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En octobre 2014, les auteurs de cet éditorial ont organisé à l’Université de Sherbrooke une conférence intitulée « Améliorer l’accès aux psychothérapies au Québec et au Canada : Réflexions et expériences de pays francophones ». L’évènement a réuni seize conférenciers, tous chercheurs et acteurs impliqués dans la question de l’accès aux psychothérapies et provenant de plusieurs provinces ou pays francophones. La conférence avait comme objectif de décrire la situation actuelle quant à la prise en charge financière des psychothérapies, de questionner la manière d’améliorer l’accès aux psychothérapies dans les différents pays, d’examiner la collaboration entre médecin généraliste et psychothérapeute. La conférence et la table ronde qui s’en est suivie, et dans la lignée, la publication de ce numéro spécial de Santé mentale au Québec, ont comme objectif d’alimenter le débat sur la prise en charge financière des psychothérapies pour assurer l’équité de leur accès au plus grand nombre, ceci au Québec et au Canada comme ailleurs dans le monde.

L’origine d’une telle conférence et de ce numéro spécial est ancrée dans le contexte québécois, mais a aussi un écho international. Au Québec, comme dans la grande majorité des pays développés, environ un quart de la population présentera un trouble de santé mentale au cours de la vie. De nombreuses études ont montré que les troubles de santé mentale dits courants ou transitoires ont un impact économique et social important ; pourtant dans la plupart des pays, le seul service clinique gratuit ou en partie remboursé par l’État et facile d’accès est le traitement pharmacologique. Ceci peut surprendre d’autant que plusieurs psychothérapies ont été démontrées efficaces seules ou associées à un traitement pharmacologique, potentialisant même l’effet de ces derniers, et sont recommandées par nombre de guides de bonne pratique clinique internationaux. Bien que près de 50 % des personnes souffrant d’un trouble de santé mentale souhaitent et préfèrent recevoir une psychothérapie plutôt que des psychotropes, la majorité des personnes, à cause de barrières économiques, n’en bénéficie pas. Aujourd’hui, seulement quelques pays, notamment l’Angleterre et l’Australie, ont mis en place un programme de prise en charge financière – totale ou partielle – pour les services de psychothérapies. Le Québec et le Canada accusent donc un retard certain.

La psychothérapie au Québec

Au Québec, une loi importante, plus connue sous l’appellation de projet de loi 21, changea récemment la donne quant à la psychothérapie ; en effet, cette loi réglemente l’exercice de la psychothérapie et l’usage du titre de psychothérapeute, ce qui constitue une première au Canada. L’article de Trudeau, Dion et Desjardins (2015), respectivement médecin généraliste, psychiatre et psychologue, publié en ces pages, décrit le cheminement qui a mené à cet encadrement de la psychothérapie au Québec. Depuis juin 2012, les dispositions de cette loi, adoptée à l’Assemblée nationale du Québec quelques années plus tôt, ont été mises en vigueur. Ces dispositions proposent une définition de la psychothérapie et quelques règles d’exercice pour cette activité et des activités connexes, définissent un processus d’encadrement pour l’exercice de la psychothérapie, dont la formation qui sera désormais requise, décrivent une obligation de formation continue, et ordonnent la création d’un conseil consultatif interdisciplinaire sur l’exercice de la psychothérapie. L’article de Trudeau et ses collaborateurs souligne par ailleurs la communication productive réussie entre les ordres professionnels impliqués dans la reconnaissance légale de la psychothérapie qui a prévalu avant et depuis l’adoption de la nouvelle loi et qui a contribué à l’élaboration d’un guide explicatif consensuel, évitant de ce fait les complications qui avaient découlées d’un précédent projet de loi portant sur la santé.

