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Introduction

Pour la jeunesse autochtone, la volonté d’accéder aux services de santé sexuelle est grandement influencée par les expériences qui lui sont propres. Cette dynamique entre le comportement de santé sexuelle et l’expérience est souvent reliée aux répercussions de leur histoire collective. Une histoire qui est construite à la base de politiques, c’est-à-dire, une politique de colonisation, de marginalisation, et d’assimilation. Ces relations sociopolitiques ont créé des états de santé sociaux, éducatifs et sexuels précaires chez les peuples autochtones et leurs jeunes. En effet, ces réalités historiques ont compliqué la relation entre les peuples autochtones et le système de santé canadien, créant ainsi une méfiance à l’égard du système lui-même et engendrant ainsi des refus envers l’accès aux divers services de prévention chez cette population. Il devient alors primordial que les preneurs de décisions politiques et les fournisseurs de soins de santé travaillent en collaboration avec les Première Nations, afin de mieux comprendre les conséquences de cette relation sur l’atteinte d’un état de santé optimal. Cette compréhension est particulièrement importante à un moment où le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) atteint des proportions épidémiques chez les jeunes autochtones canadiens. Donc, en plus de tenter de comprendre l’influence historique que posent les relations sociopolitiques sur l’accès aux services de prévention du VIH et les infections transmissibles sexuellement (ITS), il est important d’explorer les dynamiques multidimensionnelles du sexe, du genre et du lieu en ce qui a trait aux expériences des jeunes hommes et jeunes femmes autochtones.

Les fondements conceptuels du sexe, du genre et du lieu ont antérieurement été utilisés pour explorer les obstacles à l’accès des services de dépistage de VIH/ITS, les attitudes envers la coercition sexuelle, la perspective du risque pour la santé, la sexualité et la scolarité (Barth, Cook, Downs, Switzer, et Fischhoff, 2002; Few, 1997; Fine, 1988; Jardine, Boyd, et Frugal, 2009; MacPherson, et Fine, 1995; Shoveller, Johnson, Rosenberg, Greaves, Patrick, Oliffe, et Knight, 2009). En Colombie-Britannique, des chercheurs ont étudié les expériences de jeunes ayant accès au dépistage d’ITS et ont identifié la géographie, les préoccupations sur la confidentialité, le décor de la clinique, la crainte d’être dévoilé à cause de comportements sexuels risqués et la mauvaise information au sujet des méthodes de dépistage, comme barrières distinctes (Shoveller et al., 2009). Cette étude a aussi montré l’importance d’assurer des services de prévention de qualité qui répondent aux besoins de jeunes qui utilisent les méthodes de dépistage. En effet, peu des services considérés ont satisfait à ce critère lors de l’étude. Les chercheurs ont également révélé les facteurs socio-culturels et structuraux, en plus des facteurs relationnels du genre et du lieu, comme éléments déterminants de l’expérience des jeunes en contexte de prévention.

Malgré l’incidence élevée et la morbidité reliée au VIH et d’autres ITS chez les autochtones, il y a une pénurie de recherches sur les expériences subjectives de ces jeunes envers l’accès aux services de promotion et de dépistage. À l’instar de la recherche actuelle visant à comprendre les facteurs qui créent des obstacles à l’accès, la présente étude ajoute une importante enquête qualitative, en plus de décrire l’expérience des jeunes autochtones par rapport aux programmes de promotion de la santé sexuelle et de la prévention du VIH/ITS.

1. La colonisation, un important déterminant

Les contextes historiques telle la colonisation, l’assimilation et les écoles résidentielles ont eu un impact marquant sur la vie et la formation des jeunes autochtones. À cet effet, leurs attitudes à l’égard des divers paliers de la société (santé, éducation, justice, communauté) ont irrémédiablement été changées. Des réalités historiques de privations économiques et culturelles continuent à marginaliser cette population aujourd’hui. Les conséquences de nombreuses décennies de sévices liés à la violence physique, sexuelle et psychologique, en plus de la dégradation, de l’humiliation et du racisme font en sorte que concevoir une santé globale optimale devient très difficile. Les effets de la colonisation ont entraîné un traumatisme intergénérationnel parmi ces peuples et leur famille qui ont causé l’emprise des comportements à risque et l’augmentation des incidences de morbidité (violence, maladies chroniques, toxicomanie, suicide, VIH/ITS) (Collin-Vézina, Dion, et Trocmé, 2009). Un examen de collaboration entre les communautés des Premières Nations du Nouveau-Brunswick et le Bureau de l’Ombudsman provincial (2010) met en évidence les disparités de santé et les difficultés qui affectent l’atteinte du bien-être chez les jeunes autochtones de cette province.

Les jeunes autochtones figurent parmi les groupes les plus défavorisés au Canada. Ceci est en grande partie dû à l’histoire et à la colonisation (Boothroyd, Kirmayer, Spreng, Malus, et Hodkins, 2001; Collin-Vézina et al., 2009). Le résultat négatif sur l’état de santé qui découle de l’impact intergénérationnel devrait être suffisant pour souligner l’importance de comprendre la relation actuelle entre les services de santé du Nouveau-Brunswick et les jeunes autochtones. Par conséquent, le contexte sociopolitique et historique connu durant la colonisation doit toujours être considéré dans la formulation des meilleures pratiques de promotion de la santé et de prévention avec cette population. Ce processus d’intégration intergénérationnelle permettra une meilleure compréhension des effets de la colonisation sur les présentes et futures générations. En effet, ces jeunes doivent avoir accès à des programmes adaptés à leurs besoins et leur culture. Cet investissement aura un impact favorable à long terme.

