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Introduction

Les études relatives à la formation insuffisante que recevraient les futurs enseignants sur l’utilisation pédagogique des TIC ne manquent pas. Aussi, la présente étude cherche-t-elle à pallier le manque de formation signifiante aux TIC destinée aux futurs enseignants par la mise en oeuvre d’une nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage. Pour concevoir cette pratique, nous nous inspirons des études qui soulignent l’importance d’assurer la cohérence entre la théorie et la pratique et de rapprocher les facultés d’éducation des milieux scolaires. À partir de trois modèles, nous élaborons une pratique d’enseignement et d’apprentissage significative pour les futurs enseignants. Elle sera mise à l’essai auprès de futurs enseignants inscrits au cours avancé sur la technologie éducative à l’Université de Moncton. Ces derniers auront à concevoir une activité sur le terrain, telle qu’un projet RESCOL à Source, en collaboration avec des enseignants du milieu et le mentor du district scolaire.

Problématique

Les écrits portant sur les obstacles à l’intégration des TIC en salle de classe retiennent bien souvent comme cause principale de cette difficulté d’intégration la formation insuffisante à l’utilisation pédagogique des TIC dispensée aux futurs enseignants (Conseil supérieur de l’éducation, 2000 ; IsaBelle et Savoie, 2004 ; Karsenti et Fortin, 2003 ; Laferrière, Bracewell, Breuleux, Erickson, Lamon et Owston, 2001). Par ailleurs, de plus en plus de milieux scolaires exigent des nouveaux enseignants qu’ils possèdent une solide aptitude à la gestion de classe en utilisation pédagogique des TIC. Or la formation qu’ils reçoivent au cours de leurs études universitaires apparaît notamment trop axée sur la technologie et trop peu sur les aspects pédagogiques reliés aux TIC, ce qui ne les prépare guère à leur futur emploi. Par surcroît, certaines écoles primaires et secondaires adoptent des programmes d’études axés sur l’utilisation des ordinateurs portatifs pour les élèves.

Depuis septembre 2004, au Nouveau-Brunswick, un projet d’intégration d’ordinateurs portatifs, le projet ADOP (accès direct à un ordinateur portatif), est en cours dans six écoles. Ce projet échelonné sur deux ans (2004-2006) a lieu auprès d’élèves de la 7e et de la 8e année (Blain, Essiembre, Freidman, Lirette-Pitre, Godin, IsaBelle et Fournier, 2005). Comment alors préparer les futurs enseignants à cette réalité techno-pédagogique dans laquelle ils seront appelés à travailler ?

Formation initiale à l’enseignement

Bourdeau, Minier et Brassard (2003) rappellent que, pour qu’un apprentissage effectué en formation des maîtres soit significatif et conduise à un investissement en milieu scolaire, il est souhaitable que le professeur applique lui-même les principes qu’il enseigne. D’une part, les études de Ziv, Silbertein et Tamir (1994) de même que de Boyer et Miller (1997) montrent que les futurs enseignants considèrent que les expériences vécues comme apprenants au cours de leur formation constituent des moments significatifs de leur pratique éventuelle. Or des professeurs des facultés des sciences de l’éducation utiliseraient des méthodes pédagogiques incompatibles avec le discours pédagogique valorisé, soit l’apprentissage socioconstructiviste et l’apprentissage collaboratif.

Formation pratique à l’enseignement par l’entremise de stages

La prescription de stages dans la formation initiale a principalement pour but de mettre en contexte le futur enseignant et de le familiariser avec son milieu de travail éventuel. Les études démontrent l’importance du modelage dans la formation des maîtres afin de favoriser chez les futurs enseignants des pratiques significatives à la suite de leur formation (Boyer et Miller, 1997). Or les futurs enseignants semblent participer à un nombre limité de stages significatifs portant sur l’utilisation des TIC (Conseil supérieur de l’éducation, 2000 ; IsaBelle, 2002 ; Karsenti, Brodeur, Deaudelin, Larose et Tardif, 2002 ; Litton, 2001). D’abord parce que peu de directions d’écoles semblent élaborer des stratégies d’intégration des TIC pour soutenir les enseignants (IsaBelle et Lapointe, 2003), ensuite parce que peu d’enseignants utilisent de façon pédagogique les TIC en situation d’apprentissage (DiPietro, 2004 ; Paré, 2002). Les résultats d’une étude menée au Québec indiquent que 46 % des futurs enseignants du primaire et du secondaire n’ont jamais ou très rarement utilisé les TIC pendant leur dernier stage de quatre mois. Par surcroît, 15 % affirment les avoir utilisées comme appui pédagogique (présentation PowerPoint, page Web) et moins du quart les ont utilisées pour réaliser des projets avec les élèves (Ballivy, 2004).

