui constitue le symbole, c’est le fait de supposer une proposition générale par derrière l’indicialité, comme “Il n’y a pas de fumée sans feu” par derrière le lien indiciel entre la fumée et le feu. Ce qui est vrai c’est que si je n’identifie pas un objet ou certaines de ses propriétés comme symptôme de l’art, je ne risque pas de le considérer symboliquement comme art à moins que j’apprenne, par les études ou la pression sociale, à appliquer la bonne règle à cet objet dont je considérerai ensuite un exemplaire analogue comme symptôme de l’art. Autrement dit, il est nécessaire de posséder la bonne loi, la bonne définition, pour que fonctionne la bonne indicialité.

L’icône mentale de l’art

Je nuancerai ce qui précède en disant que pour prononcer le jugement “Ceci est de l’art”, il faut disposer d’une loi tout court, d’une loi quelconque, même si elle n’est pas bonne, même si elle est réfutée par l’expertise. Ma définition de l’art comme “c’est un objet produit par un peintre ou par un sculpteur” n’est plus valable aujourd’hui, mais je peux très bien persister à la faire fonctionner comme loi dans mes expériences esthétiques, pour évaluer les objets qui sont soumis à mon examen. Et j’en arrive ici au coeur de mon exposé, c’est-à-dire à l’icône mentale associée à art. La différence essentielle entre la bonne définition et celle qui ne l’est pas réside non pas dans les modalités de leur application comme loi, mais dans le degré de leur vérificabilité à l’aune d’un critère qui est ici principalement celui de l’expertise (mais qui peut être aussi celui de l’appartenance à une certaine communauté peu ou prou réfractaire aux décisions des experts, des élites). Il est vraisemblable que l’icône mentale d’un expert de l’art, tel qu’il existe aujourd’hui, comporte une grande richesse en icônes mentales non moins que diverses opérations d’abstraction conceptuelle réduisant ces icônes à la définition de l’art. Par opposition, l’icône mentale peut être très rudimentaire, floue, voire même contraire au “bon sens”.

Je prendrai deux exemples. Je visitais, il y a quelques années le Musée Dali de Figueras. Je contemplais une gravure de l’artiste, à côté de deux personnes. L’une des deux dit à l’autre : “C’est du Picasso!” Plus récemment, désirant me rendre dans un magasin de bricolage, je m’enquis par téléphone de l’itinéraire pour s’y rendre. L’employé qui me répondit m’expliqua que je devais tourner en arrivant à un grand rond-point. Il ajouta : “C’est facile à trouver, il y a une grande sculpture africaine!” Cette supposée “statue africaine”, c’est une sculpture monumentale de Dubuffet. Dans les deux cas, j’ai discrètement souri. Symboliquement, en perspective de l’expertise, ces jugements sont faux, mais, à la réflexion, ils ne sont pas dénués de toute pertinence. Les gravures de Dali sont plus sombres et plus abstraites que sa peinture; la personne dans le Musée voulait sans doute dire que, par rapport aux formes analogiques et aux couleurs flamboyantes des tableaux, ces gravures se rapprochent de Picasso. De même, la sculpture de Dubuffet a des caractéristiques de forme et de couleur que l’on peut rapprocher des objets africains. Certes, dans ce cas comme dans le précédent, il faudrait plus précisément dire : “c’est comme Picasso” ou “c’est comme une sculpture africaine”. Ce “comme” c’est celui de la ressemblance ou mieux de l’analogie (ressemblance dans la différence); son élision donne à la proposition une forme apparente d’identité qu’il ne faut toutefois pas prendre trop à la lettre. Car, ce qui permet d’identifier Picasso à propos de Dali ou l’art africain à propos de Dubuffet est de l’ordre de l’icône mentale que nous associons, pour Peirce, à “aime”, soit “l’image que nous avons dans l’esprit, d’un amoureux et de sa bien-aimée.” L’image dans l’esprit de Picasso ou de la statue africaine est activée dans les deux exemples précédents.