Essentiellement, les personnes autochtones ont été victimes d’un régime colonial d’oppression dévastateur. Les politiques coloniales et les idéologies européennes ont influencé les écoles résidentielles, la communauté des réserves, l’érosion de la langue et l’érosion des traditions culturelles qui, à leur tour, ont généré la marginalisation, la perte d’identité et les pauvres résultats en matière de santé. Les réalités historiques de colonisation et un traumatisme intergénérationnel ont façonné des expériences et des souvenirs qui sont imbriqués dans la vie des autochtones et leurs communautés aujourd’hui (Battiste, 2000). Ces réalités sont également essentielles à la compréhension des obstacles qui ont une incidence négative sur leur santé sexuelle. Entrelacée avec la nature très complexe de ces histoires réside la relation entre le sexe, le genre et le lieu, qui a également été responsable des tendances en matière de santé sexuelle chez les jeunes autochtones.  

2. Contexte actuel en matière de VIH/ITS 

De nombreux jeunes autochtones connaissent de graves problèmes sociaux et d’importants problèmes de santé liés aux ITS et aux grossesses non désirées à un âge précoce. Les résultats d’une étude menée par l’Ontario Federation of Indian Friendship Centre (OFIFC, 2002) indiquent que les jeunes autochtones sont plus à risques, ce qui s’explique en grande partie s’explique par leurs choix de comportements sexuels. Des taux élevés d’ITS, de grossesse, d’usage inadéquat des méthodes de contraception et des sentiments de vulnérabilité contribuent à l’ensemble de la susceptibilité de ces jeunes (Anderson, Shea, Archibald, Wong, Barlow et Sioui, 2008; Majumdar, Chambers, et Roberts, 2004; OFIFC, 2002). Dans l’étude de l’OFIFC, 28 % des jeunes autochtones étaient actifs sexuellement et avaient commencé leurs relations sexuelles avant l’âge de treize ans, tandis que 66 % ont commencé leurs rapports sexuels avant l’âge de quinze ans. De nombreux jeunes inclus dans l’étude n’utilisaient pas de méthodes de contraception ou des préservatifs de barrière lors de l’étude, ce qui les plaçait à un risque plus élevé de contracter le VIH et d’autres ITS. Malgré les efforts de la santé publique, les taux d’ITS chez les jeunes Canadiens sont élevés et continuent d’augmenter (Shoveller, et Johnson, 2006), particulièrement chez les jeunes autochtones (Merahbadi, Craib, Patterson, Adam, Moniruzzaman, Ward-Burkitt, et Spittal, 2008).

En 2008, l’Agence de santé publique du Canada (ASPC) estime que 4 300 à 6 100 personnes autochtones vivaient avec le VIH ou le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). C’est une augmentation de 24,4 % par rapport au taux enregistré en 2005. Les jeunes autochtones canadiens représentaient 31,4 % de toutes les infections au VIH positives déclarées entre 1998 et 2003 (Public Health Agency of Canada, 2007). L’ASPC estimait alors qu’une personne sur cinq des 71 600 cas de chlamydia déclarés annuellement au Canada était un jeune autochtone. En 2007, un sondage sur les taux de VIH/ITS effectué au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse indique clairement un écart entre les sexes. Au Nouveau-Brunswick, certaines ITS montrent des taux plus élevés chez les femmes en comparaison avec les taux des hommes. Par exemple, les taux de chlamydia étaient de 252 cas par 100 000 femmes, comparativement à 105 cas pour 100 000 hommes (Canadian Federation for Sexual Health, 2007). Ces résultats sont similaires pour la Nouvelle-Écosse avec 250 cas par 100 000 femmes, comparativement à 86 pour 100 000 hommes. Selon plusieurs auteurs, cette disparité entre les genres est reliée aux barrières causées par la stigmatisation envers les services de dépistage chez les hommes dans certaines études (Gahagan, Fuller, Proctor-Simms, Harchette, et Baxter, 2011; Shoveller et al., 2009).

Les personnes touchées par le VIH et les ITS vivent avec des effets indésirables sur leur état de santé global, qui par la suite, viennent affecter plusieurs paliers de la société. De plus, chez les jeunes autochtones des situations socioculturelles et politiques telles que la marginalisation et l’assimilation, ainsi que les conditions socioéconomiques actuelles comme la pauvreté, la non parité entre les sexes et les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes continuent à avoir un impact sur la vulnérabilité de cette population. Les chercheurs encouragent des études qui cherchent à comprendre les causes sociales, économiques, culturelles et politiques qui façonnent de nombreux problèmes de santé, notamment l’accroissement des taux d’ITS et l’épidémie de VIH (Lang, et Rayner, 2007; Mehrabadi, Craib, Patterson, Adam, Moniruzzaman, Ward-Burkitt, et Spittal, 2008; Raphael, 2009; Shoveller et al., 2009). Compte tenu de ces faits bien documentés, il semblerait que le système de soins de santé canadien actuel ne réponde pas aux besoins de la santé sexuelle du peuple autochtone, en particulier les jeunes autochtones (Smylie, Lessard, Bailey, Couchie, Driedger, Eason, Goldsmith, Grey, O’Hearn, et Seethram, 2001; Worthington, Jackson, Mill, Prentice, Myers, et Sommerfeldt, 2010). En effet, les obstacles à l’accès aux services de santé ont été bien étudiés et plusieurs sont liés à la honte et à la stigmatisation (McKay, 2006; Shoveller et al., 2009; Uuskula, Kangur, et McNutt, 2006), ainsi qu’aux préoccupations de confidentialité (Blake, Kearney, Oakes, Druker, et Bibace, 2003), au manque de service jeunesse (Shoveller et al., 2009), et aux lacunes vis-à-vis du respect des genres par les fournisseurs de soins de santé (Gahagan et al., 2011; Langille et Rigby, 2006; Langille, Murphy, Hughes, et Rigby, 2001; McKay, 2006). Cependant, l’influence du sexe, genre et lieu sont des facteurs importants qui doivent être compris lors de la conception de services de prévention appropriés l’intention des jeunes. En outre, les besoins et les désirs des jeunes hommes et jeunes femmes autochtones exigent un examen plus poussé afin de rendre les services invitants pour cette population à risque.