En effet, pour le moment, les écrits révèlent que peu d’enseignants sont en mesure de prescrire à leurs élèves des activités pédagogiques signifiantes. Au cours de leur stage, les futurs enseignants vivent peu d’expériences concrètes d’utilisation des TIC intégrées au programme d’études. Enfin, selon Karsenti et Larose (2002), de nombreuses études mettent en évidence le fait que les nouveaux enseignants possèdent certains « savoirs » en matière de TIC, mais ils manifestent des habiletés technopédagogiques limitées pour intégrer les TIC à leur pratique en salle de classe.

Certification additionnelle

Plusieurs enseignants réclament des programmes cohérents de formation initiale et continue et des activités significatives de perfectionnement professionnel (Karsenti et Larose, 2002 ; Laferrière et al., 2001). Plusieurs facultés d’éducation et ministères de l’Éducation ont révisé leurs programmes d’études afin d’intégrer comme compétences l’utilisation des TIC. Pour aller encore plus loin voire pour assurer un certain enseignement de qualité, des gouvernements et des organismes proposent des certifications non obligatoires qui permettraient de distinguer les enseignants qui possèdent les habiletés à intégrer les TIC dans leur salle de classe de ceux qui n’ont pas encore acquis ces compétences. Par exemple, initiative étasunienne, l’organisme International Society for Technology in Education (ISTE) suggère fortement aux enseignants un certain degré de compétences pédagogiques en utilisation des TIC : les National Education Technology Standards (Knezek et Nolan, 2004). En fait, cette certification est loin de constituer la panacée au manque de formation chez les futurs enseignants. Ce qui s’avère crucial est de leur assurer des expériences concrètes avec les TIC, car, comme le souligne Depover (2002) :

Il est urgent que les décideurs en matière d’éducation comprennent maintenant que la place des TIC ne peut plus être réduite à celle de simples gadgets ou cloisonnée à l’intérieur d’une discipline. Les TIC constituent, au contraire, un élément moteur essentiel tant pour le développement des systèmes éducatifs que pour le développement de ses principaux acteurs, à savoir les enseignants et les apprenants.

p. 14

Devant les lacunes constatées des programmes de formation initiale, il devient primordial de proposer et d’évaluer des pratiques d’enseignement et d’apprentissage qui permettront aux futurs enseignants d’acquérir les habiletés technopédagogiques nécessaires pour faciliter l’intégration des TIC en salle de classe (Karsenti et Larose, 2002). D’ailleurs, selon Peraya, Viens et Karsenti (2002), peu de recherches portent sur les pratiques et les contenus de la formation des futurs enseignants à l’utilisation des TIC. Devant pareil constat, il devient impérieux de proposer des pratiques d’enseignement et d’apprentissage qui s’inspirent du courant de recherches cognitives et socioculturelles, lequel invite instamment les chercheurs à réduire l’écart existant entre la recherche et la pratique.

Cadre de référence

Pour circonscrire comme il se doit le problème de la formation limitée par rapport à l’utilisation pédagogique des TIC chez les futurs enseignants et pour élaborer une pratique d’enseignement et d’apprentissage qui répond aux besoins en formation des maîtres à l’utilisation des TIC, nous nous appuyons sur le courant socioconstructiviste qui souligne l’importance du rôle d’accompagnateur du formateur et sur le courant qui préconise le rapprochement nécessaire entre les facultés d’éducation et les milieux scolaires. En effet, pour concevoir notre nouvelle pratique, nous puisons à l’apport théorique et méthodologique précieux de trois modèles de recherche dans le milieu élaborés par des chercheurs, soit l’approche collaborative en éducation de Desgagné, Bednarz, Couture, Poirier et Lebuis (2001), le modèle de conception de la formation proposé par Charlier, Daele et Deschryver (2002) et la méthode d’expérimentation de devis de Collins (1999).

