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Mise en contexte

Les mouvements migratoires surviennent partout à travers le monde. Depuis 10 ans, le territoire québécois accueille annuellement environ 50 000 immigrants provenant de multiples pays (Institut de la statistique du Québec, 2019). Avant les années 1970, la plupart des enfants d’immigrants intégraient les écoles anglophones, mais depuis l’adoption de la Charte de la langue française en 1977 les obligeant à fréquenter les écoles francophones (Rocher et White, 2014), une augmentation et une diversification des élèves issus de l’immigration au secteur francophone sont constatées. À Montréal, les écoles francophones présentent alors une forte diversité ethnoculturelle au sein de la population scolaire (Lahaie, 2020 ; Archambault, Mc Andrew, Audet, Borri-Anadon, Hirsch, Amiraux et Tardif-Grenier, 2018) et sont donc devenues pluriethniques.

La mission de l’école est d’instruire, socialiser, qualifier (LIP, art. 36). Ces éléments renvoient notamment au fait que « l’école a le devoir de rendre possible la réussite scolaire de tous les élèves et de faciliter leur intégration sociale et professionnelle, quelle que soit la voie qu’ils choisiront au terme de leur formation » (MEES, 2017, p. 25). En 1998, la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle soulignait le nécessaire soutien du personnel scolaire dans le processus d’intégration à long terme des élèves issus de l’immigration (1re et 2e génération) à la société québécoise. L’école contribue donc à cette inclusion sociale et à la pleine participation à la vie collective future des élèves ainsi qu’à leur inclusion socioprofessionnelle éventuelle facilitée par la diplomation, la formation et la socialisation. La présence de C.O. dans les écoles secondaires québécoises, notamment en milieu pluriethnique, contribue à ces fins.

Les conseillers et conseillères d’orientation (C.O.), en tant que professionnels au sein des services complémentaires, collaborent avec le monde scolaire dans l’accompagnement des élèves dans le but que ceux-ci atteignent leur plein potentiel, leur réussite et leurs aspirations de carrière. Les pratiques professionnelles discutées dans le présent texte sont celles qui s’inscrivent dans un contexte de communication. Il est à noter que les origines des conseillers et conseillères d’orientation au sein de l’ordre professionnel ne sont pas aussi plurielles que celles des élèves présents dans les écoles. Ceci pourrait poser un défi par rapport à la confiance attribuée aux professionnels non issus de la diversité à former des relations authentiques et efficaces à travers les différences. Plusieurs élèves issus de l’immigration sont confrontés à des obstacles par rapport à leur réussite éducative (Bissonnette, Toussaint, Martiny, Fortier et Ouellet, 2019). Assurément, l’apprentissage de la langue d’accueil, les acquis préscolaires migratoires parfois non reconnus, les cheminements scolaires perturbés, le type d’accueil lors de l’arrivée en terre d’accueil (Kanouté, Guennouni, Arcand et Rachédi, 2017), la complexité des relations existant entre ces élèves et l’ensemble des intervenants scolaires (Archambault et al., 2018) constituent quelques-uns des défis (Papazian-Zohrabian, Mamprin, Lemire, Turpinsanson, Hassan et Rousseau, 2018) faisant obstacle à une inclusion sociale harmonieuse.

Les praticiens ont en ce sens besoin de construire et offrir des interventions efficaces et personnalisées qui prennent en considération les appartenances socioculturelles des Autres (Arthur et Collins, 2014) sans agir de manière ethnocentrique, c’est-à-dire en utilisant ses propres appartenances culturelles comme seule référence dans la construction de l’aide offerte (Sorrells, 2013). Ce faisant, il importe de s’intéresser aux pratiques interculturelles auprès des jeunes issus de l’immigration en milieu scolaire québécois. Alors, la question à poser est la suivante : quelles sont les pratiques interculturelles de communication déclarées par les conseillers et conseillères d’orientation oeuvrant actuellement en milieu scolaire pluriethnique dans la région de Montréal ?

