Volume 70, Number 1, 2024 La collaboration dans les pratiques de recherches en violence conjugale : un vecteur de changement Guest-edited by Sonia Gauthier, Valérie Meunier, Sylvie Lévesque, Caroline Robitaille and Geneviève Lessard
Table of contents (12 articles)
Introduction
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Des pratiques et des recherches inspirantes pour favoriser la collaboration en violence conjugale
Geneviève Lessard, Caroline Robitaille, Sonia Gauthier, Valérie Meunier and Sylvie Lévesque
pp. 1–15
AbstractFR:
Ce texte introduit le numéro thématique de la revue Travail social sur la collaboration dans le domaine de la violence conjugale (VC). L’importance de la collaboration entre les différents acteurs est reconnue depuis plusieurs années en VC. Déjà, en 1985, la Politique d’aide aux femmes violentées du ministère de la Santé et des Services sociaux faisait de l’intervention en concertation un mandat prioritaire. Depuis, le rapport Rebâtir la confiance et la nouvelle stratégie gouvernementale 2022-2027 qui en découle, ont encore une fois rappelé la nécessité de la collaboration entre les ressources d’aide communautaires, institutionnelles et juridiques afin d’offrir une aide intégrée, cohérente et continue aux personnes touchées par la VC. Pourtant, la mise en oeuvre de pratiques collaboratives continue de poser des défis et les initiatives novatrices visant à soutenir ces pratiques demeurent peu documentées. Ce numéro spécial, initié par l’équipe de recherche en violence conjugale (FRQ-SC) rattachée au centre de Recherches Appliquées et Interdisciplinaires sur les Violences intimes, familiales et structurelles (RAIV), contribue au partage d’expériences prometteuses en matière de collaboration dans le domaine de la VC. Il met également l’accent sur la reconnaissance des expertises complémentaires des milieux académiques et des milieux de la pratique, qu’ils soient communautaires ou institutionnels. Son objectif est de diffuser des pratiques inspirantes afin d’alimenter la réflexion critique d’une grande diversité d’acteurs et d’actrices impliqués dans le domaine. Il comprend plusieurs récits de pratique, mais également quelques articles présentant des résultats de recherche originaux qui témoignent des initiatives prometteuses susceptibles de transformer les pratiques.
EN:
This text introduces the Social Work journal special issue in the field of domestic violence (DV). The importance of collaboration between the various actors involved in DV has been recognized for many years. As far back as 1985, the Politique d’aide aux femmes violentées of the Ministère de la Santé et des Services sociaux made collaborative intervention a priority mandate. Since then, the report Rebâtir la confiance and the new government strategy 2022-2027 have once again reiterated the need for collaboration between community, institutional and legal assistance resources to offer integrated, coherent and ongoing help to people affected by DV. Yet the implementation of collaborative practices continues to pose challenges, and innovative initiatives to support these practices remain poorly documented. This special issue, initiated by the Domestic Violence Research Team (FRQSC) attached to the Centre de Recherches Appliquées et Interdisciplinaires sur les Violences Intimes, Familiales et Structurelles (RAIV), contributes to the sharing of promising collaborative experiences in the field of DV. It also emphasizes recognition of the complementary expertise of both academical and practical fields, be they community or institutional. Its aim is to disseminate inspiring practices in order to fuel the critical reflection of a wide range of actors involved in the field. It includes several stories of practice, as well as a number of articles presenting original research findings that bear witness to promising initiatives likely to transform practices.
