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Comme son nom l’indique, le manuel dont il va être question est un ouvrage consacré à l’approche sociolinguistique de la terminologie. Plus précisément, l’auteur présente les problèmes que pose l’approche sociolinguistique de la terminologie. Il convient de rappeler ici que dans la lignée de William Labov, qui considérait que toute linguistique devait être sociolinguistique, François Gaudin perçoit la socioterminologie comme une terminologie « remise sur pieds ».

Quelques pages d’introduction permettent de présenter rapidement la socioterminologie et de situer les prémices de cette nouvelle approche dans les années 1970 en France, avec Alain Rey et Louis Guilbert comme figures marquantes. Le terme est attesté au début des années 1980 par J.-C. Boulanger, P. Lerat et M. Slodzian et se dote d’une épaisseur conceptuelle dès le début des années 1990 (Y. Gambier, L. Guespin et F. Gaudin (a)). Le préambule constitue une entrée en matière pour une réflexion liée au concept de « langue de travail ». C’est d’ailleurs par une citation du paléontologue A. Leroi-Gourhan que F. Gaudin donne le ton. Il reprend ainsi à son compte les relations fortes établies entre l’apparition du langage chez l’homme et l’apparition de l’outil.

Le parcours proposé au lecteur s’inscrit dans la continuité des travaux théoriques engagés par l’auteur. Certaines pistes explorées dans ce livre se retrouvent dans sa thèse publiée en 1993 (b), première publication dédiée à cette approche. L’organisation du livre favorise une entrée en matière progressive et met en relief un panorama francophone des différents aspects de la socioterminologie.

Les deux premiers chapitres offrent une vue d’ensemble en abordant d’une part, le cadre historique et théorique (chap. 1) et d’autre part, les notions clés et les outils méthodologiques de la discipline (chap. 2). François Gaudin démontre dans quelle mesure la théorie héritée d’Eugen Wüster peut constituer un obstacle pour toute approche linguistique des questions terminologiques. L’accent est mis sur l’influence insidieuse d’une pensée positiviste, arrière-plan logique de l’émergence de la discipline, dans la conception contemporaine de la terminologie. Il faudra attendre les années 1980, semble-t-il, pour une remise en cause des postulats.

Parmi les notions clés proposées par Gaudin, signalons la « référence ». Qu’est-ce que référer ? « C’est mettre un signe en rapport avec le monde construit par le biais du langage » (p. 33). L’auteur insiste sur le fait qu’il s’agit davantage d’une construction que d’un rapport direct entre signe et monde. Pour être plus précis, il faut parler d’une co-construction du monde qui s’inscrit dans un processus interactif. Ce préfixe permet de souligner le caractère social de la référence : action interlocutive ou dialogale sans cesse rejouée et surtout centrée sur la recherche d’un consensus. A travers cette conception, c’est une remise en cause de la relation de bi-univocité qui est visée, Gaudin émet des réserves sur le caractère opératoire de cette relation. De la même façon, la notion d’ « épistémè » est préférée à celle de « domaine » jugée inadaptée pour rendre compte du travail scientifique. Pour l’auteur, « les domaines proposent des découpages commodes, mais ils sont en porte à faux avec la réalité du travail scientifique et des pratiques langagières qui l’accompagnent » (p. 51). La notion d’ « épistémè » a été introduite par Foucault, véritable archiviste de la pensée, pour caractériser la structure mentale qui fait l’arrière-fond, l’atmosphère dans lesquels une époque donnée pense. Elle permet donc un élargissement des frontières, trop souvent floues, posées par les domaines classiques.

Le chapitre 2 insiste sur les outils théoriques et méthodologiques de la sociolinguistique tout en considérant l’apport d’autres disciplines comme la linguistique de l’interaction et la praxématique. C’est vers Bakhtine que Gaudin se tourne pour reprendre, entre autres, les concepts de « dialogisme » et de « polyphonie ». La vision de Bakhtine, vision « unitaire d’un dialogisme qui embrasse tout uniment le travail de la pensée et l’activité de parole » (p. 89), et sa prise en considération des multiples positions énonciatives (polyphonie énonciative), permettent de jeter un regard différent sur la typologie des textes et de dépasser les oppositions classiques : textes scientifiques / textes de vulgarisation et textes grand public.

Ceci nous amène au chapitre 3 consacré aux problèmes linguistiques de la vulgarisation ainsi qu’au chapitre 4, intitulé Imaginaire ou savoir ? La vulgarisation comme genre littéraire. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de la mise en culture du travail scientifique. « Pour permettre au lecteur de construire des représentations, l’auteur doit faire appel non seulement à des pré-construits, mais également à l’imagination » (p. 125). Ainsi la connaissance est traitée comme un imaginaire et la vulgarisation relève de la littérature.

Les questions sémantiques ne sont pas exclues des pistes privilégiées par Gaudin. Le chapitre 5, Sémantique et terminographie, révèle l’intérêt d’une sémantique relationnelle, plus apte à faciliter l’appréhension du lexique comme système. En terminologie, cela se traduit par la possibilité de « rendre compte des significations de façon souple en raisonnant sous forme de rubriques qui accordent la priorité à la description des relations lexicales (hyperonymie, synonymie, etc.) et syntaxiques (dépendance, cooccurrence, etc.) sur l’analyse définitionnelle » (p. 151). Pour le terminologue-linguiste, cette orientation lui permet de jouer un rôle de descripteur plutôt que de prescripteur. C’est d’ailleurs dans le cadre de politiques linguistiques que l’on saisit mieux l’action de prescription de l’usage comme en témoigne d’ailleurs le chapitre suivant.

Le chapitre 6, Terminologie et politique linguistique, développe les questions d’équipement et d’implantation terminologiques, en France comme au Québec, à la lumière du concept de « glottopolitique ». Ce terme, proposé par L. Guespin et J.-B. Marcellesi, est préféré au terme « politique linguistique », dans la mesure où il présente l’avantage de rendre compte des actions les moins visibles qu’une société a sur le langage. En d’autres termes, la glottopolitique s’occupe plus largement du fonctionnement langagier (le formant glotto- permet de neutraliser la distinction entre parole et discours). Il existe donc des forces apolitiques méconnues ou des facteurs glottopolitiques non identifiés à l’origine des conduites langagières, ce qui souligne la nécessité de poser un regard différent sur la terminologie, un véritable diagnostic.

Enfin, l’auteur considère la socioterminologie comme une terminologie nourrie de l’histoire. C’est d’ailleurs le thème du dernier chapitre de ce livre, intitulé Diachronie et métaphore. « Les métaphores et l’histoire dans laquelle elles s’inscrivent constituent deux aspects des terminologies qui mettent en question les lieux communs concernant la monosémie des termes » (p. 205). Il s’agit pour l’auteur de réhabiliter la polysémie, une polysémie qu’il convient de circonscrire plutôt que proscrire. La réhabilitation concerne aussi la métaphore, tant pour son rôle heuristique et cognitif que pour l’aide qu’elle apporte à la conceptualisation. La socioterminologie doit s’inscrire dans un cadre interdisciplinaire et inclure une dimension « métaterminologique ».

En conclusion, les étudiants avancés et les spécialistes intéressés par la terminologie, la lexicologie, la vulgarisation scientifique ou encore la politique linguistique ne pourront que tirer profit de ce manuel de socioterminologie. Un ouvrage didactique, solidement documenté, dont le lecteur se souviendra.