Je forme l’hypothèse que, lorsque nous disons “Ceci est de l’art”, c’est ce genre d’activation d’images mentales qui nourrit notre concept d’art, qui détermine donc nos définitions de l’art, du moins celles qui ne sont pas régulées par l’expertise. À l’exemple des cas précédents, nous mobilisons diverses évocations de phénomènes artistiques (ou considérés comme tels) qui tiennent lieu de notion de l’art. Certes, le mot art est un symbole du langage susceptible d’un usage général. Kant dit que “le concept de chien signifie une règle d’après laquelle mon imagination peut exprimer en général la figure d’un quadrupède, sans être astreinte à quelque chose de particulier que m’offre l’expérience, ou mieux à quelque image que je puisse représenter in concreto” (1944 : 153). Cette exclusion de “l’image in concreto” comme ingrédient du concept est justifiée du point de vue de l’efficacité de la communication – comme dit Leibnitz, “il est impossible que chaque chose particulière puisse avoir un nom particulier et distinct; outre qu’il faudrait une mémoire prodigieuse pour cela, au prix de laquelle celle de certains généraux, qui pouvaient nommer tous leurs soldats par leur nom, ne serait rien” (Livre III, chap. II, § 1, 1847 : 296 ). Mais, on peut penser que le contenu associé au mot, outre la possibilité d’un emploi général, n’exclut pas aussi radicalement l’image, qu’elle s’en nourrit même. Des théoriciens d’inspiration wittgensteinienne, tel Eleonor Rosch, ont montré que notre concept de chien se résume dans les meilleurs exemples de la catégorie, les “chiens plus chiens que d’autres (more doggy)” (1976; cf. aussi Boltanski 1982 : 464-465), le retriever pour les Américains. Mais, il reste à expliquer comment, en l’absence de toute généralité cognitive préalable, nous sommes parfaitement capables de ranger sous la catégorie de chien les autres sortes de chien que le retriever. Plus précisément que le “principe d’économie cognitive” défendu par Rosch comme base de la “catégorisation prototypique”, on trouve une réponse satisfaisante dans la théorie des images mentales de Piaget-Inhelder (1963, 1966; cf. aussi Michel Denis 1979 : 19) qui, au lieu d’opposer comme Kant le schème à l’image, définit l’image mentale elle-même par un processus de schématisation vis-à-vis du donné perceptif : la sélection de certaines propriétés du chien contribue à la construction d’un schème figuratif qui fonde la formation ultérieure des images mentales du chien; loin qu’un tel schème soit tout d’un bloc, il serait plutôt à géométrie variable, différents traits sélectionnés pouvant être mobilisés dans certaines situations cognitives ou affectives, d’autres restant en réserve.

La schématisation explique comment une ou des images mentales servent de généralité pour l’emploi du mot chien. Peirce emploie un autre mot, celui de diagramme, et en offre une analyse très poussée, d’une grande portée explicative. Pour le sémioticien, il y a deux grandes branches du raisonnement, “le raisonnement par imagination et le raisonnement par expérience; ou encore le raisonnement par diagrammes et le raisonnement par expérimentation” (CP 4.74). Un terme, dit-il encore, dénote des propriétés et renvoie à tout ce qui les possède; il “dirige l’attention vers une idée, ou diagramme, de quelque chose possédant ces propriétés” (CP 2.341). Plus précisément, le diagramme est ce qui constitue la systémique sous-jacente au concept : “En général, l’esprit affirme que le sentiment ou idée d’hier et celle d’aujourd’hui appartient à un système, dont il forme une conception. Un concept n’est pas un simple fouillis de particuliers, – ce n’est que sa forme la plus grossière. Un concept est l’influence vivante sur nous d’un diagramme, d’une icône, dont les différentes parties sont reliées dans l’esprit en nombre égal aux sentiments ou idées. La loi de l’esprit est que ces sentiments ou idées s’attachent entre eux dans la pensée afin de former des systèmes” (CP 7.467). Il ajoute que ce noyau iconique du concept n’est pas forcément bien formé, qu’il peut être flou. Mais il joue aussi un rôle fondamental dans le raisonnement. De fait, “le raisonnement mathématique est diagrammatique”, en algèbre comme en géométrie (CP 5.148). Un schème de raisonnement comme Dictum de omni, mobilise “un diagramme mental représentant des réceptacles ou des espaces successivement inclus dans les autres” (CP 4.77). Deux questions se posent : l’exactitude du diagramme et sa vérité par rapport à ce qui est représenté. L’analyse interne atteste l’introduction “d’abstractions convenables de nos diagrammes telles que les propriétés d’un diagramme peuvent apparaître dans un autre comme des choses”; c’est ainsi que nous pouvons traiter les opérations elles-mêmes comme le sujet d’opérations (CP 5.162). Un diagramme est iconique – “un diagramme doit être aussi iconique que possible; c’est-à-dire qu’il doit représenter des relations par des relations visibles qui leur sont analogues” (CP 4.433) – et le diagramme est une variété d’icône, ou plutôt hypoicône si on le considère dans la pure priméité (CP 2. 276). Le terme d’hypoicône est introduit au sujet d’un tableau considéré en soi, “sans légende ni étiquette”, dans sa priméité, et spécifié en trois catégories, les images, “qui font partie des simples qualités ou premières priméités”, les diagrammes, “qui représentent les relations, principalement dyadiques ou considérées comme telles, des parties d’une chose par des relations analogues dans leurs propres parties” et les métaphores, “qui représentent le caractère représentatif d’un representamen en représentant un parallélisme dans quelque chose d’autre” (CP 2.277). En outre, conformément à l’intrication sur plusieurs plans des notions d’icône, d’indice et de symbole, le diagramme, par-delà son caractère iconique, “est principalement une icône et une icône de relation intelligible”, “une icône des formes de relation constitutives de son objet”, “bien qu’il aura normalement des traits symboliques [les lettres dans un diagramme concret], aussi bien que des traits approchant la nature des indices” (CP 4.531).