Articles thématiques
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La prévention de la violence conjugale dans les organismes oeuvrant auprès des familles : déploiement de formations adaptées à différents milieux de pratique
Julie Lefebvre, Diane Dubeau, Myriam Dubé, Raymond Villeneuve, Christine Fortin, Christine Couture, Carolane Coulombe, Mei-Lissa Goudreau-Thibodeau and April Brum-Lalonde
pp. 16–34
AbstractFR:
Les personnes intervenantes dans les organisations engagées auprès des familles doivent parfois composer avec des situations où elles soupçonnent ou constatent un dévoilement de violence conjugale. Dans l’objectif de mieux outiller ces organismes, un projet a été mis sur pied en 2021 afin de déployer des formations en prévention de la violence conjugale dans des secteurs de services communautaires relevant du ministère de la Famille, dans les Centres de ressources périnatales et dans les organisations du Réseau Maisons Oxygène. Ce projet s’inscrit dans le Plan d’action spécifique pour prévenir les situations de violence conjugale à haut risque de dangerosité et accroître la sécurité des victimes 2020-2025 du gouvernement du Québec et est financé par le ministère de la Famille. Le Regroupement pour la Valorisation de la Paternité et le Réseau Maisons Oxygène sont les porteurs nationaux de ce projet. Cet article vise à présenter le processus, inspiré d’une approche participative, qui a mené à la création, au déploiement et à l’évaluation de formations offertes à ces organismes. Le coeur du processus repose sur un partenariat avec les organismes, alliant la recherche et la pratique, et permettant une offre de formations adaptées et pérennes. Après deux années, les résultats de l’évaluation indiquent l’atteinte des cibles en termes de livrables pour chaque secteur de pratique. Les formations présentent des taux de satisfaction élevés variant peu selon la modalité et la durée de celles-ci. De plus, à court terme, les personnes participantes perçoivent que les activités de formation auront un impact sur leur pratique. À moyen terme, les données disponibles semblent démontrer l’apport positif des formations tant sur les plans personnel que professionnel. Les résultats obtenus mettent de l’avant l’importance de l’implication de chaque partenaire en prévention de la violence conjugale, tout en considérant la réalité de chacun d’entre eux.
EN:
People working in organizations committed to helping families sometimes have to deal with situations where they suspect or witness the disclosure of domestic violence. In order to better equip these organizations a project has been set up in 2021 to deploy domestic violence prevention training in community service sectors under the authority of the Ministère de la Famille, in perinatal resource centers and in organizations belonging to the Réseau Maisons Oxygène network. This project is part of the Quebec government’s Plan d’action spécifique pour prévenir les situations de violence conjugale à haut risque de dangerosité et accroître la sécurité des victimes 2020-2025, and is funded by the Ministère de la Famille. The Regroupement pour la Valorisation de la Paternité and the Réseau Maisons Oxygène are the national carriers of this project. The aim of this manuscript is to present the process, inspired by a participatory approach, that led to the creation, deployment and evaluation of training courses offered to these organizations. The core of the process is based on a partnership with the organizations, combining research and practice, and enabling the provision of adapted and sustainable training. After two years, the targets in terms of deliverables have been met for each practice area. Satisfaction with the training courses varies little according to modality and duration. Moreover, in the short term, participants perceive that training activities will have an impact on their practice. In the medium term, the available data seem to demonstrate the positive contribution of training on both a personal and professional level. The results highlight the importance of each partner’s involvement in preventing domestic violence, while taking into account the reality of each partner.
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Formation de personnes-ressources et construction de réseaux de soutien : analyse d’une pratique prometteuse pour prévenir la violence conjugale par l’entremise du milieu de travail et pour soutenir les personnes qui en sont victimes
Dave Poitras, Béatrice Hénault-Arbour and Cynthia Nasr
pp. 35–59
AbstractFR:
Cet article se penche sur la formation et le rôle des personnes-ressources en milieu de travail qui ont pour tâches de sensibiliser leurs collègues à l’égard de la violence conjugale et de soutenir les personnes qui en sont victimes. Plus précisément, à partir d’entretiens semi-dirigés (n=21) avec des personnes formatrices chargées de déployer des programmes et des activités en matière de violence conjugale dans les entreprises, nous mettons en lumière le cas d’une pratique prometteuse en termes de prévention : la création et la mise en oeuvre d’un réseau de soutien pour les personnes-ressources. Ce réseau de soutien, nous argumenterons, est novateur en ce sens qu’il permet de remédier aux nombreuses limites de la formation de personnes-ressources qui, en raison de sa nature, est courte, offerte de manière ponctuelle et principalement théorique. Trois fonctions innovantes de ce réseau sont identifiées et discutées. Premièrement, il permet de maintenir à jour la formation initiale des personnesressources qui, en étant confrontées à peu de cas de dévoilement de situation de violence conjugale, voire à aucun, sont à risque de perdre leurs connaissances et leurs habiletés. Deuxièmement, il crée un lieu de partage de stratégies fondées sur un savoir expérientiel combinant la violence conjugale et la santé et sécurité du travail dans le but de contourner certains des obstacles rencontrés en milieu de travail. Troisièmement, il offre un soutien émotionnel permettant de se ressourcer et de discuter des cas les plus difficiles en toute confidentialité, une règle à laquelle sont tenues les personnes-ressources.
