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Balolo, le seul événement qui annule le service religieux dominical aux Fidji.

Joeli Veitayaki[1]

Introduction[2]

Tous les ans en octobre et en novembre, les Fidjiens s’interrogent sur l’apparition de Palola viridis dans certains lagons du pays. Il s’agit d’un ver marin produisant deux fois l’an un épitoke mâle ou femelle constitué soit de sperme soit d’oeufs long de 20 à 30 cm. Se détachant du corps du ver, les épitokes remontent à la surface de l’eau. Appelés balolo[3] par les Fidjiens, ils sont attendus avec beaucoup d’impatience. Même si les Autochtones ne les ont pas tous vus ou goûtés, tous en ont entendu parler. En effet, le calendrier traditionnel nomme le mois d’octobre balolo lailai ou « petit balolo », le mois de novembre, balolo levu ou « grand balolo ». Chaque année le livret du calendrier catholique publie les dates de venue présumées et quelques jours auparavant radio et télévision font de même. De plus, le balolo apparaît dans plusieurs expressions et dictons, tels balalo sara — « ça n’arrivera pas de sitôt » — ou balolo ni vakanananu — « dommage, tu as manqué l’occasion ! » Il est notable que les balolo ne soient pas présents sur les côtes des iTaukei, dénomination actuelle des Fidjiens autochtones, mais que ces derniers appellent « nos balolo » certains poissons ou crustacés qui frayent en très grand nombre dans leurs eaux à la même époque. L’intérêt est donc national, non seulement parce que certains espèrent manger ce que des Occidentaux ont qualifié de « caviar du Pacifique », mais aussi pour les raisons qui sont le sujet de cet article.

L’analyse du calendrier lunaire fidjien dévoilera d’abord l’imbrication entre la collecte du balolo et le temps de la fabrication de l’igname. Nous poserons la question de leur lien, le premier étant un être de la mer et le second, l’emblème de la reproduction terrestre. Dans deux exemples ethnographiques issus de nos recherches sur le terrain, nous présenterons le balolo, sa place dans la cosmologie, les interdits et les rituels accompagnant sa venue, les savoirs locaux et les représentations recueillis ainsi que la description des relations entre les différents protagonistes humains et non humains dans un territoire. Cela nous permettra de mettre en évidence un lien direct entre organisation sociale et cosmologie se traduisant de manière distincte à l’est et à l’ouest du pays, entre autres, par une relation différente avec les ancêtres ou avec le monde extérieur.

Fig. 1

Le balolo une heure après sa collecte. Le processus de désagrégation a commencé

Le balolo une heure après sa collecte. Le processus de désagrégation a commencé
Photo de l’auteure (novembre 2016)

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Le calendrier

Le balolo peut également être appelé ika ni yabaki, poisson de la récolte. Yabaki signifie littéralement « récolte annuelle », en premier lieu la récolte de l’igname, comme dans la phrase sa matua na yabaki, « les ignames sont mûres » (Capell 1991 : 284). Yabaki est devenu le mot pour « année » au moment de l’introduction, par les missionnaires, des douze mois du calendrier grégorien. Ilaitia Tuwere (2002 : 36) fait mention de l’expression « caka yabaki », utilisée pour désigner une année. Il traduit l’expression par « year making » : « faire, fabriquer l’année ». Nous pensons qu’il serait plus pertinent de la traduire par « fabriquer la récolte, fabriquer l’igname » puisqu’elle fait référence à un travail (caka) terrestre et marin, rituel et quotidien, durant effectivement un an. Au quotidien, les iTaukei se réfèrent au calendrier grégorien mais la plupart connaissent le calendrier lunaire, qui se trouve par ailleurs au programme de l’école primaire[4]. Regardons ce que nous apprend le calendrier lunaire traditionnel :

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Dans ce calendrier lunaire, le mois de février représente la période culminante, celle durant laquelle l’igname arrive à maturité. Les premiers fruits (isevu) de sa récolte sont offerts au chef comme au pasteur lors d’une cérémonie importante également appelée yabaki, c’est-à-dire « récolte du cycle agricole écoulé ». Le mois de i Sevu est celui de la fin d’un cycle et le début d’un autre en même temps : l’offrande des ignames au chef, aux dieux-ancêtres de l’origine, aux esprits et, aujourd’hui, au dieu chrétien est le résultat du travail agricole, mais est aussi, comme nous le verrons, l’aboutissement d’un travail rituel. L’acceptation de l’offrande des premiers fruits par le chef contient sa promesse de maintenir le territoire dans un état propice à ces travaux pendant le nouveau cycle qui commence.

En analysant le calendrier, nous voyons qu’à l’intérieur d’un cycle annuel il y a huit lunaisons, de février à septembre, dont les noms font référence à la culture de l’igname, mentionnant leur offrande, drainage, tuteurage, désherbage et plantation. Quatre lunaisons, d’octobre à janvier, font référence à ce qui nous intéresse ici, le balolo et ses effets sur les autres poissons. Elles séparent la plantation de l’igname de sa récolte, correspondant ainsi au temps de sa croissance.