Cadre théorique

Cette partie présente brièvement le rôle des conseillers et conseillères d’orientation et des attentes envers ceux-ci en contexte scolaire pluriethnique. Puis, la définition des pratiques professionnelles dans le cadre du présent texte est présentée. Enfin, le cadre théorique de la Praxis interculturelle de Sorrells (2013) utilisé pour l’analyse est abordé.

Rôles des C.O. en milieu scolaire pluriethnique

Régi par un ordre professionnel, le rôle d’un C.O. est clairement défini. L’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ) précise que le rôle d’un (C.O.) consiste à :

Évaluer le fonctionnement psychologique, les ressources personnelles et les conditions du milieu, intervenir sur l’identité ainsi que développer et maintenir des stratégies actives d’adaptation dans le but de permettre des choix personnels et professionnels tout au long de sa vie, de rétablir l’autonomie socioprofessionnelle et de réaliser des projets de carrière chez l’être humain en interaction avec son environnement

OCCOQ, 2020, paragr.4

En contexte scolaire multiethnique, Dionne, Viviers, Picard et Supeno (2018) ; Auger, Abel et Olivier (2018) ; Goh et al. (2007) ; Pica-Smith et Poynton (2014) et Portman (2009) mentionnent que ce professionnel devrait :

  1. Être présent et visible au sein de l’école

  2. Promouvoir la sensibilité de la diversité pluriethnique dans le monde scolaire

  3. Sensibiliser les enseignants, les professionnels et les directeurs d’école aux défis des élèves issus de l’immigration ou de minorités ethniques

  4. Agir comme médiateur culturel

  5. Éduquer les élèves et le personnel sur le rôle du C.O. (ex. : services offerts, etc.)

La praxis interculturelle

Dans le but de développer un processus de réflexion critique sur les pratiques professionnelles en contexte pluriethnique, Sorrells (2013) propose son modèle de Praxis interculturelle. Ce modèle implique la réflexion, la critique et l’engagement des acteurs. La praxis interculturelle est définie comme un processus d’actions, basé sur ces considérations et permettant aux intervenants d’oeuvrer en contexte de communication relationnelle au sein d’environnements interculturels diversifiés et fort complexes. Elle correspond à un savoir-être et un savoir-agir qui est socialement responsable. Certaines dimensions du modèle rappellent l’Approche interculturelle de Cohen-Émerique (1993 ; 2013), mais le modèle priorisé dans l’étude va plus loin en y intégrant davantage de dimensions à considérer afin d’assurer une réflexion et un savoir-agir adaptés selon les situations interculturelles. Sorrells (2013) a établi un cadre pour engager un processus de praxis interculturelle reposant sur six dimensions : 1) le questionnement ; 2) le cadrage ; 3) le positionnement ; 4) le dialogue ; 5) le réflexif et 6) l’action. Le questionnement correspond à une volonté explicite d’apprendre, de comprendre, de découvrir et de questionner. Il s’agit de suspendre son jugement afin d’acquérir une vision du monde selon la perspective de l’Autre. Favorisée par la motivation et la curiosité, cette dimension est possible grâce à une ouverture de soi et un intérêt par rapport à l’autre. En somme, le questionnement est une façon d’apprendre des autres et de possiblement remettre en question notre propre expérience du monde et nos perceptions. Le cadrage relève, pour sa part, d’une véritable prise de conscience des différents cadres de référence en présence dans une relation avec l’Autre, soit ses propres cadres et ceux de l’autre. S’inscrivant dans la poursuite d’une découverte de l’Autre, cette dimension de la praxis interculturelle porte une attention particulière à la situation de communication de même qu’aux divers aspects sous-tendant l’établissement de cette relation, soit les aspects historiques, politiques, sociaux et organisationnels. Autrement, le cadrage réfère à une capacité de flexibilité et de changement conscient de perspectives dans l’analyse de la communication interculturelle, soit en portant attention simultanément aux dimensions micro et macro qui structurent l’interaction. La dimension du positionnement consiste à comprendre l’influence de nos appartenances géographiques, culturelles, sociales et politiques sur la relation afin d’identifier comment nos différents groupes d’appartenance agissent sur nos perceptions et nos interprétations relationnelles. La quatrième dimension de la praxis interculturelle de Sorrells (2013) est le dialogue. L’application de celui-ci correspond à la mobilisation des trois précédentes dimensions dans laquelle existe une réelle réciprocité ou compréhension mutuelle entre les deux personnes. Le dialogue nécessite donc un partage et un lien entre deux personnes qui sont potentiellement influencées mutuellement par la relation. Pour sa part, la dimension du réflexif fait référence à une réflexion quant à ses propres pratiques professionnelles par introspection, observation et analyse afin de modifier au besoin, les interventions au sein de cette relation et faire preuve d’un savoir-agir respectueux au regard des caractéristiques de cette relation. Enfin, la dimension action correspond à la résultante des prises de conscience associées aux diverses dimensions précédentes et permet à l’intervenant d’agir de manière à être socialement responsable en étant juste et équitable dans les pratiques professionnelles. Comme le mentionne Sorrells (2013), cela permet également au sein même des pratiques professionnelles de dénoncer les inégalités, la discrimination ainsi que les abus de pouvoir ou ne pas le faire, ce qui constitue également une action.

