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Introduction

Le Département de psychiatrie de l’Université de Montréal a été créé en 1965 et fût d’abord dirigé par le Dr Gérard Beaudoin. À cette époque, le Dr Hans Selye effectuait de la recherche sur les fondements biologiques à la base de la réponse de stress à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal depuis déjà 1945. Bien qu’il puisse sembler peu pertinent de résumer l’histoire de la science du stress dans un numéro spécial de la Revue Santé mentale au Québec portant sur la recherche en psychiatrie à l’Université de Montréal, il est clair aujourd’hui que les résultats issus des études du Dr Selye sur le stress ont des impacts sur la recherche et les traitements actuels en psychiatrie.

En effet, la recherche du Dr Selye sur les mécanismes biologiques de la réponse du stress a mené à la découverte des anti-inflammatoires (Dwight, 1975) et des effets des hormones de stress sur le cerveau (pour une revue, voir Lupien et al., 2009). Ces deux découvertes ont par la suite mené plusieurs chercheurs à travers le monde à postuler un lien entre l’exposition chronique à des concentrations élevées d’hormones de stress et la vulnérabilité à certains troubles mentaux (pour une revue, voir Lupien et al., 2009). Plus récemment, des essais cliniques en psychiatrie ont été développés pour déterminer l’impact potentiellement positif de certains anti-inflammatoires sur des maladies mentales telles les psychoses et la dépression (pour une revue et méta-analyse, voir Kohler et al., 2014). Dans la présente revue historique, je décris l’histoire de la science du stress à partir des travaux du Dr Hans Selye et comment ces recherches ont mené à la découverte des anti-inflammatoires.

Point de départ : deux guerres mondiales

En lisant l’histoire du stress, on s’aperçoit que l’élément déclencheur de toute la science du stress fût les deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 (Cooper, 2005). Deux raisons expliquent ce fait. D’abord, lors des deux guerres mondiales, les médecins de l’armée observèrent que beaucoup de soldats montraient, en plus des blessures liées à la guerre, un état de choc traumatique. Ils demandèrent donc à des chercheurs spécialisés en physiologie de les aider à mieux comprendre cet état. En second lieu, lors de la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup de chercheurs décidèrent de quitter le continent européen pour éviter d’aller à la guerre et pouvoir ainsi poursuivre leurs expériences. De manière intéressée, une grande majorité de ces chercheurs émigrèrent tant aux États-Unis qu’au Canada et un nombre important s’installa à Montréal. C’est donc la présence de deux guerres mondiales qui donna naissance à la recherche sur le stress et qui fit de Montréal l’une des plaques tournantes de la recherche sur le stress (Gaunt, 1949).

Comment « avoir l’air malade » a-t-il mené au concept de stress ?

En 1934, le professeur Hans Selye, médecin autrichien, accepta un poste d’interne de médecine à l’Université McGill. Dans son autobiographie (Selye, 1976 ; voir aussi Table 1), il raconte que lorsqu’il avait fait ses études de médecine à l’Université de Prague, il devait, comme tous les étudiants en médecine, accompagner le médecin en chef lors des visites de patients. Le Dr Selye jugeait cette activité fort ennuyeuse. Par contre, une chose l’intriguait au plus haut point. Il avait en effet observé au cours de ces nombreuses visites de patients que peu importait ce dont les patients souffraient individuellement, ils avaient tous une chose en commun, ils avaient tous « l’air malade ». De plus, il nota que deux personnes aux prises avec des maladies complètement différentes arboraient pourtant des particularités physiques communes, telle une langue plutôt épaisse et blanchâtre, et se plaignaient de douleurs aux articulations ainsi que de troubles intestinaux accompagnés de pertes d’appétit.