Voici comment, sur la base des propositions peirciennes, je propose à mon tour de représenter la manière dont l’esprit fonctionne lorsque nous disons “Ceci est de l’art” (mais, tout aussi, bien, le jugement peut rester muet).

  1. L’esprit recèle un réservoir plus ou moins important d’icônes qui sont des prototypes mentaux de l’art, c’est-à-dire qu’elles sont les meilleurs représentants dans l’esprit de ce que l’on tient pour art. C’est le rôle que jouent les images mentales tirées de Picasso ou de la sculpture africaine dans mes deux exemples. Elles peuvent subsumer à elles seules l’idée d’art, en l’occurrence plutôt une idée de l’art moderne – sous-entendu : de quelque chose qui diffère de l’objet d’art classique ou canonique.

  2. Ces icônes ne sont pas des images complètes, à l’instar de celles que fournit le percept d’un objet, parce qu’elles sont schématisées dans l’esprit, c’est-à-dire réduites par abstraction. On n’a pas besoin d’icônes exactes, mais pas non plus de percepts exacts (le percept est exact en ce sens que les propriétés qu’il recèle sont là devant nous, mais, remarque Peirce, l’“inférence par ressemblance” est telle que “devant le dessin d’un étoile figurée par des lignes mais à quoi il manque une branche, l’esprit regarde naturellement ces lignes du point de vue d’un ensemble, ou figure régulière, à laquelle elles ne se conforment même pas” [CP 7.392]). On peut distinguer trois sortes de schématisations qui peuvent intervenir séparément ou ensemble :

    1. La schématisation par déficit : par rapport au référent de l’image, il manque des propriétés (abstraction défective) ou elles sont atténuées (abstraction affaiblissante), aussi saillantes (prototypiques) soient-elles. Un seul élément peut faire l’office, par exemple le souvenir d’un masque africain géométrisé et recouvert de couleurs.

    2. La schématisation par sélection : certaines propriétés peu ou prou saillantes sont retenues (abstraction individuelle), par exemple les yeux de travers d’un Picasso.

    3. La schématisation par diagramme : l’accent est mis maintenant sur la relation entre les propriétés retenues dans l’image (abstraction relationnelle), par exemple une forme spéciale, à la fois géométrique et déstructurée à l’aune d’un forme harmonique. Cela va jusqu’au diagramme symbolique, comme la croix du Christ.

  3. L’application de ces icônes à un cas qui nous est présenté peut se réaliser littéralement ou métaphoriquement. Littéralement, lorsque, ayant dans l’esprit l’image ou le diagramme d’un Picasso on l’applique à un autre Picasso. Métaphoriquement, dans l’application de l’icône Picasso à un Dali.

  4. Un réservoir d’icônes mentales en comporte un nombre plus ou moins grands. De leur coprésence dans le réservoir, résultent diverses relations qui, à leur tour, peuvent donner lieu à l’abstraction diagrammatique. Du diagramme qui résulte de plusieurs icônes mentales, elles-mêmes transformées, peuvent procéder une ou des icônes mentales dont l’abstraction supérieure peut être représentée par un terme générique, comme “impressionnisme”, voire par aucune étiquette connue.