Approche collaborative en éducation de Desgagné, Bednarz, Couture, Poirier et Lebuis (2001)

Desgagné, Bednarz, Couture, Poirier et Lebuis (2001) conçoivent leur approche collaborative de recherche en éducation à partir de différents apports théoriques. D’abord, pour eux, la recherche collaborative s’inscrit dans le type de recherche qui favorise le travail avec et non plus sur les enseignants (Lieberman, 1986, cité dans Desgagné et al., 2001). En effet, le travail de collaboration entre enseignants et chercheurs vise, entre autres, à assurer le développement professionnel des enseignants dans un cadre de formation continue, et par la voie d’une analyse réflexive, à enrichir le corpus de connaissances portant sur cette pratique. De plus, prenant appui sur les travaux de Schön (1987), les auteurs reconnaissent l’importance de l’épistémologie du savoir professionnel, soit la reconnaissance du savoir pratique de l’enseignant (cité dans Desgagné et al. 2001). La proposition de modèle de recherche collaborative en éducation de Desgagné et al. (2001) s’inspire essentiellement de l’activité de réflexivité qui permet aux enseignants-praticiens et aux chercheurs d’interagir dans un but commun autour d’un aspect de la profession enseignante. À ce sujet, Desgagné (1997, cité dans Desgagné et al., 2001) mentionne que :

La réflexivité permet de capter une pratique en train de se faire et de se dire, un « savoir » en train de se construire. C’est pourquoi elle peut-être une approche de formation tout en se prêtant du même coup à être un objet de recherche.

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Ce modèle de Desgagné et al. (2001) propose trois étapes importantes pour l’atteinte des objectifs. L’étape de la cosituation consiste à définir une pratique pertinente à explorer autant pour les enseignants-praticiens que pour les chercheurs. En fait, à la lumière de la définition de Richardon (1994), cette pratique doit permettre aux enseignants-praticiens d’entreprendre un « questionnement pratique » et aux chercheurs une sorte d’« investigation formelle ». L’étape de la coopération permet aux deux types d’intervenants de tirer profit de la collaboration. Ainsi, l’analyse réflexive devra favoriser le développement professionnel des enseignants-praticiens et la collecte de données pour les chercheurs. Enfin, l’étape de la coproduction a pour but d’assurer que les réalisations et leur diffusion permettent des retombées productives tant pour la communauté de la pratique que pour celle de la recherche. Dans ce modèle, les deux parties intéressées sortent gagnantes. Comme le dit Desgagné (1998), le préfixe « co », dans les étapes de la cosituation, de la coopération et de la coproduction, ne signifie pas que les acteurs, praticiens et chercheurs, font tout ensemble, mais qu’à chaque étape de la recherche, la double logique est respectée.

Même si ce modèle de recherche collaborative en éducation proposé par Desgagné et al. (2001) s’adresse plus particulièrement aux enseignants en exercice comme moyen de formation continue, nous nous en inspirons malgré tout pour concevoir à propos des TIC notre nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage destinée aux futurs enseignants dans le cadre de leur formation initiale, car nous croyons que ces trois étapes, à savoir la cosituation, la coopération et la coproduction, conviennent tout à fait aux besoins de notre projet. En s’appuyant sur ce modèle, les futurs enseignants pourront définir leurs besoins en formation en utilisation pédagogique des TIC, travailler sur le terrain avec un enseignant pour élaborer une activité pédagogique avec les TIC, favoriser l’analyse réflexive de leur formation et produire des « ressources » pour la communauté enseignante du Nouveau-Brunswick.

Modèle de conception de la formation de Charlier, Daele et Deschryver (2002)

Charlier, Daele et Deschryver (2002) ont élaboré un modèle de conception de la formation axé sur cinq caractéristiques essentielles. La première consiste à considérer les méthodes axées sur la formation et la pratique en tant que lieux de mise en projet, d’expérimentation, d’analyse et d’évaluation avec des pairs de tous les milieux. La deuxième s’explique par l’attribution aux TIC d’un rôle d’outils de médiation de la construction de la connaissance, c’est-à-dire de soutien à l’activité d’apprentissage intégrant l’apprenant dans son rôle d’acteur actif. La troisième renvoie aux méthodes qui perçoivent l’apprentissage des TIC comme une activité fonctionnelle et une mise en contexte dans laquelle sont favorisées des pratiques collaboratives. La quatrième s’applique aux méthodes qui « considèrent le rôle du réseau d’enseignantes et d’enseignants comme lieu de construction d’outils de passage, c’est-à-dire de représentations partagées des nouvelles pratiques et de leur intégration aux pratiques existantes et aux contextes institutionnels » (p. 349). La dernière a trait au rôle d’accompagnateur du formateur. Nous avons sélectionné ce modèle, car il permet de préciser le rôle d’un ensemble d’éléments que nous jugeons essentiels à considérer lors de l’élaboration d’une formation sur et avec les TIC.