Au regard du modèle de Sorrells (2013), les objectifs fixés sont donc : 1) d’identifier les pratiques déclarées en situation interculturelle de communication professionnelle et 2) d’identifier les défis déclarés des conseillers et conseillères d’orientation oeuvrant dans les écoles multiethniques de la région du Grand Montréal.

Méthodologie

Afin de répondre à la question de recherche, une méthodologie qualitative et interprétative a été choisie afin de comprendre ce phénomène social et donner un sens au vécu des acteurs (Savoie-Zajc, 2011), c’est-à-dire mettre en évidence l’expérience des participants et leur regard sur leur propre expérience (Fortin et Gagnon, 2016). Conséquemment, il était nécessaire d’avoir accès aux propos de C.O. afin d’analyser la manière dont ces professionnels perçoivent leur prise en compte de la diversité ethnoculturelle dans une perspective de développement d’un agir professionnel en contexte de diversité ethnoculturelle importante.

Recrutement

Un échantillonnage de type intentionnel, non probabiliste a d’abord été priorisé. Les personnes sont choisies en fonction de leur expertise, de leur pertinence par rapport à l’objet d’étude (Savoie-Zajc, 2011). Les critères de sélection étaient les suivants : 1) être C.O. membre de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ) ; 2) intervenir auprès d’élèves issus de l’immigration ; et 3) pratiquer au sein d’une école accueillant des élèves issus de l’immigration. L’utilisation du répertoire Services publics d’orientation disponible sur le site web de l’OCCOQ a facilité la sélection et la prise de contact des personnes potentielles répondant aux critères de sélection. Un second échantillonnage a été réalisé selon une procédure en boule de neige qui correspond à « une technique qui consiste à ajouter à un noyau d’individus tous ceux qui sont en relation avec eux […] » (Beaud, 2004, p. 226). Ainsi, les premiers participants sélectionnés ont été invités à référer des membres de leur réseau professionnel répondant aux critères de sélection, augmentant ainsi, le nombre potentiel de participants.

Instruments de collecte de données

La collecte des données a été réalisée par entretien semi-dirigé, au cours des années scolaires 2018-2019 et 2019-2020. Au regard des réponses sur leurs caractéristiques sociodémographiques (âge, expérience, etc.), les participants étaient invités à s’exprimer au sujet de leurs propres pratiques professionnelles en contexte scolaire pluriethnique francophone. En lien avec le premier objectif fixé dans le présent article, les C.O. ont notamment été interrogés quant à leurs types d’interventions, les approches préconisées auprès des élèves et plus spécifiquement ceux issus de l’immigration, etc. En lien avec le second objectif, les défis rattachés aux pratiques en situation de communication interculturelle ont également été discutés en entrevue. Ainsi, les C.O. ont été invités à relater leurs défis vécus lors d’intervention auprès d’élèves issus de l’immigration en décrivant certaines situations vécues, tout en identifiant notamment les différences perçues entre les interventions auprès d’élèves issus de l’immigration et celles auprès des élèves non issus de l’immigration, etc.