À la suite de l’adoption du projet de loi 21, a par ailleurs été publié un rapport du Commissaire à la santé et au bien-être du Québec (2012), fruit de deux ans de travaux portant sur la question de la performance en santé mentale du système de santé et services sociaux. Le rapport recommande de diversifier l’offre de services en santé mentale ; parmi ses cinq grandes recommandations se trouvait, par ailleurs, celle d’offrir un accès équitable aux psychothérapies. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a par après, en décembre 2012, reçu comme mandat de réévaluer l’efficacité de la psychothérapie, d’évaluer les différents modèles d’accessibilité implantés dans d’autres juridictions, et d’évaluer l’impact financier d’une couverture plus élargie pour les psychothérapies. L’INESSS est une agence d’évaluation des technologies et des moyens d’intervention en santé et services sociaux, chargée d’éclairer le ministre sur des décisions d’adopter et financer l’accès à des technologies et moyens d’intervention. L’INESSS est une agence comparable au National Institute for Health and Care Excellence (NICE) britannique ou à l’Institute of Health Economics en Alberta. Au Québec, l’INESSS a pour mandat également de recommander de nouveaux médicaments pour leur inscription dans le formulaire provincial des médicaments assurés par l’assurance médicaments universelle. Les deux premiers volets des travaux de l’INESSS – portant sur l’efficacité de la psychothérapie et sur les modalités d’accès implantées ailleurs – ont été publiés en juin 2015, alors que le troisième rapport sur les modalités d’assurance a été annoncé pour le printemps 2016.

Dans les lignes qui suivent, nous aborderons succinctement ces trois volets des rapports de l’INESSS, et analyserons comment les articles de ce numéro thématique de Santé mentale au Québec les éclairent et laissent entrevoir les enjeux suivant le dépôt du dernier rapport de l’INESSS.

L’efficacité de la psychothérapie

Dans ce numéro spécial de Santé mentale au Québec, Fansi, Drapeau, Jehanno, Lapalme et Bouchard (2015) présentent les conclusions d’une revue de revues systématiques traitant de l’efficacité de la psychothérapie comparée à la pharmacothérapie dans le traitement des troubles anxio-dépressifs. Cette étude a constitué l’une des pierres angulaires du premier volet du rapport de l’INESSS cité plus haut. Rigoureuse, mais sans surprise, cette question de l’efficacité ayant été maintes fois examinée par des chercheurs, l’étude conclut à une efficacité comparable entre la psychothérapie et la pharmacothérapie sur le plan de la réduction des symptômes des patients souffrant de troubles anxieux ou dépressifs modérés. L’étude indique, par ailleurs, que les avantages de la psychothérapie seraient maintenus plus longtemps après la fin du traitement que ceux des médicaments ; ainsi, la psychothérapie offrirait une meilleure protection contre les rechutes. Par ailleurs, la combinaison de la psychothérapie et de la pharmacothérapie présenterait une efficacité supérieure à celle de la psychothérapie seule dans les cas plus graves.

