Topiques, études satoriennes
Topoï Studies, Journal of the SATOR
Volume 2, 2016 Réfléchir le topos narratif Guest-edited by Madeleine Jeay and Jean-François Dubos
Table of contents (12 articles)
Introduction
Articles
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Les unités topiques et leur interprétation
François Rastier
pp. 1–24
AbstractFR:
Avant de reposer la lancinante question : « qu’est-ce qu’un topos ? », il faut préciser ce que nous pouvons en attendre et nous demander de quelle conception des unités sémantiques nous avons besoin. Pour la SATOR, il s’agit il me semble de spécifier le roman comme genre, et d’individualiser des oeuvres au sein de ce genre. La première tâche conduit à s’écarter de la folkloristique, même si l’analyse structurale des récits en est issue, car si elles sont adéquates, les catégories descriptives d’un genre ne valent pas pour un autre, et l’on ne peut par exemple conclure du conte populaire au roman. Par ailleurs, le récit est une forme de macrostructure, mais n’a jamais suffi à définir un genre. La seconde tâche conduit à se rapprocher de la critique, ou du moins de ses objectifs de caractérisation. Enfin, les théories dont nous avons besoin doivent pouvoir s’adapter aux objectifs et au corpus de la SATOR.
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Parcours narratologiques
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À la recherche d’unités discrètes de narration. Le motif chez les folkloristes et ethnologues à la suite d’Antti Aarne et Stith Thompson
Madeleine Jeay
pp. 1–15
AbstractFR:
Conformément au programme défini par Max Vernet, consistant à cerner la définition du topos satorien en partie par contraste avec des notions voisines, ma contribution se propose de parcourir le territoire des folkloristes pour une mise au point sur leur travail autour du motif, essentiellement à partir des critiques suscitées par le répertoire de Stith Thompson, le Motif-Index of Folk Literature. Ces critiques et les tentatives de solution qu’elles ont inspirées nous mèneront à prendre en compte la « fonction » et les principes d’analyse du récit proposés par Propp. Les principes sous-jacents aux propositions des deux analystes et les limites qu’on leur reconnaît offrent matière à réflexion pour l’entreprise de SATOR, que ce soit pour les questions de définition et d’identification des topos ou pour les paramètres qui président à l’élaboration d’un thésaurus. C’est dans l’esprit d’en tirer enseignement pour TOPOSATOR qu’il est intéressant d’observer la circularité des efforts de définition du motif depuis les premières remarques portées au travail de Thompson. Mais il faut d’abord dire en quoi le travail accompli par les folkloristes est une référence obligée malgré les failles qui ne manqueront pas d’apparaître. Elle s’impose à trois titres, le premier étant le lien de filiation entre la narratologie et l’analyse du conte populaire. Les écoles d’obédience finnoise avec Aarne et Thompson d’un côté et russe de l’autre avec Propp, ont cherché à rationaliser l’analyse des récits traditionnels et pour cela se sont mises en quête d’unités minimales d’analyse. Bien qu’elles aient abouti à des conclusions différentes, leurs démarches se basent sur le même principe : l’observation des constantes et des récurrences.
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Le topos du non-topos ou la dérobade de l’auteur
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Topos, répétition et différence
Jean-Pierre Dubost
pp. 1–13
AbstractFR:
Si la SATOR, grâce à la pertinence de ses hypothèses de départ et à la dynamique inhérente à ses recherches, est parvenue depuis sa création à des résultats remarquables et à la mise en place d’instruments d’analyse convaincants, aussi bien sur le plan méthodologique que grâce à la mise en place d’outils d’investigation informatisés de plus en plus adaptés, il reste que le questionnement qui anime ses recherches ne peut que réactiver l’énigme profonde et irréductible qui est à la source même de l’investigation satorienne, à savoir le fait même de la récurrence comme moteur de la transmission de la fiction et instrument de sa transformation. Rien ne le montre mieux que la genèse même de la définition du topos dans l’histoire de la SATOR. Si le topos au sens satorien du terme a pu être distingué d’entités semblables et affines comme par exemple le topos rhétorique, le motif, le mythème, etc. – distinctions sans lesquelles notre travail serait informe, inefficace et profondément entaché de confusion –, il est cependant intéressant de constater que tous les termes sur lesquels la définition a fini par s’appuyer afin de trouver sa stabilité et son efficace – à savoir la définition du topos comme configuration narrative récurrente – rassemble en elle-même trois degrés différents d’évidence. En effet, des trois termes en jeu (configuration, narration et récurrence), seul le terme de narratif est différenciant sans ambiguïté. Il permet par exemple de distinguer clairement topos et motif.
