Article body
« Les patients atteints de ce trouble posent un problème majeur de santé publique alors qu’eux-mêmes restent très stigmatisés et largement délaissés. »
John Gunderson, psychiatre, spécialiste des personnes avec un trouble de la personnalité
Les connaissances sur les troubles de personnalité limite (TPL) ont connu des avancées importantes depuis les 30 dernières années. En effet, dès les années 1990, on a assisté à l’élaboration et l’expérimentation de modèles de traitements utiles et efficaces pour les personnes avec un TPL. La thérapie comportementale dialectique, puis le traitement fondé sur la mentalisation ont été élaborés sur des bases théoriques différentes, mais se sont avérés tous les deux efficaces selon les critères rigoureux de la recherche. Ces deux approches ont permis d’ébranler les conceptions négatives sur le trouble de personnalité limite et de susciter l’espoir de rétablissement. D’autres thérapies « manualisées » et validées par la recherche ont par la suite été menées et ont contribué à diversifier les offres de services. Cependant, bien que respectant plusieurs balises associées à la prestation de services, à la formation et la supervision des thérapeutes, la mise en place de ces différentes approches d’interventions s’est avérée le plus souvent coûteuse ou complexe. Aussi, bien que quelques guides de pratique aient été développés dans certains pays, la mise en place d’une organisation de services respectant ces balises et les critères des meilleures pratiques reste très difficile. Le Québec ne fait pas exception puisque les services proposés, quoique nombreux, tendent à être disparates et souvent précaires. Plusieurs initiatives cliniques dans diverses régions de la francophonie européenne se heurtent aussi aux mêmes enjeux. Malgré les défis rencontrés pour offrir des services adaptés aux personnes avec un trouble de personnalité limite, le champ d’études sur cette population est tout de même devenu incontournable.
Des recherches québécoises ont permis, entre autres, de mieux documenter les enjeux de santé publique, incluant les problématiques de comorbidités psychiatriques et physiques, ainsi que la surmortalité associée à ce diagnostic. Dans un registre plus positif, on a bien documenté que plusieurs personnes présentent au fil des années une diminution significative de leur symptomatologie et que certaines d’entre elles peuvent perdre le diagnostic - c’est-à-dire présenter une diminution du nombre de critères diagnostics du TPL (selon le DSM5), amenant à ne plus recevoir formellement ce diagnostic. Cependant, on a observé que cette évolution favorable est souvent associée à des comportements d’évitement et que la reprise d’un bon fonctionnement social est un enjeu majeur assez peu documenté jusqu’à récemment et mal intégré aux modèles de traitement. Outre les défis dans le fonctionnement de la vie quotidienne, la violence, la suicidalité, l’abus, la maltraitance et les enjeux reliés à la jeunesse ne sont que quelques-uns des thèmes majeurs maintenant étudiés par plusieurs de nos collègues chercheurs dans la francophonie.
Le Québec est, depuis les années 1990, un lieu où de nombreuses initiatives, recherches et regroupements sur le sujet ont été mis en oeuvre. Des pionniers chercheurs ou cliniciens montréalais comme le Dr Joel Paris de l’Hôpital général juif et la Dre Christiane Bertelli de l’Hôpital du Sacré-Coeur ont notamment été des précurseurs dans l’élaboration de modèles de pratiques dédiés aux personnes avec un TPL. Enseignants engagés, ils ont aussi contribué à former et à mobiliser un grand nombre de cliniciens et de chercheurs sur le sujet. Au Québec, des départements cliniques en milieu universitaire à Montréal et à Québec, mais aussi à Sherbrooke et dans différentes régions ont, les uns après les autres, élaborés des services cliniques adaptés s’inspirant des meilleures pratiques. En Europe, mentionnons aussi les initiatives soutenues en Suisse romande pour mettre en place des services cliniques fondés sur les données probantes. Des chercheurs et des praticiens de champs multidisciplinaires en psychiatrie, en psychologie, en ergothérapie et en service social sont maintenant mobilisés au sein d’une communauté dynamique s’intéressant au développement de nouvelles connaissances sur les répercussions du trouble de personnalité limite dans les différentes sphères de la vie, d’outils d’évaluation et d’interventions innovantes.
Parmi les regroupements et les collaborations mis en place, on retient la tenue de colloques francophones rassemblant les différents acteurs sur le thème des troubles de la personnalité. C’est ainsi qu’à la suite de la 2e édition du Colloque francophone tenue en 2021 à Montréal, l’idée de constituer ce numéro thématique sur le sujet spécifique des troubles de personnalité limite est apparue comme essentielle pour promouvoir la contribution de la recherche menée dans la francophonie.
C’est donc avec enthousiasme et ouverture, en lien avec la grande diversité des sujets abordés que nous vous proposons ce numéro.
