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La patrimonialisation des savoir-faire du goût est à la mode aujourd’hui en France. En cela, la démarche patrimoniale des acteurs de la filière agro-alimentaire Fourme de Montbrison que nous étudierons ici n’est pas un cas isolé. On pense bien entendu à la reconnaissance patrimoniale et paysagère des vignobles comme, pour ne citer que des cas français, les climats de Bourgogne ou encore Saint-Émilion. Le patrimoine de savoir-faire du goût devient de plus en plus prégnant dans la sphère patrimoniale. Julia Csergo a bien étudié le développement des phénomènes de patrimonialisation de l’alimentation, ses racines et ses enjeux notamment dans son dernier ouvrage : La gastronomie est-elle une marchandise culturelle comme une autre ? (Csergo 2016). Claire Delfosse a, par ailleurs, étudié plus spécifiquement l’utilisation à des fins de territorialisation des dimensions immatérielles de la valorisation du patrimoine alimentaire notamment fromager à travers les fêtes dans un article intitulé « La patrimonialisation des produits dits de terroir » (Delfosse 2011) que ceux-ci soient viticoles, fruitiers, etc.

En revanche, si la France met en avant ses traditions fromagères, il a fallu attendre 2016 pour qu’un premier fromage entre officiellement dans le champ patrimonial avec l’inscription du savoir-faire du Salers au Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de la France. La Fourme de Montbrison apparaît ainsi parmi les produits fromagers précurseurs dans une démarche d’association entre patrimoine, notamment le Patrimoine immatériel, et développement local avec son inscription au PCI de la France en 2018.

Inscrite depuis 2018 à l’inventaire français du patrimoine culturel immatériel, la Fourme de Montbrison a obtenu, par cette inscription, une reconnaissance de sa valeur patrimoniale. AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) à part entière depuis 2002, AOP (Appellation d’Origine Protégée) depuis 2009[2], ce fromage à pâte persillée issu de la transformation de laits de vache crus ou pasteurisés était déjà au coeur d’une stratégie de promotion du territoire par le patrimoine. Avec ce nouveau label, qui donne à ce produit une visibilité dépassant les frontières du Forez et de la Loire, l’on pourrait croire que l’ensemble des acteurs locaux joue pleinement la carte « patrimoine alimentaire et culinaire » pour développer leur territoire.

Nous livrons ici les premiers éléments d’une étude en cours très riche[3] sur la trajectoire du processus de patrimonialisation d’un fromage local, que cela soit en termes de jeux et stratégies des acteurs impliqués à des degrés divers dans ce processus, de pratiques de tous ordres et de territoire. Dans cette première phase de la recherche, il s’agit de mieux comprendre les étapes spécifiques de la patrimonialisation de la Fourme de Montbrison en insistant sur l’apport et les enjeux de la démarche d’inscription au PCI de la France. La Fourme de Montbrison se révèle ainsi être un cas d’étude exemplaire pour cerner les différents régimes de patrimonialisation (Davallon 2014) qui entrent en concurrence, en opposition, en complémentarité. L’analyse du processus de patrimonialisation à l’oeuvre autour de ce produit alimentaire protéiforme témoigne des évolutions des pratiques de mise en valeur des patrimoines alimentaires tout en mettant en avant les spécificités, intérêts et alliances des acteurs participant à cette patrimonialisation d’un « objet » fromager.

Afin de réaliser cette étude nous avons analysé et confronté les sources écrites aux entretiens réalisés sur le terrain. Les sources archivistiques se composent des Archives du Syndicat de la Fourme de Montbrison, des Archives départementales de la Loire, de la documentation touristique et informationnelle en format papier et numérique sur la Fourme de Montbrison, des articles de la presse nationale et locale évoquant le produit entre 1958 et octobre 2019 (soit 180 articles consultés sur la base Europresse) et des fonds de la Cinémathèque de Saint-Étienne. L’étude s’appuie également sur un recueil de 20 témoignages oraux[4] auprès des différents acteurs de la filière Fourme (production, sauvegarde, valorisation, développement du territoire, vente, culture, apprentissage agricole, etc.). L’analyse par croisement de ces deux matériaux permet de mieux appréhender les enjeux récents de l’inscription des savoir-faire de la fabrication de ce fromage au PCI de la France.

Fabrication et évolutions de la Fourme de Montbrison, un patrimoine vivant ?

Le mot « Fourme » est directement dérivé du mot « fromage » mais surtout de la « forme » donc du moule qui donne une forme spécifique au fromage. On retrouve surtout cet usage du mot dans le Massif central. Le mot « fromage » a pour origine le mot grec phormos et le latin forma qui donnera naissance au formaticus, fromage fait à partir de caillé dans une forme. La mise en forme, le savoir-faire et la technique sont donc au coeur de ce qui définit cet aliment. Un fromage est une fabrication humaine à partir de ressources naturelles choisies et selon une maîtrise technique.

