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A. Introduction : la médecine du sommeil a 50 ans

Nous sommes au début des années 60, on vient de découvrir le sommeil paradoxal, cette phase de sommeil avec mouvements oculaires rapides et atonie musculaire, aussi appelé « sommeil des rêves » en raison de son association avec l’activité onirique. Bien que l’on ait généralement associé le sommeil paradoxal aux fonctions cognitives supérieures, ce stade joue probablement un rôle beaucoup plus fondamental puisqu’on le retrouve chez des espèces animales primitives telles que l’ornithorynque (Siegel et al., 1999). À la même époque, on étudie la distribution du sommeil paradoxal au cours de la nuit et on découvre que le sommeil dans son ensemble est un phénomène structuré avec alternance régulière de sommeil lent et de sommeil paradoxal : les cycles du sommeil (Morrison, 2013). C’est alors que débutent les premières études en laboratoire de sujets atteints de troubles du sommeil. La médecine du sommeil naît et elle devient progressivement une spécialité médicale à part entière.

B. Histoire de la médecine du sommeil à l’Université de Montréal 

Le département de psychiatrie de l’Université de Montréal a été étroitement associé à l’émergence et au développement de la médecine du sommeil.

1. Les débuts : 1967-1982

En ce qui me concerne, tout a commencé en 1967 alors que je débutais un programme de doctorat en physiologie à l’Université de Montréal. Ce département venait de créer un groupe de recherche en sciences neurologiques qui comptait plusieurs chercheurs de haut niveau, comme Herbert Jasper, Jean-Pierre Cordeau et Mircea Steriade, reconnus mondialement pour leurs travaux sur la physiologie du sommeil et des états de conscience. C’est là que j’ai reçu la piqûre du sommeil, une maladie qui vous empêche de dormir et dont on ne guérit jamais. En 1973, j’arrivais au département de psychiatrie de l’Université Stanford où William Dement avait mis sur pied quelques années plus tôt la première clinique dédiée à la médecine du sommeil. De retour à Montréal, et après une résidence en psychiatrie à l’Université McGill, j’ai mis sur pied, à l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal (HSCM), le Centre d’étude du sommeil. Nous sommes maintenant en 1976, il n’existait alors que quelques centres dédiés à la médecine du sommeil dans le monde.

Les débuts de ce centre ont été modestes. Un laboratoire de 10 mètres carrés, logé dans une ancienne cellule de prière des soeurs de la Providence, servait à la fois aux études cliniques et à la recherche. Mes recherches portaient alors sur la physiopathologie et le traitement de la narcolepsie et sur l’étude de patients épileptiques porteurs d’électrodes intracérébrales pendant le sommeil. Le but initial de la deuxième étude était de mesurer les changements de l’activité électrique de diverses structures corticales et sous-corticales au cours du sommeil paradoxal en relation avec le contenu de l’activité onirique. Cependant, les résultats obtenus nous ont permis de développer une nouvelle méthode de localisation des foyers épileptiques par l’étude des sujets endormis.

2. La deuxième génération – 1983-1999

Les années 80 ont été marquées par la formation à l’HSCM de jeunes chercheurs qui, après des études complémentaires dans d’autres milieux universitaires, ont élargi les thématiques de recherche et développé de nouvelles approches méthodologiques. À son retour de l’Université Harvard, Marie Dumont a créé le laboratoire de chronobiologie. Avec elle naissait un nouvel axe de recherche sur l’étude des rythmes biologiques, les conséquences du travail de nuit, la dépression saisonnière et, de manière plus fondamentale, les effets de la lumière sur le fonctionnement du cerveau (Dumont, Lanctot, Cadieux-Viau & Paquet, 2012).

Pendant ce temps, Roger Godbout, de retour du Collège de France, développait un laboratoire de physiologie animale et, plus tard à l’Hôpital Rivière-des-Prairies et au Centre Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, un laboratoire dédié à l’étude du sommeil chez les sujets atteints de diverses pathologies psychiatriques, dont l’autisme, la schizophrénie et les troubles de la personnalité (voir article de Roger Godbout dans ce numéro).