À partir de cette observation, Dr Selye se dit qu’il devait y avoir un processus bien particulier associé à chaque maladie, quelle qu’elle soit, qui donnait aux patients cet « air malade ». Il commença donc à penser que cette réaction du corps qui provoque un air malade représentait de fait « … la réponse non spécifique que donne le corps à toute demande qui lui est faite » (Selye, 1975), expliquant le tout de la façon suivante : quand nous sommes exposés au froid, notre corps répond en frissonnant et les vaisseaux sanguins de la peau se contractent. Le corps fournit donc deux réponses spécifiques. Si nous sommes exposés à la chaleur, nous allons transpirer pour que l’évaporation de l’eau produise un effet de rafraîchissement. Une autre réponse bien spécifique. Par contre, quand une maladie attaque le corps, celui-ci semble produire une réponse non spécifique en ce sens qu’elle est semblable pour toutes les conditions et inclut cet air malade, cette langue épaisse, ces douleurs musculaires et intestinales. Quel pouvait bien être le mécanisme à la base de cette réponse non spécifique ?

À la recherche du mécanisme sous-tendant le syndrome de l’air malade

Ses études de médecine terminées, Dr Selye oublia quelque peu cette observation et décida de poursuivre une carrière en recherche. À ce moment de l’histoire, plusieurs laboratoires dans le monde oeuvraient sans relâche à la découverte de nouvelles hormones (Wade, 1981). Tous les chercheurs travaillaient d’arrache-pied sur ce problème et l’une des méthodes les plus fréquemment utilisées au laboratoire du Dr Selye était d’injecter des extraits d’ovaires à un cobaye et de mesurer les effets de cette injection sur le corps. Ignorant précisément le contenu de l’extrait d’ovaire qu’il injectait, le Dr Selye et ses collègues se disaient que si l’injection de l’extrait d’ovaire produisait des effets sur l’animal qui la recevait, on devait en conclure que dans l’extrait ovarien injecté, il y avait une hormone (encore non identifiée) qui induisait les effets observés sur l’animal.

Au cours de ses premières expériences, Dr Selye injecta des extraits d’ovaires à des rats et observa que ceux-ci développaient alors une myriade de réactions qui incluaient un élargissement des glandes surrénales, une atrophie du thymus, des noyaux lymphatiques, ainsi que des ulcères de la paroi de l’estomac et du duodénum (Selye, 1975). Il observa par la suite que l’ampleur de ces réactions pouvait être augmentée ou diminuée proportionnellement au volume d’extraits ovariens injectés. Lorsqu’il entreprit d’injecter des extraits d’autres glandes (placenta, glande pituitaire, etc.) à d’autres rats, il observa les mêmes effets sur l’organisme des cobayes. Comment se pouvait-il que des extraits de différentes glandes puissent donner lieu aux mêmes conséquences sur le corps ? Il était impossible qu’une seule et même hormone se cache dans toutes ces glandes. Dr Selye injecta alors aux rats des extraits d’organes autres que ceux provenant des glandes, tels des extraits de reins, rate et autres organes. Encore une fois, il observa les mêmes effets délétères sur l’organisme, tel un élargissement des glandes surrénales et des ulcères de l’estomac (Selye, 1975, 1976).

Dans une autre série d’expériences, il injecta au rat de la formaline utilisée en laboratoire pour la préparation des tissus. Encore une fois, il observa les mêmes effets sur l’organisme des rats injectés. C’est alors que Dr Selye se rappela ses observations recueillies auprès des malades qu’il visitait lors de son internat. Il se souvint du fait que peu importait ce dont le malade souffrait, tous les patients montraient des caractéristiques communes telles un air malade, un épaississement de la langue ainsi que des douleurs abdominales et articulaires. Il comprit alors que cette observation ressemblait à ce qu’il avait pu constater auprès des rats, auxquels il avait pu injecter des extraits de glandes, d’organes ou même de drogues et qui produisaient pourtant tous les mêmes effets sur l’organisme des cobayes.