EN:
This article focuses on resource people whose task is to make their colleagues aware of domestic violence and to support individual victims of this phenomena. Based on information constructed through semi-structured interviews (n=21), we examine in this article the training and the role of resource people called upon to play a key role with regard to domestic violence in the workplace. More precisely, we highlight the case of a promising practice in this area: the creation and implementation of a support network for resource people. This support network, we will argue, is innovative in the sense that it makes it possible to remedy the many limitations of resource person training which, by its nature, is short, offered once and mainly theoretical. Three innovative functions of this network are identified and discussed: it makes it possible to 1) keep up to date the initial trainee of resource people who, by being confronted with few cases of disclosure of domestic violence cases, if any, are at risk of losing their knowledge and skills; 2) create a place to share strategies based on field experience and experiential knowledge combining domestic violence and occupational health and safety with the aim of circumventing some of the obstacles encountered in the workplace; and 3) offer emotional support allowing resource people to debrief and discuss the most difficult cases in complete confidentiality, a rule to which resource people are bound, which makes it difficult for them to discuss cases with colleagues in their own workplace since they could identify the victims of domestic violence.
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Quarante ans de collaboration et d’expertise en violence conjugale dans le contexte judiciaire : un récit de pratique du service Côté Cour
Sari Chengberlin, Caroline Robitaille, Jean-Thierry Popieul, Vicki Zorbas and Pascale Miljours-Mallette
pp. 60–75
AbstractFR:
Historiquement, les services d’aide et d’accompagnement aux victimes de violence conjugale et à leurs proches se sont développés de manière cloisonnée. Pourtant, les différents acteurs s’entendent maintenant pour reconnaître le caractère incontournable de la collaboration entre les organismes, mais également entre les différentes disciplines appelées à intervenir en contexte de violence conjugale. Dans ce contexte, le service Côté Cour a mis sur pied une pratique particulièrement singulière en misant, dès sa création en 1985, sur l’intervention sociojudiciaire auprès des victimes et de leur famille. À l’aube du quarantième anniversaire du service, ce texte fait le récit d’une pratique novatrice en se centrant sur trois contextes de collaboration. Il permet d’identifier les bénéfices de cette pratique collaborative pour les victimes, les principaux obstacles rencontrés ainsi que les enjeux soulevés par la collaboration. Le récit met également en lumière des éléments ayant favorisé le développement de cette pratique. Le fait d’avoir pu compter sur des ressources dédiées à la création de cette collaboration, sur l’existence d’espaces et de moments dédiés à la collaboration en sont quelques exemples. Un tel récit s’avère particulièrement pertinent dans le contexte du déploiement progressif des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle et de violence conjugale à l’échelle du Québec. Inspirés de la pratique mise au point par Côté Cour, la mise en place de ces tribunaux permettra certainement un meilleur arrimage des services aux victimes, mais pose aussi des défis pour lesquels l’expérience de Côté Cour ne peut qu’être bénéfique.
EN:
Historically, support and assistance services for victims of domestic violence and their families developed in isolation from one another. However, there is now agreement amongst the various players that collaboration is essential, not only between organizations, but also between different disciplines called to intervene in the context of domestic violence. Within this context, the Service of Côté Cour, since its inception in 1985, developed a unique and specific practice based on socio-judicial intervention for both victims and their families. On the eve of the Service’s fortieth anniversary, this text aims to give an account of an innovative practice by illustrating three areas of collaboration. It identifies the benefits of this collaborative practice for victims, the main obstacles encountered and the issues raised by this collaboration. This account also highlights the factors that encouraged the development of this practice. Being able to count on resources dedicated to the establishment and development of this collaboration and the perseverance, flexibility and openness to collaborative work, are just a few examples. This type of account is particularly relevant in the context of the gradual deployment of specialized sexual and domestic violence courts throughout Quebec. Inspired by the practice developed by Côté Cour, the development of these courts will undoubtedly lead to a better coordination of services to victims, but also poses challenges for which Côté Cour’s experience can only be valuable.
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Justice réparatrice et violences sexuelles ou conjugales au Québec : un appel à la réflexion
Laurence Marceau, Catherine Rossi and Mélina Beaulieu
pp. 76–102
AbstractFR:
Malgré le contexte sociopolitique fébrile des dernières années en ce qui concerne la question d’offrir ou non des possibilités de justice réparatrice en matière de violences sexuelles ou conjugales, il existe, depuis 2016 au Québec, un programme nommé « médiation spécialisée ». Créé par le réseau Équijustice, il offre des services de dialogue entre les victimes et les auteurs des violences – incluant les violences sexuelles et les violences conjugales – que la situation ait été judiciarisée ou non. Il a fait l’objet d’une étude en 2022, financée par le Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels (FAVAC).