Le mode de fabrication de la Fourme de Montbrison a fait l’objet d’une étude approfondie dans la thèse de Maurice Damon sur les « jasseries » (mode d’habitation spécifique dédié à la fabrication de la Fourme en estive qui sera présenté dans les lignes suivantes) des monts du Forez (Damon 1972). Les travaux d’Étienne de Banville (Banville 2006) sur les familles fourmières du milieu du XXe siècle et leurs transformations vers un secteur de petite industrie, confrontés aux témoignages historiques que représentent les documents historiques comme les livres de compte (1886-1892) d’Émile Joandel, propriétaire et marchand de fromages à Sauvain (Damon 2010), la présentation de l’activité fourmière en 1950 par André Molle (Molle 1950) ainsi que le cahier des charges de l’AOP[5], sont des sources essentielles pour l’étude de l’histoire de ce fromage. Ces matériaux, associés aux explications données par le Syndicat de la Fourme de Montbrison et les fourmiers permettent de bien cerner le mode de fabrication de la Fourme de Montbrison et ses évolutions que nous présentons ici.

La Fourme de Montbrison est principalement produite sur les « Hautes Chaumes », zone de moyenne montagne située au sommet des monts du Forez, partagée entre les départements de la Loire et du Puy-de-Dôme (Figure 1). On y retrouve une alternance de végétation de landes montagnardes, de plateaux dénudés et de forêts de résineux. Plutôt humide avec des niveaux de pluies importants, les Hautes Chaumes sont également parsemées de tourbières et de nombreuses prairies. Les hivers sont longs, froids et souvent neigeux.

Figure 1

La zone AOP de la Fourme de Montbrison

La zone AOP de la Fourme de Montbrison
Document publicitaire, Syndicat de la Fourme de Montbrison

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On estime que la fabrication de la « Fourme de Montbrison » remonte au Haut Moyen Âge. Des traces archéologiques du système agro-pastoral ont été mises à jour[6]. L’ancêtre de la Fourme serait le « Fromage de Roche » mentionné dans une quittance datée de 1672, consultable aux archives de la Diana à Montbrison[7]. Ce système de production a perduré jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale[8].

La production de ce fromage était réalisée dans les jasseries (Figure 2). La jasserie, de jas, mot celte qui signifie lieu où l’on couche est un bâtiment en pierre conçu pour la pratique de l’estive. Les femmes gardaient les troupeaux de vaches pendant la saison d’estive et fabriquaient les Fourmes à partir de leur lait. Vingt litres de lait étaient nécessaires pour en faire une seule. Les hommes restaient au village en contrebas pour effectuer les travaux des champs. André Molle décrit ainsi ce bâtiment au fonctionnement particulier en 1950 dans La Fourme de Pierre-sur-Haute dite d’Ambert ou de Montbrison :

La jasserie est une construction bien particulière. C’est une longue bâtisse posée tout à plat sur le sol. Les murailles ne sont pas hautes, moins de 3 mètres. Les ouvertures sont peu nombreuses : deux portes, celle de la grange et celle de l’étable qui est en même temps celle de l’habitation, quelques “fenestroux”. (…) La charpente à angle très aigu est solide en prévision des lourdes épaisseurs de neige à supporter l’hiver. Elle délimite la grange où il y a toujours une provision de foin. Le rez-de-chaussée constitue l’étable et à un bout la cuisine qui sert en même temps de fromagerie, de chambre à coucher. Elle communique en général avec la cave à Fourme située en arrière de la jasserie. Les bêtes couchent sur un plancher, les crèches sont adossées aux murs de part et d’autre. Au centre un passage pavé. Au plafond les chéneaux d’égouttage sont accrochés aux grosses solives. Située légèrement en amont de la jasserie, la “serve” est indispensable. C’est une écluse fermée par une bonde qui communique avec l’étable. Tel Hercule nettoyant les étables d’Augias, la vachère matin et soir enlève la bonde du réservoir, se rend à l’étable où l’eau arrive à flots, prend le balai de bouleau et procède à un lavage complet des planchers et du passage central. (…) Elle (l’eau) s’écoule dans la prairie située au-dessous appelée “fumée” (…). Ensuite la serve est bouchée. Les planchers sèchent. Ils seront nets quand les troupeaux rentreront pour les traites (…). À la ferme et à la jasserie, la cuisine, mais surtout l’étable où règne constamment une douce chaleur tient lieu de salle d’égouttage. (…) Les Fourmes encore peu consistantes sont placées avec précaution dans les chéneaux d’égouttage, accrochés au plafond et protégés par un grillage.

Molle 1950 : 1-13

Figure 2

Une jasserie aujourd’hui, Hautes Chaumes

Une jasserie aujourd’hui, Hautes Chaumes
Crédit photo, Syndicat de la Fourme de Montbrison

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Pour fabriquer les Fourmes, les fourmières utilisaient[9] (Therrat 2004; Ferrand 2007) :

  • Une batte en bois ou une caillère en aluminium pour effectuer l’emprésurage du lait.