Méthode d’expérimentation de devis de Collins (1999)

Depuis plusieurs années, le besoin de rapprocher les chercheurs universitaires du monde de la pratique, soit de celui des enseignants du primaire et du secondaire, se fait de plus en plus pressant. Au devis expérimental, où la recherche s’effectue dans un cadre traditionnel, de type scientifique, s’ajoute depuis près d’une décennie l’expérimentation de devis, popularisée dans le domaine éducationnel par Collins (1992-1999). S’inspirant des écrits de Collins (1999), Breuleux, Laferrière, Erickson, et Lamon (2002) ont documenté ce type de méthodologie. Ils énumèrent les sept caractéristiques principales d’une expérimentation de devis : 1) la situation de la recherche est réelle et complexe ; 2) plusieurs variables dépendantes peuvent intervenir ; 3) les variables ne sont pas contrôlées, mais nous retrouvons la formulation des caractéristiques de la situation étudiée ; 4) le design de recherche est flexible et souvent révisé ; 5) l’interaction sociale est mise à profit ; 6) la recherche conduit au développement d’un profil et non forcément à la vérification d’hypothèses et 7) le devis est coproduit et coanalysé par les participants plutôt que par l’expérimentateur. Cette méthode d’expérimentation nous est apparue très pertinente pour mener à bien l’évaluation de la nouvelle pratique, car nous ne cherchons pas à vérifier des hypothèses ni à contrôler toutes les variables indépendantes qui pourraient intervenir lors de la mise à l’essai de la nouvelle pratique de formation avec les TIC auprès des futurs enseignants.

Finalement, pour remédier au manque de formation significative à l’utilisation pédagogique des TIC que reçoivent les futurs enseignants, il apparaît important d’élaborer des pratiques de formation sur l’utilisation pédagogique des TIC dans le milieu qui favorisent la collaboration avec les enseignants en exercice. Le cadre de référence de notre projet de recherche s’appuie donc sur ces trois approches, l’approche collaborative en éducation de Desgagné et ses collaborateurs (2001), le modèle de conception de la formation proposé par Charlier, Daele et Deschryver (2002) et la méthode d’expérimentation de devis de Collins (1999). En fait, nous proposons de concevoir une formation à l’utilisation des TIC destinée aux futurs enseignants qui favorise la production de retombées bénéfiques tant pour la communauté de pratique des futurs enseignants que pour celle de la recherche.

Objectifs de la recherche

Notre étude vise deux objectifs : concevoir une nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC à l’intention des futurs enseignants afin d’enrichir leur expérience pédagogique avec les TIC et évaluer cette pratique auprès des futurs enseignants en vue d’augmenter à leur intention le corpus d’information relatif aux utilisations éventuelles des TIC et notre corpus de données concernant l’efficacité de certaines activités d’enseignement et d’apprentissage de ce type.

Méthodologie

Cette section présente dans un premier temps le cours sélectionné pour mettre à l’essai la nouvelle pratique et le profil des participants. Également, nous présentons le développement de la nouvelle pratique. Finalement, la dernière section s’attarde à l’évaluation de la nouvelle pratique. Aussi, nous exposons les instruments de recherche et les méthodes d’analyse et de présentation des données.

Présentation du cours et du profil des participants

La nouvelle pratique a été réalisée dans le cadre du cours optionnel et avancé intitulé Pédagogie et les TIC offert à la Faculté de l’éducation de l’Université de Moncton. Nous avons sélectionné ce cours, d’abord parce qu’il n’avait pas été offert depuis 1999, ensuite, vu la nature de la proposition de la nouvelle pratique, nous ne pouvions choisir le cours obligatoire dans lequel plus de 150 futurs enseignants sont inscrits. Ce cours s’est échelonné sur 13 semaines.

Les participants visés par l’étude sont les futurs enseignants inscrits au cours optionnel et avancé, Pédagogie et les TIC. Dix futurs enseignants se sont inscrits au cours. Deux étudiantes ont abandonné le cours à la deuxième et à la troisième semaine ; la première pour un conflit d’horaire avec un cours obligatoire dans son programme, l’autre pour des raisons de santé. Ainsi, huit futurs enseignants ont participé à la recherche-formation, soit six femmes et deux hommes. De ce nombre, une seule future enseignante avait déjà élaboré un projet RESCOL à la Source au cours de son stage en 2002. Également, une seule future enseignante avait accès à un ordinateur portatif avant le début du cours et seulement deux futurs enseignants avaient accès à Internet à la maison (voir le tableau 5).

