Comptes rendus

Nicole Nolette. Jouer la traduction : théâtre et hétérolinguisme au Canada francophone. Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2015, 284 p.[Record]

  • Cédric Ploix

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  • Cédric Ploix
    University of Oxford

Qu’on ne s’attende pas, à la lecture du titre, Jouer la traduction, à un ouvrage qui s’inscrit dans la perspective, devenue aujourd’hui quasiment désuète, d’une réflexion sur la distinction entre la traduction pour la page et la traduction pour la scène, et sur les possibilités et stratégies traductives visant à rendre le jeu théâtral performant sur la scène étrangère. Les références à la théorie générale de la relation texte-performance et de l’adaptation théâtrale n’apparaissent que brièvement dans le premier chapitre à travers le résumé de l’article « Théâtre et traduction : un aperçu du débat théorique » de Fabio Regattin, et ne constituent pas la base théorique centrale de l’ouvrage. Ce n’est pas non plus une de ces études qui abordent la traduction comme une activité restrictive, subordonnée, invisible et placée sous l’égide de l’équivalence. Si Nicole Nolette fait une riche revue critique du discours sur l’intraduisibilité (p. 25-29), c’est pour s’en inscrire en faux : elle réhabilite la traduction d’une pleine positivité, en montrant, à travers l’analyse fine d’un corpus limité, que la traduction peut être une véritable source de création. De surcroît, dans les pièces choisies, la traduction est placée au-devant de la scène, directement visible, faisant partie intégrante du spectacle. Grâce à l’effet métathéâtral qui résulte de cette présence, le statut du traducteur peut parfois se confondre avec celui du dramaturge ou du metteur en scène. Enfin, ce n’est pas un ouvrage qui traite de la traduction comme une activité se situant nécessairement a posteriori : Nolette met autant l’accent sur les oeuvres hétérolingues – comportant en elles-mêmes des stratégies d’accommodement destinées à un public unilingue, ou d’exclusion, engendrant un « rire de supériorité » chez le public bilingue – que sur la « retraduction » de ces oeuvres. En cela, s’intégrant pleinement dans l’évolution du discours critique de la traduction au théâtre, Nolette se désolidarise de la définition traditionnelle de la traduction comme étant un mouvement linguistique et culturel du texte source au texte cible ; la traduction n’est plus un mouvement entre deux cultures, mais, elle-même, une expérience ontologiquement biculturelle. L’auteure examine les différentes stratégies de mise en scène de l’hétérolinguisme théâtral, sa traduction et les mécanismes de sa réception suivant le profil linguistique des spectateurs. À travers l’analyse des textes, des mises en scène ainsi que des autres paratextes – critiques, surtitres, programmations de théâtre, etc. –, on a dans cet ouvrage une riche réflexion sur la traduction comme un élargissement infini des possibilités théâtrales : « La traduction ludique donne lieu tantôt à l’accumulation des jeux innocents, tantôt à une suppléance qui détraque les entités linguistiques et scéniques que l’on concevait comme déjà complètes » (p. 23). Nolette se garde de ne prendre en compte que le plaisir et l’inventivité. En effet, la portée de l’ouvrage dépasse le simple pouvoir ludique de la traduction ; le ludisme est chez l’auteure empreint de lucidité. Dans cette riche et convaincante étude sur le théâtre de l’exiguïté franco-canadienne des trois dernières décennies, l’auteure trace un panorama des principales institutions théâtrales francophones au Canada, et étudie au cas par cas le pouvoir de la traduction sur la mobilité des pièces hétérolingues et le processus de légitimation de celles-ci dans les métropoles et les institutions théâtrales au fonctionnement surtout unilingue. Mais l’auteure montre que loin de se cantonner à une résistance d’un communautarisme linguistique et d’une protection identitaire contre les hégémonies culturelles, la réinscription des pièces franco-canadiennes dans un nouvel espace linguistique est souvent plus un jeu qu’un enjeu : la tendance serait, du moins pour plusieurs pièces, d’entrelacer l’identitaire et l’universalisme post-identitaire. Le premier chapitre pose …

Appendices