Article body

La perspective et les succès de la santé publique

La santé publique est une discipline qui promeut, protège et améliore la santé de la population par l’entremise d’activités organisées de la société (Detels, 2009). Avec la diminution progressive du fardeau associé aux maladies infectieuses dans le bilan de santé de la population, la santé publique des pays industrialisés s’est graduellement intéressée aux maladies chroniques — le diabète, l’hypertension, les maladies cardio-vasculaires, les troubles mentaux communs comme l’anxiété et la dépression, celles-ci étant responsables d’une plus grande charge des maladies que les maladies infectieuses [1]. La dépression est en voie de devenir, à 13 % du fardeau d’incapacité de toutes les maladies, la principale cause d’incapacité dans les pays industrialisés. Ces maladies chroniques sont très co-morbides : plus de 60 % des cas de dépression sont associés à une autre maladie chronique comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires ou les douleurs chroniques (Schmitz et al., 2007).

Parmi les grandes réalisations de la santé publique par rapport aux maladies chroniques, le Centre américain de contrôle des maladies cite les maladies cardio-vasculaires (Center for Disease Control, 1999). Au cours des années 1980 et 1990, la mortalité liée à ces maladies a diminué de 40 % (Ford et al., 2007). Ford et al. attribuent la moitié de cette diminution à des stratégies de prévention des facteurs de risque, et l’autre moitié aux traitements médicaux. L’hypertension, une maladie cardiovasculaire chronique et un facteur de risque reconnu des maladies coronariennes, peut être utilisée comme exemple des retombées associées aux actions de promotion, et aux traitements médicaux. La figure 1 démontre l’évolution au Canada sur deux décennies de la reconnaissance d’une haute tension artérielle, du non-traitement si cette haute tension artérielle est connue de la personne, et d’autre part, en présence d’hypertension diagnostiquée, d’un traitement efficace de celle-ci (McAlister et al., 2011). Les actions concertées des services médicaux avec la santé publique ont rendu les populations plus alertes pour faire vérifier leur tension artérielle. Quant aux médecins, ces derniers vérifient systématiquement la tension artérielle et prescrivent une thérapeutique plus efficace. Dans le cadre d’une approche de gestion thérapeutique de cette maladie chronique, les patients adhèrent mieux au traitement visant une auto-gestion, soutenus qu’ils sont par une équipe formée de médecins de famille, d’infirmières, de diététiciennes par exemple (Montague, 2009). En ce sens, les services de promotion, de prévention et de traitement sont des déterminants de l’hypertension et de ses conséquences en termes de complications cardio-vasculaires, voire de décès prématuré dans la population.

Figure 1

Taux de reconnaissance, de traitement et d’efficacité du traitement de l’hypertension au Canada 1992-2009

Taux de reconnaissance, de traitement et d’efficacité du traitement de l’hypertension au Canada 1992-2009
Tiré de MacAlister et al., 2011

-> See the list of figures

L’approche de santé publique peut être présentée selon les quatre fonctions suivantes, que nous illustrerons pour le suicide : 1) mesurer l’ampleur du problème dans la population (surveillance) ; 2) identification des facteurs de risque et de protection ; 3) élaboration et évaluation d’une stratégie de prévention et de contrôle ; et 4) mise en place des stratégies efficaces (Sleet et al., 2003).

Un phénomène de santé publique appréhendé en chiffres

En 2008, le suicide représentait au Québec la huitième cause de décès en importance. Il comptait pour un peu moins de 2 % (1 146 décès par suicide) des décès survenus durant la même année. Les hommes affichaient un taux de suicide de 23 décès par 100 000 personnes. Celui des femmes s’élevait à 7 décès par 100 000. Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 815 000 personnes sont décédées par suicide dans le monde au cours de l’année 2000. À l’échelle mondiale, l’OMS évalue le taux de suicide à 16 décès par 100 000 personnes. Le taux de suicide est de 3 à 4 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes, à l’exception des pays asiatiques où cette différence est moindre (DeLeo et al., 2002). En 2007, parmi les provinces canadiennes, le Québec affichait le plus haut taux de mortalité par suicide chez les hommes, une situation comparable à celle des années passées. En Saskatchewan, les femmes présentaient le taux le plus élevé parmi les provinces canadiennes. Au Québec, le taux ajusté de décès par suicide chez les hommes se situe parmi les pays affichant des taux élevés (figure 2a, page 242), comme la France (23 décès par 100 000), le Japon (31 décès par 100 000) ou la Hongrie (36 décès par 100 000). Pour les femmes, la situation du Québec sur le plan international semble légèrement meilleure (figure 2b, page 242).