2.1. Sexe et genre

Les concepts de sexe et de genre sont souvent traités ensemble dans le discours épistémologique « comme une langue partagée dans tous les piliers de la recherche en santé » (Institut canadien de recherche en santé du Canada (IRSC, 2009, p. 3). Le contexte relationnel du sexe et du genre est souvent utilisé indifféremment par la société, les ministères gouvernementaux et les nombreux organismes de santé, Une confusion sociale qui peut avoir de sérieuses conséquences sur l’état de santé sexuelle des jeunes hommes et des femmes. Par exemple, un jeune homme peut choisir de ne pas faire appel aux services de dépistage communautaire qui ont recours à une femme médecin, tandis que la jeune femme n’est pas dépistée par son médecin de famille, car elle est dans une relation monogame. Le terme « genre »  a été expliqué dans différents contextes tout en utilisant les mêmes caractéristiques physiques ou biologiques du sexe (Thornhill, et Palmer, 2000), alors que la construction relationnelle du genre se situe plutôt dans les rôles sociaux (Spence, 1993), la construction sociale (Kimmel, 2000), et les systèmes politiques (Connell, 2005). Donc, l’acquisition d’une meilleure connaissance des notions de sexe et de genre permettra aux régies de santé et aux fournisseurs de soins de santé de mieux définir, classer et prioriser les stratégies de prévention chez les jeunes hommes et jeunes femmes autochtones (Jardine et al., 2009).

Plusieurs auteurs cherchent à définir le sexe comme un concept qui différencie les hommes et les femmes en contexte de santé (signes et symptômes). Plus particulièrement, la notion de sexe est définie par ses caractéristiques biologiques comme l’anatomie et la physiologie (Santé Canada, 2003). Ce concept peut intégrer la taille et la forme du corps, en plus de l’activité hormonale et le fonctionnement des organes pour rendre un sexe plus vulnérable à une certaine maladie, telle que le VIH. L’anatomie gynécologique d’une jeune femme peut la rendre plus susceptible de contracter certaines ITS et de vivre certaines complications reliées aux ITS par la sensibilité des tissus vaginaux, du col de l’utérus et des trompes de Fallope. La maladie inflammatoire pelvienne et l’infertilité sont deux exemples des effets potentiels d’une ITS non traitée chez les jeunes femmes et les jeunes hommes respectivement. La déchirure dans le revêtement de la paroi vaginale chez la jeune femme est aussi un autre exemple de complications qui augmentent le risque de contraction du VIH. Les femmes autochtones sont plus à risque de contracter le VIH. En 2006, les taux d’infection par le VIH chez les femmes autochtones étaient de 47,4 %, comparativement aux femmes non autochtones avec un taux de 20,5 % (ASPC, 2006).

Contrairement au sexe, le genre est un concept construit en société à travers des relations entreprises dans la vie quotidienne (IRSC, 2009). Le genre a été décrit comme des traits de performance dictés par les permissions et restrictions d’une société et des personnes qui l’habitent (le rose pour les filles et le bleu pour les garçons) (Francis, 2010; Tolman, Striepe, et Harmon, 2003). Les positions épistémologiques du genre peuvent être contradictoires et différer dans leurs explications selon les cultures et les régions. En effet, la construction sociale de l’identité d’une jeune femme et d’un jeune homme joue un rôle déterminant dans la création de tendances positives concernant la sexualité saine (Francis, 2010). La présence d’inégalités entre les genres, met en évidence la nécessité de comprendre les diverses complexités relationnelles que vivent les jeunes autochtones en contexte de santé sexuelle. Donc, mieux comprendre la construction du genre chez les jeunes hommes et les jeunes femmes aurait certainement un impact favorable sur leurs états de santé, leur traitement et leur suivi, en plus d’influencer l’approche entreprise par le fournisseur de soins qui désire de mettre en oeuvre le protocole de prévention chez son client. Cette compréhension aurait également un impact sur le succès de tout programme en santé sexuelle, y compris la volonté des jeunes d’accéder aux services, et l’approche des professionnels de la santé dans le but de promouvoir et d’aborder les différentes stratégies de prévention. Toutefois, les études auprès des jeunes autochtones qui s’intéressent à la santé sexuelle et au genre sont limitées (Getty, 2010; Tolman et al., 2003).

2.2. Lieu

Le concept du lieu est une partie importante de la culture autochtone. Il est intégré dans la vie des gens et son sens intrinsèque inclut un élément à la fois structural et relationnel. Pour les peuples autochtones, le lieu est plus qu’une région géographique et un voisinage. Ce concept comprend : la maison, la communauté et la terre, dans lesquelles vit, interagit et se développe une population (Battiste, 2000; Ray, 2010). Dans la culture autochtone, la croyance traditionnelle décrète que tous les êtres vivants sont connectés et partagent une âme qui se relie directement à la terre. Avant la colonisation, le peuple autochtone avait une harmonieuse relation avec le lieu (Battiste, 2000). Cependant, un point culminant dans le changement de cette relation a été la Loi sur les Indiens de 1876. Selon les auteurs, cette loi a eu un impact dévastateur sur tous les aspects de la vie de ce peuple, y compris la structure communautaire, la gouvernance, la famille et le logement (Battiste, 2000). Cette loi a été prépondérante comme facteur de marginalisation, avec le début des réserves et l’assimilation engendrée par les écoles résidentielles. Les autochtones avaient maintenant besoin d’une permission spéciale afin de quitter la communauté dans le but de chercher un emploi et une éducation (Ray, 2010). Ce qui était autrefois un harmonieux concept relationnel relié à la nature, la culture, l’esprit, l’émotion et la personne était maintenant restreint et guidé par des entités règlementaires externes (Jardine et al., 2009; Wilson, 2003).

