De la digression, du post-scriptum et de la carte postale[Record]

  • Gabriel Landry

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  • Gabriel Landry
    Collège de Maisonneuve

Indépendamment de ce qui bouge d’un livre à l’autre, la poésie de Martine Audet, dont Les mélancolies  constituent le sixième opus, repose sur quelques invariants bien manifestes. Il y a d’abord cette épargne minutieuse de la parole : vers et strophes ne sont pas loin d’être compendieux. Le lexique a ses mots fétiches, de préférence monosyllabiques : air, vent, corps, main, coeur, os, ciel, nuit… Mots assez incontournables, il est vrai, mais la valeur qu’on leur accorde ici va plus loin que l’usage nécessaire. On leur confie l’essentiel ; ils sont cet essentiel, cette langue élémentaire, épurée, qui semble être une mode chez beaucoup de poètes. En effet, ce n’est pas rare dans les oeuvres actuelles, cette gestion sans dépense inutile. Il semble au contraire que la plupart aspirent au dépouillement formel comme à un idéal entendu et obligatoire, idéal qui, pour certains, a l’air de se confondre avec l’idée même de la poésie. Première hypothèse : dans Les mélancolies, l’économie du poème serait tout à fait adéquate. Ce ne serait pas, comme chez d’autres, une convention ou une afféterie. Le courant endigué du langage serait à rapprocher de la tentation du mutisme qui habite le pays de la mélancolie : « je renonce à parler […] je sais à peine/qui je suis » (12), lit-on dès la première page. La bile noire est une encre blanche. Elle répugne au bavardage, se tenant plutôt à l’orée du secret, aux bords où la parole vient près de manquer : Le tour interrogatif, dont Fontanier dit qu’il est propre à exprimer tous les mouvements de l’âme, est également caractéristique de la poésie d’Audet. Moins fréquent dans ce dernier livre que dans Orbites , il teinte cependant d’inquiétude l’affection mélancolique dans la quatrième séquence du recueil, avant de réapparaître dans les poèmes de la fin du livre. Et comme la première phrase des Mélancolies est elle-même interrogative (« Ai-je craint que mon coeur ne s’élève contre moi ? » [9]), on peut considérer que le texte entier est placé sous le signe du questionnement. Deuxième hypothèse (que le lecteur a si bien vue venir qu’il émet à son tour l’hypothèse de la complaisance du chroniqueur) : le mal mélancolie obscurcissant toutes les certitudes consolantes, le doute, la crainte, l’irrésolution et autres fluctuations de l’esprit étant ses conséquences naturelles, le tour interrogatif en serait l’expression même. Pour que le lecteur n’ait pas le déplaisir de la voir venir, j’émets tout de suite la troisième hypothèse avant d’en fournir la présomptueuse explication : la (ré)partition du thème en douze parties formellement distinctes était la seule manière de lui insuffler quelque chose de neuf et de justifier son traitement en un livre de cent quarante pages. La mélancolie est en effet un thème poétique en soi, un thème rebattu autant que « canonique », dont la seule mention évoque un nombre considérable de poèmes célèbres, du rondeau où Charles d’Orléans se dit l’« Escollier de Mérencolye   » aux pièces de Verlaine placées sous l’influence de Saturne, en passant par celles des Contemplations où se fait entendre la bouche d’ombre, les Spleen de Baudelaire et le sonnet au soleil noir de Nerval, pour ne rappeler que les plus connus. Ce serait un peu ridicule de vouloir situer l’entreprise de Martine Audet dans le sillon de ces illustres et lointains devanciers, et en les évoquant, on réalise aussi qu’il serait impossible de citer autant de poèmes modernes (du vingtième siècle, disons) et célèbres écrits sur le même thème . J’avance cette énormité que sauf exception (on pourrait citer l’oeuvre importante de Jacques Brault), la mélancolie est …

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