Aborder le phénomène du balolo par l’ethnographie des rituels nous a semblé un projet stimulant à partir du jour où un ami dans l’île de Lakeba a dit à propos du nuqa (sigan), qui venait d’arriver en nombre dans le lagon pour frayer : « Ceci est notre balolo. » Nous avons alors voulu comprendre pourquoi il était capital pour une société d’avoir « son » balolo.

Afin de répondre à cette question, nous avons, pendant trois années, de 2015 à 2017, collecté des données ethnographiques dans vingt-quatre villages dispersés dans neuf îles différentes. Dans chacun des villages sauf un (Tubou, sur l’île de Lakeba), le balolo ou « notre balolo » était encore récolté, mais le respect des rituels varie d’un village à l’autre et est en nette régression selon les dires des aînés. Relativement souvent cela était dit être lié au fait que l’apparition des animaux marins devenait elle-même de moins en moins récurrente.

Les lieux de notre enquête se trouvant à l’est sont dans les îles Viti Levu (est), Vanua Levu, Vanua Balavu, Susui et Lakeba ; ceux à l’ouest sont dans les seuls espaces marins où apparaît le balolo, les archipels Mamanuca et Yasawa (îles Tavua, Nacula, Matacawalevu et Yasawa).

Dès le départ, le projet prévoyait la présence sur le terrain d’au moins un biologiste marin fidjien afin d’observer le récif avant, pendant et après l’apparition du balolo et d’assister à l’avènement dans le but de récolter des spécimens destinés à l’analyse en laboratoire.

Aux Fidji, le protocole pour visiter un village nécessite une introduction par l’un de ses membres. Cette personne sera le porte-parole indispensable des visiteurs qu’elle présente au chef traditionnel du village, introduction accompagnée de l’offrande cérémonielle d’une racine de kava (Piper methysticum). Elle expose alors la raison de la visite et demande l’autorisation pour que les visiteurs puissent séjourner quelques heures ou quelques nuits au village. La permission du chef et la consommation du kava rendent possibles l’interaction avec les villageois et les déplacements dans le village et le récif. Elles protègent également les visiteurs d’un éventuel désaccord des êtres non humains occupant ces lieux. Les Fidjiens entretenant des relations de parenté (réelles et classificatoires) dans tout le pays[5], la présence des biologistes marins a grandement facilité la recherche de la personne susceptible à chaque fois de nous introduire au village. En 2016 et 2017, l’équipe comprenait également une assistante fidjienne, car l’expérience de l’année précédente avait montré que les femmes jouaient un rôle important dans la récolte du balolo et que le thème ne pouvait pas toujours être abordé en présence d’un homme (le biologiste), car il comportait des allusions sexuelles. Dans la grande majorité des villages fidjiens, contrairement à la ville, il est toujours impossible et très mal perçu de parler de sexualité en présence de l’autre sexe. Par contre, lorsque nous étions entre femmes, la parole s’avérait très libre. La présence de l’assistante, outre le fait qu’elle facilitait la communication lorsque notre connaissance du fidjien était insuffisante ou lorsque nos interlocuteurs ne parlaient pas ou peu anglais (nous pouvions travailler sur les traductions ensuite), présentait également l’avantage qu’elle pouvait dévier avec une politesse coutumière les entretiens devenant trop scabreux de la part d’une assistance uniquement masculine, encouragée par le sujet du balolo.

Fig. 2

Les deux sites de l’étude sur les îles de Vanua Levu, Nacula et Yasawa

Les deux sites de l’étude sur les îles de Vanua Levu, Nacula et Yasawa

Carte modifiée par l’auteure à l’aide de CartoGIS Services, College of Asia and the Pacific, The Australian National University.

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Un exemple ethnographique de collecte du balolo dans l’est des Fidji