Un peu plus tard, Tore Nielsen est venu d’Edmonton pour entreprendre des études postdoctorales à l’HSCM où il a mis sur pied un laboratoire dédié à l’étude de la fonction onirique chez les sujets normaux, les sujets souffrant de stress post-traumatique ou de cauchemars (Nielsen et al., 2010).

Le Département de psychiatrie de l’Université de Montréal a d’ailleurs joué un rôle déterminant dans la création du Centre d’étude du sommeil de l’HSCM puisque les 4 premiers chercheurs (JM, MD, RG, TN) ont tous été mis en poste à ce département.

À la même époque, Gilles Lavigne s’est joint au Centre. Formé en sciences neurologiques à l’Université de Montréal et en physiologie de la douleur au National Institute of Health à Bethesda aux États-Unis, il a développé un programme de recherche sur les interactions sommeil-douleur et sur les dyskinésies orofaciales en sommeil. Il est maintenant titulaire d’une Chaire de recherche du Canada et il a développé au CÉAMS un programme de recherche sur les interactions réciproques entre le sommeil et la douleur. Grâce à lui, le CÉAMS est un centre de référence mondial sur le bruxisme (Lavigne, Rompre, & Montplaisir, 1996) ; (Lavigne, Nashed, Manzini, & Carra, 2011).

3. La troisième génération : 2000-2015

Deux stagiaires de recherche dirigées par Marie Dumont, soit Julie Carrier et Valérie Mongrain, sont revenues à l’HSCM après leur formation postdoctorale. À son retour de Pittsburgh, Julie Carrier a développé un programme de recherche sur le sommeil et le vieillissement (Fogel et al., 2012). Elle est professeure de psychologie à l’Université de Montréal et elle travaille présentement à la mise sur pied d’un Consortium pancanadien de recherche en médecine du sommeil et des rythmes biologiques. Après une formation postdoctorale à l’Université McGill et à l’Université de Lausanne, Valérie Mongrain a développé un laboratoire de biologie moléculaire, où elle s’intéresse aux mécanismes fondamentaux du sommeil et des rythmes circadiens (El Helou et al., 2013).

Un stagiaire postdoctoral du laboratoire de Tore Nielsen, Antonio Zadra est demeuré à l’HSCM au terme de sa formation. En plus de son intérêt pour l’étude des rêves, il a développé un vaste programme de recherche sur le somnambulisme, et d’une façon plus générale, sur la physiopathologie des états altérés de la conscience (Zadra, Desautels, Petit, & Montplaisir, 2013).

Jean-François Gagnon, que j’ai dirigé avec Marc-André Bédard de l’UQAM, a ensuite été recruté au Centre pour l’étude des troubles cognitifs des patients atteints de pathologies du sommeil et de maladies neurodégénératives (Gagnon, Postuma, Mazza, Doyon, & Montplaisir, 2006). Il est présentement titulaire d’une Chaire de recherche du Canada sur les troubles cognitifs associés au vieillissement.

Plus récemment, Nadia Gosselin a complété, au terme de son doctorat sous ma supervision à l’Université de Montréal, une formation postdoctorale en imagerie cérébrale à l’Université McGill. Elle a développé à l’HSCM un nouvel axe de recherche sur les troubles du sommeil et des rythmes circadiens chez les patients avec traumatisme crânien (Duclos et al., 2014). Alex Desautels, qui avait obtenu sous ma supervision un doctorat en génétique des maladies du sommeil à l’Université de Montréal, est revenu à l’HSCM après avoir complété sa formation en médecine et en neurologie. Il dirige maintenant la Clinique des troubles du sommeil.