Les modalités d’accès à la psychothérapie dans différents pays

Les modèles mis en place dans d’autres pays, notamment au Royaume- Uni et en Australie, ont largement retenu l’attention de l’INESSS lors de la rédaction du second volet de son rapport au ministre. Et pour cause. En Australie, depuis 2006, le programme Better Access Initiative, permet aux personnes souffrant de troubles de santé mentale de bénéficier de séances gratuites ou peu coûteuses de psychothérapies brèves en soin primaire. Le traitement s’étale généralement de 6 à 10 séances. Entre 2007 et 2009, près de 2,01 millions d’individus ont consulté en moyenne 5,5 fois les services du programme Better Access. Le coût défrayé par le gouvernement pour ces services était de 288,9 MAUS, 389,4 MAUS et 478,1 MAUS par année entre 2007 et 2009, pour une moyenne de 104 AUS par service (Pirkis, 2011). Les patients souffrent dans 28 % des cas de dépression seulement, 23 % présentent un diagnostic dépressif et anxieux, et 30 % souffrent de troubles anxieux sans symptôme dépressif. Des études d’efficacité du programme montrent que la taille d’effet des traitements psychologiques est jugée importante chez les patients souffrant de dépression (d = 1,1) et chez ceux souffrant de troubles anxieux (d = 0,85). Better Access compte 16 450 professionnels de santé mentale non-médecin, 24 000 médecins généralistes et 1 700 psychiatres. Le patient est suivi en collaboration entre le médecin généraliste et les professionnels de santé mentale, comme l’expliquent plus en détail Vasiliadis et Dezetter (2015) dans ce numéro spécial. Soutenus par une subvention des IRSC, Vasiliadis, Drapeau et Lesage (2009) se sont aussi intéressés au cas de l’Angleterre, qui via son programme Improving Access to Psychological Therapies (IAPT) mis en place en 2007 offre un service gratuit de psychothérapies brèves pour les personnes souffrant de troubles de santé mentale courants. Le modèle de soin est en étape, suivant les guides cliniques du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE). Le type de professionnel (counselor ou psychothérapeute formé), le nombre de séances assurées (entre 4 et 13) et la méthode thérapeutique varient ainsi selon la sévérité du trouble. Depuis le début du programme IAPT, plus d’un million de personnes ont bénéficié d’un traitement psychologique. Le budget annuel attribué entre 2009 et 2012 était de 119,7 M£, 168,8 M£ et 214,2 M£ (NHS, 2011). Le programme IAPT a formé 6 000 thérapeutes sur 7 ans. Dans 27 % des cas, les patients souffrent de dépression seulement, 26 % présentent un diagnostic dépressif et anxieux, et 48 % souffrent de troubles anxieux sans symptôme dépressif. Les études ont aussi montré des résultats de santé positifs pour les patients du programme où le taux de rémission post-traitement a été estimé à 50 %. Les tailles d’effet des traitements psychologiques du programme sont importantes à la fois chez les patients souffrant de dépression (d = 1,38) que chez ceux souffrant de troubles anxieux (d = 1,41).

En France, les psychothérapies sont effectuées dans 60 % des cas par des psychiatres, alors que 15 % le sont par des psychologues. Les consultations avec un psychiatre exerçant dans le privé sont remboursées à hauteur de 70 % par l’assurance maladie, le 30 % restant étant remboursé par la complémentaire santé (qui couvre 95 % de la population ; voir aussi Dezetter & Briffault, 2015). Les consultations avec un psychologue ne sont ainsi pas remboursées à l’exception de quelques rares complémentaires de santé ; comme au Québec, des services gratuits sont disponibles dans le système public, mais le temps d’attente est long. Cette situation encourage une médicalisation des soins par le recours aux psychiatres, dont le coût de formation est élevé, surtout dans les zones désertifiées en offre de psychologues ou de psychothérapeutes. Cette situation pose problème à plusieurs égards. Ainsi, ce numéro de Santé mentale au Québec comprend un article de Van Effenterre, Azoulay, Briffault, Dezetter et Champion (2015), qui à partir d’une enquête quantitative et qualitative, questionnent la satisfaction des internes en psychiatrie en France sur leur formation aux psychothérapies, leur intérêt pour celles-ci et leurs souhaits de formation. Les auteurs montrent que presque la totalité des internes est intéressée par la psychothérapie, mais la plupart sont insatisfaits de la formation reçue, préférant alors opter pour divers genres de formations extra-universitaires, coûteuses en temps et en finances. Les orientations psychothérapeutiques des internes sont diverses, la pluralité des méthodes étant défendue à la fois pour elle-même, en tant que richesse et bonne pratique de la psychiatrie, et parce que les internes l’estiment indispensable à leur formation. Ils conçoivent la psychothérapie comme une pratique médicale et estiment qu’il est de la responsabilité de la psychiatrie d’assurer la formation aux psychothérapies. Au final, l’absence de véritable formation aux psychothérapies des internes en psychiatrie serait un préjudice pour la qualité des soins en psychiatrie ; ces données, et la création récente d’un titre protégé de psychothérapeute auquel les psychiatres ont accès de droit sans formation additionnelle, appellent d’urgence l’élaboration d’une formation.