  • L’afrénial, manche en bois ajouré permet le brassage. Il permet de briser le caillé en grain.

  • La menole en bois permet de tourner la préparation et de rassembler les grains de caillé de la taille d’un grain de blé pour le presser.

  • Une table d’égouttage creusée permet de récupérer le sérum.

  • Les moules cylindriques percés donnent la forme au fromage. On effrite le caillé lors de la mise en moule sans presser pour laisser des cavités d’air. On sale en trois fois. On ajoute la poudre bleue de pénicillium (glaucum jusque dans les années 1970 puis roqueforti). Dans les années 1950 le plus souvent on n’utilisait pas cette poudre obtenue avec du pain moisi broyé mais de vieilles caves ensemencées en spores (Molle 1950 : 12). La cave est généralement attenante à la jasserie, située au Nord et bien humide. Pour faciliter le développement du pénicillium on piquait parfois les Fourmes. Peu pratiqué jusqu’aux années 1950, ce piquage est désormais totalement intégré au processus.

Après le démoulage, les Fourmes encore peu consistantes sont placées dans les chéneaux d’égouttage en résineux creusés et accrochés au plafond. Les Fourmes sont retournées plusieurs fois par jour. Elles vont se raffermir et développer une croûte dorée. Il faut alors en moyenne attendre 3 semaines pour obtenir le produit définitif, vendu sur les marchés notamment celui de Montbrison.

Généralement on utilisait trois laits, le lait du midi et du soir (tous deux écrémés) mélangés au lait frais du lendemain matin. Cela permettait d’obtenir un mélange à peine écrémé au tiers. On utilisait la crème pour faire du beurre. Autour du milieu des années 1930, la fabrication avec du lait complet se généralise (Molle 1950 : 9). De la même manière, la présure empirique (fabrication maison à partir de caillette de veau et de tisane) est peu à peu abandonnée pour la présure commerciale.

Plusieurs phases d’industrialisation ont eu lieu dans la fabrication de la Fourme, étroitement liées aux phases d’occupation et de déprise des montagnes. La première vague a lieu en 1900 avec le développement de laiteries qui vont récupérer les Fourmes fermières pour les affiner puis collecter le lait pour le transformer en Fourmes. La laiterie Vial-Joandel dite laiterie de Pierre-sur-Haute en est un bon exemple : elle collecte du lait dans les alentours et le transforme en Fourmes (Damon 2010).

Sous la pression des laiteries et avec l’appui de l’École d’industrie laitière d’Aurillac, des critères pour la normalisation d’une qualité de produit sont mis au point. En 1940, la Fourme de Pierre-sur-Haute obtient un label (Damon 1972).

Les années 1950 et 1970 verront le développement de nouvelles laiteries-fromageries, la création d’un comité interprofessionnel pour l’obtention de l’AOC et l’abandon des jasseries. Dans les années 1980, il n’y avait plus de producteur fermier identifié officiellement, même si quelques anciens perpétuaient confidentiellement la tradition. La technique fermière est toujours observée dans l’ensemble mais avec une adaptation industrielle : cuve métallique, salle d’égouttage chauffée, caves en sous-sol, refroidies et humidifiées.

On entend souvent dire et on lit sur les documents publicitaires que les groupes fromagers d’aujourd’hui sont les héritiers des jasseries de jadis. Ce qui est sûr, c’est que les laiteries des années 1900-1930 ont innové pour faire évoluer la fabrication de la Fourme. On est passé de la Fourme d’été consommée en hiver à la Fourme consommable toute l’année. Ces innovateurs ont dû convaincre les producteurs de lait, trouver les techniques et les revendeurs (Banville 2006). Les laiteries et groupes fromagers des années 1950 à 1970 ont quant à eux fixé les normes de fabrication, la typicité et le goût de la Fourme que l’on connaît aujourd’hui (Ferrand 2007). Interrogés lors de visites en été 2019, les fabricants décrivent aujourd’hui la fabrication de la Fourme suivant les mêmes étapes que celles décrites précédemment.

Ce procédé est aujourd’hui considéré comme « patrimoine » par le ministère de la Culture et de la Communication (inscription à l’inventaire du PCI), et dans une certaine mesure par les acteurs locaux et fromagers. Car, force est donc de constater que la méthode, les techniques et les outils, s’ils sont bien les héritiers d’une tradition que l’on veut « ancestrale », sont surtout le fruit de multiples adaptations et évolutions procédurales industrielles. Ainsi, si le discours sur la Fourme de Montbrison s’appuie sur un récit traditionnaliste, la réalité en fait un patrimoine « vivant » autant immatériel et artisanal qu’industriel. Une malléabilité définitionnelle, renforcée par la nouvelle trajectoire du processus de patrimonialisation et qui n’est pas sans provoquer des tensions entre les détenteurs de ce savoir-faire protéiforme et évolutif. L’analyse des grandes étapes de cette patrimonialisation montre des actions tantôt convergentes et concertées entre fromagers, acteurs locaux du patrimoine, du tourisme ou du développement local et élus du territoire, tantôt des processus distincts pour la reconnaissance patrimoniale.