Analyse des données

L’ensemble des entrevues individuelles ont été retranscrites. L’analyse de contenu thématique a été priorisée, en fonction des six composantes de la praxis interculturelle de Sorrells (2013). L’analyse thématique est qualifiée de « polyvalente, pouvant s’exercer […] de manière déductive en ayant, préalablement à l’analyse identifiée les thèmes à repérer » (Deschenaux et Bourdon, 2005, p. 6). De surcroit, les analyses de données ont été réalisées avec le logiciel NVivo par cinq étudiantes francophones inscrites aux cycles supérieurs, dont trois à la maîtrise en counseling de carrière. Elles ont ensuite été validées par les deux chercheuses du projet. Une analyse interjuge a donc été effectuée afin de comparer les analyses et obtenir un consensus sur l’interprétation des données au regard du cadre de Sorrells (2013). Ainsi, les thèmes ayant guidé l’analyse du discours des C.O. quant à leurs pratiques déclarées étaient relatifs à des situations de 1) questionnement ; 2) cadrage ; 3) de positionnement ; 4) de dialogue ; 5) de pratique réflexive ; et 6) d’action au sens défini par Sorrells (2013).

Les répondants

L’échantillon est composé de 17 conseillers et conseillères d’orientation oeuvrant en milieux scolaires pluriethniques et francophones de la grande région métropolitaine et provenant de quatre centres de services scolaires différents. De ces 17 personnes, 15 sont des femmes et deux, des hommes. Deux personnes étaient nées à l’extérieur du pays. Les personnes rencontrées avaient entre 25 et 55 ans et possédaient entre 1 et 30 ans d’expérience à titre de C.O.

Résultats

Les analyses réalisées sur les pratiques déclarées des C.O. scolaires en contexte multiethnique francophone ont permis de mettre en évidence la présence de cinq des six dimensions de la Praxis interculturelle établies par Sorrells (2013), soit : 1) le questionnement ; 2) le cadrage ; 3) le positionnement ; 4) le dialogue ; et 5) le réflexif.

Le questionnement

Les analyses ont permis d’identifier le questionnement dans les pratiques déclarées des C.O. scolaires interrogés et d’observer qu’une certaine conscientisation de leur nécessité dans la pratique se distingue dans le discours. Les participants et participantes relèvent, d’une part, l’importance du non-jugement associant même cette attitude à une des qualités essentielles dans le rôle d’un « bon » C.O. Une participante s’exprime d’ailleurs dans ce sens :

Avoir des préjugés. Tu sais, avoir des stéréotypes. Tu sais, ça nuit à 100 %. Tu sais, quand tu pars déjà avec un jugement sur quelqu’un sans lui donner la chance de s’exprimer. Mais, parce que tu le généralises. Donc, pour moi, ça, c’est un très mauvais départ.

Une grande place à l’ouverture d’esprit s’inscrit également dans le discours en soulignant le désir d’être compétent et centré sur les besoins de l’élève, et ce, malgré les différences comme le mentionne de manière éloquente une participante :

C’est sûr que l’ouverture d’esprit va faire que tu vas être ouvert face à ce que la personne va te parler, te dire. Même si des fois, la personne n’est pas du tout dans les mêmes valeurs que toi. Parce que toi, personnellement tu en as des valeurs comme individu, tu as une vision des choses. Et, parfois, les gens vont arriver avec une vision qui n’est pas similaire à la tienne, et, même, opposée à la tienne. Mais, en même temps, l’ouverture d’esprit fait que je ne suis pas là pour évaluer les valeurs, la vision des personnes. Je suis là pour l’aider, pour l’accompagner.

Enfin, la curiosité a également été identifiée à quelques reprises dans les pratiques déclarées par les C.O. scolaires et constitue un moyen d’obtenir des informations contextuelles afin de favoriser l’accompagnement :

Je veux savoir, je veux connaitre. Je veux savoir plus sur les gens. Et, en même temps, cette curiosité-là fait que les personnes me donnent des éléments d’information, me donnent des éléments pour pouvoir les aider.