Considération éthique

Dès le premier cours, les futurs enseignants inscrits au cours optionnel ont été informés qu’ils participaient à une nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC qui s’inscrivait dans le cadre d’une formation-recherche. Ils étaient libres de rester au cours ou de partir. Tous ont accepté de participer à cette pratique et ont signé un formulaire de consentement.

Développement de la nouvelle pratique de formation à partir des apports théoriques 

Conception de la nouvelle pratique selon l’approche collaborative de Desgagné et al. (2001)

Au premier cours, la professeure-chercheure a présenté un plan de cours comportant une description sommaire de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage et quelques objectifs d’apprentissage. Ensuite, les futurs enseignants et elle ont exprimé leurs objectifs, leurs attentes et leurs besoins à l’égard du cours, ce qui a constitué l’étape de la cosituation. Ensemble, ils ont précisé les objectifs et le contenu de la pratique afin qu’elle réponde le plus possible aux attentes des deux parties. Étant donné l’importance de la création de sites Web pédagogiques dans la formation professionnelle (Owston et Wideman, 2002), un projet de collaboration avec des enseignants dans le milieu, le projet RESCOL à la Source, a été proposé. RESCOL à la Source est un programme fédéral canadien qui finance, entre autres, des projets scolaires axés sur la conception de sites Web éducatifs par les élèves et les enseignants[1]. Pour réaliser le projet, il a été convenu que six cours seraient offerts en présentiel et sept seraient consacrés au projet de collaboration dans le milieu. Pour concrétiser l’étape de la coopération, les deux parties ont discuté des modalités d’évaluation du cours chez les futurs enseignants et celle de la collecte de données pour eux et pour la professeure-chercheure. La rédaction d’une analyse réflexive hebdomadaire portant sur les apprentissages, l’utilisation des TIC et le projet dans le milieu a été convenue pour les futurs enseignants. Il a été décidé que l’analyse réflexive comporterait deux parties : l’une plus personnelle serait destinée à la professeure-chercheure ; l’autre, publique, serait diffusée dans un site Web que les futurs enseignants réaliseraient.

Tableau 1

Principaux objectifs et déroulement du projet principal de la nouvelle pratique

Principaux objectifs et déroulement du projet principal de la nouvelle pratique

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De plus, il a été convenu que pour enrichir le corpus de données de la professeure-chercheure, les futurs enseignants répondraient à un questionnaire sur leur utilisation des TIC et leur perception de la nouvelle pratique. Finalement, la conception par les futurs enseignants d’un site Web comportant différentes sections (analyse réflexive, information sur le projet RESCOL à la Source, etc.) serait destinée à la communauté enseignante du Nouveau-Brunswick et le contenu des analyses réflexives personnelles de même que les données du questionnaire allaient assurer des retombées bénéfiques pour les autres futurs enseignants et pour la professeure-chercheure, ce qui correspond à la troisième étape, la coproduction.

Le tableau 1 présente un résumé des objectifs, le nombre de cours exigé en présentiel et dans le milieu et les étapes de l’élaboration d’un projet RESCOL à la Source.

Conception de la pratique selon les caractéristiques de Charlier, Daele et Deschryver (2002)

Aux futurs enseignants, la professeure-chercheure a présenté les cinq caractéristiques du modèle de conception de la formation de Charlier, Daele et Deschryver (2002). Pour établir un réseau de personnes influentes dans le domaine des TIC, au deuxième cours, nous avons sollicité la présence de la directrice au ministère de l’Éducation, section informatique, et la directrice de RESCOL à la Source au Nouveau-Brunswick pour présenter globalement cet organisme aux futurs enseignants et les objectifs pour réaliser un projet RESCOL à la Source. Également, le mentor[2] du district 1 a assisté à cette rencontre. Pour faciliter le parrainage avec un enseignant associé, les futurs enseignants ont précisé le niveau d’enseignement et les matières avec lesquels ils désiraient concevoir un projet RESCOL à la Source. Le mentor a été chargé de trouver les enseignants associés désirant participer au projet. Les critères de sélection consistaient à jumeler les futurs enseignants à des enseignants associés possédant peu d’expérience pédagogique avec les TIC et n’ayant jamais élaboré un projet RESCOL à la Source. La professeure-chercheure a insisté pour que ces derniers possèdent peu de compétences dans l’élaboration d’un projet RESCOL à la Source, car un des objectifs de la nouvelle pratique consiste à assurer un échange, les futurs enseignants apportant de l’aide au niveau de la technologie et l’enseignant-associé assumant plus de responsabilités au niveau pédagogique. Huit enseignantes associées ont accepté de participer au projet de collaboration. Pour faciliter la participation au projet, le ministère de l’Éducation a accordé une journée de suppléance aux huit enseignantes associées.