Cet article fait état des résultats empiriques d’analyses secondaires de neuf entrevues qualitatives menées auprès de sept personnes ayant pris part à une démarche de dialogue en justice réparatrice offerte par Équijustice. Ces personnes, qui ont subi des formes de violences graves, de nature sexuelle – dont plusieurs en contexte conjugal – ont décidé d’entreprendre une démarche de justice réparatrice en dehors des institutions judiciaires; soit en amont, soit en aval, soit totalement en marge de la justice pénale. Les résultats permettent de mettre en exergue leur expérience et de mieux documenter les enjeux qui entourent leurs attentes et leurs craintes. Mais ils dévoilent également l’importance de la collaboration et de la concertation entre les acteurs institutionnels, communautaires et les chercheurs scientifiques dans la réponse à ces violences afin d’assurer la sécurité des personnes. L’article met en lumière l’intérêt du lien entre recherche et pratique dans le déploiement de ce type de programmes, sur lequel les opinions demeurent polarisées.
EN:
Despite the febrile socio-political context of recent years regarding the question of whether to offer restorative justice options for domestic or sexual violence, since 2016 in Quebec there has been a program called «specialized mediation». Created by the Équijustice network, it offers dialogue services between victims and perpetrators of violence - including sexual violence and domestic violence - whether or not the situation has gone to court. This program has been the subject of a study in 2022, financed by the Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels (FAVAC).
This article reports on the empirical results of secondary analyses of nine qualitative interviews conducted with seven people who had taken part in a restorative justice dialogue process offered by Équijustice. These people, who have suffered serious forms of violence of a sexual nature - many of them in a conjugal context - have decided to undertake a restorative justice process outside the judicial institutions; either upstream, downstream, or completely outside the criminal justice system. The results shed light on their experiences and document the issues surrounding their expectations and fears around this process. But they also reveal the importance of collaboration and concerted action between institutional and community actors and scientific researchers in responding to such violence, in order to ensure people’s safety. The article highlights the importance of the link between research and practice in the deployment of this type of program, in which opinions remain polarized.
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Améliorer la collaboration entre les milieux communautaires et judiciaires en violences sexospécifiques : la perspective des intervenantes communautaires
Sarah Thibault, Geneviève Pagé and Carole Boulebsol
pp. 103–131
AbstractFR:
Cet article explore les enjeux des collaborations intersectorielles dans l’accompagnement sociojudiciaire de femmes victimes de violences sexospécifiques (violences sexuelles, conjugales ou exploitation sexuelle), qui appartiennent à des groupes marginalisés (les communautés autochtones, noires, racisées, immigrantes, les personnes en situation de handicap, Sourdes ou encore les minorités sexuelles et de genre). À travers une recherche partenariale menée auprès d’intervenantes communautaires au Québec (n=48), il met en lumière les pratiques collaboratives intersectorielles et les défis rencontrés lors de l’accompagnement des femmes dans leurs démarches judiciaires. Les expériences des participantes ont été documentées par le biais de questionnaires et d’entretiens, individuels ou de groupe, menés entre le printemps 2020 et l’hiver 2021. Ancrée dans une perspective féministe intersectionnelle, l’analyse thématique des données a permis de dégager quatre principaux axes de collaboration : l’établissement de partenariats sous tension avec les milieux policiers, la coordination et la communication entre les différents secteurs, l’accompagnement des femmes dans leurs interactions avec les acteurs et actrices du système judiciaire et les initiatives de sensibilisation et de formation des professionnel·le·s. Les analyses révèlent que, bien que ces collaborations aient le potentiel d’améliorer l’accès à la justice, elles sont souvent entravées par des lacunes en matière de reconnaissance des rôles des intervenantes, des disparités régionales et par un manque de sensibilisation aux réalités des femmes marginalisées. L’article conclut en insistant sur quelques recommandations tirées des résultats et discutées à la lumière de la littérature scientifique et grise : renforcer les partenariats intersectoriels, intégrer une analyse féministe intersectionnelle dans les pratiques judiciaires, et soutenir les organismes communautaires afin de garantir un accès équitable à la justice pour toutes les femmes qui le souhaitent.