Le cadrage

Le discours des C.O. semble témoigner de la capacité de prendre en compte dans la relation les diverses perspectives possibles et influencées par l’environnement socioculturel des élèves et qui semble être favorisée, notamment, par l’empathie :

Tout bon processus d’orientation demande de s’adapter à la personne. Bien sûr, la culture fait partie de ça. On peut éviter certains malentendus liés à la culture avec certaines connaissances de la culture de la personne ; à la limite, orienter certaines questions sur la perception de la personne et de personnes immigrantes ou d’autres cultures[...] Il faut avoir une certaine sensibilité, une certaine empathie aussi aux chocs de culture.

Ainsi, la majorité des C.O. mentionnent être très sensibilisés à prendre en compte le cadre des références et cela se constate effectivement au sein de certains exemples d’interventions rapportés lors des entrevues, comme dans l’extrait suivant où le C.O. donne comme exemple une réponse à un jeune :

Si pour toi c’est plus important de préserver le bien-être familial, moi je t’accompagne là-dedans [...]Je comprends ce que tu me dis.

Le C.O. commente par la suite son exemple en affirmant :

Je vais plus dans l’acceptation. Je vais plus essayer de comprendre l’autre. [...]c’est lui l’important, ce n’est pas moi. Je fais fi de ce que je pense.

Le positionnement

En lien avec le positionnement, comme cela est défini dans le cadre de Sorrells (2013), les analyses ont moins mis en évidence cette dimension dans les pratiques professionnelles déclarées par les C.O. scolaires. Il y a une C.O. qui a décrit que les « défis différents avec les élèves immigrants » par rapport aux « élèves d’origine québécoise » sont lorsqu’il y a « des différences de croyances » par rapport aux siennes. Elle fait attention à verbaliser de façon explicite ce qu’elle comprend des croyances de l’élève immigrant pour démontrer qu’elle a compris et qu’elle est capable de faire preuve de non-jugement pour augmenter la confiance relationnelle avant de pouvoir continuer l’intervention.

Il importe dans le positionnement de considérer de quelle manière les appartenances socioculturelles réciproques sont perçues et influencent la relation. Cependant, plusieurs participants et participantes n’ont pas mentionné prendre en considération les différences que les jeunes pourraient avoir au regard de leurs origines :

Bien, personnellement pour moi, à part […] d’adapter mes choses en fonction de son ethnicité, c’est un humain comme un autre donc à partir du moment où l’élève est adapté ici et que ça va bien et qu’il comprend bien, je ne vois pas vraiment de différence.

Le dialogue

La quatrième dimension du cadre de Sorrells (2013), le dialogue, s’actualise dans les pratiques professionnelles déclarées des C.O. d’abord, par la validation de sa propre compréhension de la réalité à l’Autre. Les effets de cette pratique de validation stimulent la possibilité d’un dialogue, comme en témoignent les propos cette participante :

Capacité d’ouverture de comprendre ce qu’ils ont vécu dans leur pays d’origine, leurs référents culturels pour pouvoir répondre adéquatement à leurs besoins. Ça, c’est très important, c’est toujours ce que je vais aller vérifier, c’est un grand défi au quotidien ça. […] Puis au sein de l’intervention, quelque chose qui nous parait évident ne va pas l’être dans une autre culture. Il faut juste revalider sa conception d’une certaine définition, de certains mots. Qu’est-ce que ça signifie telle, telle chose pour lui ? Donc, il y a des revalidations à faire.

Or, le processus lié au dialogue dans la praxis interculturelle demeure à certains égards un défi pour cette participante ainsi que pour d’autres C.O. scolaires interrogés selon leurs pratiques déclarées auprès d’élèves issus de l’immigration.

Autrement, diverses interventions relatées témoignent concrètement de cette réciprocité et de cette compréhension mutuelle entre les deux personnes au sens de la définition du dialogue selon Sorrells (2013) :

Travailler en contexte pluriethnique, je trouve tellement que c’est une richesse. C’est comme ça qu’on doit le voir au-delà du défi. Ça nous sort de notre zone de confort, ça nous fait évoluer comme personne et comme intervenant.