L’est des Fidji est réputé pour ses grandes chefferies sacrées de forme polynésienne (Pauwels 2019) organisées en plusieurs vanua tout en étant elles-mêmes chacune un vanua à un niveau supérieur. Le terme est donc polysémique, pouvant renvoyer à l’ensemble des îles Fidji, Vanua ko Viti, à une partie des Fidji, à une confédération de vanua plus petits (la grande chefferie) et à une confédération de villages (la chefferie). Vanua est toujours associé à un espace, un lieu, un territoire. Au niveau nous intéressant ici, celui de la chefferie, il s’agit d’une unité sociale née de la réunion de plusieurs groupes de migrants, appelés yavusa, sur un même territoire. Dans les récits des origines, ceux-ci sont la plupart du temps présentés comme des fratries sous l’égide d’un ancêtre fondateur. Dans un tel récit, il y a toujours un moment où, devant la multiplication des conflits internes et externes, la nécessité d’une centralisation du pouvoir se fait sentir. Se présente alors, arrivant par la mer, ce que Marshall Sahlins (1981) a appelé un « roi étranger ». Autour de lui se constitue un vanua, une unité sociopolitique dont les membres partagent les mêmes valeurs, la même cosmologie dans laquelle tout est interconnecté : les humains et leurs ancêtres, les métahumains (Graeber et Sahlins 2017) (les vu, « esprits », les kalou-vu, « dieux-ancêtres de l’origine »), mais aussi les non-humains (les animaux, les plantes, les cours d’eau, le lagon, le récif et la terre). Une expression, « lewe ni vanua », le « contenu du vanua », réunit tous ces éléments. La qualité de vie des humains, dans cet environnement, dépend de la qualité des relations et est basée sur une reconnaissance et un respect réciproques, entre eux et avec le reste du vanua, sur le modèle de la relation qu’ils entretiennent avec leur chef. Ce dernier joue un rôle unique qui lui a été confié lors de son intronisation : il incarne le mana du vanua provenant des dieux-ancêtres de l’origine et des esprits et en répond[6]. Ce mana, notion souvent traduite par « pouvoir d’efficacité », se manifeste sous forme d’un état de sautu, idée généralement traduite par « paix[7] et abondance » : abondance de villageois, de récoltes dans les jardins, et profusion de poissons dans le lagon.

Ajoutons que dans un vanua le dualisme complémentaire terre (premiers occupants)/mer (chefs étrangers) est omniprésent ; nous le voyons à l’oeuvre dans les rituels, dans la distribution géographique des maisons, dans la répartition des responsabilités envers le vanua et le chef. Cette interdépendance structurelle se retrouve-t-elle dans la relation entre le vanua et le balolo ?

Les villages

Sur la côte sud-est de l’île de Vanua Levu, nous avons enquêté dans dix villages en octobre et novembre 2015 et 2016. Tous ces villages font partie de la même grande chefferie de Cakaudrove, sous l’égide du chef suprême. Cependant ils ne font pas tous partie du même vanua sur le plan de la confédération de villages. Les quatre villages de Vivili, Waivunia, Naidi et Savudrodro[8], dont nous décrirons ici l’ethnographie concernant le balolo, relèvent du même vanua. Nous les avons sélectionnés parce qu’ils nous permettent de montrer l’imbrication unique de deux raisons distinctes de faire des offrandes de balolo, dont l’une fait écho à ce qu’il se passe dans l’ouest des Fidji. Des quatre villages, les trois premiers se situent le long de la côte et le quatrième dans la montagne, cinq kilomètres à l’intérieur des terres. Dans le dernier réside le « leader d’un yavusa[9] », liuliu ni yavusa. Son ancêtre fondateur, selon les récits de mes informateurs, a demandé à ses cadets d’aller s’installer dans les villages côtiers afin d’avoir accès aux produits de la mer. Depuis cette époque, les descendants de l’aîné et des cadets sont toujours en relation veinanumi, c’est-à-dire « mutuellement attentionnés ». Lorsque les cadets sont descendus sur la côte, il y existait déjà des villages. Leurs habitants originaux racontent leur hospitalité comme un acte de pitié envers ceux dépourvus d’accès à la mer. Ils se souviennent des dons de femmes ayant scellé la relation. Nous sommes donc en présence d’une relation entre aînés et cadets qui s’est transformée, comme une nécessité, en relation complémentaire entre gens de la montagne et gens de la côte. Tous les ans, celle-ci trouve son apogée au moment où les membres du yavusa Savudrodro habitant Naidi et Waivunia[10] apportent leur offrande de balolo ainsi que des crabes de terre à Vivili. Ils les rassemblent et, empruntant les anciens chemins de la montagne, se rendent à Savudrodro. En échange, ils recevront des nattes, de l’huile parfumée et des artéfacts. Nos informateurs, qu’ils soient de Vivili ou de Savudrodro, ont tous insisté sur le fait que Savudrodro doit recevoir le balolo avant que les habitants des trois autres villages puissent en disposer — « ce qui vient de la mer doit aller à la terre » — et que si le balolo n’est pas offert ainsi lors de sa première apparition en octobre, il n’y en aura pas en novembre.

La collecte dans l’Est fidjien

Quelques jours avant l’arrivée supposée des balolo, dans un intervalle de temps calme juste après des vents violents et des courants changeants, plusieurs personnes se plaignent de leur état émotionnel. Elles se disent gogo, « léthargiques, faibles [en comparaison, selon nos interlocuteurs, de l’affaiblissement propre à la vieillesse] ». Elles espèrent que les balolo arriveront bientôt par la passe et les goulets que le vent est dit avoir nettoyés (pour eux)[11].

Le jour précédent, jusqu’à très tard le soir, de petits vers (non identifiés mais de la famille des Nereidinae), souvent rouges, pas toujours les mêmes selon les endroits, apparaissent tout au bord du rivage ou dans des cuvettes. Ils sont appelés ulunibalolo, « la tête du balolo », dans le sens de « ce qui précède le balolo ».