Analyse des étapes du processus de patrimonialisation de la Fourme de Montbrison

Le patrimoine est un concept qui naît, dans son acception moderne, avec la Révolution française et la prise de conscience de l’existence de biens collectifs qui transcendent nos intérêts individuels. La notion de patrimoine a beaucoup évolué au cours du XXe siècle, se nourrissant des visions et apports soulevés par les questions de société mais aussi des approches définitionnelles d’autres cultures.

Une conception traditionnelle du patrimoine, s’appuyant sur l’étymologie du mot et sa conception juridique en fait un héritage du passé. Aux valeurs esthétiques ou encore symboliques se superposent alors le temps et le passé comme critères de reconnaissance patrimoniale. Née au XIXe siècle, cette vision fait suite à la peur de la destruction des biens du passé notamment lors des changements brutaux de régimes. Il fallait identifier les objets, monuments et oeuvres d’art assez remarquables pour être soustraits à l’usure du temps et aux destructions (crises, guerres, etc.). Le patrimoine est alors conçu comme l’ensemble des artefacts remarquables hérités (Babelon et Chastel 2000). Principalement et premièrement architecturale et matérielle, (monument puis objet et site), la notion de patrimoine s’est étendue à la nature et au paysage (Convention UNESCO de 1972) puis à l’immatériel (Convention UNESCO de 2003) (Choay 1996 : 2009).

Nous ne reviendrons pas ici sur la définition et les écoles de pensée du patrimoine, mais comme présenté dans le schéma de la patrimonialisation et ses modes d’appropriation (Figure 3), nous partirons du constat qu’aujourd’hui le patrimoine au sens le plus large est davantage compris comme un ensemble de produits et processus donnant aux sociétés des ressources héritées du passé, construites dans le présent (filiation inversée définie par Jean Davallon) au service du développement des territoires et à conserver pour le bénéfice des générations futures. Il comprend le patrimoine matériel, naturel et immatériel d’une communauté (quelle que soit sa taille) qui, dans la dynamique d’appropriation indispensable, le défend, le conserve, le valorise et le transmet.

Figure 3

Schéma de la patrimonialisation et ses modes d’appropriation

Schéma de la patrimonialisation et ses modes d’appropriation
A. Brayet

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On peut repérer dans le processus de patrimonialisation de la Fourme des mouvements ou phases de mise en patrimoine se focalisant sur différents types de patrimoines comme le bâti, les traditions, les paysages, les savoir-faire ou le goût. Trois phases de patrimonialisation de la Fourme sont identifiables comme nous pouvons le voir dans ce schéma (Figure 4).

Figure 4

Schéma des trois phases de patrimonialisation de la Fourme de Montbrison

Schéma des trois phases de patrimonialisation de la Fourme de Montbrison
A. Brayet

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Le premier mouvement à noter est la définition d’une typicité[10] du produit et l’interrelation entre celle-ci et le milieu naturel : il s’agit de la construction d’une identité locale du produit à travers l’identification et la construction d’un savoir-faire. Il débute dans les années 1930. Les premières démarches et initiatives en vue d’une qualification via un label apparaissent alors (Banville 2006 : 26). Mais ce sont surtout la fin des années 1960 et le début des années 1970 qui voient s’affirmer la définition d’une norme, d’un caractère spécifique à la Fourme dans un souci de différenciation des deux Fourmes d’Ambert et de Montbrison. Ainsi en 1968, un rapport de Georges Breil, ingénieur au CNAOF, distingue clairement deux aires de production, deux traditions et deux zones d’extension entre Ambert et Montbrison (Banville 2006).

Le CIFAM, Comité interprofessionnel de la Fourme d’Ambert et de Montbrison crée en 1971 qui deviendra ensuite un syndicat, se charge de demander la création d’une AOC[11]. Le 9 mai 1972, un décret reconnaît les appellations de Fourme d’Ambert et de Montbrison[12]. Le 21 janvier 1976, un décret retient l’appellation de Fourme d’Ambert ou Fourme de Montbrison[13].

Cette constitution d’une AOC n’a certes pas de vocation patrimoniale mais elle constitue l’un des premiers jalons du processus de patrimonialisation. En effet, comme le note Claire Delfosse, « l’obtention d’une appellation d’Origine Contrôlée a permis au produit de devenir un élément du patrimoine national » (Delfosse 2011). Selon Aurélien Vorger (Vet Agro Sup/ Ambert) : « Le patrimoine est dans le fondement de toute appellation, car il y a un lien entre l’appellation et le savoir-faire donc le patrimoine[14] ».