  5. Les icônes d’un réservoir mental forment peu ou prou un système, c’est-à-dire un super-diagramme plus ou moins organisé. Cela va de l’ensemble des objets simplement réunis, du syncrétisme qui juxtapose et combine, à une systémique consciente. Un tel système ou l’un de ses éléments servent de fondement au concept d’art : si j’identifie un cas à l’aide d’une icône, d’un diagramme ou d’un système intériorisé de l’art, je peux désigner ce cas avec le concept d’art – au vrai, avec une réplique de ce symbole, le mot “art”.

Quelques mots sur l’expertise

Ce qui différencie le statut de l’expert en art vis-à-vis du “profane”, c’est sans doute que la systémique des icônes mentales qu’il utilise et construit est beaucoup plus sophistiquée, à la fois plus abstraite et plus complexe, parce qu’elle est sans cesse mise en travail. L’expert constitué a déjà effectué ce travail, mais il continue à s’y adonner au fil des expertises. Il serait inexact de dire que la représentation prototypique disparaît complètement dans ce cas. Cette sorte de représentation ayant à voir avec le goût, elle participe encore de la constitution même de l’expert, à ceci près qu’elle obéit à un processus de raffinement (à travers lequel, disait Hume, les experts donnent la norme du goût). Sans donc renoncer à cette attitude proprement esthétique, l’expert intègre dans son esprit toujours plus d’icônes mentales qu’il diagrammatise, dont il affine l’analyse, qu’il compare et transforme réciproquement à l’aune d’un processus correcteur; corrélativement, la schématisation s’accentue, l’abstraction généralisante relative au concept d’art prend le pas sur l’abstraction individuelle. Notamment, le concept d’artistique tel qu’il est défini par les instances judicatives dans l’état donné d’une société prend une plus grande importance. D’où le rejet des jugements métaphoriques du profane, comme Picasso pour Dali, la statue africaine pour Dubuffet. Le raffinement conduit vite à trouver antinomiques Picasso et Dali, même quant aux gravures, ou à ne voir, au mieux, qu’une relation mimétique (emprunt, modélisation, etc.) entre une sculpture de Dubuffet et une statue africaine. En même temps que s’opèrent ces reclassements, le concept d’art s’affine, se précise. Sa supposée indéfinissabilité est, en fait, sa complexification (comme on le voit dans les écrits mêmes des esthéticiens analytiques comme Weitz). Une peinture n’est pas appréhendée comme artistique en tant que peinture, mais en tant que picturalité, à l’aune de l’histoire de l’art.

Il ne faut pas pour autant confondre l’expertise esthétique relative à l’art avec une expertise cognitive. Elles se mélangent dans les propositions des historiens de l’art ou des critiques. Néanmoins, amalgamées de fait, elles se distinguent en droit. Il y a, certes, une part de cognitif dans l’expertise au sujet de l’art, parce que le processus de constitution du répertoire est propice à l’augmentation de la connaissance et que, réciproquement, celle-ci contribue à l’accroissement et au perfectionnement du répertoire. Peirce, en même temps qu’il concède son ignorance en esthétique, résume très bien le paradoxe fondateur de la posture d’esthète, lorsqu’il suppose que “l’état d’esprit esthétique est le plus pur quand il est parfaitement naïf sans aucune déclaration esthétique, et que la critique esthétique fonde ses jugement sur l’effet que produit le retrait sur un tel état naïf, – et le meilleur critique est l’homme qui s’est entraîné lui-même à le faire le plus parfaitement” (CP 5.111). Il s’agit de s’entraîner à ressentir dans l’immédiation, comme naïvement, en tout cas iconiquement. Identiquement, à son niveau classificatoire plutôt que descriptif, le concept d’art est lui-même appréhendé dans une sorte de spontanéité, certes acquise, mais qui fonctionne comme si elle était une science infuse, par intuition au sens de la “seconde nature”. L’icône est, on le sait, pour Peirce la seule façon d’accéder directement aux idées : l’icône qui, dans notre esprit, tient lieu de concept d’art nous permet de nous exprimer sans avoir à récapituler à chaque fois la chaîne argumentative qui devrait le justifier.