Figure 2a

Taux ajusté [a] de mortalité par suicide au Québec (hommes) comparé à d’autres juridictions

Taux ajusté a de mortalité par suicide au Québec (hommes) comparé à d’autres juridictions
a

ajustés selon la structure par âge, sexes réunis, de la population du Canada en 1991.

Sources : MSSS, Fichier des décès de 2007, OMS : http://www.who.int/mental_health/prevention/suicide/country_reports/en/(consulté le 31 août 2011), Statistique Canada (2010). Mortalité : liste sommaire des causes, 2007. Division de la statistique de la santé. No 84F0209X au catalogue. Tableau explicatif 1 — Population-type selon le groupe d’âge, Canada, 1er juillet 1991

-> See the list of figures

Au Québec, le suicide a considérablement augmenté au cours de la seconde moitié du xxe siècle, notamment chez les jeunes. Cette hausse s’est poursuivie d’une manière soutenue au cours des années 1980 et 1990, spécialement chez les hommes (figure 3, page 244) pour atteindre un sommet en 1999. Depuis ce sommet, le taux de suicide a reculé en moyenne de 4 % annuellement au Québec, recul plus important chez les hommes que chez les femmes.

Déterminants du suicide selon la perspective de santé publique

Pour identifier les facteurs de risque et de protection, l’Institut national de santé publique a fait sien (Bernard et al., 2004, 37) un modèle élaboré durant les années 70 par Santé Canada, qui comprend quatre grandes catégories de déterminants d’état de santé (cf. figure 4, page 245) : a) génétiques ; b) environnementales (distinguées entre environnement physique et environnement socio-culturel) ; c) habitudes de vie ; d) services. Les déterminants génétiques sont intriqués aux déterminants environnementaux micro et macro-sociaux. Ainsi, l’étude des phénomènes moléculaires épigénétiques chez l’animal, soumis à des déficits de soins parentaux, trouve écho dans les mêmes phénomènes moléculaires chez les cerveaux des personnes décédées par suicide qui ont vécu des expériences d’abus graves dans l’enfance en plus grand nombre. La perspective populationnelle de ces causes consiste à examiner, par exemple, la distribution de facteurs de risque comme les expériences défavorables dans l’enfance (MacMillan, 2000). La perspective populationnelle fait ainsi émerger la recommandation d’investir dans des programmes de promotion et de soutien des fonctions parentales pour diminuer les risques de situation d’abus dans l’enfance. Une recommandation du rapport Un Québec fou de ses enfants de Camil Bouchard sont les fameuses garderies à $5, et les congés parentaux pour les pères, payés par l’État. Investir dans des programmes de prévention et de promotion dans l’enfance vaut largement plus que de traiter ou de réadapter plus tard, en termes de coûts et en termes de succès, comme l’illustre la figure 5 (page 245) tirée des travaux de James Heckman, prix Nobel d’économique (OCDE, 2010). Peut-être sans le nommer, le Québec investissait au début des années 2000 dans des stratégies de prévention du suicide par le secteur de la sécurité du revenu et de la solidarité sociale, et non par celui de la santé ; et par l’amélioration de la conciliation travail-famille et du rôle des hommes (Caron, 2002). D’autres facteurs environnementaux, sociaux et culturels ont été identifiés : la défavorisation sociale et matérielle comme le chômage ; la médiatisation de certains suicides ; la construction sociale du sens du suicide (Caron, 2002) ; l’accessibilité à des moyens létaux. Les habitudes de vie les plus évoquées dans le suicide sont les abus d’alcool et de drogues, les dépendances. Elles ne sont pas toutefois exemptes de déterminants génétiques, comme les traits d’impulsivité et de recherche de sensations, et de déterminants environnementaux, comme l’accès aux jeux vidéo pour le risque de jeu pathologique.

Figure 2b

Taux ajusté [a] de mortalité par suicide au Québec (femmes) comparé à d’autres juridictions

Taux ajusté a de mortalité par suicide au Québec (femmes) comparé à d’autres juridictions

a

ajustés selon la structure par âge, sexes réunis, de la population du Canada en 1991.

Sources : MSSS, Fichier des décès de 2007, OMS : http://www.who.int/mental_health/prevention/suicide/country_reports/en/(consulté le 31 août 2011), Statistique Canada (2010). Mortalité : liste sommaire des causes, 2007. Division de la statistique de la santé. No 84F0209X au catalogue. Tableau explicatif 1 — Population-type selon le groupe d’âge, Canada, 1er juillet 1991

-> See the list of figures

Figure 3

Taux ajusté [a] de suicide au Québec selon le sexe, 1978 à 2007

Taux ajusté a de suicide au Québec selon le sexe, 1978 à 2007
a

Taux ajustés selon la structure par âge, sexes réunis, de la population du Canada en 1991.