Dans la culture autochtone, la famille, la maison et la communauté sont des lieux importants pour les jeunes. Ce sont des lieux de reconnexion qui font la promotion de l’équilibre, de la croissance et de la force afin d’entreprendre la vie quotidienne (Richmond, Ross, et Egeland, 2009). Donc, pour créer des services de santé sexuelle culturellement appropriés et en augmenter l’accès pour les jeunes autochtones, les professionnels de la santé ont besoin de comprendre le sens et la valeur du lieu tout en intégrant les notions de sexe et de genre. Si la notion de lieu dans un contexte de santé sexuelle provoque des restrictions ou des limites, elle ne peut promouvoir la santé et le bien-être chez ces jeunes.

3. Méthodologie

Grâce à une approche descriptive qualitative, cette étude appuie et élargit un nouvel ensemble de connaissances sur la recherche en santé des jeunes autochtones. L’étude offrait suffisamment de souplesse pour saisir les complexités historiques et culturelles qui caractérisent cette population. Elle a aussi permis de mieux comprendre les possibilités de renforcement des capacités actuelles en matière de santé sexuelle au sein de la communauté d’une Première Nation. L’étude s’est appuyée sur des méthodes ethnographiques tout en utilisant une approche communautaire guidée par les principes de la recherche autochtone. Ceci dans le but de décrire et comprendre les expériences en matière de prévention de VIH/ITS au Nouveau-Brunswick. 

La méthodologie de l’ethnographie se situe dans le paradigme qualitatif dans lequel la connaissance est décrite et interprétée par des habitudes apprises et partagées à travers les valeurs, les comportements, les convictions et la langue (Harris, 1998). L’ethnographie permet au chercheur de s’immerger dans les croyances et pratiques d’un peuple afin de comprendre les comportements de santé et les habitudes de vie (Morse, et Field, 1995). Selon Boyle (1994), ce type de recherche permet au chercheur de gagner une perspective globale de la personne ou du groupe par un processus d’observations et d’entrevues contextualisé par les données. Élaborée en collaboration et de façon respectueuse, cette méthodologie peut fournir un format adéquat pour le déroulement des interactions et des expériences vécues par les jeunes dans leur milieu naturel et dans leur vie quotidienne.

Cette analyse qualitative, en collaboration avec une communauté de Première Nation, avait un intérêt particulier pour l’interaction du sexe, du genre et du lieu, tel qu’ils sont liés à la santé sexuelle des jeunes autochtones à travers leurs usages des divers services de dépistage. L’étude a également cherché à comprendre les facteurs qui ont facilité ou entravé l’accès à ces services auprès de ces jeunes. Plus important encore, l’étude collaborative a respecté les connaissances, les traditions et la culture tout en postulant les principes communautaires propres à cette communauté. Les connaissances autochtones sont différentes des connaissances occidentales; toutefois, elles demeurent un véhicule légitime du savoir et méritent d’être reconnues (Battiste, 2000). La nature descriptive de la recherche qualitative exigeait que le processus de recherche soit souple et que les chercheurs soient ouverts à l’émergence de données. Selon Duran et Duran (2000), la vision du monde autochtone est capturée par le biais de diverses interactions qui évoluent à travers de multiples interactions et relations continues. Guidée par les principes de recherche autochtones, soit la propriété, le contrôle, l’accès et la possession (PCAP), cette étude a cherché à créer une occasion de comprendre et d’acquérir une connaissance approfondie des expériences des jeunes autochtones (Schnarch, 2004). Tout au long de cette étude, la recherche et le chercheur se sont concentrés sur la communauté et la culture dans une approche collaborative orientée vers l’expérience des jeunes en contexte de santé sexuelle.

3.1. Échantillonnage et échantillon

Un échantillonnage par choix raisonné a été utilisé dans cette étude. Ce type d’échantillonnage est une caractéristique des méthodes qualitatives afin de pouvoir décrire un phénomène. Selon Creswell (2007), cette approche d’échantillonnage permet de recruter des participants qui disposent des connaissances ou des expériences uniques à l’étude concernée. Le choix raisonné a permis au chercheur de décrire la variation dans les expériences telles que décrites par les jeunes hommes et les jeunes femmes. Donc, ce type d’échantillonnage fournit des informations spécifiques à la jeunesse et à leurs expériences dans les domaines définis par la question de recherche. En outre, il a aussi permis de recruter délibérément les jeunes autochtones capables de décrire différentes perspectives culturelles de la réalité des genres et des lieux en matière de santé sexuelle.

Les participants ont reçu des honoraires (25 $) afin de couvrir les frais de déplacement pour participer à l’étude (frais de gardiennage, frais de stationnement). Un consentement éclairé a permis aux participants de faire un choix réfléchi sur leur participation et a permis au chercheur d’appliquer des critères d’éligibilité. Les critères pour la sélection des participants à l’étude comprenaient : (1) avoir 16 à 25 ans; (2) être actuellement ou précédemment, actif sexuellement; (3) être capable de lire, d’écrire et de parler l’anglais; (4) avoir la capacité et le désir de participer aux entrevues individuelles et (5) être capable de comprendre et de signer un consentement éclairé. L’échantillon total était de 20 participants : 10 jeunes femmes et 10 jeunes hommes.

3.2. Méthodes et analyse

L’étude a utilisé une approche ethnographique modifiée afin de pouvoir décrire la façon dont le sexe, le genre et le lieu interagissent pour influencer l’expérience des jeunes autochtones dans les services de promotion et de dépistage de VIH/ITS. Un travail sur le terrain a été effectué dans la communauté afin de recueillir des informations préliminaires, ce qui est une caractéristique distincte de l’ethnographie. Dans le but de compléter le portrait des expériences vécues, une recherche documentaire, des observations participatives et des entrevues individuelles ont été utilisées.