Enfin Simon Warby, un généticien formé à l’Université de Colombie-Britannique et à l’Université Stanford, s’est joint au Centre en 2014. Il développe présentement un programme de recherche sur les déterminants génétiques du sommeil normal et pathologique et préside à la création d’une biobanque dédiée aux pathologies du sommeil et aux problèmes de santé mentale. Il est titulaire de la Chaire de recherche en psychopharmacologie Pfizer, Bristol-Myers Squibb, SmithKline-Beecham et Eli-Lilly du département de psychiatrie de l’Université de Montréal.

C. Le présent : le CÉAMS (Centre d’études avancées en médecine du sommeil)

1. Infrastructure

Après des débuts modestes, le Centre d’étude du sommeil n’a donc cessé de croître pour devenir le CÉAMS. Dirigé présentement par Marie Dumont, le CÉAMS compte maintenant 14 chercheurs et occupe des espaces d’activité clinique et de recherche d’une superficie de 1500 mètres carrés. Il a été construit grâce à une subvention de la Fondation canadienne pour l’innovation et à des fonds du Gouvernement du Québec et de la Fondation de l’HSCM.

Le CÉAMS, c’est 10 salles d’enregistrement polygraphique du sommeil, 3 laboratoires d’isolation temporelle pour l’étude des rythmes circadiens, un laboratoire d’enregistrement EEG à haute densité, un système d’imagerie SPECT à haute résolution dédié entièrement à l’étude du sommeil. C’est aussi une clinique dotée d’un laboratoire diagnostique qui reçoit plus de 1500 patients par année, enfants ou adultes, et qui agit comme centre de référence pour plusieurs pathologies du sommeil, telles que la narcolepsie, le syndrome des jambes sans repos (SJSR) et le trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP). C’est aussi un centre dédié à la formation clinique et de recherche en médecine du sommeil. Plus de 20 chercheurs et cliniciens formés à l’HSCM travaillent maintenant dans diverses universités et hôpitaux en Asie, en Europe et dans d’autres universités en Amérique. Plusieurs membres du Département de psychiatrie et, en particulier Paul L’Espérance et Odile Lapierre, ont largement contribué au fonctionnement de la clinique du sommeil du CÉAMS.

Le CÉAMS, c’est aussi un vaste programme de recherches fondamentales et cliniques qui a deux objectifs principaux. Le premier est d’étudier le développement du sommeil et des rythmes biologiques de même que leurs modifications à chaque étape de la vie. Le deuxième objectif comprend un ensemble de projets ayant pour but de préciser le diagnostic, la pathophysiologie et le traitement des désordres du sommeil. Nous nous limiterons ici au deuxième volet, c.-à-d. les recherches cliniques en médecine du sommeil.

2. Les réalisations scientifiques en médecine du sommeil au département de psychiatrie

On peut classifier les troubles du sommeil en trois catégories : 1 – les hypersomnies, c.-à-d. des conditions qui s’accompagnent de somnolence au cours de la journée ; 2– les insomnies, qui se manifestent par des difficultés d’endormissement ou de maintien du sommeil et 3 – les parasomnies, c’est-à-dire un ensemble de pathologies qui se manifestent par des comportements anormaux au cours du sommeil. En plus de ces pathologies spécifiques, la médecine du sommeil comprend l’étude des troubles de la rythmicité circadienne du sommeil et l’étude du sommeil dans d’autres maladies, notamment des maladies psychiatriques, neurologiques, et cardio-vasculaires. Au cours des 40 dernières années (1976-2015), les chercheurs du CÉAMS ont grandement contribué à la création et au développement de la médecine du sommeil.