EN:
This article explores intersectoral collaborations in the context of sociojudicial support for women victims of gender-based violence (intimate violence, sexual violence, and sexual exploitation) who are members of marginalised groups (racialised, native, immigrant, disabled, deaf and 2SLGBTQIA+ communities). Following a partnership-based research conducted with social/community workers in Quebec (n=48), it highlights intersectoral collaborative practices and challenges encountered while supporting women in their legal proceedings. Participants’ experiences were documented through a survey and individual and collective interviews conducted between the spring of 2020 and the winter of 2021. Grounded in an intersectional feminist perspective, the thematic analysis of the data allowed us to identify four main axes of collaboration: the creation of tension-rig partnership with the police force, coordination and communication across different sectors, support for women in their interactions with actors of the judicial system, and awareness-raising and training initiatives for professionals. Our analyses reveal that, although these collaborations have the potential to improve access to justice, they are often impeded by shortfalls in the recognition of social/community workers’ role, regional disparities and a lack of understanding of the realities of marginalised women. This article concludes by insisting on a few recommendations taken from the results and discussed in relation to scientific and grey literature: the need to strengthen intersectoral partnerships, to integrate an intersectional feminist analysis in judicial practices, and to support community groups to ensure an equal access to justice for all women who wish it.
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Innovation sociale et services policiers : évaluation de l’implantation d’une initiative de collaboration sociojudiciaire ciblant la violence conjugale en Outaouais rural
Esther Painchaud and Célyne Lalande
pp. 132–155
AbstractFR:
Le service policier d’une MRC rurale québécoise a élaboré et implanté son propre programme en violence conjugale, intitulé MAINtenant ensemble dont l’objectif général est de contrer et de mieux répondre à la violence conjugale sur son vaste territoire. Une évaluation de l’implantation du programme a été réalisée après la première année, en partenariat avec l’Université du Québec en Outaouais. Le devis choisi est celui d’évaluation d’un cas adoptant une méthodologie mixte intégrée (majeure qualitative complétée avec données quantitatives) réalisée notamment par le biais d’observations non participantes et la conduction de cinq groupes de discussion regroupant les différentes parties prenantes du projet. Les résultats indiquent que, malgré certaines réticences initiales au changement des pratiques au sein du poste, le projet est maintenant généralement apprécié, voire une source de fierté. L’équipe spécialisée en violence conjugale, un important pilier du projet, effectue un travail de sensibilisation au poste, en se montrant disponible pour les questionnements des collègues et en les soutenant dans leurs interventions. Les principaux défis du projet résident pour leur part en la capacité à actualiser tous les volets du programme en raison des ressources limitées. Nous discuterons de ces résultats en termes de portée et de limites de ce type d’innovation sociale et proposerons quelques recommandations à cet effet.
EN:
The police department of a rural Quebec regional county municipality has developed and implemented its own domestic violence program, called MAINtenant ensemble. The overall aim of the project is countering and responding better to domestic violence in the vast territory of des Collines-de l’Outaouais. An implementation evaluation of the project was carried out after its first year, in partnership with the Université du Québec en Outaouais. The chosen approach was that of a case study evaluation, adopting an integrated mixed methodology (a major qualitative study supplemented by quantitative data) carried out notably through non-participant observations and the conduction of five focus groups bringing together the project’s various stakeholders. The results indicate that, despite some initial reluctance to change practices within the police department, the project is now generally appreciated, and even a source of pride. The team specializing in domestic violence, an important pillar of the project, is working to raise awareness within the service, making itself available to colleagues’ questions and supporting them in their interventions. For their part, the main challenges of the project lie in the ability to update all aspects of the program given the limited resources available. These results will be discussed in terms of the scope and limits of this type of social innovation, and a number of recommendations will be put forward.