En Belgique, comme le soulignent Chomienne, Vanneste, Grenier et Hendrick (2015), bien que le titre de psychologue soit protégé depuis novembre 1993, la fonction ne l’était pas et la situation de la psychothérapie était largement méconnue. En avril 2014, une nouvelle législation reconnaissait les psychologues cliniciens et les psychothérapeutes en tant que professionnels de la santé et définissait ainsi l’exercice de ces professions. Toutefois, les Arrêtés d’exécution de la loi doivent encore être pris afin de permettre l’entrée en vigueur de la loi au 1er septembre 2016. Actuellement, certaines prestations de psychologues (cliniciens ou thérapeutes) peuvent faire l’objet d’un remboursement si elles sont mises de l’avant et endossées par un psychiatre. Dans certains services hospitaliers (psychiatrie, pédopsychiatrie, oncologie, gérontologie, chirurgie cardiaque, service de soins palliatifs), la présence de psychologues est cependant obligatoire. Des psychologues sont également prévus au sein des centres de santé mentale ou des centres de guidance thérapeutique.

En Suisse, la loi sur les professions de la psychologie a été adoptée par le Parlement suisse le 18 mars 2011 et est entrée en vigueur le 1er mars 2013. Le Conseil fédéral a ainsi fixé l’étendue et la durée de formations post-graduées nécessaires à l’obtention des titres fédéraux en psychothérapie : psychologue des enfants et des adolescents, psychologue clinique, et psychologue de la santé. L’assurance de base prend en charge des prestations de psychothérapie si elles sont exercées par un médecin, un psychiatre ou par un psychothérapeute employé dans le cabinet médical (il s’agit ici d’un acte délégué, soit d’une psychothérapie déléguée). L’article de Kramer, Grosse Holtforth et Dauwalder (2015), publié en ces pages, décrit en détail la situation des psychothérapeutes en Suisse, y compris le statut juridique des psychothérapeutes, leur rôle dans le système de santé, le contexte de leur pratique, le type de formation, les différents modèles de carrières, ainsi que le remboursement des psychothérapies par l’assurance santé obligatoire.

Des modèles d’accès à la psychothérapie existent donc à l’extérieur du Québec, y compris dans des pays qui peuvent à différents égards ressembler au Québec dans l’organisation de leurs services de santé ou qui ont une main-d’oeuvre professionnelle comparable. Ces modèles ont été décrits par l’INESSS et le sont aussi en ces pages. Au moment d’écrire cet éditorial, l’INESSS examine pour son dernier rapport prévu pour le printemps 2016, les modes d’assurabilité et de fonctionnement pour un financement d’un accès équitable de la psychothérapie au Québec. Ce qui n’est pas assuré n’est pas accessible ; les articles suivants abordent donc certains des enjeux liés à une assurance publique accrue de la psychothérapie au Québec et au Canada.

Enjeux liés à une assurance publique accrue de la psychothérapie

Enjeux économiques

En Angleterre, l’analyse de coût-bénéfice de Layard (2007) a montré que les coûts du programme engagés par le gouvernement seraient complètement balancés par les épargnes des incapacités payées aux individus et le surplus des impôts reliés à la hausse de productivité des individus retournant au travail. L’étude montre que les coûts du programme seraient récupérés entre 2 et 5 années.

En Australie, une investigation portant sur l’évaluation des coûts reliés aux traitements et les frais payés par Medicare aux médecins et psychologues et les résultats de santé associés a montré que le programme Better Access était rentable pour le gouvernement. L’étude a conclu que les interventions fournies par les psychologues pour les troubles de santé mentale communs dans le programme étaient coût-efficaces à livrer des services de santé (Pirkis 2011).