L’extrait précédent démontre la dynamique caractérisant la dimension du dialogue au sens de Sorrells (2013), soit la réciprocité et la compréhension mutuelle au sein des relations en contexte scolaire multiethnique.

Le réflexif

Les pratiques professionnelles s’accompagnant d’une pratique réflexive se présentent au terme de l’analyse comme une volonté, voire un idéal à atteindre. Pour certains participants et participantes, cette pratique réflexive s’inscrit dans une perspective de co-développement professionnel, car celle-ci est favorisée par le partage entre collègues permettant de bénéficier de l’expertise des autres et de s’en inspirer dans ses propres pratiques :

Oui et je pense que je peux partager les moments où il y a des conflits de valeur, je me demande souvent si c’est vrai que nous on est « hot ». Je n’aime pas ça faire ça, c’est pour ça que quand on est plusieurs autour de la table, je peux faire part de ces préoccupations que j’ai. Après ça, on en discute et ça peut revirer. Je trouve ça important de valider avec d’autres intervenants qui sont qualifiés et qui travaillent avec la même clientèle que moi. L’expérience s’additionne à ce moment-là.

Or, l’analyse révèle également que même si une pratique réflexive prend la forme d’un idéal à atteindre dans le discours des personnes interrogées, il n’en demeure pas moins qu’une réelle mise en place d’une pratique réflexive quant aux interventions réalisées quotidiennement demeure difficile à réaliser pour plusieurs C.O. scolaires, comme en témoigne cette personne :

La pratique réflexive, je pourrais en faire une heure par jour, à chaque jour, mais… Ce n’est pas ça qui se produit.

À ce propos, l’analyse effectuée révèle également que le manque de temps semble nuire à l’atteinte de cet idéal de pratique réflexive quotidienne désirée par les C.O. scolaires interrogés.

Discussion

Au regard des résultats présentés, les pratiques professionnelles déclarées au sein du discours des C.O. scolaires rencontrés ont mis en évidence une certaine actualisation des dimensions de Sorrells (2013). En effet, le questionnement de même que le cadrage tel que défini dans la Praxis interculturelle semblent faire partie des préoccupations et des pratiques des C.O. scolaires rencontrés afin d’accompagner et intervenir adéquatement auprès des élèves issus de l’immigration.

L’application de ces dimensions dans les pratiques déclarées dans le cadre de cette étude n’est pas sans rappeler les travaux de divers auteurs et autrices américains (Arthur et Collins, 2005 ; France, Rodriguez et Hett, 2013 ; Ratts et Greenleaf, 2017 ; Neville, Smith, Sue et Sue, 2019) sur le développement chez les conseillers et conseillères d’orientation de compétences multiculturelles et de justice sociale qui se caractérise par un processus non statique et continu d’auto-réflexion, d’apprentissage et d’actions. Plus spécifiquement, l’auto-réflexion implique notamment : 1) de manifester un intérêt et des attitudes positives pour la diversité ethnoculturelle ; 2) de détenir des habiletés relationnelles de même que des caractéristiques personnelles qui favorisent la prise en compte de la diversité (ouverture à la diversité, non-jugement de l’autre, empathie, etc.). Ces deux éléments s’inscrivent précisément dans la dimension du questionnement de Sorrells (2013) et, comme mentionné précédemment, les pratiques déclarées par les C.O. font état de l’acquisition et l’utilisation de telles compétences multiculturelles.

Toujours en lien avec l’auto-formation, Arthur et Collins (2005), France et al. (2013), Ratts et al. (2017) et Sue et al. (2019) ajoutent qu’il importe aux C.O. oeuvrant en contexte multiethnique d’avoir une connaissance de soi-même, de son bagage culturel et de ses pensées culturelles (vision du monde, influences culturelles, biais, croyances, préjugés). Ces divers éléments renvoient ici à la dimension du cadrage de Sorrells (2013) qui, comme mentionné précédemment, est identifiée dans la plupart des pratiques professionnelles déclarées par les C.O. scolaires rencontrés dans la présente étude.