a. Les hypersomnies

La narcolepsie

Dès la fin des années 60, la médecine du sommeil s’est intéressée à la narcolepsie, une maladie caractérisée par des accès de sommeil et de cataplexie, décrite par Gélineau à la fin du 19e siècle. On a noté que les sujets narcoleptiques s’endormaient directement en sommeil paradoxal. On a ainsi développé le test itératif de délai d’endormissement, découvert l’effet anti-cataplectique des antidépresseurs tricycliques et des bloqueurs de la recapture de la sérotonine ou de la noradrénaline, qui ont tous pour effet de supprimer le sommeil paradoxal à des degrés divers. En 1999, Emmanuel Mignot et ses collaborateurs à l’Université Stanford ont montré que la narcolepsie canine était due à une mutation du gène responsable du récepteur de l’hypocrétine type 2 (Lin et al., 1999). L’année suivante, ils découvraient que la narcolepsie humaine était associée à une baisse du taux d’hypocrétine dans le liquide céphalorachidien, dû à une perte des neurones à hypocrétine dans l’hypothalamus postérieur (Peyron et al., 2000). Des études en cours ont pour but de trouver les causes de cette dégénérescence cellulaire et visent particulièrement à identifier des déficits immunitaires dans la narcolepsie. Le laboratoire de l’HSCM collabore activement à ce programme. Le CÉAMS a aussi réalisé récemment une étude épidémiologique démontrant une association entre la vaccination contre la grippe A/H1N1 et l’apparition de la narcolepsie dans la population québécoise (Montplaisir et al., 2014).

Le syndrome d’apnées du sommeil

C’est en 1966 que des chercheurs de Marseille ont rapporté, pour la première fois, la présence d’arrêts respiratoires apparaissant spécifiquement au cours du sommeil chez des sujets atteints du syndrome de Pickwick (Gastaut, Tassinari, & Duron, 1966). Par la suite, la présence d’apnées obstructives du sommeil a été observée chez de nombreux patients souvent obèses qui consultaient pour des troubles du sommeil et de la vigilance. Le syndrome d’apnées obstructives de sommeil (SAOS) a des effets néfastes bien connus sur la santé cardiovasculaire, mais il s’accompagne aussi de déficits cognitifs et de troubles de l’humeur causés par l’hypoxémie cérébrale et les perturbations du sommeil. Le CÉAMS a grandement contribué à décrire et expliquer ces manifestations non cardio-pulmonaires du SAOS (Bedard, Montplaisir, Richer, Rouleau, & Malo, 1991 ; Montplaisir, Bedard, Richer, & Rouleau, 1992). Ce programme de recherche se poursuit présentement au CÉAMS sous la direction de Nadia Gosselin (Baril et al., 2015).

b. Les insomnies

L’insomnie représente le trouble du sommeil le plus commun puisque 10 % de la population présentent des problèmes d’insomnie chronique ou persistante et 30 % une insomnie occasionnelle au cours d’une année. Si on élimine les insomnies associées à des maladies psychiatriques ou à la prise d’alcool ou de substances, deux types d’insomnie sont particulièrement fréquents, soit l’insomnie dite psychophysiologique et l’insomnie due au syndrome des jambes sans repos.

L’insomnie psychophysiologique

Cette forme d’insomnie est la plus fréquente et débute souvent en association avec des évènements stressants dans la vie personnelle ou professionnelle de l’individu, mais elle persiste même après la résolution de ces conflits à cause de mécanismes d’adaptation fautifs. On a montré la présence d’un état d’hyperactivation physiologique dans l’insomnie psychophysiologique. Le CÉAMS étudie les manifestations électroencéphalographiques de cette activation, mais surtout les troubles du fonctionnement du système nerveux autonome au cours du sommeil qui pourraient expliquer le risque accru chez les sujets insomniaques de développer une maladie cardiovasculaire (Lanfranchi et al., 2009). Le CÉAMS a aussi mis sur pied une clinique pour le traitement de l’insomnie psychophysiologique par la thérapie cognitivo-comportementale.

Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) ou maladie de Willis-Ekbom

Le SJSR est une maladie caractérisée par un besoin irrésistible de bouger associé à des sensations désagréables au niveau des jambes, survenant surtout en soirée ou au cours de la nuit. Cette maladie est l’une des causes les plus fréquentes d’insomnie. Le CÉAMS a grandement contribué à l’avancement des connaissances sur cette maladie (Montplaisir et al., 1997 ; Montplaisir, Lorrain, & Godbout, 1991). C’est au CÉAMS que fut réalisée en 1994, la première grande étude épidémiologique du SJSR (Lavigne & Montplaisir, 1994). Cette étude populationnelle a montré que la prévalence de la maladie était supérieure à 10 % au Canada et qu’elle était deux fois plus élevée dans la population francophone du Québec ou des autres provinces. Cette étude a produit une prise de conscience de l’existence même du SJSR. Dans les années qui ont suivi, de nombreuses conférences ont été présentées aux États-Unis et en Europe sur le thème « le SJSR : la maladie la plus fréquente dont vous n’avez jamais entendu parler ». Le CÉAMS a par la suite participé à plusieurs grandes études épidémiologiques internationales qui ont confirmé la prévalence élevée de la maladie et ont montré une association étroite entre le SJSR et le risque accru de développer une maladie psychiatrique ou cardiovasculaire.

Les chercheurs du CÉAMS ont aussi développé et validé le Test d’Immobilisation Suggérée, utilisé comme outil diagnostique et pour l’évaluation des variations circadiennes des symptômes (Michaud et al., 2004). C’est aussi au CÉAMS que furent réalisées les premières études contrôlées des effets thérapeutiques des agents dopaminergiques, telles que la levodopa en 1988 (Brodeur, Montplaisir, Godbout, & Marinier, 1988) et le pramipexole en 1999 (Montplaisir, Nicolas, Denesle, & Gomez-Mancilla, 1999). Le pramipexole est maintenant considéré comme le traitement de choix du SJSR. Les réalisations du CÉAMS comprennent aussi l’identification du premier gène de la maladie (le RLS1) par Alex Desautels (Desautels et al., 2001) et une contribution importante aux études pangénomiques réalisées par Julianne Winkelmann à Munich (Winkelmann et al., 2011 ; Winkelmann et al., 2007).

c. Les parasomnies

Les parasomnies recouvrent un ensemble de conditions caractérisées par l’apparition de phénomènes anormaux au cours du sommeil. On les divise en fonction des stades du sommeil où elles apparaissent : les parasomnies de sommeil à ondes lentes et les parasomnies de sommeil paradoxal. L’étude des parasomnies représente un des axes principaux de recherche en cours au CÉAMS.

Les parasomnies de sommeil à ondes lentes : le somnambulisme et les terreurs nocturnes

Ces pathologies représentent une des raisons les plus fréquentes de consultation pédiatrique. Dans une étude longitudinale d’une cohorte d’enfants québécois, nous avons observé des prévalences élevées de somnambulisme et des terreurs nocturnes ainsi que d’autres parasomnies (Petit, Touchette, Tremblay, Boivin, & Montplaisir, 2007). Cette étude a aussi souligné l’importance des facteurs génétiques dans l’étiologie de la maladie puisque la prévalence est 3 fois plus élevée chez les enfants dont un parent a déjà souffert de somnambulisme et 7 fois plus élevée si les 2 parents en ont déjà souffert (Petit et al., 2015). Les études effectuées au CÉAMS chez les somnambules adultes ont aussi montré que la privation de sommeil facilitait l’apparition des épisodes de somnambulisme observés en laboratoire, ce qui a permis de développer une nouvelle méthode diagnostique de la maladie (Joncas, Zadra, Paquet, & Montplaisir, 2002). Au cours des dernières années, nous avons mis sur pied une cohorte de somnambules étudiés par des approches comportementales, électrophysiologiques et d’imagerie cérébrale (Zadra, et al., 2013). Sur le plan thérapeutique, nous avons mis en place un traitement du somnambulisme par l’hypnose. Une étude en cours vise à mesurer les effets de ce traitement sur la fréquence et les caractéristiques des comportements nocturnes.