Les observations participatives et des entretiens informels ont été réalisés auprès des jeunes de la communauté, des parents, des professionnels de la santé et des agents communautaires. Le chercheur a pu participer à des activités relatives à la jeunesse et la santé sexuelle (conférence sur la prévention d’une grossesse non désirée et la prévention du VIH/ITS, conférence jeunesse régionale, soirée de reconnaissance jeunesse, Pow-wow communautaire). Tout en observant pendant les activités, le chercheur s’est aussi porté volontaire à animer quelques activités de sensibilisation, soit la conférence sur la prévention de grossesse et la prévention du VIH/ITS chez les jeunes. Ayant plusieurs années d’expérience en santé publique, cette observation participative a permis à l’auteure primaire de gagner une meilleure perspective culturelle du contexte. Cette participation a également contribué à créer des relations de confiance avec les jeunes et les membres de la communauté. Les affiches d’information sur l’observation participative du chercheur ont été visibles en tout temps afin d’informer les personnes de l’étude.

Les jeunes retenus pour l’étude ont été contactés par téléphone et rencontrés dans un lieu de leur choix (généralement dans le centre de santé communautaire ou le centre de jeunesse). Avant le début des entrevues individuelles, les participants devaient lire, comprendre et signer le formulaire de consentement. Pour les participants âgés de 19 ans et moins, un consentement parental devait aussi être donné au chercheur. Les jeunes à l’étude devaient remplir un questionnaire socio-démographique avant d’entamer une entrevue de 60 à 90 minutes. Pour recueillir l’expérience vécue des jeunes, l’entrevue débutait par une question les invitant à raconter leur histoire personnelle, avec la perspective du jeune homme et la perspective de la jeune femme en matière de santé sexuelle. Les questions cherchaient aussi à décrire les facteurs qui facilitaient et/ou entravaient l’accès des jeunes aux services. Plus particulièrement, les questions concernant les facteurs socioculturels (les inégalités entre les genres, les attitudes sociétales, les pratiques), structuraux (l’emplacement géographique, les ressources économiques, les disponibilités) et politiques (la politique locale, sociale, culturelle et les défis) ont été incluses dans l’entrevue. Les entrevues individuelles se composaient de questions ouvertes, qui avaient été établies au moyen de consultations documentaires et théoriques.

La recherche documentaire incluait des documents pertinents qui visaient à renseigner au sujet du contexte de la santé sexuelle, du VIH/ITS et de la jeunesse de la région. Au total, le chercheur a obtenu dix-huit documents. Les données pertinentes incluaient la description d’activités de santé sexuelle, telles que des ateliers, des classes et des séances (extrait curriculaire, dépliants, stratégies, description de programmes et services). D’autres documents pertinents ont également été rassemblés dans la description du contexte pour cette région (article de journal, brochures d’information, journal communautaire).

Lors de l’étude, l’analyse de données a débuté en même temps que la collecte de données. Les entrevues ont été transcrites verbatim et leur analyse a été réalisée en trois étapes telles que décrites par LeCompte et Schensul (1999). La première consistait à en faire une analyse globale pour dégager les idées initiales et idées récurrentes. Dans la seconde, un système de codage pour les principales catégories émergentes a été développé. Enfin, dans une troisième étape, une mise en commun a permis d’une part, de faire ressortir les singularités dans les expériences et, d’autre part, de relever quelques récurrences que l’on peut considérer comme étant importantes pour comprendre les expériences vécues, qui agissent de façon déterminante sur le choix d’accéder aux programmes et services. C’est sur la base de ces liens communs que nous pouvons avancer des recommandations et proposer des interventions.

3.3. Rigueur

La qualité est essentielle dans la recherche qualitative, comme elle l’est dans d’autres types d’études. Par conséquent, les normes d’évaluation de la qualité des études qualitatives ont été définies et différenciées de la recherche quantitative par de nombreux auteurs (Creswell, 2007; Lincoln et Guba, 1985; Morse, 2003). Pour cette recherche, des principes de rigueur ont été basés sur ceux de Lincoln et Guba (1985). Ils décrivent l’importance des quatre critères de véracité : la crédibilité, la transférabilité, la fiabilité, et la confirmabilité. Ces critères ont été utilisés pour assurer un processus minutieux et précis tout au long de la collecte et l’analyse des données. Trois approbations éthiques ont été reçues, la première de la part du comité d’éthique de l’Université du New Brunswick (UNB), la deuxième du Mi’kmaw Ethics Watch et la troisième du conseil de bande de la communauté autochtone à l’étude.

4. Résultats

Les résultats seront présentés pour décrire les barrières qui font que les jeunes autochtones choisissent ou décident de ne pas utiliser les services de santé sexuelle et le dépistage. Les données fondées sur l’analyse ont été utilisées pour mettre en évidence ces obstacles et offrent un aperçu de la multitude de facteurs qui influencent le choix des jeunes. L’analyse thématique a intégré toutes les sources de données (observations, entrevues, documents). Ce processus étendu a aidé à identifier les modèles récurrents des similitudes et des différences qui concrétisent les expériences des jeunes. L’analyse thématique a permis d’identifier quatre grands thèmes : financement et législation; intergénération et santé sexuelle; contexte de santé sexuelle et éducation; perceptions des services de santé sexuelle et dépistage du VIH/ITS. Les citations directes des participants, de même que les données d’observations et les documents sont utilisés tout au long pour illustrer les divers aspects de la thématique et étayer les expériences des jeunes avec les services à l’étude.