Intrigué par cette observation, il décida donc de poursuivre ses recherches et cette fois-ci, au lieu d’injecter aux rats des extraits de glandes ou d’organes, il décida de les soumettre à différentes conditions adverses tels un accroissement ou une chute abrupte de température, histoire d’en analyser l’impact sur l’organisme. Quelle ne fut pas sa surprise de se rendre compte que chacune de ces expériences, sans exception, provoquait chez les cobayes la même myriade de symptômes observés dans ses recherches antérieures (Selye, 1998) !

Le chercheur fut donc forcé de conclure que, bien au-delà de la maladie spécifique qui affectait un individu donné ou des conditions adverses auxquelles il était soumis, le corps générait une réponse non spécifique à la maladie ou aux attaques extérieures. Pire encore, il découvrit que cette réaction pouvait en soi tuer l’organisme si elle n’était pas contrôlée. Le chercheur venait de découvrir ce qu’il appela à l’époque le « Syndrome de l’adaptation générale » (Selye, 1936, 1998), c’est-à-dire la réponse caractéristique, mais non spécifique que le corps produit lorsqu’il est soumis à des conditions adverses, telles que la maladie. Un peu plus tard dans sa carrière, vers 1936, Dr Selye empruntera le terme de « stress » aux ingénieurs et décrira la réponse initiale du corps à diverses attaques (maladies, extraits de glandes ou d’organes, etc.) sous le vocable de « réponse de stress » (Selye, 1936, Viner, 1999).

À la recherche des hormones de stress

Dr Selye souligna que le stress était la réponse spécifique du corps à des conditions non spécifiques. Ce que cela voulait dire, c’était que peu importe la nature de l’attaque que pouvait subir un corps, il réagira par une réponse bien particulière (la réponse de stress ou le syndrome d’adaptation générale), qui inclut l’air malade, l’épaississement de la langue, les douleurs abdominales, et l’ulcère d’estomac. Selye publia en 1936 dans la revue scientifique Nature un court article décrivant les résultats de ses recherches et sa description du syndrome d’adaptation générale (Selye, 1936).

À ce moment-là de sa carrière, Selye accepta un poste à l’Université de Montréal qui lui permettait de mettre sur pied un Institut de médecine spécialisé dans l’étude du stress (Viner, 1999). La renommée de Selye était déjà grande à cette époque et beaucoup d’étudiants à travers le monde se bousculaient pour avoir le privilège d’étudier sous sa direction. C’est à cette époque que Selye chercha à comprendre comment se produisait cette réponse de stress. Pour débuter, il décida de se concentrer sur une seule des manifestations de la réponse non spécifique du corps. Il se demanda donc ce qui pouvait bien induire l’atrophie du thymus lorsque les rats étaient soumis à des conditions stressantes. Il fit l’expérience suivante. Il soumit des rats à des stress physiques tels le froid et la chaleur intense (qu’il nomma les « stresseurs ») et observa que leurs corps produisaient la réponse typique de l’atrophie du thymus (l’une des caractéristiques de la réponse physiologique de stress). Il se dit qu’il pourrait découvrir l’origine de cette atrophie si, systématiquement, il enlevait différentes glandes du corps de l’animal et observait le résultat final. Après plusieurs tentatives, il observa que lorsque l’animal avait subi l’ablation des glandes surrénales, l’atrophie du thymus cessait de se produire lorsque l’animal était soumis à des conditions adverses (Selye, 1975).