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Comment repérer et définir le topos ?
Michèle Weil
pp. 1–16
AbstractFR:
De quoi s’agit-il ? Du topos dans ses manifestations narratives, non du lieu vide de la tradition rhétorique. D’un repérage textuel, propre au corpus formé par les fictions narratives des origines à 1789, en langue française. Pourquoi, dira-t-on, écarter les topiques aristotéliciennes, les topos propres au théâtre ou à la poésie, à la littérature des XIXe et XXe siècles ou aux littératures étrangères ? Parce que cette mise à l’écart, provisoire d’ailleurs, permet seule, par la — très relative — modestie du corpus restant, d’approcher une définition qui puisse servir d’outil de précision dans un travail collectif de recherche sur la formation du roman. La définition et les procédures de repérage ici proposées ne se veulent donc qu’expérimentales. Ce n’est qu’en superposant les textes narratifs, en les lisant comme par transparence, que l’on peut voir se dessiner les topos propres au genre romanesque, puisse définir l’idée [idea] de topos spécifique. D’où cette proposition de définition, en cours d’expérimentation, du topos comme configuration narrative récurrente.
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La rencontre avec les personnages de roman : des Éthiopiques au Roman comique
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Procédures d’initialité dans la littérature du Graal
Francis Dubost
pp. 1–20
AbstractFR:
Dire que la littérature médiévale dans son ensemble présente un caractère topique nettement affirmé serait commencer par le plus banal des topos, mais cette mauvaise ouverture m’amènerait du moins à signaler l’existence d’une abondante littérature critique sur la question. Le pionnier en la matière fut certainement Ernst Robert Curtius, qui traite le « topos », comme un « lieu » thématique et non plus comme le « lieu » logique d’Aristote. Dans son ouvrage monumental La littérature européenne et le Moyen Age latin, il consacre une section à la topique de l’exorde, et pourrait donc à ce titre représenter pour nous une référence importante. Il faudrait citer également, parmi beaucoup d’autres, les travaux de Jean Frappier sur le don contraignant, que Philippe Ménard appelle plus justement don en blanc, ceux de Jean-Charles Payen sur le motif du repentir et le déplacement des topos, ceux de Paul Zumthor sur la constitution de modèles conceptuels, poétiques ou narratifs. Dans un ensemble où le topos est partout, il fallait donc trouver un moyen de limiter la recherche. J’ai choisi un corpus centré autour du Graal, thème topique par excellence. En fait, le jeu des ramifications et des interférences topiques m’entraînera souvent hors du champ initialement retenu.
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Rabelais au risque de la topique
Dominique Garand
pp. 1–14
AbstractFR:
L’objectif de sérier l’ensemble des manifestations de la violence dans Pantagruel et Gargantua sera ici doublé par celui de cerner certaines questions théoriques et méthodologiques au sujet de la valeur opératoire des topos. Le choix de Rabelais pourra paraître hasardeux : ses « chroniques » présentent en effet un caractère hétérogène (tant du point de vue de la forme que du contenu) fort éloigné du « romanesque » tel qu’il s’est fixé par la suite dans la tradition française. De plus, s’il existe une topique à l’oeuvre dans le texte rabelaisien, il faudrait plutôt la chercher dans les corpus grec et latin, dans les récits populaires du Moyen Âge, dans l’épopée et la chanson de geste. Il y a donc quelque chose de paradoxal à faire de Rabelais l’un des « pères » du roman, à côté de Cervantès. Rabelais paraît signifiant davantage pour ce que la tradition littéraire n’a pas retenu de lui que pour la postérité de ce que son imagination s’est plu à inventer. J’utilise à dessein ce mot en rappelant le lien qui existe depuis l’Antiquité entre topique et invention. Inventer, c’est créer sans doute, mais c’est avant tout re-créer, exhumer, repêcher des matériaux disponibles, légués par la tradition. Dès lors, le geste créateur prend place dans la faculté d’exploiter au maximum les ressources des topos et de rendre ainsi à quelque chose de connu son caractère étonnant.
