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La leçon de Monique LaRue[Record]

  • Krzysztof Jarosz

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  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie (Pologne)

C’est au début du troisième millénaire que j’ai découvert pour de vrai l’oeuvre de Monique LaRue, que je considère depuis comme l’un des esprits les plus solides et les plus lucides de notre époque (sexes, âges et hémisphères confondus). Avant cette illumination, j’avais lu avec un certain intérêt (et même avec un intérêt certain) Copies conformes, son roman le plus connu à l’époque, en appréciant le sujet alors novateur ainsi que les références savantes et intelligentes au Faucon de Malte (roman et film). Avoir lu ce roman était considéré à l’époque, dans le cercle élitiste des québécistes, comme un must incontournable, si l’on veut bien me passer ce pléonasme. Ce n’est pourtant que La gloire de Cassiodore qui m’a révélé le talent épique de LaRue et a déclenché mon désir de tout lire d’elle. J’appris ainsi bientôt qu’il y avait eu une « affaire LaRue » dans laquelle elle aurait été accusée de racisme. Les personnes (des Québécois surtout) que j’ai questionnées à l’époque évitaient de me répondre clairement, ce qui dans mon esprit ne pouvait avoir qu’une explication : les reproches adressés à l’écrivaine étaient justifiés et les concitoyens de LaRue se sentaient mal à l’aise, ne voulant ni défendre une personne qui s’était comportée d’une manière indigne, ni accabler d’accusations une compatriote. Un des collègues ayant finalement accepté de m’envoyer une photocopie de l’édition princeps du brûlot qui avait déclenché l’« affaire », je l’ai lu et relu sans parvenir à comprendre ce qui, dans ce texte — à mon humble avis totalement inoffensif —, avait bien pu être interprété comme raciste. Je me dis maintenant que j’étais, à l’époque, en plein délire rationaliste, délire dont je ne me suis pas encore tout à fait remis et dont j’aurai probablement du mal à me remettre jusqu’à la fin de ma lucidité, étant donné ma fâcheuse habitude qu’on appelait autrefois « philologique », qui consiste à ne pas voir dans un texte ce qui n’y figure point. La lecture des articles qui s’acharnaient à fustiger le prétendu racisme de LaRue m’a fait douter de ma raison et il y avait des moments où j’étais sur le point de sombrer dans la folie d’une théorie de la conspiration qui me faisait soupçonner l’existence de sous-entendus inénarrables et indicibles qu’il était préférable de laisser à jamais non dévoilés. J’ai lu plus tard le savant article que François Dumont a consacré à « l’affaire LaRue », et par la suite pratiquement tout le dossier de presse de la controverse, puis dernièrement, un chapitre d’Un Québec polémique de Dominique Garand. Or, sans avoir quoi que ce soit à redire à l’objectivité des travaux de ces collègues dont j’estime l’honnêteté et l’exactitude scientifique, il m’a fallu attendre la parution de La leçon de Jérusalem, le dernier essai de Monique LaRue, pour vraiment comprendre le point de vue de la principale accusée dans cette « affaire » ou cette querelle, ou plutôt dans cette attaque unilatérale qui en dit très long sur les motifs des détracteurs, sur la nature humaine, qui n’est guère le petit théâtre cartésien que nous nous imaginons, sur la « political correctness » ou tout simplement sur l’indolence qui avait bâillonné maints acteurs potentiels de ce débat. Pour en revenir à la trop fameuse « affaire », LaRue, qui se présente comme une écrivaine vivant en dehors du circuit officiel, s’est retrouvée inopinément prise entre deux feux, sans savoir que son essai avait « [v]erbalis[é] un malaise » (77) que ressentaient, d’un côté, des écrivains québécois de souche qui enviaient aux « migrants » les distinctions récentes et, …

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