En France, comme en Angleterre et en Australie, l’économicité de la psychothérapie est déjà démontrée. Toujours dans ce numéro, Dezetter et Briffault (2015) présentent ainsi les résultats d’une analyse médico-économique française visant à évaluer les coûts et bénéfices d’un programme de financement des psychothérapies auprès des adultes souffrant de troubles dépressifs ou anxieux. L’évaluation économique s’est inspirée de la méthodologie du programme anglais Improving Access for Psychological Therapies, adapté à la France. Pour un suivi moyen de 12 séances, le coût du suivi psychothérapeutique annuel s’élèverait à 308 M€ pour le régime de santé obligatoire, pour traiter 2,3 % de la population. Le ratio coût-bénéfice de la psychothérapie s’élèverait entre 1,14 € et 1,95 €. L’étude montre que financer les psychothérapies s’avère donc être un investissement rentable dès le court terme. Les auteurs estiment aussi que le nombre de psychothérapeutes habilités serait actuellement suffisant dans le cadre d’un tel programme.

Au Québec, des efforts similaires ont été entrepris, notamment par l’INESSS ; les résultats de cette démarche devraient d’ailleurs être connus lors de la publication du dernier volet de son rapport au ministre. En parallèle à ceci, Vasiliadis, Latimer, Drapeau, et Lesage, grâce à une subvention des IRSC (2012), travaillent aussi à développer diverses modélisations des coûts et bénéfices liés à un accès accru à la psychothérapie au Canada.

Enjeux syndicaux et liés à la représentation professionnelle

Dans ce numéro spécial, Trudeau et al. (2015) soulignent l’importance des ordres professionnels. Il importe cependant de souligner le rôle que pourront être appelées à jouer les associations. Ainsi, Piotrowski (2015) présente en ces pages la Société canadienne de psychologie et son mandat qui est de promouvoir l’excellence, l’innovation dans la recherche, l’éducation et la pratique en psychologie et de diffuser ces connaissances à travers les provinces canadiennes. L’article décrit les actions passées, présentes et futures de la Société canadienne de psychologie en termes de stratégies politiques, de campagne d’information, de recherches scientifiques et de formations ayant pour objectif d’améliorer l’accès aux services psychologiques des Canadiens. Comme le soulignent par ailleurs Bradley et ses collaborateurs (2015), toujours dans ce numéro spécial, l‘un des enjeux que soulèvera un éventuel programme d’accès à la psychothérapie en sera un de représentation syndicale à proprement parler. En effet, il n’existe pour le moment aucune association unique et formellement mandatée pour négocier les conditions de travail des psychologues ou des psychothérapeutes professionnels, sauf dans le secteur public. Les ordres professionnels québécois ont pour mission la protection du public, l’accréditation de la formation, la surveillance de la formation continue et la répression de l’usage illégal de titres professionnels ou de l’exercice d’actes réservés, comme maintenant la psychothérapie. Leur rôle n’est d’aucune façon de défendre les intérêts des professionnels, encore moins de négocier leurs conditions salariales ou d’exercice. Les médecins et les infirmières, deux groupes de professionnels qui peuvent exercer la psychothérapie, disposent de puissants syndicats distincts de leurs ordres professionnels respectifs. Ces syndicats négocient leurs conditions de travail avec le secteur public et avec le système d’assurabilité public des soins médicaux. Comme le soulignent Bradley et al. (2015), il y aura rapidement urgence de mandater un ou des regroupements syndicaux pour parler au nom des divers autres cliniciens.

Enjeux liés à la collaboration professionnelle

La nécessaire collaboration entre médecins de famille et psychologues est ancrée en Angleterre et en Australie à plusieurs niveaux. Mais qu’en est-il de cette collaboration au Québec et au Canada, au-delà de celle qui a présidé à l’élaboration et la mise en place de la récente loi sur l’exercice de la psychothérapie au Québec ?

