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Résumé
L’élimination du mot race d’un texte constitutionnel portant sur l’universalité des droits de l’homme est un acte politique majeur à saluer même s’il ne suffira pas à faire diminuer les attitudes racistes. Une Constitution proclame dans son préambule et ses premiers articles ses valeurs fondamentales. Le texte de la Constitution peut évoquer la proposition « quelle que soit l’origine » sans y ajouter la référence à la race...
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À l’article « race » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, nous pouvons lire la définition suivante :
« extraction, lignée, lignage ; ce qui se dit tant des ascendans que des descendans d’une même famille : quand elle est noble, ce mot est synonyme à naissance »[1].
Cette définition ramène la race à une histoire de génération, de descendance, de racine. La race nous plongerait au cœur d’un héritage familial. Le Littré en rajoute une couche si je puis dire sur ce fardeau avec l’idée de caractères semblables d’individus appartenant à la même espèce[2]. Il est toujours difficile de s’attaquer aux mots lorsque leur usage est sanctuarisé par les dictionnaires, surtout lorsqu’ils ont un poids historique à l’instar du mot race. On n’efface pas un mot d’un dictionnaire au prétexte qu’il a des connotations négatives ou qu’il ne correspond à aucune réalité. En revanche, le choix des mots dans un texte de référence aussi fondamental qu’une Constitution est déterminant. En mai dernier, l’Assemblée Nationale décidait de supprimer le mot race de la Constitution faisant suite à une promesse du candidat Hollande lors des dernières élections présidentielles.
D’aucuns ont immédiatement dénoncé l’illusion de faire disparaître le racisme en supprimant l’usage d’un mot. Là n’est pas la question. Revenons au premier article de notre Constitution qui stipule que :
« la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »[3].
Ce premier article inaugurant la Constitution fait référence au préambule de la Constitution de 1946 qui affirme les propositions suivantes :
« Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »[4].
Dans le premier article, le mot race se trouve au contact des mots «origine » et « distinction ». Il s’agit de préciser l’universalité des droits de l’homme en indiquant les discriminations à éviter. Le privatif est ainsi intéressant puisqu’en retirant une discrimination, il en ajoute une autre en présupposant le fait qu’il y ait la race et donc des races. L’enjeu de cette suppression est de refuser d’atténuer l’universalité des droits de l’homme par un sous-entendu équivoque. Le racisme a longtemps trouvé un terreau dans l’existence présupposée d’une réalité objective de races déterminées par des caractéristiques homogènes. De ce point de vue, il n’était pas anecdotique de s’attaquer à ce mot qui colporte des traditions séculaires de préjugés et de discriminations. À partir du moment où l’on se réfère au mot race, on met en avant une différenciation essentielle, la discussion n’a pas sa place dans un texte constitutionnel sacralisant les droits de l’homme.
Il existe plutôt des types eidétiques pour reprendre le terme de Cornelius Castoriadis, c’est-à-dire des êtres sociaux se référant à des imaginaires sociaux différents. Ainsi, la croyance commune en certaines normes et certaines lois nous définit comme êtres sociaux-historiques, c’est plutôt sur le sens de la citoyenneté qu’il faut construire. Castoriadis avait su montrer à juste titre que le racisme a des racines psychiques (la difficile brisure du cercle égotique par rapport à tout ce qui n’est pas moi, c’est-à-dire l’autre) et des racines sociales (refus des valeurs d’une autre société, mécompréhension des autres institutions imaginaires sociales ou parfois rejet d’autres valeurs au sein d’une même société). Le racisme participe de la construction idéologique d’un rejet de l’autre qui intervient au moment où certaines clôtures sautent. La société brise la clôture de la psyché qui est comme une monade refusant toute influence de l’extérieur : pourtant, pour survivre, il faut faire lien avec l’autre, le considérer comme un socius sous peine de disparaître. Au moment où nous naissons dans un contexte social et culturel donné, l’appropriation de certaines valeurs, normes et comportements nous situe d’emblée dans une condition historique et sociale particulière[5]. Une signification n’émerge pas sans contexte, elle est porteuse d’une mise en relation entre plusieurs représentations délimitées et véhicule l’image qu’une société souhaiterait avoir d’elle-même. Si la socialisation est éclatement de la monade psychique, elle n’est pas effacement total des caractères de cette monade. Cette dernière ne renonce jamais en profondeur à sa toute-puissance première, ce qui explique les résistances socio-psychiques des êtres humains au processus de socialisation. In fine, le racisme est l’une des conséquences d’un processus de socialisation inabouti. Voici pourquoi le combat perpétuel contre le racisme et les discriminations de ce type ne peut se réaliser sans s’attaquer aux mots qui sous-tendent ces possibilités discriminatoires.
L’élimination du mot race d’un texte constitutionnel portant sur l’universalité des droits de l’homme est un acte politique majeur à saluer même s’il ne suffira pas à faire diminuer les attitudes racistes. Une Constitution proclame dans son préambule et ses premiers articles ses valeurs fondamentales. Le texte de la Constitution peut évoquer la proposition « quelle que soit l’origine » sans y ajouter la référence à la race. La décision politique porte sur l’usage du mot dans un texte fondamental pour éviter qu’il ne se fige sous un aspect essentialiste.
Appendices
Notes
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[2]
Dictionnaire Le Littré, « race » [Site consulté le 30 octobre 2013].
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[5]
Cornelius Castoriadis, « Réflexions sur le racisme » dans Le Monde Morcelé, Les Carrefours du Labyrinthe III, Paris, éditions du Seuil, 1990, pp. 25-38 ; "Les racines psychiques et sociales de la haine " dans Figures du pensable, Paris, éditions du Seuil, 1999, pp. 239-260.