Avec ce résultat, il démontra hors de tout doute que le message de base qui provoquait l’atrophie du thymus provenait des glandes surrénales. Ce résultat concordait avec l’hypertrophie de ces glandes qu’il avait aussi observée lorsque les animaux étaient soumis à des conditions adverses. Pour tester son hypothèse, il injecta des extraits de la glande surrénale aux animaux et observa encore une fois les changements typiques observés dans le thymus. Clairement, il existait dans la glande surrénale une substance qui induisait la réponse non spécifique de stress décrite par Selye. À ce stade de ses recherches, une question évidente émergea : « Comment est-ce que la glande surrénale peut savoir lorsqu’il y a une condition de stress et donc, avoir le besoin de produire cette substance ? » En d’autres termes, d’où part le message pour dire aux glandes surrénales de produire cette substance qui a tant d’effets néfastes sur le corps ? À cette étape des études de Selye, la recherche de nouvelles hormones avait amené les chercheurs à comprendre que la glande pituitaire, une toute petite glande située à la base du cerveau, produit aussi des hormones (Wade, 1981). Fort de ces données, Selye décida d’enlever la glande pituitaire afin de voir s’il pouvait encore induire une atrophie du thymus lors de conditions adverses. Il découvrit que lorsque la glande pituitaire était absente et que l’animal était soumis à des conditions adverses, on n’observait aucun effet sur le thymus. À l’inverse lorsqu’il injecta l’hormone produite par la glande pituitaire, il put produire les effets sur le thymus. Il venait de découvrir que pour pouvoir produire la substance qui causait la réponse de stress, la glande surrénale devait recevoir un message de l’hormone corticotrope, découverte en 1956 par Dr Li, provenant de la glande pituitaire (Viner, 1999).

Quelques années plus tard, l’ancien étudiant de Selye, Dr Guillemin et son adversaire Dr Harris découvrirent tous deux que pour pouvoir produire l’hormone corticotrope, la glande pituitaire devait recevoir un message de la corticolibérine. Lorsqu’il y a une condition adverse, l’hypothalamus produit de la corticolibérine qui voyage jusqu’à la glande pituitaire pour permettre la production de l’hormone corticotrope. L’hormone corticotrope produite par la glande pituitaire voyage alors dans le sang pour aller activer les glandes surrénales qui produiront la substance qui présente les effets adverses décrits par Selye. Le mécanisme exact de la chaîne d’événements qui surviennent lors de l’exposition à des conditions adverses venait d’être découvert. Mais il restait une chose très importante à découvrir. Quelle est cette substance, produite par la glande surrénale, qui mène aux effets néfastes décrits par Selye lors de conditions de stress ?

La découverte des hormones du stress

Pour pouvoir extraire de larges quantités de substances de la glande surrénale dans le but de les étudier, les chercheurs travaillaient sur les glandes surrénales de boeuf, qui pouvaient leur être envoyées en grande quantité par les différentes fermes environnantes et les abattoirs (Wade, 1981).

Au même moment, une recherche fut publiée par des chercheurs de la clinique Mayo dans laquelle les auteurs affirmaient qu’un extrait du cortex des glandes surrénales de boeuf pouvait maintenir en vie des patients souffrant de la maladie d’Addison, un désordre dans lequel on observe une atrophie des glandes surrénales (Dwight, 1975). Très rapidement, les patients souffrant de la maladie d’Addison reçurent de larges doses d’extraits de glandes surrénales de boeuf. Par la suite, des études animales montrèrent que si l’on enlève les glandes surrénales d’un animal, on peut le maintenir en vie par ces extraits de glandes surrénales de boeuf. On venait encore ici de découvrir qu’une substance, présente dans le cortex des glandes surrénales, permettait la survie de l’individu.

Toutefois, pour pouvoir extraire de larges quantités de substances qui seraient efficaces chez les patients souffrant d’une maladie d’Addison, cela prenait un nombre démesuré de glandes surrénales de boeuf. Il fallait donc parvenir à identifier et à isoler la substance exacte, contenue dans le cortex des glandes surrénales de boeuf, qui pouvaient maintenir en vie les patients souffrant de la maladie d’Addison. Ce travail fût entrepris par Dr Edward Kendall qui, au cours des années 1930 à 1940, isola quatre hormones du cortex de la glande surrénale qu’il nomma les substances A, B, E et F. Plus tard, les chercheurs découvrirent que la substance E (appelée aujourd’hui cortisol) était la substance active dans la réponse de stress et dans la survie de l’animal. C’était donc la portion du cortex de la glande surrénale qui était à l’origine des effets positifs des glandes surrénales de boeuf chez les patients souffrant de la maladie d’Addison (Dwight, 1975).