Les parasomnies de sommeil paradoxal

Le trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) est une maladie causée par une perte de l’atonie musculaire qui caractérise normalement le sommeil paradoxal. Il se manifeste par des comportements indésirables souvent violents où les sujets agissent en quelque sorte leurs rêves. Le TCSP touche environ 0,5 % de la population et apparaît généralement chez l’homme après l’âge de 50 ans (Peever, Luppi, & Montplaisir, 2014). Le CÉAMS a développé la première méthode diagnostique objective du TCSP (Lapierre & Montplaisir, 1992). Nous suivons présentement une grande cohorte de patients atteints de TCSP. Nous avons au cours des dernières années identifié dans cette cohorte la présence de marqueurs précoces d’apparition d’une maladie neurodégénérative par l’étude du fonctionnement cognitif et moteur, la perception olfactive, l’identification des couleurs, l’analyse quantifiée de l’EEG, l’étude du système nerveux autonome et la mesure du débit sanguin cérébral régional (Gagnon, et al., 2006 ; Massicotte-Marquez et al., 2005 ; Postuma, Gagnon, Vendette, & Montplaisir, 2009 ; Vendette et al., 2011). Enfin, l’étude longitudinale de cette cohorte a montré que près de 80 % des patients TCSP développaient, dans un délai de 8 ans, une maladie dégénérative de type synucléinopathie, surtout la maladie de Parkinson ou la démence à corps de Lewy (Postuma, Gagnon, Bertrand, Genier Marchand, & Montplaisir, 2015). Le but ultime de cette recherche est de traiter les patients TCSP avec de nouveaux médicaments de neuroprotection visant à prévenir ou à retarder l’évolution vers la maladie de Parkinson ou la démence.

D. La recherche en médecine du sommeil au CÉAMS : perspectives d’avenir

La recherche clinique du CÉAMS poursuivra les mêmes objectifs que ceux décrits précédemment, mais pourra, grâce à des développements technologiques récents, mieux étudier les causes et les mécanismes neurobiologiques responsables des pathologies du sommeil. Plusieurs approches méthodologiques couramment utilisées en recherche clinique, comme les études d’imagerie en en résonance magnétique ou en tomographie à émission de positons (TEP), sont difficiles à réaliser chez le sujet endormi. Pour cette raison, les recherches en cours au CÉAMS privilégient deux approches méthodologiques. La première est la tomographie par émission monophotonique à haute résolution qui permet l’injection d’un ligand radioactif pendant le sommeil et l’acquisition des images en différé pendant l’état de veille. On peut ainsi étudier plus facilement les corrélats neurophysiologiques des comportements nocturnes anormaux des somnambules ou des patients avec TCSP. La deuxième approche est l’EEG à haute densité qui permet d’étudier, avec des résolutions temporelle et spatiale adéquates, le fonctionnement cérébral pendant toute la durée du sommeil. Jean-Marc Lina, chercheur à L’École de technologie supérieure collabore au développement de cette approche au CÉAMS.

Enfin des développements importants sont attendus en génétique des troubles du sommeil. On connaît encore mal les gènes associés à la plupart des maladies du sommeil. Pour certaines conditions, comme le SJSR, plusieurs mutations génétiques ont été identifiées, mais la relation entre ces mutations et les manifestations cliniques de la maladie demeure inconnue. Les études faites au CÉAMS ont principalement pour but d’identifier les anomalies génétiques des insomnies et des parasomnies. Ces travaux sont réalisés par Simon Warby et Alex Desautels du CÉAMS en collaboration avec Guy Rouleau de l’Université McGill et Lan Xiong de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Les chercheurs du CÉAMS s’intéressent également à l’épigénétique, c’est-à-dire, aux facteurs non codés par l’ADN qui modulent l’expression des gènes. Ce volet de recherche est conduit plus spécifiquement par Valérie Mongrain. Ses travaux ont porté au départ sur la modulation des gènes de l’horloge circadienne chez la souris et, plus récemment, sur la régulation épigénétique de l’ADN après privation de sommeil (Massart et al., 2014). Ces études fondamentales sont essentielles à notre compréhension des causes et des conséquences des troubles du sommeil. Un nouveau programme de recherche sera bientôt réalisé en collaboration avec Jean-Paul Soucy des universités McGill et Concordia ; il vise l’étude en TEP de l’innervation cholinergique centrale et périphérique dans les troubles du sommeil associés au vieillissement.