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Le programme d’intervention jeunesse de Violence Info : récit de pratique sur les défis de collaboration rencontrés et les stratégies utilisées pour les surmonter
Pamela Alvarez-Lizotte, Tanya Larouche and Geneviève Lessard
pp. 156–173
AbstractFR:
Violence Info est un organisme communautaire à but non lucratif de Québec (Canada), qui a développé le Programme d’intervention jeunesse (PIJ 6-12). Ce programme d’une dizaine de rencontres individuelles s’adresse aux jeunes âgés de 6 à 12 ans qui sont ou qui ont été exposés à la violence conjugale pré ou postséparation. Dans le cadre de ce programme, les intervenantes doivent collaborer avec plusieurs personnes : les jeunes qui participent au programme, les mères victimes de violence conjugale, les pères qui ont des comportements violents et les milieux de pratique partenaires. Ces collaborations sont importantes et aidantes, puisqu’elles favorisent un meilleur soutien des intervenantes aux jeunes, en leur offrant des services mieux adaptés à leurs besoins. Toutefois, elles entraînent aussi parfois des défis. Certains des défis de collaboration sont documentés par la littérature, mais les stratégies qui sont développées par les milieux de pratique pour y faire face sont moins connues. Ce récit de pratique présente d’abord le programme et les collaborations qui y sont développées, puis met en évidence les principaux défis de collaboration auxquels est confronté Violence Info dans le cadre du PIJ 6-12 ainsi que les stratégies associées qui ont été élaborées par les intervenantes. Les défis dont il est question dans l’article concernent les obstacles rencontrés dans l’offre de services aux jeunes, les compréhensions différentes de la situation familiale par les personnes impliquées, les difficultés des jeunes à se confier et la méconnaissance des services de Violence Info. En conclusion, nous faisons part de recommandations qui, sur la base de l’expérience du PIJ 6-12, mériteraient d’être actualisées pour favoriser de meilleures collaborations et, par conséquent, une aide mieux adaptée aux besoins des enfants exposés à la violence conjugale.
EN:
Violence Info is a community organization based in Quebec (Canada), who has developed the program named « Programme d’intervention jeunesse 6-12 ans » (PIJ 6-12). This program of about ten individual meetings is offered to youths aged between 6 and 12 years old who live or have lived in a pre or postseparation intimate partner violence context. In this program, practitioners have to collaborate with some people: the youths who participated in the program, their mother victim of intimate partner violence, their father who has violent behaviours and partner organizations. These collaborations are important and helpful because they help practitioners provide better support for youths. However, they also provide some challenges. Some of these collaborative challenges are documented in the scientific literature, but the strategies developed by practice settings to deal with them are less well-known. So, after we present the program and the collaborations developed within it, our practive storytelling highlights the main collaborative challenges encountered in PIJ 6-12 and the related strategies developed by Violence Info’s practitioners. The challenges we present concern the collaboration with fathers who have violent behaviours, with mothers victims of intimate partner violence, with youths and with partner organizations. In conclusion, we share recommendations based on the experience of PIJ 6-12, which deserve to be deployed to have better collaborations and, consequently, give better assistance to youths who live in an intimate partner violence context.
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Réseau de collaboration intersectorielle en violence entre partenaires intimes : contributions de la théorie de l’acteur-réseau
Tatiana Sanhueza Morales, Nassera Touati and Lourdes Rodriguez del Barrio
pp. 174–200
AbstractFR:
Cette étude qualitative documente l’émergence et la mise en oeuvre d’une action intersectorielle locale pour faire face au problème complexe de violence entre partenaires intimes. Concrètement, nous analysons le déploiement d’un Plan d’action collectif en matière de violence conjugale et de violence dans les relations intimes chez les jeunes à Montréal-Nord 2022-2027, élaboré entre 2020 et 2021 par des acteur·rices appartenant à des organismes communautaires et à des organisations publiques oeuvrant sur le territoire. Notre analyse s’inspire de la théorie de l’acteur-réseau et repose sur une étude de cas. Cet article s’insère dans une étude plus large. Nous présentons ici les sources de données suivantes provenant : de 17 entretiens individuels et de l’observation participante (environ 60 heures). Les résultats montrent que certaines conditions ont favorisé l’émergence et le développement de la collaboration, et d’autres l’ont entravé. Des controverses de diverses natures renvoyant à des rapports de pouvoir et à des positions identitaires des acteur·rices constituent des enjeux à prendre en considération. Le rôle de la recherche est souligné et considéré comme un acteur (actant) exerçant une influence dans ce réseau sociotechnique. Des implications pratiques sont proposées.