La Deuxième Guerre mondiale et les glandes surrénales de boeuf

C’est alors qu’éclata en Europe la Deuxième Guerre mondiale. Dès le début, les différents organismes de recherche européens décidèrent de mobiliser les chercheurs pour tenter d’aider les soldats envoyés au front. À cette époque, la tendance scientifique était aux glandes surrénales de boeuf et à ses potentielles vertus pour sauver des vies. À ce titre, l’attention des Alliés était attirée par une rumeur voulant que l’Allemagne achetait de larges quantités de glandes surrénales de boeuf en Amérique du Sud pour en faire des extraits à administrer aux soldats. On prétendait que les extraits de glandes surrénales de boeuf étaient utilisés pour contrecarrer l’hypoxie des pilotes allemands, leur permettant ainsi de voler à de plus hautes altitudes. De plus, on disait que les extraits de glandes surrénales de boeuf étaient utiles pour prévenir le choc septique des soldats blessés à la guerre (Dwight, 1975, Viner, 1999).

Un large effort de guerre fût donc entrepris pour tester les vertus des extraits de glandes surrénales de boeuf sur la résistance à l’hypoxie et le choc septique des soldats alliés. Toutefois, les études entreprises s’avérèrent toutes négatives et ne furent d’aucune utilité pour aider les soldats. Par conséquent, la presque totalité des chercheurs cessa de travailler sur ce sujet vers la fin de la guerre, en 1944 (Viner, 1999). Seuls deux groupes de recherche persistèrent, ceux de la clinique Mayo et de la compagnie Merck.

Puisque Dr Kendall avait réussi à isoler et à purifier les hormones du cortex de la glande surrénale, un comité spécial de l’armée lui demanda de les synthétiser en laboratoire. Ce fut la première partie des travaux réalisés par Dr Kendall en collaboration avec les chercheurs de la clinique Mayo et ceux de la compagnie Merck. En décembre 1944, des chercheurs de Merck réussirent à préparer quelques milligrammes de la substance E (Dwight, 1975).

Les responsables de Merck contactèrent alors Dr Kendall pour l’informer qu’ils avaient en leur possession une très petite quantité synthétisée de substance E et qu’ils ne planifiaient pas d’en produire plus, compte tenu du manque d’intérêt du milieu de la recherche pour cette substance. Dès lors, si Dr Kendall et ses collaborateurs voulaient tester les effets de la substance dans certaines conditions, c’était le moment ou jamais de le faire (Dwight, 1975).

La découverte de la drogue fantastique

À la même période, un médecin de la clinique Mayo, Dr Hench, avait observé que les patients souffrant d’arthrite rhumatoïde connaissaient parfois une rémission lorsqu’ils attrapaient la jaunisse et que certaines femmes voyaient leur condition s’améliorer lorsqu’elles étaient enceintes. Dr Hench postula qu’une substance devait être produite lors d’une jaunisse ou durant la grossesse qui était responsable de cette rémission. Dr Hench et Dr Kendall discutèrent alors de ce problème et décidèrent de tester les effets potentiels de la substance E sur les symptômes de l’arthrite rhumatoïde. Il n’y avait aucune raison de penser que la substance E pourrait avoir des effets bénéfiques sur l’arthrite rhumatoïde, mais puisqu’on avait en main la substance, pourquoi ne pas en tester les effets sur ces patients ?[1]