E. La clinique des troubles du sommeil : 1965-2015

Les psychiatres ont sans doute été les premiers à s’intéresser à cette nouvelle science du sommeil. On a d’abord cru que l’étude du sommeil paradoxal permettrait de mieux comprendre les phénomènes hallucinatoires des patients schizophrènes. On a aussi imaginé des tests diagnostiques de la dépression basés sur l’étude du sommeil ou encore des méthodes de traitement de la dépression basées sur la privation de sommeil ou la privation sélective de sommeil paradoxal. La psychiatrie a par la suite contribué à la découverte de la plupart des traitements pharmacologiques des troubles du sommeil, mettant à profit les connaissances acquises sur les effets des psychotropes dans d’autres pathologies. La psychiatrie s’intéresse maintenant au rôle des facteurs psychologiques dans la genèse et l’évolution des maladies du sommeil et à l’étude du sommeil dans des populations de patients psychiatriques comme la dépression, l’autisme et la schizophrénie (Godbout, Bergeron, Limoges, Stip, & Mottron, 2000 ; Guenole, Chevrier, Stip, & Godbout, 2014).

Si les psychiatres ont été les premiers à s’intéresser au sommeil, ce sont les pneumologues qui, au cours des trente dernières années, ont le plus contribué à l’essor de la médecine du sommeil dans le monde. La fréquence du syndrome d’apnées obstructives en sommeil (SAOS) et surtout la découverte de l’efficacité des traitements ventilatoires en 1981 (Sullivan, Issa, Berthon-Jones, & Eves, 1981) ont été des facteurs notables qui ont conduit à la reconnaissance de la médecine du sommeil. Les pneumologues ont mis en place des cliniques de sommeil et des laboratoires d’enregistrement polygraphique dans pratiquement tous les grands centres hospitaliers en Amérique et en Europe, sans compter le nombre considérable de laboratoires privés spécialisés dans la détection et le traitement du SAOS.

On assiste présentement à un intérêt croissant des autres spécialités médicales pour les pathologies du sommeil. Les neurologues se mobilisent pour l’établissement de laboratoires spécialisés dans les maladies non respiratoires du sommeil comme la narcolepsie, le SJSR, le TCSP et l’épilepsie nocturne, mais les ressources consacrées à ce développement sont grandement insuffisantes tant chez l’adulte que chez l’enfant.

Malgré les évidences croissantes des conséquences de la privation de sommeil sur la santé physique et mentale, l’insomnie demeure le trouble du sommeil le plus négligé. Plus de 10 % de la population présente une insomnie chronique avec perturbations du fonctionnement diurne. L’insomnie augmente le risque de développer plusieurs maladies psychiatriques, en particulier la dépression majeure, les troubles anxieux et les toxicomanies, en plus de causer des problèmes sociaux économiques considérables. L’étude de l’insomnie représente donc un lieu privilégié d’ancrage des sciences du sommeil dans le champ de la psychiatrie.

F. Conclusion

La médecine du sommeil a 50 ans, mais c’est encore une enfant en pleine croissance. Pour se développer, elle devra non seulement intégrer les nouvelles connaissances en recherche fondamentale, en particulier en neurosciences cognitives et comportementales, mais également celles qui sont issues de la recherche clinique dans plusieurs domaines de la médecine, dont la psychiatrie et la psychopharmacologie.