4.1. Financement et législation

Ce premier thème englobe les facteurs politiques et structuraux qui peuvent influencer positivement ou négativement l’accès aux services de soins de santé dans une communauté autochtone. Il englobe également la manière dont les autochtones sont tributaires des lois et des sources financières fédérales, provinciales et communautaires pour avoir accès à des services qui répondent à leurs besoins en matière de santé. Santé Canada travaille de près avec les peuples autochtones afin d’améliorer leur état de santé. À travers la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits (DGSPNI), les personnes autochtones peuvent maintenir une meilleure gestion des services de santé offerts dans les communautés autochtones du pays. De plus, la Direction « se charge aussi de la surveillance de la santé, de l’information et de l’analyse… et des avis d’évaluation à l’appui de l’élaboration des politiques, de l’établissement des priorités des programmes et de la prise de décisions concernant l’investissement en santé » (Santé Canada, 2008).

L’accès aux divers programmes et services est considérablement influencé par les possibilités de financement et les besoins de la communauté en général. Pour une brève période, un service de santé sexuelle et de dépistage du VIH et d’ITS était subventionné par le gouvernement provincial et la santé publique de la région[1]. Cependant, les compressions budgétaires et l’élimination de programmes en santé publique ont causé la fermeture du service en 2010 (infirmière communautaire, communication personnelle, 1er septembre 2011). La prévalence des maladies chroniques est problématique chez plusieurs membres de la communauté autochtone et la réalité du besoin financier pour les services de soins de santé plus complexes devient souvent plus importante que les programmes de promotion et de prévention. Leah, une jeune femme, partage son point de vue sur le manque en matière de promotion et prévention pour les jeunes dans sa communauté :

J’ai observé l’écart dans les services de santé attribués aux jeunes de la communauté. Il existe de nombreux programmes et cliniques pour bébés, pour les femmes enceintes et les personnes âgées, mais il n’y a pas beaucoup en termes de promotion de la santé sexuelle chez les jeunes.

Marc, met en évidence l’importance du financement pour les programmes visant la réduction des méfaits (échange de seringues) pour la prévention de l’hépatite C, le VIH et le SIDA. Il partage aussi l’importance d’investir dans la promotion de la santé locale et la prévention des maladies : 

Les gens essaient de réduire l’usage de drogue, mais il y a beaucoup de gens qui partagent encore des aiguilles. Les gens ont besoin d’accès à des services pour nettoyer les matériaux et l’équipement dans cette communauté. Dans d’autres communautés, j’ai déjà vu une infirmière passer des préservatifs, de l’information, de l’équipement propre… elle aidait les gens en leur donnant l’information… Nous avons besoin de quelque chose comme ça ici [dans la communauté], plus de services pour la santé sexuelle et la réduction des méfaits.

En résumé, les facteurs de financement et la législation améliorent la compréhension des éléments communautaires et externes, qui vont à leur tour influer sur la disponibilité des services de prévention auprès des jeunes. Par conséquent, les participants à l’étude savent qu’il existe des dynamiques complexes relativement à la répartition des fonds pour les programmes ciblant les besoins des jeunes. Certains ont même exprimé la nécessité d’un dialogue plus poussé entre les gouvernements et les membres de leur communauté, étant donné que les gouvernements fédéral et provincial sont responsables des fonds et des services en matière de santé attribués aux communautés autochtones.

4.2. Intergénération et santé sexuelle

L’intergénération et la santé sexuelle comprennent le contexte dans lequel les participants vivent chaque jour, incluant leurs expériences, de concert avec la culture et l’histoire. L’intergénération se réfère ici aux perceptions, pratiques et valeurs qui sont transmises de génération en génération et ensuite pratiquées par les jeunes hommes et jeunes femmes. Dans cette étude, l’histoire de l’assimilation et de la marginalisation sert également à influencer l’accès, ainsi que le sens et la compréhension de la santé sexuelle chez les participants. Un aîné de la communauté offre une analogie pour expliquer les effets dévastateurs de la colonisation sur sa culture et son peuple aujourd’hui : « c’est comme l’écrasement d’une vitrine où plusieurs tentent de la remettre ensemble comme elle était avant, mais ils n’ont pas toutes les pièces nécessaires pour le faire » (Aîné de la communauté autochtone, communication personnelle, 21 mai 2013). Dans une conversation avec cet homme représentant son peuple au cours d’une conférence portant sur le sexe et le genre, il expliquait comment l’histoire a pour toujours changer le contexte de la santé sexuelle pour son peuple. Parmi les rares documents officiels disponibles en matière de promotion de la santé sexuelle relative à la culture autochtone, l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada (AIIAC) a publié un guide en 2002. Le document décrit les visions de la culture et la santé sexuelle des peuples autochtones : 

Pour les peuples autochtones, une vision élargie de la santé est imprégnée dans nos croyances et valeurs. Une bonne santé, y compris la santé sexuelle et génésique, est un équilibre du développement physique, mental, émotionnel et spirituel de la personne. La santé est atteinte lorsque nous vivons un équilibre avec la nature qui nous entoure, et lorsque nous tissons des liens solides entre les individus, les familles, les communautés et les nations

AIIAC, 2002

Adam, offre sa perspective de la colonisation dans la construction de sa santé sexuelle : « La maladie était presque inexistante. Nous n’avions pas d’abus sexuel, pas d’abus de substance, ni de violence physique avant qu’ils [les Européens] arrivent et prennent tout de nous. Donc, pour moi lorsque tu dis santé sexuelle je pense qu’à l’abus ». Leah constate l’absence d’ouverture envers la santé sexuelle dans sa communauté :

Je n’ai jamais entendu parler d’histoires ou des traditions se rapportant à la santé sexuelle et la culture autochtone dans cette communauté. Je ne vois surtout pas personne approcher un Aîné de la communauté pour en apprendre des notions de la santé sexuelle, peut-être une grand-mère, mais encore là… Je n’ai jamais entendu les histoires traditionnelles chez la femme autochtone en lien avec la puberté, les menstruations et la phase lunaire.