En septembre 1948, la substance E fut injectée à une femme souffrant d’arthrite rhumatoïde. Dans une très courte période de temps, les symptômes de la femme disparurent. Lorsque cela fut testé chez un nombre plus élevé de patients souffrant de différents troubles inflammatoires, Hench et Kendall observèrent que la presque totalité des patients entrait en rémission lorsqu’injectée avec la substance E. Toutefois, ils observèrent aussi qu’il ne fallait pas cesser d’administrer la substance sinon, les symptômes réapparaissaient. Dr Hench et Dr Kendall venaient de découvrir les propriétés anti-inflammatoires de la substance E (Dwight, 1975). L’excitation fut grande de la part des chercheurs, mais, sceptiques devant leur découverte, ils attendirent près de 7 mois avant d’annoncer publiquement les résultats de leur étude. En 1949, l’annonce fut faite des vertus positives de la substance E sur les troubles inflammatoires. On venait de découvrir ce que les médecins appelleront par la suite la « drogue fantastique », wonder drug. Pour simplifier la vie des chercheurs et des cliniciens, Dr Hench nomma la structure naturelle (celle produite naturellement par le corps humain) de la substance E sous le vocable de « cortisol » et nomma sa forme synthétique (celle produite en laboratoire) sous le vocable de « cortisone ». En octobre 1950, Dr Hench, Dr Kendall et un collaborateur, Dr Reichstein, reçurent le prix Nobel pour cette découverte fortuite (Dwight, 1975).

Sachant maintenant que la glande surrénale produisait du « cortisol », Selye testa ses effets sur des rats et découvrit qu’en effet, c’était cette hormone qui était à l’origine de la réponse biologique de stress qu’il observait depuis déjà de nombreuses années. Sachant maintenant que l’hormone cortisol est une substance dérivée de plusieurs autres substances (substance A, B et F) il catégorisa le cortisol et ses dérivés sous le vocable de « glucocorticoïdes » (Selye, 1975, 1976). La boucle était bouclée. Dr Selye avait démontré le rôle du cortisol (provenant du cortex de la glande surrénale) sur la réponse non spécifique du corps à des stress intenses.

Conclusion

Aujourd’hui, on en sait beaucoup plus sur le stress que ce qui est décrit dans cette revue historique (pour un historique complet de la science du stress, voir Lupien, 2010). Toutefois, l’histoire de la découverte du stress et de ses fondements biologiques est une histoire épique, fondée sur deux guerres mondiales et animée par des chercheurs opiniâtres et audacieux. En effet, tentez d’imaginer des chercheurs et leur horde d’étudiants visitant sans relâche les abattoirs de la ville très tôt le matin pour obtenir le plus grand nombre de glandes surrénales possible, afin d’en extraire une substance encore inconnue, mais ayant potentiellement des propriétés curatives très importantes ! La détermination et la curiosité de ces chercheurs les ont conduits à nous léguer le concept et la science du stress, et à nous inciter à poursuivre nos recherches sur ce phénomène encore méconnu.

Aujourd’hui, nous savons que le cortisol a la propriété d’accéder au cerveau et que des récepteurs glucocorticoïdes sont présents dans l’hippocampe, l’amygdale et le lobe frontal. Compte tenu de l’implication de ces régions cérébrales dans l’apprentissage, la mémoire et la régulation des émotions, bon nombre d’études ont démontré que l’exposition chronique à des concentrations élevées de cortisol est associée à des troubles d’apprentissage et de mémoire et/ou à une vulnérabilité accrue à certains troubles mentaux tels la dépression, l’anxiété et le désordre d’origine post-traumatique (pour une revue, voir Lupien et al., 2009). Ce sont donc ces découvertes importantes du Dr Selye à l’Université de Montréal qui font qu’aujourd’hui, on enseigne la psychoneuroendocrinologie dans des départements de psychiatrie à travers le monde. Ainsi, le Dr Hans Selye aura permis à la recherche en psychiatrie d’aller au-delà des modèles de dérèglements de neurotransmetteurs pour inclure des modèles portant sur des dérèglements hormonaux et leurs implications dans la genèse et/ou le maintien de certains troubles mentaux.

Tableau récapitulatif des dates clés de l’historique de la science du stress

Tableau récapitulatif des dates clés de l’historique de la science du stress
Source : Division des archives de l’Université de Montréal

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