Sources : MSSS, Fichier des décès de 1978 à 2007. MSSS, Perspectives démographiques basées sur le recensement de 2006

-> See the list of figures

Les services comme déterminants du suicide

Dans leur article fondamental d’une perspective de santé publique sur la prévention du suicide, Gunnell et Frankel (1994) ont inventorié différentes stratégies populationnelles qui visent la réduction du taux de suicide. La majorité porte sur les services comme déterminants du suicide :

  1. les programmes éducatifs destinés aux médecins de famille pour le diagnostic et le traitement de la dépression ;

  2. la médication antidépressive ;

  3. les centres de prévention de suicide ;

  4. l’accroissement du suivi des clients des centres de prévention du suicide ;

  5. le suivi systématique des patients psychiatriques ;

  6. les médias ;

  7. la restriction de l’accès à certains moyens (par exemple, ponts, médicaments) ;

  8. le dépistage et les programmes de prévention pour les prisonniers ;

  9. les programmes de prévention dans les écoles (dont les sentinelles) ;

  10. les programmes de promotion de la santé mentale.

Figure 4

Modèle Institut National De Santé Publique du Québec des déterminants des états de santé dans les populations

Modèle Institut National De Santé Publique du Québec des déterminants des états de santé dans les populations
Bernard, Lemay et Vézina, 2004

-> See the list of figures

Figure 5

Taux de retour sur l’investissement en capital humain

Taux de retour sur l’investissement en capital humain
James Heckman, 2003 ; cité dans OCDE 2010

-> See the list of figures

Aucune stratégie n’avait une efficacité potentielle de réduction du suicide dans la population supérieure à 3 %, excepté la formation des médecins de famille à la détection et au traitement de la dépression, stratégie qui atteignait une réduction potentielle entre 20 % et 48 %. Une revue de littérature plus récente de Mann et al. (2005) sur la prévention du suicide a réexaminé les actions des services. Elle a trouvé des preuves solides d’efficacité seulement pour les stratégies populationnelles qui visent une meilleure détection et un traitement adéquat de la dépression, et la réduction d’accès aux moyens létaux utilisés dans la population du pays considéré.

L’impact potentiel sur la diminution du nombre annuel de suicides par la réduction d’accès aux moyens létaux demeure toutefois faible au Québec. Par exemple, à Montréal, il y avait auparavant une quinzaine de suicide par année sur le pont Jacques-Cartier avant que des mesures de sécurité, promues par la direction de la santé publique de Montréal, ne soient mises en place (Gouvernement du Québec, 2004). La réduction des 15 suicides qui s’en suivit ne représente que 1 % de l’ensemble des décès sur les 1350 du début des années 2000. Le gain potentiel de l’implantation de mesures de sécurité supplémentaires dans le métro ne serait pas plus grand, le nombre de suicides annuels étant le même (Mishara, 1999). L’analyse des caractéristiques des personnes qui se sont suicidées dans le métro révèlent aussi que la qualité des services reçus était déficiente (Mishara, 1999). Il serait peut-être plus pertinent de mettre en place d’autres stratégies qui touchent toutes les personnes à risque de suicide, comme un accès accru aux services de santé mentale.

D’un point de vue de santé publique, l’accroissement de la détection et du traitement des troubles mentaux comme stratégie de prévention du suicide a été développée par Lesage (2002). Deux arguments justifient cette stratégie. Premièrement, l’association entre les troubles mentaux (incluant les toxicomanies) et le suicide est bien établie au niveau individuel : près de 90 % des cas de suicide présentent au moins un trouble mental. De ce nombre, près de la moitié ou plus sont des troubles dépressifs et près de la moitié ou plus, des conduites addictives. La revue de littérature systématique de Cavanagh rapporte plus de 150 études qui corroborent ces constatations depuis les trois dernières décennies (Cavanagh et al., 2003). De plus, sur la base de sept études qui l’ont mesurée, la fraction populationnelle des troubles mentaux et toxicomanies associée au suicide s’établit entre 47 et 74 %. Deuxièmement, les études populationnelles montrent que la majorité des personnes qui souffrent de troubles mentaux et de toxicomanies, au Québec comme au Canada, ne consultent pas les ressources professionnelles. Elles pensent que leurs problèmes vont se régler d’eux-mêmes (Lesage et al., 2006 ; 2010). Une enquête de la Direction de la santé publique de Montréal démontre que seulement le quart des cas reconnus de troubles mentaux sont traités adéquatement (Fournier et al., 2002). Ces éléments démontrent qu’un accent plus marqué sur la promotion encourageant à aller consulter d’une part, et la détection et le traitement des troubles mentaux et des conduites addictives courantes au niveau de la première ligne de soin et des services communautaires d’autre part, représenteraient une stratégie efficace de réduire le suicide considéré ici comme une complication des troubles mentaux (Lesage, 2002). Les troubles mentaux courants comme la dépression et les troubles anxieux, et les dépendances courantes comme l’abus d’alcool et de drogues semblent connaître la même situation que celle des maladies cardio-vasculaires au début des années 1990. La combinaison d’actions de santé publique et d’application de meilleures pratiques de traitement avait eu un impact majeur sur les maladies cardio-vasculaires (Knox et al., 2004).