Fig. 3

Ulunibalolo

Ulunibalolo
Photo de l’auteure (novembre 2015)

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Dans les trois villages, ce sont les femmes qui scrutent les signes précurseurs du balolo tout en s’organisant pour son arrivée dès l’apparition de la pleine lune. Non seulement doivent-elles s’assurer d’avoir de quoi confectionner les épuisettes et prévoir les récipients, mais elles sont aussi tenues de préparer un bel isulu jaba, un « ensemble formel en coton composé d’un très long pagne et d’un haut de longueur variable », de préférence neuf, pour l’occasion. Elles fabriquent également des colliers de fleurs et évitent toute relation sexuelle. Le soir estimé de l’arrivée du balolo, huit nuits après la pleine lune, « les plus fringantes, les plus attirantes », comme elles se qualifient elles-mêmes, se rendent, parées de leurs plus beaux atours, sur le rivage. L’ambiance est gaie, les rires fusent. Elles font penser à un groupe d’adolescentes essayant de se faire remarquer.

Soudain, généralement vers deux heures du matin, lorsque la lune se montre, l’une d’entre elles pousse un cri rituel comme pour saluer respectueusement un chef lorsqu’on s’en approche, tel « Selo[12] ! » par exemple. Ce cri retentit jusqu’au village, avertissant la communauté de l’arrivée des balolo. Les retardataires, parmi lesquelles les femmes moins jeunes, se précipiteront. Aujourd’hui, les hommes empruntent des bateaux en direction du récif près de la passe à des endroits connus comme des lieux d’émergence du balolo.

Fig. 4

Les hommes collectent le balolo près du récif

Les hommes collectent le balolo près du récif
Photo de l’auteure (novembre 2015)

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Les femmes restent entre elles, s’avancent dans l’eau, de préférence vers des cuvettes, avec épuisettes et bassines. L’atmosphère est fébrile, des plaisanteries — plutôt scabreuses — jaillissent les unes après les autres. La tension ne faiblira pas jusqu’au lever du jour ou jusqu’à l’apparition de la pluie appelée suitalatala, « la pluie des adieux ».

Entretemps les femmes plus âgées ont commencé à préparer un grand four polynésien ; certaines ont rassemblé les feuilles de l’arbre à pain, futures enveloppes du balolo qui cuira avec des ignames, que les hommes ont fait pousser dans leur jardin l’année précédente spécialement pour l’occasion.

Fig. 5

Balolo cuit dans son enveloppe de feuille d’arbre à pain

Balolo cuit dans son enveloppe de feuille d’arbre à pain
Photo de l’auteure (octobre 2017)

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Lorsque le balolo et les ignames sont prêts, les villageois disent qu’une autre pluie viendra éteindre le feu du four. Une part de balolo et d’ignames cuits sera prélevée afin d’être donnée en offrande au chef du vanua, aux esprits et ancêtres des origines dans son village. Ce don est qualifié de « premiers fruits ». Ensuite, l’offrande pour Savudrodro est apportée à Vivili par des habitants de Naidi et Waivunia. Une délégation partira à Savudrodro. Maintenant les habitants des trois villages peuvent se partager le balolo et en faire don à leurs proches vivant ailleurs.

Les feuilles d’arbre à pain ayant enveloppé le balolo pendant sa cuisson dans le four ne peuvent être jetées, mais doivent être déposées sur les monticules des plantations d’ignames.

Les représentations dans l’Est fidjien

À la question : « Pourquoi vous habillez-vous de neuf et vous parfumez-vous d’un collier de fleurs ? », un petit groupe de nos interlocutrices répond : « C’est un signe de bienvenue et de respect. C’est Kabula, tamata waitui ; ce sont des “humains de la mer” — autrement dit, des visiteurs. C’est important et lourd ». Ensuite elles ajoutent, comme pour s’excuser d’avoir parlé des choses au sujet desquelles on reste habituellement silencieux : « Le balolo est très important, même si tout vient d’en haut, de Dieu. » Kabula se décompose en Ka, « la chose », avec l’accent sur « la », et bula, « vie », donc « la chose de la vie ». D’autres, à la même question, répliquent en éclatant d’un rire gêné : « Parce que c’est lié à mère Nature ! C’est Kabula ; tous les êtres vivants sont reliés à travers le balolo. C’est l’origine de la vie, les humains et les êtres vivants. C’est un signe de respect de s’habiller. Il n’y a pas d’autre rituel à effectuer. » L’expression « lié à mère Nature » est une façon de dire que quelque chose est lié à la sexualité. Une villageoise explique : « Balolo, nous, les femmes, on le désire comme un homme de Bau. » Bau est une île, siège de la plus grande chefferie des Fidji. Les hommes ont la réputation d’y être beaux, grands, forts, et donc très séduisants[13], et on les appelle ika ni yabaki, comme le balolo[14] ! Une informatrice a comparé le balolo à un « prince charmant », en ajoutant : « Le balolo est doux, agréable, bien assaisonné ; tu peux dire la même chose d’un prince charmant. » Une interlocutrice nous confiait « attendre monsieur Balolo » avec impatience. Remarquons que l’amour unissant un couple est décrit avec le mot domono, « aimer, en mettant l’accent sur un désir physique fort » ; il est différent de celui décrivant l’amour porté aux autres membres de sa famille, loloma, qui se traduit plus exactement par « affection ». Dodomo est également utilisé pour désigner le désir irrésistible d’un aliment, tel le balolo. Ce dernier et l’homme sont en quelque sorte interchangeables ; le contexte de l’arrivée du balolo est indéniablement chargé de désir sexuel, un désir auquel les femmes se sont préparées par une abstinence sexuelle les jours précédents. Certains époux nous ont d’ailleurs exprimé leur désapprobation de ces séjours nocturnes entre femmes (avec monsieur Balolo), en les qualifiant de tevoro, « diaboliques », et dans certains villages ils ont progressivement imposé leur présence.