Le parcours proposé par ce numéro thématique
Ce numéro thématique est constitué de 3 sections complémentaires regroupant des articles touchant les grands enjeux associés aux troubles de la personnalité et explorant plusieurs pistes novatrices.
Mieux comprendre le trouble de personnalité limite (TPL)
La première section porte sur l’exploration du TPL et les études visant à mieux comprendre différentes facettes associées à cette condition. Cinq articles sont proposés.
Dominick Gamache et ses collaborateurs abordent la Validation d’une procédure de dépistage du trouble de personnalité limite selon le Modèle alternatif pour les troubles de la personnalité du DSM-5. La classification des troubles de la personnalité reste un sujet d’actualité avec l’existence simultanée de 2 classifications officielles (DMS5 et CIM 11), mais aussi d’un modèle alternatif à l’étude suscitant beaucoup d’intérêt chez les différents acteurs du milieu. Cet article s’inscrit dans cette démarche d’établir la validité de ce modèle. Par la suite, 4 articles abordent des sujets reliés à différents enjeux importants de santé. Samuel St-Amour et ses collègues examinent l’Activité physique, sommeil et consommation de substances chez les adultes déclarant un trouble de personnalité limite en France et au Canada : une étude en ligne. Claudia Savard et ses collègues s’intéressent à la Violence conjugale commise et subie : profils personnologiques de personnes avec un trouble de personnalité limite. David Théberge et ses collègues présentent leur travail sur La propension à la honte dans le trouble de personnalité limite : réflexion critique à partir de données québécoises. Enfin, au terme de cette section, Magali Tisseyre et ses collègues proposent une étude originale sur l’Insomnie et risque suicidaire dans les troubles de la personnalité du groupe B : une étude comparative transversale.
Services cliniques
La deuxième section est consacrée aux services cliniques et comprend 3 articles éclairant différents enjeux complexes associés à la prestation de services. Catherine Le Corff et ses collègues présentent un portrait détaillé des services cliniques disponibles pour le TPL au Québec dans un article à visée descriptive s’intitulant Services et traitements offerts aux personnes ayant un trouble de personnalité limite : état de situation au Québec et perspectives d’avenir. Jean-François Cherrier et François-Samuel Lahaie s’intéressent à une modalité d’intervention très répandue soit la thérapie de groupe et ils proposent une réflexion clinique Mentaliser les conflits en thérapie de groupe : détruire et survivre, au service de la cohésion. Et pour conclure, cette section de recherches s’intéressant aux services cliniques, Nicolas Boivin et ses collègues présentent une étude originale pour mieux comprendre les caractéristiques des personnes qui maintiennent le suivi avec Facteurs pronostiques à la psychothérapie chez les troubles de la personnalité : implication de questionnaires autorapportés.
Interventions cliniques spécifiques et novatrices
La troisième section cible des interventions cliniques ou de formation soutenant la pratique pour répondre à des besoins observés par les acteurs du terrain et les lacunes dans les connaissances. Nadine Larivière et ses collègues proposent un article intitulé Conception et modèle logique de l’intervention BIWI sur la réinsertion au travail de personnes avec un trouble personnalité limite. Cette proposition novatrice s’inscrit directement en lien avec le besoin de soutenir la réinsertion et le rétablissement des personnes avec un TPL. Christian Greiner et ses collègues présentent un article sur le modèle théorico-clinique genevois TBM-Crise : intervention hospitalière brève basée sur la mentalisation. Le traitement fondé sur la mentalisation est une approche validée et assez répandue dans les traitements spécialisés en clinique externe, mais l’approche est cette fois-ci adaptée à un lieu d’intervention bien spécifique où les personnes se retrouvent très souvent en contexte de crise. À partir d’une revue systématique de la littérature, Audrey Serrano et ses collègues creusent la question de Mère souffrant de trouble de personnalité limite : quels soins spécifiques en période périnatale ? Une revue de la littérature. Il s’agit d’une thématique incontournable sur un grand sujet assez peu exploré de la parentalité et des mères TPL. Pour clore ce numéro, Lyne Desrosiers et Lise Laporte nous proposent un programme de formation novateur associant des éléments peu documentés dans la littérature soit les personnes en contexte de protection de la jeunesse et le soutien à l’intervention. L’article s’intitule La formation Projet TANGO : soutenir l’intervention auprès des personnes ayant un trouble de personnalité limite en protection de la jeunesse et en CLSC.
Plusieurs angles d’approche sont ainsi proposés sur des sujets tous associés au trouble de personnalité limite. Nous vous souhaitons une bonne lecture et un intérêt grandissant pour cette thématique et pour les personnes aux prises avec un TPL.