En ce qui a trait au rôle des TIC, chaque futur enseignant inscrit au cours a reçu du ministère de l’Éducation un ordinateur portatif sans fil pour une période de 16 semaines. Monté expressément pour la nouvelle pratique, le mini-laboratoire a été équipé d’un numériseur, d’une imprimante couleur, de caméras numériques, de tables à dessin, etc. Également, des logiciels spécifiques ont été achetés. L’équipement informatique vise, entre autres, à faciliter la communication des futurs enseignants avec leur enseignant associé et leur professeure-chercheure, et à élaborer le projet RESCOL à la Source en salle de classe avec l’enseignante associée et les élèves. Le tableau 2 présente le résumé du développement du cours en lien avec les cinq caractéristiques de Charlier, Daele et Deschryver (2002).

Tableau 2

Conception de la nouvelle pratique « Des apprentissages in situ avec les TIC » en relation avec les cinq caractéristiques du modèle de conception de la formation de Charlier, Daele et Deschryver (2002)

Conception de la nouvelle pratique « Des apprentissages in situ avec les TIC » en relation avec les cinq caractéristiques du modèle de conception de la formation de Charlier, Daele et Deschryver (2002)

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Conception de la nouvelle pratique selon les sept caractéristiques principales d’une expérimentation de devis de Collins (1999)

Pour mettre en oeuvre et évaluer la nouvelle pratique avec les TIC, nous avons considéré les sept caractéristiques d’une expérimentation de devis de Collins (1999). Ainsi, la nouvelle pratique, réelle et jugée complexe, réunit une formation et un projet de recherche. De plus, plusieurs variables dépendantes peuvent intervenir, et nous ne cherchons pas à les contrôler ni à les limiter. Le design de notre formation-recherche est flexible et se prête à plusieurs révisions. Les interactions sociales entre les membres du milieu universitaire, les mentors, les enseignantes associées, les directrices du ministère de l’Éducation et de RESCOL à la Source sont fortement mises à contribution. La formation-recherche proposée conduit à l’évaluation d’une nouvelle pratique avec les TIC pour les futurs enseignants plutôt qu’à la vérification formelle d’hypothèses. Enfin, la nouvelle pratique est coproduite et coanalysée par les futurs enseignants et la professeure-chercheure.

Évaluation de la nouvelle pratique

Instruments de collecte de données

Deux types d’instruments de mesure ont été utilisés pour recueillir les données : le journal réflexif et un questionnaire. Le questionnaire Les TIC et les futurs enseignants, créé pour répondre aux besoins de la présente évaluation, comporte trois parties. La première porte sur l’identification du futur enseignant et sur sa consommation informatique. Dans la deuxième partie, nous l’avons interrogé sur sa perception de l’utilisation des TIC dans l’enseignement et l’apprentissage. L’échelle utilisée comporte quatre niveaux (1- Très en désaccord à 4- Très d’accord). Nous avons mesuré la perception des futurs enseignants quant à l’utilisation générale des TIC dans l’enseignement et dans l’apprentissage car si elle s’avère très négative, elle peut influencer leur perception de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage. La dernière section comporte des questions ouvertes sur leur perception de la nouvelle pratique avec les TIC.

Le questionnaire a été administré à la deuxième et à la dernière semaine de la formation. À la fin de la formation, nous avons ajouté une section comportant des questions ouvertes sur l’évaluation de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC, et plus particulièrement sur le projet RESCOL à la Source et sur l’utilisation d’un ordinateur portatif. Tout au long du projet, les futurs enseignants ont rédigé un journal réflexif comprenant une partie publique et une partie personnelle portant notamment sur leurs apprentissages, leur perception de la nouvelle pratique, le projet RESCOL à la Source avec leur enseignante associée, leur utilisation des TIC et l’ordinateur portatif. À chaque rencontre, ils partageaient leurs perceptions et leurs commentaires au sujet du déroulement de la nouvelle pratique entre eux et avec la professeure-chercheure.