Les femmes, par leur comportement rituel d’attraction du balolo, permettent à chacun d’ingérer cette substance générative masculine qu’est le balolo et aux ignames d’en absorber également grâce aux enveloppes de cuisson disposées sur les monticules. Ainsi, les humains sortiront de leur état de léthargie et les ignames seront vakalewe, « charnus », et définiront la virilité des hommes qui les ont plantées[15].

Les conditions d’apparition du balolo dans l’Est fidjien

Malgré tous les signes dont disposent les villageois pour prédire l’arrivée du balolo, que ce soit à l’est ou à l’ouest des Fidji, son apparition reste une incertitude[16] qu’ils pensent, cependant, pouvoir dompter en observant règles et tabous. Si nous en avons déjà abordé quelques-uns suivis par les femmes, il en existe d’autres. Ainsi, les balolo, ayant une agentivité propre, se cachent si les humains parlent d’eux avant leur apparition (ce qui n’a pas facilité notre travail). Avant leur avènement, il n’y a pas de poisson dans le lagon, il est drava[17], « improductif, stérile », parce que le balolo ferme les yeux des poissons. Si les humains s’en plaignent, le balolo ne viendra pas. Tous les villageois savent que les poissons, eux, réapparaîtront quelques jours après le frai afin de se reproduire eux aussi, « car c’est le balolo qui supporte tout cela ». Un comportement déplaisant fortement au balolo est le fait d’être vendu par les humains au lieu d’être donné, éventuellement avec un contre-don de « choses de la terre ». Mais la raison majeure pour laquelle il pourrait rester invisible, ne pas avoir envie de se montrer est liée à la mauvaise qualité des relations entre les humains du vanua. « S’il n’y a pas de balolo, il n’y aura pas de récolte ! Alors tu dois te poser des questions au sujet de ta manière de vivre », nous disait une informatrice. Elle continuait : « L’arrivée du balolo n’est pas automatique, c’est quelque chose qui doit être réalisé par de bonnes relations sociales, par le service rendu à son chef, par l’absence de disputes. » Autrement dit, si le chef parvient à se faire respecter, à faire régner la paix et la bonne entente entre les éléments du vanua, alors les métahumains n’empêcheront ni le balolo ni les poissons de venir, ni les ignames de pousser ; ils feront en sorte que les éléments de l’extérieur et de l’intérieur se rejoignent dans le vanua pour la production de la nourriture, la reproduction humaine, animale, et l’obtention d’une bonne vie, bula sautu.