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Existe-t-il une définition topique de la rencontre comique ? (Sur quelques romans comiques européens des XVIe et XVIIIe siècles)
Yen-Mai Tran-Gervat
pp. 1–20
AbstractFR:
Les deux sens de « comique », dans l’expression telle que je l’entends, « qui s’apparente à la comédie » et « qui suscite le rire », se rejoignent et se complètent, on le verra, au sein d’une structure récurrente qui est surtout visible dans les situations où s’opère une rencontre, celle du contraste marqué, surprenant, entre le haut et le bas, que les Anglais du Scriblerus Club nomment « bathos ». Un tel contraste est au fondement du burlesque et de l’héroï-comique, mais aussi bien souvent de la parodie, du ridicule, ou encore du comique farcesque. Cette structure contrastive, bien que récurrente, est cependant trop vaste, trop générale pour être considérée comme un topos qui pourrait se formuler : « contraste haut-bas ». La question de la rencontre nous donne l’occasion de la décliner en topoï plus précis, aussi bien narratifs qu’énonciatifs, qu’il s’agira ici de définir. Le corpus sur lequel portera ma réflexion est le suivant (dans l’ordre chronologique) : Don Quichotte (1605-1615) de Cervantès, L’Histoire comique de Francion (1623) de Sorel, Le Roman comique (1651-1657) de Scarron, Le Roman bourgeois (I 666) de Furetière, Pharsamon (1e édition, 1737 ; 1e privilège, 1713) et Le Télémaque travesti (1e édition, 1736; 1e privilège, 1714) de Marivaux, Gil Blas (1715) de Lesage, Joseph Andrews (1742) et Tom Jones (1749) de Fielding, The Female Quixote (1752) de Lennox, Tristram Shandy (1759-1766) de Sterne, Jacques le Fataliste de Diderot (1771-1783); autant de romans qui, notamment, interrogent le romanesque même par le recours au comique. L’enjeu d’une telle réflexion est au moins double : il s’agit bien sûr de contribuer à l’étude collective, dans le cadre de ce recueil, de la « topographie de la rencontre dans le roman européen », en prenant la question sous l’angle du rire et du comique. Mais c’est aussi l’occasion de poser la question du rapport entre roman et théâtre dans la période qui nous occupe, à travers la mise en oeuvre de topoï communs aux deux genres; c’est pourquoi j’ai tenu d’entrée de jeu à expliciter la polysémie de l’adjectif « comique ». De même, j’exploiterai la polysémie de la notion même de « rencontre », que je propose d’examiner non seulement dans un sens concret, celui de la mise en relation de personnages dans le temps et l’espace du roman, mais aussi dans un sens plus métaphorique, voire métatextuel, celui de l’entrelacement de schémas dramatiques et narratifs comme contribuant à l’élaboration d’un roman certes comique, mais aussi critique et réflexif. Pour ce faire, je propose donc d’aller et venir entre le « topographique », l’étude des lieux de rencontre, et le métaphorique. Un lieu privilégié de rencontres comiques, l’auberge, nous servira de point de départ et de fil d’Ariane pour cette exploration des différents types de rencontres comiques qui se présenteront sur notre chemin.
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La violence du texte romanesque
Henri Coulet
pp. 1–17
AbstractFR:
Que la violence représentée dans un roman soit physique (la victime est enlevée, séquestrée, torturée, violée, assassinée...) ou morale (on menace la victime, on l’injurie, ou on garde avec elle un silence accablant, on la séduit pour se dérober ensuite, on excite sa jalousie, on lui impose un mariage ou on la contraint d’y renoncer, on la force à prononcer des voeux...), il est sûr que le lecteur partage d’une certaine façon la souffrance, l’angoisse et le désespoir exprimés ou impliqués dans le texte, il est non moins sûr qu’il n’est pas lui-même directement l’objet de ces violences, et qu’il le sait. La critique récente a étudié la fonction du lecteur, soit pour la réduire à l’extrême et analyser la façon dont le texte « fonctionne » indépendamment du lecteur et même de l’auteur, soit pour l’exalter au point de prétendre que le texte existe seulement par les lectures qui en sont faites; et l’on a distingué « des lecteurs virtuels, des lecteurs idéaux, des lecteurs modèles, des superlecteurs, des lecteurs projetés, des lecteurs informés, des archilecteurs, des lecteurs implicites, des métalecteurs, etc. ».