Méthodes d’analyses

Pour les données qualitatives (réponses aux questions ouvertes du questionnaire et contenu du journal réflexif), la méthode qualitative de l’analyse thématique de Paillé (1996) a été utilisée. Rappelons que l’analyse thématique comprend deux grandes opérations, soit la thématisation et l’examen discursif des thèmes (opération facultative). Nous avons opté pour une démarche de thématisation continue, car elle s’associe très bien à un corpus plus humble et à une démarche plus personnelle (Paillé, 1996). L’acte de thématisation nécessite un effort de compréhension et de synthèse. « Le premier suppose une familiarité avec des situations comparables à celles vécues par les participants à la recherche et le deuxième exige une capacité d’extraire un “essentiel générique” permettant de caractériser un extrait et répondant aux objectifs de la recherche. » (Paillé, 1996, p. 190) D’emblée, soulignons que la professeure-chercheure a déjà travaillé avec des enseignants pour concevoir des projets RESCOL à la Source de 1999 à 2001, au Québec. Ainsi, à la lecture des réponses aux questions ouvertes du questionnaire et du contenu des journaux réflexifs, des thèmes ont été relevés. Tout au long de la progression du projet, des thèmes ont été regroupés et certains ont été éliminés.

Pour être cohérent avec notre démarche de conception de la nouvelle pratique, nous avons retenu comme méthode de présentation des données, l’analyse de cas. Celle-ci permet l’étude de l’évolution d’un individu dans son contexte. En fait, comme le précise Yin (1994), l’étude de cas s’avère une méthode de collecte de données appropriée lorsque les questions de recherche portent sur le comment et le pourquoi. Notre recherche vise à étudier comment les futurs enseignants perçoivent la nouvelle pratique et quels éléments de celle-ci ils jugent pertinents de renouveler dans les futures formations et pourquoi, afin de concevoir des formations signifiantes.

Yin (1989) définit l’étude de cas comme l’exploration empirique d’une situation contemporaine, en contexte naturel, grâce à divers moyens. En fait, plusieurs moyens peuvent être utilisés : l’observation, le journal, l’entrevue, le questionnaire. Saint-Pierre (1993) mentionne que l’étude de cas « apparaît comme un moyen privilégié pour comprendre, informer et améliorer la pratique éducative, car elle peut fournir la description d’expériences conduites par des collègues dans des conditions voisines des leurs » (p. 14).

Résultats

Dans la présente section, nous exposons l’analyse des données du questionnaire. Nous présentons la perception des futurs enseignants quant à l’utilisation des TIC dans l’enseignement et dans l’apprentissage, ensuite sont dévoilés les résultats de l’évaluation de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC et les réponses aux questions portant sur la reconduction possible de la nouvelle pratique. Finalement, nous analysons l’ensemble des résultats à partir de nos modèles théoriques.

Perception de l’utilisation des TIC dans l’enseignement et dans l’apprentissage

Au début et à la fin de la nouvelle pratique, les futurs enseignants ont été invités à donner leurs perceptions relatives à différents énoncés concernant l’utilisation des TIC dans l’enseignement et dans l’apprentissage. Les données du tableau 3 indiquent que, à la fin de la pratique, ils tendent à souscrire légèrement moins à tous les énoncés. Ainsi, même si le degré d’accord des futurs enseignants quant à la majorité des énoncés diminue entre le début et la fin de la nouvelle pratique, il demeure que les futurs enseignants se disent très d’accord ou d’accord par rapport à la majorité des énoncés. Leur perception à l’égard des TIC s’avère donc assez positive.

Tableau 3

Perception des futurs enseignants quant à différents énoncés portant sur l’utilisation des TIC

Perception des futurs enseignants quant à différents énoncés portant sur l’utilisation des TIC

Échelle 1-Très en désaccord, 2-Plutôt en désaccord, 3-Plutôt d’accord, 4-Très d’accord

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Évaluation de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC

Afin de connaître la perception des futurs enseignants à l’égard de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage, ils avaient à indiquer sur le questionnaire ce qu’ils ont aimé le plus et le moins de celle-ci. À la lumière des données du tableau 4, ils affirment avoir aimé quatre éléments de la nouvelle pratique, soit le projet de collaboration avec l’enseignante associée et les élèves, l’utilisation d’un ordinateur portatif, les apprentissages réalisés et la pédagogie utilisée. En parallèle, certains semblent ne pas avoir aimé trois aspects de la nouvelle pratique, soit la charge de travail, la pédagogie utilisée et le projet de collaboration avec l’enseignante associée et les élèves. En fait, si la majorité a apprécié le projet de collaboration avec l’enseignante associée et les élèves de même que la pédagogie utilisée lors de la nouvelle pratique, certains ont moins aimé ces éléments.