Le cahier des charges de l’AOC décrit l’histoire du produit, l’évolution du savoir-faire et son inscription dans un milieu donné. Le lien au lieu et au temps se retrouve dans la définition de toutes les AOC/AOP et IG (Indication Géographique)[15].

Cela participe de la prise en compte du patrimoine local. Déprise agricole, industrialisation de la production alimentaire sont notamment à l’origine de ce mouvement de conservation des modes de vie régionaux d’autrefois. Ouvert en 1968, le musée de la Fourme et des Traditions à Sauvain (Figure 5) met en scène les modes de vie en jasserie, les traditions, métiers anciens et l’habitat en estive. Il s’inscrit dans cette tendance plus générale des musées associatifs et écomusées qui fleurissent dans les zones rurales françaises dans les années 1960-1970.

Figure 5

Musée de la Fourme et des Traditions, Sauvain

Musée de la Fourme et des Traditions, Sauvain
Crédits personnels

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Un deuxième mouvement, dans les années 1980 cherche à définir un environnement spécifique et à le protéger. Les Hautes Chaumes et les jasseries comme paysage et éléments d’architecture rurale sont alors reconnues comme patrimoines dans les années 1980. En avril 1982, une association est constituée pour la création du Parc naturel régional Livradois-Forez[16] (Figure 6). Le parc naturel régional Livradois-Forez est créé par délibération du conseil régional d’Auvergne en février 1986. Une partie du parc couvre alors la zone AOP actuelle de la Fourme d’Ambert. En 2011, cinq communes du département de la Loire y adhèrent faisant entrer une partie de la zone AOP de la Fourme de Montbrison dans le parc[17].

Figure 6

Parc naturel régional Livradois-Forez, vue des Hautes Chaumes

Parc naturel régional Livradois-Forez, vue des Hautes Chaumes
Crédits personnels

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Autre initiative, la réserve naturelle régionale[18] des Jasseries de Colleigne (RNR75) est créée en 1985 (Figure 7). Il s’agit au départ d’une réserve naturelle volontaire de 55,67 hectares dans les monts du Forez. Classée réserve naturelle régionale (RNR) en 2009, elle s’étend depuis sur une zone de 285 hectares.

Figure 7

Réserve naturelle de la Jasserie de Colleigne

Réserve naturelle de la Jasserie de Colleigne
Crédits personnels

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Un site Natura 2000[19] est également défini et comprend la partie sommitale auvergnate des monts du Forez, située sur les communes du Brugeron, de Saint-Pierre-la-Bourlhonne, de Job, de Valcivières, de Grandrif, de Saint-Anthème et d’Ambert. Ces milieux ont été façonnés par les pratiques agricoles et forestières. Il s’agit donc de maintenir ces pratiques afin de préserver cette richesse écologique.

Une troisième phase débute à la fin des années 1990 et au début des années 2000 et tend à faire reconnaître un savoir-faire, une technique d’élaboration du produit Fourme. Cette réflexion aboutit à la constitution de deux AOC distinctes en mai 2002 et va s’appuyer sur des revendications de reconnaissances patrimoniales. Les deux cahiers des charges fondent l’identité de chaque produit. On peut ainsi lire dans le cahier des charges de la Fourme d’Ambert :

Les techniques de fabrication ont quant à elles évolué suite au développement de la production au début du XXe siècle, mais des usages communs à tous les fabricants et des savoir-faire spécifiques ont été conservés. (…) Fruit d’un environnement, d’un mode de vie et de techniques fromagères particulières, la “Fourme d’Ambert/Montbrison” est ainsi l’expression d’une communauté humaine dans un milieu naturel de moyenne montagne.[20]

Dans le cahier des charges de la Fourme de Montbrison, il est écrit : « Hérité de la technique ancestrale, le schéma technologique de la “Fourme de Montbrison” fait valoir un savoir-faire local[21] ».

En 1994, le Conservatoire des Espaces Naturels[22] de l’Auvergne accepte l’installation sur le site de la jasserie des Chaumettes de Valcivières d’un agriculteur qui souhaite faire de la Fourme fermière. Celui-ci avait présenté un dossier de création d’entreprise intitulé « La Fourme fermière, un vieux produit d’avenir » au Parc du Livradois-Forez (Tardy 2015 : 67). Il obtient d’ailleurs le premier prix du concours lancé par le parc et le soutien de ce dernier qui voit dans cette initiative un premier jalon pour la relance de la Fourme fermière. Les acteurs de la sauvegarde du paysage et des espaces naturels saisissent ainsi l’opportunité de la conservation des espaces par le développement de pratiques et savoir-faire patrimoniaux.