EN:
This qualitative study documents the emergence and development of local intersectoral action to address the complex problem of intimate partner violence. Specially, we analyze the deployment of a Collective Action Plan on domestic violence and violence in intimate relationships among youth of Montréal-Nord 2022-2027, developed between 2020 et 2021 by stakeholder from community organizations and public institutions working in the territory. Our analysis is inspired by actornetwork theory and is based on a case study. This article is part of a broader study, we present here the following data sources: 17 individual interviews and participant observation (approximately 60 hours). The results show that some conditions favored the emergence and development of collaboration, and others hindered it. Controversies of various kinds referring to power relations and identity positions of the actors constitute issues to be taken into consideration. The role of research is highlighted and considered as an actor (actant) exercising influence in this sociotechnical network. Practical implications are proposed.
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Le partenariat de recherche CRIPCAS - À coeur d’homme : récit d’une pratique inspirante aux retombées multiples
Audrey Brassard, Natacha Godbout, Sabrina Nadeau, Mario Trépanier, Andrée-Anne Genest, Roxane Van Der Meerschen, Marie-France Lafontaine, Claudia Savard and Caroline Dugal
pp. 201–215
AbstractFR:
Les organismes spécialisés dans l’intervention auprès des auteurs de violence conjugale ont exprimé le besoin d’être accompagnés par des équipes de recherche afin de documenter la réalité des personnes utilisant leurs services et d’appuyer leurs pratiques sur des données empiriques. Leur connaissance approfondie des besoins de leurs usagers s’est développée en parallèle aux écrits scientifiques qui les inspirent dans l’élaboration et la mise à jour de leurs interventions. De leur côté, les chercheurs du milieu académique ont tout intérêt à tirer parti de l’expérience de ces organismes pour ancrer leurs connaissances dans les réalités du terrain, tout en orientant leurs questions de recherche selon les préoccupations des intervenants. Sur la base de ces constats, le partenariat de recherche CRIPCAS – À coeur d’homme a vu le jour. Il s’agit d’un exemple inspirant d’une collaboration recherche-pratique favorisant à la fois le développement des services et des connaissances en violence conjugale. À travers une démarche de collaboration partenariale, l’expertise des équipes de recherche est jumelée à celle des milieux de pratique. Un comité consultatif permet de concilier les impératifs de la recherche à la réalité et aux besoins du terrain. Sous la forme d’un récit de pratique, nous présentons les enjeux et les défis de la collaboration, ainsi que les facteurs de succès ayant permis de co-construire des projets novateurs contribuant au développement des savoirs et à l’amélioration des pratiques. Ce récit permet de faire la démonstration que les projets de recherche qui naissent d’abord des besoins concrets des milieux de pratique et qui les incluent tout au long du processus en mode co-construction représentent un potentiel d’impact réel sur les usagers dans la personnalisation et l’amélioration durable de la qualité des services psychosociaux qui leur sont offerts.
EN:
Community organizations specialized in interventions with perpetrators of intimate partner violence have expressed the need for support from research teams to document the experiences of individuals using their services and to substantiate their practices with empirical data. They have developed an in-depth understanding of the needs of their users, which has evolved alongside scientific literature that informs the development of their interventions. However, researchers in the academic field can benefit from leveraging the expertise gained by these specialized organizations to ground their knowledge in realworld contexts and to inform their research questions based on the concerns of practitioners. The research partnership between CRIPCAS and «À coeur d’homme» serves as an inspiring example of a researchpractice collaboration that promotes both service development and knowledge advancement in the field of intimate partner violence. Through a collaborative partnership approach, the research teams’ expertise is combined with that of practitioners. An advisory committee ensures that research imperatives align with the realities and needs of the field. In the form of a practice narrative, we present the challenges and outcomes of this collaboration, as well as the factors that have allowed for the co-creation of innovative projects contributing to the development of knowledge and the enhancement of practices. This practice narrative demonstrates that research projects, initially driven by concrete needs in the field and involving practitioners throughout the co-construction process, have the potential for a genuine impact on users by nourishing the long-term tailoring and improvement of the quality of psychosocial services offered to them.