Le Québec et d’autres provinces canadiennes ont déjà mis à l’épreuve divers modèles de collaboration et d’offre de services afin de faciliter l’accès à la psychothérapie ; nous avons ainsi une expérience sur laquelle nous pouvons déjà compter. Ainsi, l’article de Grenier, Chomienne et Gaboury (2015) présente un argumentaire pour l’inclusion des psychologues dans les équipes de santé familiale en Ontario suite à l’examen d’un projet de démonstration réalisé au moment de la réforme en soins primaires. Ce projet intégrait un psychologue à temps plein dans des cliniques de médecine familiale. Les résultats ont montré une réduction du fardeau des médecins de famille pour la prise en charge des problèmes de santé mentale courants. L’accès rapide à un psychologue permettait de confirmer les diagnostics, et d’assurer une prise en charge par une psychothérapie. Dans leur article, les auteurs examinent les raisons qui entravent l’inclusion de psychologues dans les nouvelles équipes de soins primaires. Par ailleurs, sachant que la collaboration médecins-psychologues est d’autant plus critique dans le contexte d’augmenter l’accès des populations aux psychothérapies, l’article de Chomienne, Vanneste, Grenier et Hendrick (2015) examine l’évolution des mentalités et attitudes entre les professions de médecin et de psychologue. Ces attitudes sont aussi abordées en partie par Bradley et al. (2015), qui soulignent eux aussi toute l’importance d’établir de solides liens collaboratifs entre les professionnels en santé mentale, mais démontrent par ailleurs, données à l’appui, toute l’importance de préserver l’autonomie professionnelle de chacun et d’éviter un possible effet goulot en forçant l’accès aux psychothérapies via un groupe restreint de professionnels.

Enjeux liés aux services à couvrir

La publication des premiers volets du rapport de l’INESSS aura suscité énormément d’intérêt au Québec. Elle aura aussi suscité diverses réactions, souvent émotives, certains attribuant aux rapports des affirmations qu’il ne contenait pas, laissant entendre que le rapport ne fait la promotion, par exemple, que de quelques modèles psychothérapiques, souvent brefs ou ultra-brefs. Aucune de ces hypothèses ne s’avère fondée et elles ne font que rendre compte d’une méconnaissance de la méthode scientifique ou des véritables conditions de travail et de l’offre de services des cliniciens. Il s’agirait donc ici d’enjeux propres aux professionnels, plutôt qu’à la clientèle. Ainsi, on peut se surprendre que le débat se soit par moment déplacé sur les revendications de cliniciens utilisant des approches psychothérapiques moins soutenues par la recherche. On peut tout autant être surpris que d’autres aient ressenti le besoin de déplacer le débat sur des enjeux telle la question du jugement professionnel, comme si celui-ci était à risque d’être malmené par l’une ou l’autre des analyses de l’INESSS, le plaçant même, parfois sans faire les nuances nécessaires, au centre du processus clinique de telle sorte qu’aucun ne pourrait conclure que celui-ci doit avoir préséance, ipso facto, sur les besoins des patients.

Puisque les fonds seront fort probablement limités, et puisque ces fonds devront être sagement utilisés, un accès accru à la psychothérapie ne pourra se faire sans un passage obligé par des choix difficiles et les deuils qu’ils impliquent. Pouvons-nous nous permettre de tout assurer, sans condition ? Les programmes mis en place en Australie et au Royaume-Uni l’ont été par étape, impliquant de faire le choix difficile de ne couvrir que certaines problématiques au début, et même certaines modalités psychothérapiques, tout en visant néanmoins d’élargir le répertoire de services dès que possible. Ce qui importera ici sera de faire ces choix en fonction des données qui sont disponibles, et non en fonction d’anecdotes, de revendications politiques ou des préférences personnelles de tout un chacun. L’article de Bradley et ses collaborateurs (2015) publié en ces pages, offre de telles données et documente comment les psychologues et les psychothérapeutes diffèrent dans leurs attitudes quant aux différents aspects qui définissent les programmes d’accès à la psychothérapie subventionnée par l’État. Leurs résultats indiquent par exemple que les psychologues valorisent davantage l’utilisation de pratiques fondées sur des données probantes ainsi que le suivi en continu avec les résultats observés du traitement, et la publication du niveau de satisfaction des clients par rapport à leur traitement. Les psychothérapeutes valoriseraient davantage l’aide à l’emploi et l’orientation professionnelle. Les auteurs observent aussi des différences concernant les préférences de ces deux groupes de cliniciens quant aux modalités de paiement et de remboursement des services, arguant que les préférences des professionnels devront être prises en compte pour favoriser une adhésion à un programme d’accès élargi à la psychothérapie et son succès.