Un exemple ethnographique de collecte du balolo dans l’ouest des Fidji

Les connaissances sur l’ouest des Fidji sont moins riches que celles sur l’est, mais tous les auteurs s’accordent à dire que l’ouest est différent. Adrian Tanner (1996) note cependant que l’appellation « ouest des Fidji » suggère une uniformité et une unité dont il démontre l’inexistence, les régions ne partageant, entre autres, pas la même histoire. Le premier critère distinctif entre l’est et l’ouest habituellement évoqué est celui de la hiérarchie plus « faible » à l’ouest (Thomas 1990 ; Sutherland 1992 ; Bosi et Fraenkel 2007 ; Cretton 2015). Ce qualificatif vague réfère à l’absence de grandes chefferies polynésiennes constituées de plusieurs vanua avec chacune un chef sous l’égide du chef suprême. Voilà pourquoi, au moment de la colonisation, l’Ouest fidjien a été réparti arbitrairement entre les deux chefferies suprêmes de Burebasaga et Kubuna de l’est de l’île principale, Viti Levu, qui d’ailleurs prétendaient y exercer leur suprématie. Ce faisant, le gouvernement colonial cherchait à unifier l’organisation sociale et politique des îles Fidji afin de simplifier sa gouvernance. L’ouest se vit doté, comme à l’est, de tikina (« districts »), si ce n’est qu’à l’est un tikina et un vanua étaient, sauf exception, synonymes, alors qu’à l’ouest cela correspondait à un découpage totalement arbitraire. La littérature montrant que, pour le colonisateur, le modèle, les références furent toujours les grandes chefferies de l’est — en ce qui concerne, la langue, la tenure foncière, le découpage des régions et les coutumes — est riche (France 1969). En revanche, les écrits décrivant ethnographiquement l’organisation sociopolitique et la cosmologie des sociétés de l’ouest sont nettement moins nombreux. Adolph Brewster (1922) décrit l’intérieur de Viti Levu et mentionne le yavusa comme étant important ; Edward Gifford (1953), distinguant l’est et l’ouest de l’intérieur de Vitu Levu, remarque qu’à l’ouest ce qu’il appelle « les villages » sont occupés par un seul yavusa. Aucun des deux ne mentionne la présence de vanua ni ne signale l’arrivée par la mer d’un chef dans les récits d’origine. Dans les villages où a été réalisée notre enquête, nous avons fait le même constat, à la différence près que les villageois semblent utiliser aujourd’hui le mot vanua lorsqu’ils parlent du territoire physique de leur yavusa.

Les villages

Émilie Nolet (2018) écrivait récemment dans un article sur le tourisme dans les Yasawa : « L’importance des Yasawa en tant qu’image internationale des Fidji contraste avec le peu de connaissances accumulées sur les formes sociales et culturelles particulières à cet archipel, même si l’ouverture au tourisme a entraîné un regain d’intérêt scientifique. »

L’archipel se situe à l’extrême nord-ouest des Fidji. Nous nous concentrerons sur deux villages renommés pour leur balolo respectivement localisés sur les îles Yasawa et Nacula. Sur la première, le village de Bukama est occupé par un seul yavusa ; sur la seconde, le village de Nacula constitue avec les trois autres villages de l’île un seul yavusa. Nos deux séjours de deux semaines en 2016 et 2017 ont été centrés sur le balolo et non sur l’organisation sociale, mais les récits collectés ont confirmé que le chef actuel de chacun des yavusa est un descendant de l’ancêtre fondateur. Les migrants consécutifs, s’il y en a eu, ont été accueillis et intégrés dans le premier yavusa et n’ont nullement mis en cause la position de chef du fondateur et de ses descendants. Le chef est par ailleurs respecté, servi rituellement comme un chef de vanua de l’Est fidjien dans son vanua[18]. Le sentiment d’appartenance et la fonction identitaire d’un vanua à l’est ou d’un yavusa dans l’archipel de Yasawa semblent également comparables.

Dans le récit collecté au milieu du siècle dernier à Nacula par Aubrey Parke (2014), on peut lire qu’au fil des générations la fratrie du yavusa de Nacula a transmis le rôle de chef sans faire la distinction entre aînés et cadets, en choisissant le plus capable, dans un souci de bonne entente[19].

Aujourd’hui, les deux chefs de Yasawa et de Nacula, respectivement Tui Yasawa et Tui Drola, sont présentés comme étant des « frères », veitacini. Mais leur relation est expliquée par l’expression veivakaliuci, qui ne signifie aucunement « frères » mais « mutuellement ou à tour de rôle, être leader ». Il s’agit probablement d’une façon de dire qu’il n’y a pas de relation hiérarchique entre les deux yavusa. Chaque chef a, par ailleurs, son propre balolo ; lorsqu’en octobre il n’apparaît pas à Nacula, les membres du yavusa diront : « C’était le balolo de Tui Yasawa. » Ils attendront le leur en novembre, et vice versa lorsqu’il ne se montre pas à Bukama.

La collecte dans l’Ouest fidjien

Pour décrire la collecte, les représentations et les conditions d’apparition des balolo, nous n’allons pas distinguer les deux yavusa tant leur approche est similaire.

La réussite de la collecte est de la responsabilité du prêtre traditionnel (bete) du yavusa. Celui-ci surveille les différents signes annonciateurs. Quelques jours avant leur arrivée, à la nuit tombée, à marée descendante, il se rend seul dans une cuvette dans le lagon afin d’y trouver des vers appelés ululevu, « grande tête », décrits comme ayant une grosse tête couronnée d’une lumière et un corps comme celui d’un mille-pattes, mais aussi comme des larves de moustiques. Ils rendent l’eau visqueuse[20]. Ululevu peut également être traduit par « les grands qui sont devant, les précurseurs ». Si les vers sont présents, le prêtre puise de l’eau avec une demi-noix de coco et compte le nombre d’ululevu. S’il y en a entre un et trois, c’est de bon augure pour l’arrivée du balolo ; en revanche, un nombre supérieur l’est moins. Pourrait-il y avoir des « invités » non souhaités ?