En ce qui concerne le positionnement, il semble qu’il soit moins un réflexe pour les C.O. participant à la recherche de déclarer comment leurs propres appartenances socioculturelles influencent les relations en contexte de communication interculturelle et en tant que professionnels intervenant auprès d’une population de jeunes élèves issus de l’immigration. Que cette quasi-omission provienne d’une inconscience, d’un manque d’approfondissement sur ce sujet lors des entrevues ou d’un simple oubli, il importe de se questionner sur l’importance accordée à ce que l’on projette comme image à l’autre. Le positionnement des conseillers et conseillères d’orientation de cette étude, majoritairement non issus de l’immigration, mérite une attention particulière afin de ne pas agir de manière ethnocentrique.

Dans l’interprétation des résultats en lien avec la dimension dialogue (Sorrells, 2013), force est de constater l’importance de sa présence dans les propos analysés, mais que cela ne se fait pas sans difficulté. En effet, comme mentionné, l’atteinte d’une influence réciproque et d’une compréhension mutuelle au sein des relations en contexte scolaire multiethnique est ouvertement identifiée comme un défi par certains C.O. Or, selon plusieurs auteurs (ASGW, 2012 ; France et al., 2013 ; Ratts et al., 2017 ; Sue et al., 2019), il importe de vivre des expériences concrètes par le biais de l’interaction directe auprès de l’Autre, de formation et d’immersion culturelle pour maîtriser les pratiques culturellement sensibles. C’est d’ailleurs dans cette perspective que les C.O. seront à même de relever ce défi identifié dans la présente recherche.

Enfin, bien que des pratiques réflexives ont souvent été mentionnées dans les pratiques déclarées des C.O. scolaires, l’utilisation du cadre de la Praxis interculturelle (Sorrells, 2013) n’a pas permis de relever de manière satisfaisante dans leurs pratiques l’application de la dimension action. Cette dimension implique notamment de dénoncer au sein des pratiques professionnelles les inégalités et la discrimination. D’ailleurs, Arthur (2018) souligne l’importance de mettre en place des actions, afin de plaider pour la justice sociale ainsi que pour le bien-être des nouveaux arrivants ; influencer la communauté à favoriser un environnement ethnoculturel harmonieux. En effet, les C.O. pourraient travailler davantage sur l’environnement scolaire pour qu’il soit plus accueillant et inclusif au regard des besoins des élèves issus de l’immigration surtout par rapport à l’isolement, la sécurité et leur appartenance face à la discrimination. En fait, bien que l’engagement dans la justice sociale constitue une préoccupation de tous les acteurs scolaires, les C.O. auraient avantage à promouvoir l’égalité et l’expression du plein potentiel des élèves par leur implication professionnelle. Pour ce faire, l’innovation professionnelle pourrait inclure davantage de projets favorisant l’intégration sociale des élèves issus de l’immigration ; le développement de ressources pour soutenir les enseignants dans la motivation ou à la réussite scolaire ; et l’exploration du marché de travail. Or, les pratiques déclarées recueillies dans la collecte des données ne permettent pas d’affirmer ou infirmer la présence de telles pratiques d’action chez les C.O. interrogés dans le cadre de cette recherche.

Conclusion

Au terme de cet article, les pratiques de communication interculturelle déclarées par les conseillers et conseillères d’orientation oeuvrant actuellement en milieu scolaire pluriethnique dans la région de Montréal ont été analysées au regard du modèle de Sorrells (2013). Plus spécifiquement, les pratiques déclarées des C.O. en situation interculturelle révèlent, après analyse, la présence de cinq des six dimensions de Sorrells. Les pratiques déclarées démontrent l’application d’un questionnement, d’un cadrage et de pratiques réflexives (le réflexif). Cependant, sur les plans du positionnement et du dialogue, l’application est moins fréquemment déclarée dans les exemples de leurs pratiques. Quant à la dimension action, elle n’a aucunement été abordée dans les pratiques déclarées. Il est possible que cela soit occasionné par les limites de la recherche, soit le nombre de participants à cette étude ou le type de questions posées lors des entrevues.

Il importe donc de poursuivre les recherches sur ces trois dernières dimensions de Sorrells (2013) qui semblent poser des défis dans les pratiques professionnelles déclarées des C.O. scolaires de la présente recherche.