En 2007, la ville de Montbrison et le Syndicat de la Fourme ont obtenu le label Site Remarquable du Goût (SRG) « Fourme de Montbrison et des Hautes Chaumes du Forez » (Figure 8). Il s’agit d’un label français créé en 1995 par les ministères de la Culture et de la communication, du Tourisme, de l’Agriculture et de l’Environnement pour identifier des communes où le savoir-faire des hommes et la qualité d’un produit typique local se mêlent pour fonder un patrimoine culturel, immatériel et environnemental[23].

Figure 8

Logo des Sites remarquables du goût apposé sur la porte du Musée de la Fourme et des Traditions de Sauvain

Logo des Sites remarquables du goût apposé sur la porte du Musée de la Fourme et des Traditions de Sauvain
Crédits personnels

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Cinq arguments ont permis au Forez de décrocher le label SRG : la qualité du produit fabriqué, son inscription dans un espace naturel protégé (parc régional, réserve naturelle, etc.) ; la présence d’un patrimoine architectural reconnu et conservé (jasseries, monuments historiques, etc.), l’organisation d’une fête en l’honneur du produit (la Fête de la Fourme en septembre, chaque année) et une grande diversité de produits touristiques (musée, visites de fermes et de fromageries, routes touristiques, etc.)[24].

Enfin, l’inscription à l’inventaire du PCI de la France de la « fabrication de la Fourme de Montbrison » en 2018 participe de cette phase de quête de reconnaissance (Figure 9).

Figure 9

En 2019 le logo « Patrimoine culturel immatériel de la France » a été apposé sur les différents support de communication. Ici un affichage à Sauvain

En 2019 le logo « Patrimoine culturel immatériel de la France » a été apposé sur les différents support de communication. Ici un affichage à Sauvain
Crédits personnels

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Jean Davallon a défini cinq gestes principaux lisibles dans le processus de patrimonialisation (Davallon 2014) : prise de conscience du potentiel patrimonial d’un objet (patrimonialité) ; sélection des objets auxquels on veut attribuer le statut patrimonial (caractérisation, production de savoir) ; déclaration du statut de patrimoine définissant des obligations constitutives ; diffusion, accès collectif au bien commun (valorisation) et transmission aux générations futures. Le processus de patrimonialisation de la Fourme de Montbrison peut être lu à travers le prisme de ces cinq gestes. Le schéma de synthèse suivant (Figure 10) recense ainsi les actions, événements, décisions propres à chacun de ces gestes.

Figure 10

Les cinq gestes du processus de patrimonialisation selon Jean Davallon et l’exemple de la Fourme de Montbrison

Les cinq gestes du processus de patrimonialisation selon Jean Davallon et l’exemple de la Fourme de Montbrison
A. Brayet

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2018, l’inscription sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de la France

En France, reprenant la définition de la Convention de l’UNESCO de 2003, le ministère de la Culture, entend par « patrimoine culturel immatériel[25] » :

L’ensemble des pratiques, expressions ou représentations qu’une communauté humaine reconnaît comme faisant partie de son patrimoine dans la mesure où celles-ci procurent à ce groupe humain un sentiment de continuité et d’identité. Ces pratiques concernent principalement, mais de manière non exclusive, les traditions orales, musicales ou chorégraphiques, les langues en tant que supports de ces traditions, les jeux et sports traditionnels, les manifestations festives, les savoir-faire artisanaux, les savoirs et savoir-faire liés à la connaissance de la nature ou de l’univers. L’implication des personnes ou groupes porteurs d’un patrimoine culturel immatériel est la condition première de la sauvegarde de ce patrimoine, conformément aux objectifs de la convention.[26]

Ces pratiques culturelles doivent être vivantes, constamment recréées et transmises. Il est aussi précisé par l’UNESCO comme par le Ministère de la Culture et de la communication français, qu’elles doivent être étrangères à toute notion de conflit, ou de violence, entre êtres humains et entre êtres humains et animaux. Ainsi la corrida ou certaines pratiques de chasse ne peuvent être inscrites.

Conformément à l’article 12 de la Convention, qui enjoint aux États parties de dresser et tenir à jour l’inventaire de leur patrimoine culturel immatériel, l’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France est tenu et mis à jour par le ministère de la Culture (Direction générale des Patrimoines). Cet inventaire est enrichi constamment par des candidatures spontanées et par les résultats d’un appel à projets lancé chaque année. Les fiches inventaires sont consultables en ligne[27].

Au 6 juillet 2019, on comptait 433 éléments inclus à l’inventaire national depuis 2008. 35% des fiches inventaire concernent des jeux et des sports traditionnels, 25% des savoir-faire artisanaux. 4% concernent le patrimoine culinaire, soit 18 fiches d’inventaires : 3 autour de repas, 4 pour des fêtes et 11 pour des aliments ou produits du terroir. Les détenteurs des savoir-faire indiqués sur les fiches de l’inventaire du PCI de la France peuvent afficher un emblème sous réserve qu’il ne soit pas associé à une démarche commerciale.