Efficacité de politiques populationnelles intégrant des stratégies potentiellement efficaces sur les services

Les politiques nationales emploient des stratégies multimodales (Matsubayashi et Ueda, 2011). Deux expériences planifiées ont été rapportées avec des programmes globaux : l’étude de l’US Air Force (Knox et al., 2003) et celle de Nuremberg (Hegerl et al., 2006), avec des réductions du taux de suicide de 25 % dans ces deux programmes. La stratégie de l’US Air Force comprenait onze éléments qui influent sur l’ensemble du système et des niveaux de cette organisation :

  1. la formation des dirigeants ;

  2. l’incorporation de la prévention du suicide dans le curriculum de formation pour l’ensemble du personnel ;

  3. l’accroissement des références du personnel pour l’évaluation des problèmes de santé mentale ;

  4. l’accroissement des rôles de prévention du personnel de santé mentale ;

  5. le développement et la formation de sentinelles au sein du personnel ;

  6. l’adoption de politiques d’évaluation du potentiel suicidaire des individus sous enquête en raison de problèmes légaux ;

  7. la mise en place d’une équipe multidisciplinaire lors ou à la suite d’événements traumatisants (incluant les suicides) ;

  8. la mise en place d’un système complet de services psychosociaux et de traitements qui incluent des programmes destinés aux familles, des cliniques de santé mentale, des services pour enfants et adultes, et la participation du clergé ;

  9. la garantie de la confidentialité des cas et des dossiers ;

  10. la consultation régulière des responsables quant à leur préoccupation pour la surveillance du suicide ;

  11. une mise à jour régulière des facteurs de risque comportementaux, sociaux et psychologiques ; et le retour des résultats.

Pour sa part, le programme de Nuremberg, intitulé Alliance contre la dépression (Hegerl et al., 2006) a été réalisé dans la ville de Nuremberg (480,000 habitants) et comportait quatre volets : 1) la formation des médecins de famille ; 2) une campagne publique d’information sur la dépression et la consultation de ressources professionnelles ; 3) la formation de « facilitateurs communautaires » (enseignants, prêtres, personnel des services sociaux et de santé de première ligne et des organismes communautaires, médias locaux), une modalité que Mann et al. (2005) désignaient comme « formation de sentinelles » ; et 4) le soutien des activités d’entraide auprès des groupes à risque élevé.

Une préoccupation de santé publique face à toute initiative populationnelle de prévention est le risque d’effets délétères, comme l’a rappelé la prescription préventive des hormones. Alors qu’elles étaient efficaces à réduire les symptômes de la ménopause, elles engendraient aussi des complications cardio-vasculaires et des cancers (Heiss et al., 2008). Certains programmes de sentinelles dans les écoles ont aussi été controversés (Gouvernement du Québec, 2004). Mais l’un d’entre eux a donné de bons résultats : Solidaires pour la vie. Bien conçu, ce programme de littératie en santé mentale, avec visée de prévention du suicide, a atteint en 10 ans entre 50 et 70 % des adolescents du Québec. S’il avait été délétère, on aurait dû prédire, toutes choses étant égales, une augmentation du taux de suicide. Comme l’illustre la figure 2, le taux de suicide chez les adolescents au Québec a diminué de la moitié durant cette période (Réseau québécois de recherche sur le suicide, 2011).