Ensuite, les ayant enveloppés dans un morceau de tapa, le prêtre se rend au village, qu’il arpente en long et en large en soufflant dans une conque tout en criant : « Yaveto ! Yaveto ! », terme signifiant en dialecte local : « Récolte ! Récolte ! » Femmes et enfants se réveillent afin d’admirer les ululevu. Le prêtre se dirige ensuite vers sa maison, où les membres de sa famille l’attendent avec un bol de kava, des plantains cuits et de la canne à sucre plantés l’année précédente à cette intention[21]. Ils le questionnent sur le nombre de ululevu. Puis, le prêtre demande d’apporter les offrandes — « Tamata qo, “ces humains” sont ici, apportez la nourriture » — et prie en s’adressant aux ululevu : « Je reconnais votre venue par ce don de la “nourriture terrestre annuelle”, magiti ni yabaki, du yavusa Yasawa [ou Nacula]. Nous vous accueillons, recevez ceci cérémonieusement, nous vous remercions, nous vous accueillons. » Cet acte, appelé na ivono, fut expliqué par le prêtre par « accuser réception, remercier “les invisibles” du don de leur présence et du coeur avec lequel ils le font ».

Ces paroles prononcées, il ouvre le tapa renfermant les ululevu et chaque membre de sa famille, y compris les enfants, les renifle, regu[22]. Lors de funérailles, cette étape s’appelle reguregu ; elle est l’ultime geste d’affection des vivants. Le prêtre referme alors soigneusement le tapa et le décore d’une fleur avant de se rendre chez le chef du yavusa qui le reçoit cérémonieusement en s’enquérant du nombre d’ululevu, en fonction de quoi son porte-parole ordonnera aux villageois de se préparer pour l’arrivée des balolo. Sa visite achevée, le prêtre rentre chez lui afin d’amener les ululevu jusqu’au tertre, yavu, de la maison fondatrice de son lignage, yavusa, là où sont enterrés les ancêtres fondateurs, les vu. Il les porte très prudemment, « comme on porte un enfant de chef, roqota », en signe de profonde affection, puis les enterre. Ceux qu’il appelle « ces humains » sont en réalité ses ancêtres, ces êtres invisibles dont on ne peut dire le nom et dont dépend l’arrivée des balolo.

Ici, pas de tabous ou de code vestimentaire ; les hommes partent habituellement rejoindre le récif près des passes lorsque la lune monte vers trois heures du matin ; les femmes et les enfants attendent le long du rivage « pour rencontrer les balolo » échouant à leurs pieds. Si les hommes s’aventurent près des récifs, c’est parce que le balolo y est « plus grand et plus propre ». Il y apparaît dans ce que les hommes qualifient de navuna, « des sources », les décrivant comme des « troncs » pouvant atteindre trois mètres de diamètre ou encore comme des « sacs » qui éclatent. Les récolteurs coupent le tronc avec une rame ou une perche pour en atténuer le flux afin d’éloigner le danger, car la masse de balolo est telle que si un pêcheur tombe dedans il ne peut en sortir tout seul. Une fois le tronc coupé, la masse est dite se retire.

Le prêtre doit s’assurer que le premier balolo attrapé avec une épuisette sera donné au chef — et aux métahumains par la même occasion. Pour le balolo, comme pour les autres nourritures, chacun est libre de le consommer et de le partager dès que le chef a reçu sa part.

Les représentations dans l’Ouest fidjien

Nos informateurs ont déclaré que lorsque le prêtre montre la coque de coco contenant les ululevu, cela suscite des émotions fortes, leur présence étant l’assurance de nourriture pour l’année, kakana ni yabaki. « L’efficacité du balolo, c’est une île verte, des fruits de l’arbre à pain, de l’ombre et l’opposé de l’égoïsme parmi les humains », disait l’un. « Chaque chose commence par le balolo, comme la pluie qui tombe après sa cuisson, gusu ni balolo, qui induit la vie », ajouta un autre.

Les raisons de l’absence des ululevu, et donc des balolo, peuvent être multiples : le chef n’a pas reçu sa part l’année précédente, le prêtre a triché (comme lorsqu’il rapporte des vers qui ne sont pas des ululevu), les humains sont en conflit, etc.

Aucun informateur ne mentionne que le balolo entre dans le lagon par la passe ; il semble en effet que pour eux « la source » se trouve au fond du lagon, sous terre. C’est là où il y a bulu, ce qui est décrit par Unaisi Nabobo-Baba (2006 : 38) comme « le monde souterrain, l’au-delà, où vivent ceux qui sont morts et où d’autres esprits-dieux sont considérés résider » — autrement dit la résidence des ancêtres fondateurs.