La fabrication de la Fourme de Montbrison entre dans cet inventaire en décembre 2018 après l’examen et l’acceptation de la fiche d’inventaire remise le 29 octobre 2018[28]. Nous avons pu rencontrer la rédactrice de la fiche d’inventaire, Catherine Virassamy, ainsi que les acteurs locaux interrogés. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, la démarche émane de l’extérieur du territoire. La fédération nationale des Sites Remarquables du Goût a proposé à Gérard Bonnaud, président des Sites remarquables du goût de Montbrison Hautes Chaumes, élu en charge du comité des fêtes de la ville de Montbrison, de constituer un dossier. Un rédacteur a été mandaté sur place pour rencontrer les acteurs de la fabrication et de la valorisation de la Fourme de Montbrison. La charge appartient à Gérard Bonnaud[29] de réunir les informations demandées et d’organiser visites et rencontres sur le terrain pour un déplacement de 2 jours en vue de recueillir les informations nécessaires à la fiche. Lors d’un entretien, il explique que :

Le programme défini était : visite du musée de Sauvain, visite de la fromagerie Pont de la Pierre, rencontres avec des producteurs de lait, rencontre avec le fromager Hervé Mons, repas au restaurant Le Sauvagnard, balade autour d’une jasserie, table-ronde avec les maires de la zone AOP, les agents de la valorisation culturelle et le proviseur du lycée agricole de Précieux.

Ce qui a été identifié et reconnu comme étant patrimonial et par conséquent valorisé, c’est le savoir-faire de la fabrication de la Fourme de Montbrison aujourd’hui. Les détenteurs identifiés de ce savoir-faire sont aussi bien des producteurs de lait que des fromageries industrielles et artisanales travaillant le lait pasteurisé, cru ou bio, les restaurateurs et les collectivités qui défendent et valorisent le produit. Selon Catherine Virassamy[30], le dossier « Fourme de Montbrison » était « un beau et bon dossier ». Elle a beaucoup apprécié la diversité de l’expression de ce savoir-faire, adapté, modernisé et transmis, permettant de faire côtoyer aussi bien une production industrialisée au lait pasteurisé (Pont de Pierre) et une Fourme fermière artisanale et bio (Ferme de la Griotte).

Ce patrimoine est donc conçu et appréhendé comme un patrimoine vivant. C’est une construction permanente qui intègre contradictions (productions artisanales et fermières contre productions industrielles par exemple) et compromis (obligation d’actions et de concertations d’acteurs aux visions et intérêts divergents). C’est l’une des singularités de ce produit Fourme de Montbrison : un objet patrimonial qui conjugue valeurs humaines, économiques, touristiques, symboliques, tout en étant évolutif. Rien d’étonnant dès lors à ce que la Fourme de Montbrison apparaisse comme une ressource patrimoniale qui participe de la recomposition et de la stratégie de développement du territoire comme l’a bien montré Claire Delfosse dans son article intitulé « La patrimonialisation des produits dits de terroir, quand “le rural” rencontre “l’urbain”? » (2011). Delfosse a mis en évidence les usages de la Fourme de Montbrison par la ville de Montbrison à des fins notamment de définition et d’ancrage territorial.

Ce produit est à la fois identitaire et source de mobilisation autour d’un projet de territoire[31]. Aurélie Passel, chargée de mission au Syndicat de la Fourme de Montbrison souligne l’importance de ce label porté en commun par les différents acteurs : « On a réussi à ressembler une grande diversité d’acteurs autour de la table[32] ». Un portage par une communauté qui a été l’un des points forts de ce dossier selon Catherine Virassamy : « Ce dossier était un très bon dossier car on voyait bien que tous les acteurs étaient impliqués. C’est rare. Et puis surtout c’est un patrimoine vivant avec une vraie transmission d’un savoir-faire aux jeunes[33] ». L’inscription de la Fourme de Montbrison au PCI de la France construite et présentée comme un projet communautaire du territoire et de ses acteurs porte plusieurs ambitions, complémentaires et concurrentes, mises en évidence par les acteurs lors de des entretiens.

Tout d’abord, il s’agit de permettre une meilleure définition et lisibilité du territoire. Ainsi, pour l’agent d’accueil de l’Office de tourisme Loire-Forez rencontrée le 5 juillet 2019 : « C’est un très bon point pour le territoire. C’est toujours la Fourme qui revient sur le devant de la scène et c’est bien. Quand il y a eu le label PCI on a fait un post sur Facebook et il y a beaucoup de réactions. Quand Montbrison a été élu plus beau marché de France, c’est la Fourme qui a été mise en avant. TF1 a même diffusé un nouveau reportage ce lundi (1er juillet)[34] ». Il en est de même pour le directeur du Campus Agronova, lycée de Précieux, qui voit dans ce produit et son inscription au PCI de la France une opportunité pour identifier physiquement et spatialement un territoire agricole : « La Fourme c’est un produit qui rend palpable, visible et lisible tout le travail d’une filière agricole[35] ».