Articles hors-thème
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La fabrique de l’autonomie dans deux hébergements en dépendance du milieu communautaire
Julien Thibault Lévesque
pp. 216–244
AbstractFR:
Cet article s’intéresse la fabrique de l’autonomie en contextes organisationnels. La recherche vise à comparer les demandes d’autonomie et les pratiques d’accompagnement au sein de deux ressources communautaires d’hébergement en dépendance – deux milieux de vie – dont les philosophies d’intervention sont contrastées : l’abstinence et la réduction des méfaits. Sur le plan théorique, l’étude s’inspire des recherches portant sur la construction de l’identité en contexte institutionnel, qui soulignent l’importance des récits, des normes et des structures organisationnelles dans la construction de l’identité. Plus précisément, nous utilisons le concept d’histoire type (formula stories) afin de mettre en lumière la construction des figures de « l’accompagné » et de « l’accompagnant » au sein des récits utilisés par les (pairs)-intervenants et (pairs)-intervenantes pour donner un sens à leur travail quotidien. L’emploi de méthodes ethnographiques, comprenant des entretiens semi-dirigés avec le personnel et des séances d’observation participante, nous a permis d’identifier deux formes d’autonomies communes aux deux ressources : « fonctionnelle » et « autogérée ». L’autonomie fonctionnelle se définit comme l’aptitude à remplir ses responsabilités au sein d’une (micro-) société et demande une adhésion à ses normes et règlements. L’autonomie autogérée vise, quant à elle, la gestion du parcours thérapeutique par la personne bénéficiaire elle-même ainsi qu’un fonctionnement indépendant des (pairs-)intervenants et (pairs-) intervenantes. L’étude soulève les paradoxes de l’exigence d’autonomie dans l ’ intervention en dépendance au sein de ressources d’hébergement, notamment en contexte de crise du milieu communautaire. En offrant une perspective dynamique et nuancée de l’autonomie, elle contribue ainsi à mettre en lumière ses conditions de possibilité sur le plan organisationnel.
EN:
This article focuses on the construction of autonomy in organizational contexts. The aim of the research is to compare autonomy demands and the support practices within two community housing resources for dependency – two living environments – with contrasting intervention philosophies: abstinence and harm reduction. Theoretically, the study draws on research regarding identity construction in institutional contexts that highlights the importance of narratives, norms, and organizational structures in identity formation. More specifically, we use the concept of formula stories to illuminate the construction of the «accompanied» and «accompanying» figures within the narratives used by the staff to give meaning of their daily work. Employing ethnographic methods, including semi-structured interviews with staff and participatory observation sessions, we identified two common forms of autonomy in both resources: "functional" and "self-managed". Functional autonomy is defined as the ability to fulfill responsibilities within a (micro-)society and requires adherence to its norms and regulations. Self-managed autonomy, on the other hand, aims at the management of the therapeutic journey by the service user and independent functioning from staff. The study highlights the paradoxes of the demand for autonomy in dependency intervention within housing resources, particularly in the context of a crisis touching community-based organisations. By offering a dynamic and nuanced perspective of autonomy, it contributes to shedding light on its organizational feasibility conditions.
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« Je n’avais personne d’autre qu’elle » : facteurs influençant la violence entre partenaires intimes chez les personnes de la diversité sexuelle et de genre
Valérie Roy, Samuel Gagné, Sylvie Thibault, Rebecca Angele and Claudia Fournier
pp. 245–270
AbstractFR:
Plusieurs recherches montrent que les personnes LGBTQ+ sont surreprésentées parmi les victimes de violence entre partenaires intimes (VPI). Toutefois, la compréhension des facteurs de risque propres à ces communautés doit être approfondie. Cette étude examine, dans une perspective écologique et qualitative, ces facteurs de risque à partir des expériences de 64 personnes LGBTQ+ victimes de VPI. L’analyse révèle différents facteurs de risque individuels, dont les stigmatisations et les victimisations antérieures, ou proximaux, comme les relations au sein des réseaux LGBTQ+. L’hétérocisnormativité, sur le plan distal, apparaît comme un facteur clé, notamment dans la conception de la VPI. Ces facteurs influencent la capacité des personnes à reconnaître la violence, en plus de moduler leurs réactions face à cette violence. Cette étude contribue à la diversité des facteurs à considérer pour la prévention et le dépistage de la VPI chez les populations LGBTQ+.
EN:
LGBTQ+ people are particularly at risk for intimate partner violence (IPV). Understanding the risk factors specific to these communities requires however further research. This study examines these risk factors, from an ecological and qualitative perspective, based on the experiences of 64 LGBTQ+ victims of IPV. The analysis reveals various individual risk factors, including previous stigmatization and victimization, or proximal ones, such as relationships within LGBTQ+ networks. Heterocisnormativity, at a distal level, appears to be a key factor, particularly in the conception of IPV. These factors influence people’s ability to recognize violence, as well as modulating their reactions to it. This study contributes to the diversity of factors to be considered for the prevention and screening of IPV in LGBTQ+ populations.