Il n’y a pas que les effets délétères à considérer. Il y a aussi les effets collatéraux bénéfiques qui accroissent la pertinence d’une stratégie de prévention du suicide. L’étude de l’US Air Force rapporte une diminution de la violence conjugale et des homicides conjugaux ou familiaux (Knox et al., 2003). Dans les entreprises, le meilleur traitement de la dépression est associé à une réduction de l’incapacité et à un meilleur retour au travail (Dewa et al., 2011). D’autre part, il commence à être démontré que la détresse psychologique, les troubles mentaux et les maladies cardiovasculaires peuvent être prévenus par des normes de qualité de la gestion humaine des organisations de travail, lorsque déployées à large échelle dans les secteurs publics et privés (Vézina et al. ; 2004 ; Vézina et al., 2008). Une expérience est en cours à l’Institut national de santé publique du Québec afin d’adopter la norme de travail Entreprise en santé (Bureau de normalisation du Québec, 2008) pour tous ses employés.

Conclusion

La baisse du taux de suicide constatée au Québec est également observée ailleurs. Depuis le début des années 1990, les taux de suicide ont diminué dans la plupart des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2011). Ces diminutions ont été associées à la mise en place de programmes nationaux de prévention du suicide (Matsubayashi et Ueda, 2011). Ces programmes comportent des stratégies multimodales, et la clef de leur succès est leur application constante associée à une surveillance de son application. C’est l’orientation de l’étude d’implantation du programme de Nuremberg dans plusieurs sous-régions européennes (Hegerl et al., 2009). On pourrait argumenter de même alors que confrontées à des taux alarmants de suicide, les forces armées américaines n’arrivent pas à implanter suffisamment de ressources en santé mentale, pourtant un élément-clef de l’efficace programme de l’US Air Force (Thompson et Gibbs, 2012). En rapport avec la prévention du suicide et le rôle de leadership de la santé publique, Knox et al. (2004) soulignaient comment la perception d’une urgence sociale a suscité la concertation des diverses stratégies de promotion, de prévention et de traitement pour les maladies cardio-vasculaires, et pourrait-on ajouter, pour le SIDA (Lapaige, 2010). Cette perception d’urgence sociale soutient la continuité des programmes multimodaux efficaces, et la mise à jour régulière des facteurs de risque comportementaux, sociaux et psychologiques ; et le retour des résultats. Qu’en est-il au Québec ?

Au Québec, la prévention du suicide relève de la Direction du développement de l’individu et de l’environnement social, sous la Direction générale de la santé publique du MSSS [2]. En termes d’activités, la Direction du développement de l’individu et de l’environnement social a développé trois secteurs d’activités. Le premier secteur vise le développement de réseaux de sentinelles à l’échelle provinciale. Le second porte sur des activités de sensibilisation aux risques que présentent les médicaments et les armes à feu gardés à la maison. Le troisième secteur, prévu au programme national mais qui n’a pas encore été déployé à l’échelle provinciale, porte sur le traitement des cas de suicides par les médias. La Direction a procédé à l’élaboration de deux guides de pratiques exemplaires à l’intention des intervenants et des gestionnaires des Centres de santé et de services sociaux (Archambault et al., 2010). Ces guides ont été réalisés en partenariat entre le CSSS Institut Universitaire de Gériatrie de Sherbrooke, le MSSS, l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS) et Suicide Action Montréal (SAM). La Direction de la santé mentale qui relève de la Direction des affaires médicales et universitaires du MSSS doit agir dans le dossier de la prévention du suicide à travers deux mesures du Plan d’action en santé mentale de 2005-2010 (Gouvernement du Québec, 2005). L’une de ces mesures vise le développement de projets pilotes de recherche à l’intention des hommes en situation de vulnérabilité. La seconde mesure vise un suivi étroit des personnes qui se présentent suite à une tentative de suicide dans les établissements ou les centres hospitaliers.

Force est de constater que le déploiement des différents programmes de prévention du suicide au Québec ont peu, ou n’ont pas fait l’objet d’évaluations spécifiques ni d’évaluation stratégique, quant à leur impact sur la réduction du taux de suicide de 25 % observée au Québec dans la dernière décennie (Réseau québécois de recherche sur le suicide, 2011). Il faut saluer la récente mise en place d’un comité de concertation au plan national, dont le mandat consiste à assurer le suivi de l’ensemble des interventions en prévention du suicide. Ce comité est formé des partenaires de divers milieux de la santé publique : affaires médicales, santé mentale, services sociaux des CLSC, ainsi que le nouvel Institut d’excellence en santé et services sociaux mis en place en juin 2010 (INESSS). Afin de contribuer à créer ou à maintenir la perception d’urgence sociétale (Knox et al., 2004) à la source de politiques réussies de prévention du suicide, les partenaires des personnes endeuillées suite à un suicide, les secteurs communautaires de prévention du suicide, de l’Éducation, de la Justice et de la Sécurité publique, de la recherche ou du secteur politique devraient aussi être invités à la surveillance du suicide et des diverses stratégies potentiellement efficaces de prévention.