Tous les participants de l’étude s’entendent pour dire que la colonisation européenne a changé à tout jamais la conception de la santé sexuelle pour les peuples autochtones. Afin de mieux comprendre les points de vue des personnes autochtones et l’impact de la colonisation sur la culture et la santé sexuelle, le document de Kinnon et Swanson (2002) a été examiné : 

Le contact avec les Européens et l’attitude colonialiste ont provoqué d’importantes perturbations dans les familles autochtones […] de plus, les attitudes religieuses répressives et les pensionnats qui ont retiré des générations d’enfants de leur famille et communauté, le racisme et l’exclusion qui ont perturbé l’estime de soi et augmenté les taux de pauvreté ainsi que les mauvaises conditions de vie. Tous ces éléments ont laissé une marque significative qui rend la réalisation de la santé sexuelle un défi exponentiel

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En résumé, l’intergénération et la santé sexuelle est un thème qui relie malheureusement les injustices du passé avec les croyances et valeurs de la santé sexuelle d’aujourd’hui. La fondation sous-jacente de ce thème est ancrée dans le contexte de la colonisation pour les jeunes autochtones. La construction de la santé sexuelle repose sur l’incertitude, le manque d’information, et l’insécurité. Elle repose aussi sur le concept de la maladie, l’abus, le silence, la douleur et l’absence de la santé.

4.3. Santé sexuelle et éducation 

La santé sexuelle et l’éducation est le troisième grand thème de cette étude. Il illustre la façon dont les participants font face à différents niveaux d’interactions en ce qui touche l’éducation par rapport à la santé sexuelle. Il englobe également la construction du genre quant à la santé sexuelle chez les jeunes hommes et jeunes femmes lorsqu’ils interagissent avec divers secteurs (éducation, santé, communauté) et personnes de la société (Aînés, parents, enseignants, amis, professionnels de la santé). Ces interactions sociétales sont le moyen par lequel les participants construisent leurs rôles et leurs perceptions envers la santé sexuelle et les autres. Les interactions sont aussi liées aux perceptions et comportements des jeunes (la prise de risque, le dépistage du VIH et d’ITS, les attitudes envers la sexualité).

Hannah, une jeune, partage son expérience de vie et de ne pas être en mesure de s’exprimer librement au sujet de la santé sexuelle à la maison en grandissant. Dans sa mémoire repose le doux souvenir de sa grand-mère et de ses histoires qui souvent concernaient l’enseignement des traditions et les pratiques culturelles. Hannah n’a toutefois aucun souvenir sur les enseignements de la santé sexuelle en relation avec la culture autochtone. Plus précisément, elle décrit sa perception d’une obligation silencieuse de ne pas parler de la sexualité à la maison : « on aimait entendre les histoires à ma grand-mère, des histoires de son enfance et sa culture. À l’adolescence, j’avais posé une question sur la sexualité et la culture, mais ma mère et mes tantes ont vite changé le sujet... ». Elle continue : « cette règle silencieuse voulait tout dire pour nous, on ne devait pas poser de questions sur la sexualité ». À un très jeune âge, Hannah a appris que le sujet de la santé sexuelle n’était pas permis. Par conséquent, les éléments naturels de la croissance d’une femme (puberté, relations, sexualité) étaient devenus des notions compliquées et cachées pour Hannah et ses soeurs.

L’absence d’éducation entrave également la perception des jeunes en matière de santé sexuelle. La plupart des participants se disent mal à l’aise de parler des notions de la sexualité à l’école et poser des questions à l’enseignant est aussi difficile. Néanmoins, lorsqu’interrogés, les jeunes veulent savoir et apprendre davantage sur les différentes composantes positives et négatives de la santé sexuelle. Ils veulent aussi des renseignements factuels. Dana, une jeune, partage son expérience scolaire :

Je n’ai jamais eu d’éducation en santé sexuelle à l’école. Il avait une classe de santé et de bien-être, mais nous n’avons pas vraiment appris la santé sexuelle dans ce cours. La classe était fondée plutôt sur la prévention de l’alcool et de drogues. Donc, je n’ai rien reçu de la 7e à la 12e année.

Leah affirme que le fait de vivre dans une petite communauté est difficile pour les jeunes qui sont actifs sexuellement et souhaitent obtenir de l’information sur les différents moyens de protection. Elle a également souligné les notions de confidentialité et d’anonymat en tant qu’obstacles à l’accès aux services : 

Dans des petites communautés, les gens veulent tout savoir et pour un jeune ceci complique les choses. La confidentialité et l’anonymat sont deux obstacles importants pour les jeunes qui vivent dans cette communauté. D’où la raison de ne pas accéder aux services de soins de santé pour l’éducation ou le dépistage. Ils utilisent uniquement le centre de santé pour des questions générales, comme le rhume et la vaccination.

Les interactions sociétales sont aussi un moyen d’apprentissage pour les participants. À travers ces interactions, ils construisent et apprennent leurs rôles (être un homme, être une femme) en société. Adam, le plus jeune participant, partage sa perception de l’homme, de la femme et de la sexualité :

J’ai effectivement entendu des personnes parler de ceci il n’y a pas longtemps… si un homme a des relations sexuelles avec une femme plus âgée, il est perçu comme « cool », tandis qu’une femme qui a des relations sexuelles avec un homme plus âgé, cela n’est pas bien vu. Elle est perçue comme « facile ». Pour moi, il ne devrait pas avoir d’importance, parce que l’âge est juste un nombre... Je pense que les hommes et les femmes sont égaux.

Emma, croit que les hommes sont généralement plus à l’aise lorsqu’il s’agit de la sexualité, mais lorsqu’il s’agit de la perception face au nombre de partenaires sexuels, elle ne voit pas la différence entre l’homme ou la femme : « Je pense que les hommes sont tout simplement plus à l’aise de discuter de la sexualité et c’est différent pour une femme. On est plus mal à l’aise avec ce sujet ». Jacob, un jeune, parle de l’égalité entre les genres et comment les gens dans la société devraient rester à l’écart de jugements sévères sans connaître le contexte ou la situation sur laquelle ils portent un jugement : « Plusieurs personnes en parlent, mais je ne vois pas l’importance avec le nombre de partenaires sexuels. Je vois ceci comme un choix personnel et le choix appartient à la personne qui le fait. Je crois que l’étiquetage est simplement stupide ».