Par-delà ces données, c’est aussi en portant attention aux succès et erreurs des autres, notamment des pays qui ont mis en place une couverture des frais de la psychothérapie par l’État, que nous devons procéder ; ce numéro spécial de Santé mentale au Québec a ainsi laissé une place importante à ce qui s’est fait ailleurs. Tout aussi important, il nous faudra aussi envisager d’autres façons de faire, et innover lorsque nécessaire. Ainsi, l’étude de Talbot, Leblanc et Jbilou (2015) effectuée auprès de jeunes adultes du Nouveau-Brunswick porte un regard sur la thérapie informatisée comme option pouvant faciliter l’accès à la thérapie chez, d’une part, une population jeune qui présente des taux de prévalence d’anxiété et de dépression élevés et qui est peu susceptible de consulter, et d’autre part qui résident dans les régions du Canada où les ressources de santé mentale sont limitées. L’étude a évalué le lien entre l’autostigmatisation, un besoin d’autonomie pour résoudre ses problèmes, les attitudes à l’égard de la thérapie informatisée et l’intention d’utiliser la thérapie informatisée. Visiter le site Web d’une clinique en ligne a produit une augmentation significative et importante de l’intention d’utiliser ce type de traitement. Les auteurs concluent que la thérapie informatisée pourrait faciliter l’accès aux traitements de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes adultes au Nouveau-Brunswick, particulièrement ceux qui sont à risque d’autostigmatisation et qui montrent un besoin d’autonomie. Cette intervention démontrée efficace dans des essais randomisés est maintenant passée au stade d’implantation en soins de santé primaire en Australie (Williams & Andrews, 2013).

Une coalition pour un accès équitable à la psychothérapie

L’Angleterre et l’Australie ont chacune des histoires de champions ou d’incidents qui ont motivé la décision du gouvernement de financer un accès accru à la psychothérapie. En Angleterre, le rôle de Lord Richard Layard, professeur au London School of Economics (où avait étudié l’ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau) a été déterminant par sa vision et ses études de modélisation économique et d’efficacité en situation réelle développées en collaboration avec plusieurs professeurs de psychologie. En Australie, la planification fondée sur les preuves à laquelle participaient des psychiatres a été propulsée par des incidents critiques pour des figures publiques. Au Québec, s’est formé à l’initiative de la Fondation Boeckh, un collectif pour l’accès équitable à la psychothérapie (CAP). La fondation Graham Boeckh est d’abord une famille montréalaise qui a perdu un fils aux soins déficients de sa schizophrénie, et qui désire une amélioration de l’accès et de la qualité des soins de santé mentale. Un des porte-paroles est le juge Michael Sheehan de Québec, qui a perdu un fils par suicide il y a de nombreuses années. Sa position est que l’amélioration des soins de santé mentale, dont l’accès en temps opportun aux thérapies efficaces, est une stratégie de prévention du suicide.

La coalition du CAP regroupe, entre autres, des représentants de certains ordres professionnels : du Collège des médecins de famille du Canada, des associations de familles du Québec, des associations d’usagers souffrant d’anxiété et dépression du Québec (Revivre) et du Canada (Mood Disorders Society of Canada), des associations communautaires et des chercheurs, dont trois auteurs de cet éditorial. Le CAP a facilement obtenu accès au ministre de la Santé depuis le début des travaux de l’INESSS pour s’en informer et assurer leur poursuite assidue ; avec des porte-paroles tels le juge Michael Sheehan ou encore M. David Levine, et les campagnes de presse du CAP, difficile d’imaginer comment le ministre aurait pu refuser de les recevoir (voir les conclusions de la table ronde présentées dans ce numéro). Au Canada, la gouvernance et la gestion du système de santé et des services sociaux relèvent des provinces. Les sources de financement sont doubles cependant : les impôts et assurances publiques levés par les provinces, et les transferts fédéraux vers les provinces pour la santé. La commission canadienne pour la santé mentale, dirigée par l’honorable Michael Wilson (qui a lui aussi perdu un fils par suicide, ami de monsieur Boeckh, et ancien ministre fédéral des finances), a recommandé dans sa stratégie nationale de santé mentale, une part accrue du budget de la santé pour la santé mentale. Un financement de l’accès équitable à la psychothérapie au Québec et au Canada pourrait venir, tant des sources de financement provincial, que de fonds de transition du fédéral. Le CAP inclut donc des représentants des usagers et des médecins de famille du Canada, qui soutiennent un accès et financement accru des services de santé mentale, dont la psychothérapie.

