« Le dire-monstre » donne à ce dossier sa cohérence et son unité. Le projet naît d’une volonté d’accorder la parole au monstre. Il s’agira donc de constituer un espace accueillant pour donner à cet être abject (étymologiquement le re-jeté) l’envie de s’exprimer. Celui que la société marginalise en le repoussant hors de ses limites aura ici voix au chapitre. Cette réintroduction du monstre dans l’espace du légitime suppose un certain état du champ littéraire. Le carnaval est le lieu qu’a créé le social pour permettre au monstre de prendre place dans la cité. Est-ce dire que la critique est aujourd’hui entrée dans une ère carnavalesque ? Cela serait certainement exagéré. Il nous plaît néanmoins de penser que l’espace — de communication — que nous ouvrons ici permettra de célébrer des productions marginalisées par le cadre littéraire ou dont certaines marges sont restées inexplorées. Et nous le faisons en sachant que la transgression se transmet , davantage, en souhaitant cette libre circulation de la matière transgressive. Le corpus affecte le corps de la critique, ce qui, selon nous, garantit également son évolution. La multiplication des études sur la matière déviante témoigne en effet d’une nouvelle tangente prise par la critique, et c’est à cette modernité — selon le sens que lui donnait aussi Baudelaire — que nous communions. Effet de mode ou effet de société, les monstres sont de plus en plus envahissants et nous sommes fascinés par cette invasion. Ainsi, notre propos interroge le moment où la langue devient le véhicule des émotions les plus intenses et les plus irrationnelles. Faut-il pour autant placer les notions d’illégitimité ou d’immoralité au coeur de l’analyse ? Notre sentiment est que la littérature accueille volontiers l’illégitime, de sorte que le partage de l’acceptable s’y effectue difficilement. La littérature peut s’approprier les systèmes de normes et d’orientations du fait qu’elle n’a pas d’essence en tant que telle. Aucun énoncé n’est intrinsèquement littéraire, puisque ce sont le champ et le corps social qui lui prêtent cette identité (comme on prête une intention). Hors de cette fonction et de ce droit qui lui sont reconnus, la chose littéraire n’est pas. Le littéraire doit donc être pensé comme un événement, de sorte que les codes du social et du légal ne peuvent avoir qu’une prise anecdotique et éphémère sur lui. Son droit de dire survient après la venue à l’écriture par l’expérience de la lecture. Cela fait en sorte que l’objet littéraire est toujours inattendu dans la mesure où il n’a pas à se plier à des exigences préalables. Perpétuellement, il crée sa propre genèse. Ce sont les hommes — les lecteurs (et les non-lecteurs), les éditeurs, les critiques, les écrivains — qui ont des attentes face au littéraire et qui souhaitent en faire un axiome. Mais la littérature ne supporte pas la fixité de la définition. Elle n’a pas de finalité, car elle se dé-finit sans cesse. La littérature ne saurait donc être réduite à l’un de ses états ponctuels (ce qui est publié, enseigné ou récompensé, à telle époque, à tel moment), puisqu’elle possède un statut qui outrepasse le droit et la convention. Ce sont ces paramètres définitionnels que rappellent le « dire-monstre » et les oeuvres qui l’accueillent. La littérature monstrueuse montre qu’elle s’inscrit dans l’espace social, tout en dénonçant les artifices de cette inscription. En tant que sujet abject, le monstre se présente comme une limite de l’identité, il est celui que le moi refuse de reconnaître comme sien. Pourtant, nous comprenons que ces contours dessinent une silhouette représentative du corps social et conditionnent une identité. Le monstre est celui qui, …
Liminaire[Record]
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Marie-Hélène Larochelle
York University