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C’est avec grand plaisir que nous offrons à nos lecteurs ce nouveau numéro de la Urban History Review / Revue d’histoire urbaine (UHR/RHU). Il marque l’amorce d’un tournant majeur pour la revue. Il y a déjà plusieurs années que l’émergence de ce qu’on a appelé les humanités numériques confronte les chercheurs aux défis et aux opportunités associés à l’intégration pleine et entière de différents outils numériques dans la production et la diffusion des connaissances. L’histoire urbaine a été particulièrement prompte à intégrer certains de ces outils, notamment ceux associés aux systèmes d’information géographique (SIG). S’il faut faire preuve de prudence face aux innovations méthodologiques qui se présentent comme des panacées et ne remplissent pas toujours leurs promesses, force est d’admettre que l’intégration de ces outils, couplée à de nouvelles approches comme le tournant spatial, a commencé à transformer considérablement nos pratiques et à donner des résultats prometteurs tant pour ce qui est de la production de nouvelles questions de recherche – et de nouvelles réponses – que de la diffusion du résultat de ces recherches à un public de plus en plus large.

Ces transformations dans le mode de production et de diffusion des savoirs n’ont pas épargné, pour le meilleur et pour le pire, le milieu des revues savantes. Comme se le demandait en 2012 Agata Mrva-Montoya[1], comment est-ce que des publications s’adressant à un lectorat hautement spécialisé peuvent-elles survivre dans un environnement où les sources de financement se tarissent et les technologies évoluent rapidement ? C’est une préoccupation que partagent les équipes éditoriales de la majorité des revues scientifiques en sciences humaines et sociales au Canada et ailleurs. C’est notamment pour répondre à ces préocc s’est donnés à sa fondat upations que, il y a déjà quelques années, la UHR/RHU s’est associée à la plateforme Érudit où l’on peut accéder, en format numérique, à l’entièreté des articles parus dans la revue depuis sa fondation en 1972.

Nous nous apprêtons à prendre un autre pas important dans cette direction. En effet, Owen Temby et moi avions déjà commencé à discuter de l’éventualité, à moyen terme, de faire passer la revue à un format entièrement numérique. Le resserrement des critères utilisés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour décider du financement des revues savantes nous a forcés à aller de l’avant plus rapidement que nous l’avions prévu. Ainsi, c’est dans la prochaine année que la UHR/RHU prendra le tournant numérique. Nous espérons ainsi en assurer la pérennité en modernisant la façon dont elle sera diffusée à l’avenir, ce qui devrait d’ailleurs permettre d’en accélérer le rythme de publication, tout en maintenant les hauts standards de qualité qu’elle s’est donnés à sa fondation et maintenus depuis.

D’ailleurs, le numéro que vous tenez entre vos mains – ou parcourez déjà via Érudit ! – témoigne de la vigueur de l’histoire urbaine au Canada, des différentes disciplines qu’elle mobilise et des nombreux sous-thèmes qu’elle permet d’explorer. Un premier article, coécrit par Marilyne Gaudette, Romain Roult, Mohamed Reda Khomsi et Sylvain Lefebvre, permet de découvrir l’histoire relativement courte, mais mouvementée de l’Autostade de Montréal, installation sportive construite en marge du site principal d’Expo 67. Conçu par les architectes Victor Prus et Maurice Desnoyers pour être démontable et amovible, l’Autostade sera l’objet de débats et de tiraillement quant à son rôle et à son avenir. L’étude détaillée de cette histoire permet de mettre en relief le rôle central que jouent les débats qui animent la scène politique et les impératifs économiques dans la gestion de ce type d’installation, caractérisée malheureusement par l’improvisation et l’absence de planification à long terme.

Le second article, de Steven High, nous propose une exploration d’une tout autre facette de ce Montréal de la seconde moitié du XXe siècle. Il revisite ainsi l’histoire de la Petite-Bourgogne, quartier montréalais étroitement associé à la communauté noire de la ville, pour mieux comprendre les modalités de sa création dans les années 1950 et celles de sa dislocation comme milieu de vie dans les années 1960 et 1970. High montre bien comment la création et surtout la localisation du quartier sont intimement liées aux emplois occupés par les hommes noirs de Montréal dans le secteur ferroviaire et comment le déclin du secteur ferroviaire au profit du transport automobile joue un rôle aussi central que complexe dans la déstructuration et la dispersion de la communauté qui s’était enracinée dans la Petite-Bourgogne.

Le troisième article de ce numéro est de Greg Stott et traite du cas singulier de la localité de Thompson, créée en 1956 pour loger et desservir des travailleurs du secteur minier dans le nord du Manitoba. Contrairement à bien des villes du même genre créées à partir de la fin du XIXe siècle, Thompson sera conçue et construite en bonne partie selon les paramètres associés aux banlieues qui se multiplient alors autour des grands centres urbains nord-américains. Cela créera des défis et des problèmes que n’avaient pas imaginé ses concepteurs lorsqu’ils implantèrent ainsi une banlieue au coeur de la forêt boréale.

Le quatrième et dernier article du numéro, rédigé par Lee Thiessen, nous entraîne sur la côte ouest et étudie l’évolution des efforts faits pour lutter contre la pollution atmosphérique à Vancouver, ainsi que dans le reste de la Colombie-Britannique. Étudiant dans un premier temps les efforts faits par les élites politiques et économiques de Vancouver pour minimiser les effets de cette pollution dans les années 1940-1950, Thiessen démontre que ces efforts ne menèrent pas, malgré leurs effets positifs, à des changements politiques significatifs aux niveaux régional et provincial. Il faut attendre les années 1960 et les actions entreprises par différents groupes de la société civile, que Thiessen analyse dans un deuxième temps, pour voir le gouvernement provincial reconnaître et combattre le problème.

Ces articles sont complétés par une sélection de comptes rendus, et notamment par une intéressante note critique que propose Daniel Macfarlane sur deux ouvrages combinant habilement histoire urbaine et environnementale pour réfléchir aux rapports complexes qu’entretient, à Chicago et Montréal, le milieu urbain avec son environnement et tout particulièrement avec l’eau. Un de ces deux ouvrages, celui de Michèle Dagenais, sera d’ailleurs l’objet d’une première table ronde parrainée par la revue lors du prochain congrès de la Société d’histoire du Canada qui aura lieu en juin 2019 à Vancouver.