Conclusions et recommandations

Comme société, nous devons exiger un accès équitable à des services de santé fondés sur les résultats cliniques (données probantes) ainsi qu’une utilisation optimale des ressources financières dédiées aux services de santé. Au Québec et au Canada comme en Europe, les questions et les réponses sur l’accès aux psychothérapies et la mise en place de programme de financement des psychothérapies sont parfois similaires. Le système de santé actuel couvre les médicaments, mais non la psychothérapie, faisant ainsi en sorte que le système de soin exclut l’un des traitements des plus efficaces et par ailleurs préféré par les patients.

Les conditions d’accès équitable à une psychothérapie de qualité passent par une régulation de l’exercice de la psychothérapie, d’une bonne formation initiale et du maintien de la compétence, de la surveillance et de la répression de l’exercice illégal. Les services de psychothérapie pour les troubles mentaux courants se situent dans les soins de santé primaires. Les conditions incluent aussi une collaboration interdisciplinaire, particulièrement entre les médecins de famille et les psychologues, et les psychothérapeutes ayant un permis d’exercice. Ainsi, toute personne souffrant d’un trouble de santé mentale pour lequel les psychothérapies sont indiquées devrait bénéficier de ces services de première ligne, disponibles à partir d’un programme d’assurance semblable au programme d’assurance médicaments ; les patients ayant dans certains cas un reste à charge pouvant être remboursé par leur assurance privée et déduit de leurs impôts, mais protégeant un accès gratuit pour les personnes dont les revenus ne le permettent pas. Par ailleurs, pour surmonter l’effet de silo, les professionnels de santé et de santé mentale devront travailler en collaboration, et ce dès le début de la formation professionnelle, ce qui permettrait de décloisonner les disciplines, de comprendre comment chaque professionnel travaille. Il importerait aussi que les méthodes de travail soient basées sur des données probantes lorsque de telles données sont disponibles. Ultimement, cependant, il est nécessaire d’être centré sur le patient, qu’il soit informé des options de traitements et impliqué dans ce choix pour qu’il puisse prendre une décision éclairée.

Enfin, l’éclairage des données probantes devrait comme dans ce numéro de SMQ, soutenir les coalitions comme le CAP et éclairer la décision du gouvernement québécois, d’autres juridictions canadiennes et du gouvernement fédéral. Des données probantes au niveau clinique et du programme d’accès accru à la psychothérapie devraient aussi accompagner l’implantation, le maintien, l’amélioration continue et la surveillance de la qualité, par l’utilisation d’échelles de mesure dans la pratique clinique. Les résultats de ces échelles peuvent servir à guider la gestion thérapeutique conjointe entre le psychothérapeute et le médecin de famille, et sont détaillés par exemple dans les guides de pratique du NICE. Les résultats agrégés permettraient par ailleurs de vérifier, comme l’ont fait l’Angleterre et l’Australie (Vasiliadis & Dezetter 2015), si l’efficacité démontrée de la psychothérapie se maintient lorsqu’offerte à la grandeur d’un pays. En combinant ces bénéfices à l’ensemble des coûts et à l’ajout de nouvelles connaissances, la décision de maintenir ou même d’accroître la couverture sera bien éclairée. Ainsi, la Grande-Bretagne a accru le financement global et viendrait d’accroître l’accès à la psychothérapie pour les enfants et adolescents.