Le contexte de santé sexuelle et éducation est un thème qui explique les différents facteurs socioculturels et structuraux selon la perspective des jeunes. Ces facteurs définissent comment les jeunes construisent leurs savoirs en matière de santé sexuelle lors d’un processus interactif avec diverses personnes et structures éducationnelles. Ce processus relationnel est aussi responsable de la construction des genres pour les jeunes de cette communauté. La limite éducationnelle en matière de promotion et prévention a, par conséquent, altéré leurs expériences et perceptions à l’égard de la santé sexuelle.

4.4. Perceptions des services de santé sexuelle et dépistage du VIH et d’ITS 

Ce thème illustre les perspectives des participants et leurs expériences avec les programmes et services de santé sexuelle et de dépistage du VIH et des ITS. Pour Hannah, la santé sexuelle est un sujet de protection et de dépistage des ITS : « Il est important de se protéger avec un nouveau partenaire sexuel. Je suis avec mon partenaire depuis longtemps, et j’ai mes examens réguliers et mon dépistage. Tu ne sais jamais ». Plusieurs participants perçoivent les services de santé sexuelle et le dépistage comme la prévention de la grossesse et la sécurité de soi. « C’est une façon sure de se protéger, vous et les autres », déclare Brian, un jeune. La majorité voit le dépistage du VIH et des ITS comme une partie intégrante de la santé sexuelle. « Il est important de se faire dépister, car cela vous donne de l’information sur votre état de santé. Cela vous procure une tranquillité d’esprit. C’est votre santé sexuelle », explique Cathy, une jeune. Brian est d’accord avec le propos des autres participants et souligne l’importance de subir un test de dépistage si vous êtes actif sexuellement avec plusieurs partenaires.

La plupart des participants ont choisi le dépistage pour s’assurer d’être « sûr » et demeurer « sécuritaire ». Ils favorisent également l’usage de préservatifs (condoms) comme méthode de protection contre les ITS. Karl, un jeune, explique que les symptômes et l’incertitude envers un partenaire sont deux facteurs qui ont influencé plusieurs de ses amis à choisir le dépistage : « Parce qu’ils pensent qu’ils ont une maladie transmissible sexuellement, beaucoup de mes amis me disent qu’ils doivent aller se faire dépister ». Emma parle de l’importance de connaître son partenaire et de choisir un dépistage précoce, même avant le début des relations sexuelles : « C’est toujours mieux de commencer sur le bon pied », verbalise la participante. « Savoir que son partenaire n’a rien est important et s’il a quelque chose, il peut se faire traiter. Comme cela on ne donne rien et on ne reçoit rien, c’est simple », continue Emma. Malgré cette grande volonté de vouloir se faire dépister pour le VIH et les ITS, seulement deux des dix jeunes hommes ont été dépistés et sept des dix femmes.

La perception des services de santé sexuelle et du dépistage du VIH/ITS est un thème qui décrit la façon dont les participants perçoivent leurs expériences de vie en contexte de santé sexuelle. Dans cette étude, les perceptions sont construites lorsque les jeunes interagissent avec diverses personnes et divers lieux. Ces facteurs deviennent importants lorsqu’ils empêchent les jeunes d’aller consulter, de se faire dépister ou encore de se protéger. Les différences entre les genres et les divers stéréotypes, ainsi que les perceptions fondées sur la confidentialité et l’anonymat sont des défis importants lorsque les jeunes envisagent la possibilité d’accéder aux programmes de promotion et de prévention.

Conclusion

Les limites méthodologiques de cette démarche ne permettent pas de généraliser les expériences vécues par les participantes et participants. Cependant, au plan théorique, les résultats favorisent la compréhension de la façon dont les enjeux socioculturel et politique peuvent s’imbriquer en contexte de santé sexuelle sous le prétexte du sexe, du genre et du lieu. Les décideurs politiques et les responsables de programmes, tout comme les intervenants sur le terrain sont plus efficaces lorsqu’ils saisissent le sens des expériences sur lesquelles ils tentent d’agir. Les facteurs socioculturels, historiques et politiques ne peuvent plus être ignorés si les décideurs politiques et les fournisseurs de soins veulent être inclusifs et veulent réellement répondre aux besoins des jeunes autochtones.

Les personnes autochtones, incluant les jeunes qui vivent au Nouveau-Brunswick, ont été confrontées et continuent à faire face à de nombreux défis reliés à la colonisation, l’assimilation et la marginalisation. Dans le contexte de la santé sexuelle et de la prévention du VIH et des ITS, l’effet du défi intergénérationnel ne pourra probablement jamais être tout à fait compris. Au cours de cette étude, plusieurs personnes autochtones ont dit vouloir oublier le passé. En effet, la majorité désire apprendre à vivre avec les blessures et cherche à aider la jeune génération à réussir et à vaincre le sombre climat qu’affecte les peuples autochtones. L’acquisition d’une meilleure compréhension des questions de parité entre les sexes et les genres dans la recherche en santé des jeunes autochtones est importante, pour mieux concevoir les programmes et services de santé sexuelle.

Cette étude apporte donc un fondement à l’élaboration de différentes études collaboratives qui pourrait valider, auprès d’une population autochtone plus étendue, les facteurs qui influencent la volonté de se faire dépister ou non pour le VIH et les ITS dans la province et le pays. Les recherches futures doivent accentuer le lien important entre les déterminants de la santé et les facteurs de la colonisation, l’assimilation et la marginalisation. Elles doivent aussi miser un plus grand échantillon, à travers une plus grande région et un plus grand contexte en partenariat avec les communautés autochtones.