Ensuite, cette inscription concourt à favoriser le développement d’une approche produit qualitative comme le précise Aurélie Passel du Syndicat de la Fourme : « Pour moi le PCI c’est un gage de sécurité dans l’AOP, on va pouvoir protéger nos savoir-faire dans l’avenir[36] ». Cela pourrait ainsi permettre le maintien de l’emploi agricole, car « avec le PCI, ce qui devient possible c’est de tirer vers le haut toute la filière. On pourra mieux rémunérer les producteurs parce que l’on reconnait les savoir-faire[37] », ajoute-t-elle.

Enfin, il y a surtout une volonté assumée et affichée par tous les acteurs rencontrés d’accroître les retombées économiques pour plusieurs filières comme la production, la restauration ou le tourisme.

À la lumière de ces éléments, l’on peut avancer que cette inscription est perçue comme un outil au service du territoire, et la valeur utilitaire du PCI est conscientisée par les porteurs de ce projet. Néanmoins, notre analyse révèle que des questions restent en suspens quant aux dimensions de sauvegarde (du geste, des techniques et des paysages par exemple) ou encore à propos d’une définition-identification commune et partagée de ce qui fait patrimoine. En effet, des voix s’élèvent au sein de l’AOP Fourme de Montbrison pour critiquer une alliance impossible des artisans et des industriels sous un même savoir-faire. Ainsi, Hervé Guillemin, producteur de la Ferme de la Griotte : « Parler de patrimoine pour une Fourme fabriquée avec du lait d’estive, une Fourme fermière mais aussi pour une Fourme de laiterie ça n’a pas de sens[38] ». Des critiques également formulées par les représentants et défenseurs de la Fourme d’Ambert, fromage cousin de la Fourme de Montbrison, dont les techniques de fabrication bien que différentes sont héritières de la même histoire et très proches. Interrogé sur cette inscription de la voisine Montbrisonnaise, Aurélien Vorger, Vet Agro Sup, Groupement d’Employeur AOP persillés Bleu d’Auvergne, bleu des Causses – Fourme d’Ambert insiste : « Nous à Ambert, nous avons découvert cela dans la presse... alors que l’on partage le même terroir et la même histoire. C’est l’incompréhension[39] ».

Conclusion

Dans l’introduction à l’ouvrage Campagnes de tous nos désirs (Rautenberg et al. 2015), les auteurs rappellent que l’on ne traite pas du patrimoine alimentaire comme des autres patrimoines : si les produits dits du terroir s’exportent et que l’on peut en consommer partout, ils sont également attachés à un lieu par définition et souvent par la réglementation. La valorisation patrimoniale permet donc en plus de la dimension économique et touristique, une forme d’institutionnalisation d’un territoire et souvent de légitimation.

L’analyse du processus de patrimonialisation à l’oeuvre dans un produit alimentaire et culinaire comme la Fourme de Montbrison est ainsi riche d’enseignements. Nous avons pu lire les différentes phases de reconnaissance des valeurs patrimoniales de ce fromage qui sont autant de types différents de valorisation que d’étapes dans la compréhension par les acteurs et habitants du territoire de ce qui fait patrimoine. La Fourme de Montbrison s’inscrit pleinement dans la typologie des systèmes « touristico-gastronomiques » élaborée par Jacinthe Bessière pour définir les nouveaux rapports au territoire et les nouvelles relations entre les acteurs, le produit et le territoire (Bessière 2011 : 315).

L’inscription de la Fourme de Montbrison à l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel de la France en 2018 participe de ce mouvement tout en imposant deux dynamiques conjointes et parfois contradictoires. La richesse des dimensions inclues dans le patrimoine culturel immatériel oblige à un travail en commun des acteurs du territoire. Cette nouvelle synergie née avec l’inscription conduit donc à repenser la stratégie patrimoniale locale jusqu’alors faite d’initiatives morcelées tant chronologiquement qu’institutionnellement. Par ailleurs, en replaçant la question patrimoniale au coeur du produit, de l’artefact, l’inscription au PCI rend indispensable la prise en compte d’acteurs concernés au premier chef par cette inscription : les producteurs.

Ce retour vers des acteurs identifiés comme « détenteurs » d’un savoir-faire et d’une technique en pleine crise des AOP est néanmoins source de tensions. Conflits de valeurs entre récit traditionnaliste, retour à des pratiques paysannes et histoire industrielle de la production sont les causes de velléités indépendantistes de certains producteurs de Fourme. Ainsi, en septembre-octobre 2019, la Ferme de la Griotte, alors unique producteur fermier et bio a décidé de quitter le Syndicat de la Fourme et son AOP, abandonnant de fait le statut de détenteur du savoir-faire pour le label PCI et complexifiant encore un peu plus la compréhension de l’histoire et de l’ontologie de ce patrimoine[40], à l’étude dans un nouveau développement de la recherche.