À la question : « Qu’est-ce qui annonce l’imminence de balolo ? », les membres des deux yavusa ont fourni la même réponse : « Les gens brûlent leurs jardins, provoquant des incendies. » En faisant cela, ils transgressent un interdit dont ils connaissent les conséquences environnementales puisqu’ils disent « que le mal qui se trouve sur la terre [les retombées des cendres] glissera dans le lagon ». Ce comportement est perçu comme une dégradation (annuelle) des relations entre les humains, comme une nécessité de renouveau, celui qui sera apporté par le balolo. Rappelons-nous que les informateurs de l’est attribuent leur léthargie à (la nécessité de) l’approche de balolo, voyant également ce dernier comme porteur de l’indispensable renouveau.

Les conditions d’apparition des balolo dans l’ouest

Dans l’ouest, l’apparition des balolo dépend principalement de celle des ululevu ou ancêtres fondateurs et du travail des prêtres. Le balolo ne semble pas avoir d’agentivité propre. Toutefois, la qualité des relations entre les membres du yavusa comme celle de la relation avec leur chef et les métahumains du yavusa ont la même importance que dans l’Est fidjien, témoignant de la même interconnectivité.

Signalons encore quelques faits communs à l’est et à l’ouest concernant l’apparition des balolo. Dans tous les villages, le balolo est dit apparaître huit nuits après la pleine lune. Dans certains villages, la réponse est ensuite plus nuancée. Le balolo apparaît une ou deux fois, en octobre ou novembre (parfois décembre). Son arrivée est annoncée par une odeur de poisson déplaisante, boi sisiva, et une écume rosâtre, vusa, sur l’eau[23]. Les premières créatures à repeupler le récif après l’arrivée du balolo sont celles que les villageois qualifient de « rampantes », qasiqasi, tels les langoustes, les crevettes et les crabes. Le balolo est cuit dans un four traditionnel, lovo, pour une cuisson à l’étouffée, enveloppé dans des feuilles d’arbre à pain. Les récolteurs savent que c’est terminé, que le balolo ne reviendra pas le lendemain (fait rare), lorsqu’il pleut après la collecte ; cette pluie, appelée suitalatala (sui : « arroser » ; talatala : « faire ses adieux ») ou encore gusu ni balolo, est dite rincer le balolo.

Avant de pouvoir être consommé, le balolo doit être donné au chef du vanua ou du yavusa en tant que isevu, « don de premiers fruits », car l’ensemble du balolo est « son balolo ». Le pasteur est souvent également obtenteur en tant que représentant de Dieu.

Finalement, vendre le balolo est interdit : il est destiné au don.

Conclusion

Chaque année, les Fidjiens oeuvrent pour une fertilité renouvelée. Dans l’est, l’arrivée et l’installation en tant que chef d’un étranger venu de la mer constituent l’acte fondateur de l’unité sociale de référence pour notre étude, le vanua. Le travail rituel concernant le balolo et la fertilité qui l’accompagne sont son affaire. Dans l’ouest, où l’acte fondateur est l’occupation première d’une terre par un yavusa, la quête de fertilité est de son ressort. Vanua et yavusa attribuent le balolo à leur chef.

Cette régénération est le résultat de relations empreintes de respect, de réciprocité entre les humains comme entre les humains et tous les autres occupants du territoire sur le modèle de la relation entre le chef et les autres membres du vanua ou du yavusa. À l’est, c’est à cette condition que le vanua peut accueillir le balolo venant du monde situé au-delà du récif. Le vanua, sans les balolo, apparaît comme un tout incomplet, comme ayant une part manquante pour permettre son abondance, sa récolte annuelle. Il incombe aux femmes autochtones de les attirer dans leurs épuisettes par le biais d’un « jeu » d’attirance sexuelle. Ces contrées de l’est, depuis des siècles, avaient des relations étroites avec les Tongiens et leurs grandes chefferies polynésiennes, échangeant avec eux une multitude de biens ainsi que des époux et des épouses. Tout ce qui vient de l’extérieur est très valorisé, indispensable à la vie, à l’image des chefs et du balolo.

Dans l’archipel des Yasawa, les habitants, apparemment sans volonté expansionniste, venus occuper uniquement des terres vierges, ont été jusqu’en 1982, au moment de l’ouverture au tourisme, relativement isolés et jamais envahis[24]. La proximité des ancêtres de l’origine, enterrés sous le tertre de la maison fondatrice, lieu central du yavusa, est annuellement confirmée par leur arrivée en tant que ululevu, annonciateurs des balolo apportant la part manquante de fertilité. L’arrivée des balolo, étrangers attirants pour les uns, ancêtres fondateurs pour les autres, est toujours un signe que le chef est chef de plein droit et une promesse d’abondance.

L’importance dans la cosmologie de plusieurs sociétés du Pacifique d’une espèce marine à priori insignifiante, telle le balolo, est liée à sa récurrence à première vue annuelle, mais somme toute aléatoire. Cette imprévisibilité de la venue du balolo permet aux humains de confirmer ou d’infirmer leurs incertitudes à propos de la qualité des relations qu’ils entretiennent avec les êtres dont ils partagent l’environnement.