Tableau 4

Analyse thématique des commentaires des futurs enseignants concernant ce qu’ils ont le PLUS et le MOINS aimé de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC

Analyse thématique des commentaires des futurs enseignants concernant ce qu’ils ont le PLUS et le MOINS aimé de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC

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Reconduction de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage pour l’année 2003-2004

Afin de connaître la perception des futurs enseignants à l’égard de deux aspects essentiels de la nouvelle pratique avec les TIC, nous leur avons posé deux questions. Premièrement : « Pour l’année prochaine, dans le cadre du cours à option EDUC 3303, recommanderiez-vous un projet qui incite les futurs enseignants à collaborer avec des enseignants du milieu pour élaborer un projet RESCOL à la Source ? » Deuxièmement : « Pour l’année prochaine, recommanderiez-vous un projet qui facilite chez les futurs enseignants l’utilisation d’un ordinateur portatif ? » À la première question, quatre répondants se disent favorables à un projet de collaboration avec le milieu, un demeure indécis et trois affirment être en désaccord (voir le tableau 5).

Tableau 5

Profil des huit futurs enseignants et réponses aux deux questions portant sur la reconduction de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage pour l’année 2003-2004 dans le cadre du cours optionnel (Projet de collaboration RESCOL et l’utilisation des ordinateurs portatifs)

Profil des huit futurs enseignants et réponses aux deux questions portant sur la reconduction de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage pour l’année 2003-2004 dans le cadre du cours optionnel (Projet de collaboration RESCOL et l’utilisation des ordinateurs portatifs)

O : Oui, N : Non, I : Indécis

1) Niveau d’enseignement futur

2) Expérience dans l’enseignement (stage) de 15 jours et plus

3) Accès à un ordinateur à la maison

4) Accès à Internet à la maison au début du projet

5) Accès ordinateur portatif à la maison au début du projet

6) A déjà élaboré un projet RESCOL

7) Recommande pour le cours de l’année prochaine un projet qui incite les futurs enseignants à collaborer avec des enseignants du milieu pour la réalisation d’un projet RESCOL

8) Recommande pour le cours de l’année prochaine un projet qui incite les futurs enseignants à utiliser un ordinateur portatif

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Retour sur les modèles et analyses des résultats

La recherche collaborative de Desgagné et al. (2001)

L’utilisation du modèle de recherche collaborative de Desgagné et al. (2001) pour l’élaboration de notre nouvelle pratique a permis d’abord, grâce à la première étape de cosituation, de mentionner aux futurs enseignants que ce « nouveau » cours se voulait différent des autres, car ils seraient appelés à déterminer une partie du contenu. En ce qui a trait à l’étape de la coopération, les futurs enseignants ont mentionné que la charge de travail de la nouvelle pratique, particulièrement en ce qui a trait à la rédaction des analyses réflexives et les visites dans les écoles, était exigeante (voir tableau 4). En fait, ils ont trouvé difficile de rédiger chaque semaine une analyse réflexive sur leurs apprentissages et sur leur expérience. D’ailleurs, à la suite de leurs suggestions, dès la sixième semaine, nous avons limité cette analyse à une par deux semaines. De plus, possédant peu d’expérience en enseignement et utilisation pédagogique des TIC, nous avons constaté que les analyses réflexives étaient très limitées et relataient surtout le « ce qu’ils ont fait dans la semaine ».

Certains estimaient que leur enseignante associée ne possédait pas assez de compétences technologiques pour mener à bien le projet RESCOL à la Source. Plusieurs ont dû préparer des ateliers de formation sur l’utilisation d’un numériseur, d’une caméra numérique, d’un éditeur de sites Web, et ce, tant pour leur enseignante associée que pour les élèves, ce qui a alourdi considérablement leur tâche. À ce sujet, ils croient que le projet de collaboration pour la réalisation d’un projet RESCOL à la Source ne devrait être entrepris qu’avec des enseignants associés expérimentés.

Même si certains proposent de ne pas reconduire la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec un projet de collaboration nécessitant la création d’un projet RESCOL à Source, il demeure que tous déclarent vouloir réaliser ce type de projet dans leur future pratique avec leurs élèves. À la lumière de leur journal réflexif, voici ce qu’ils écrivent.

Malgré tout, j’ai bien aimé mon expérience puisque cela m’a permis de prendre conscience de certains points. Entre autres, mener un projet RESCOL comme celui-ci m’a fait réaliser à quel point nous devons être organisés. Nous devons, au départ, avoir une bonne discipline ainsi qu’une bonne gestion du temps. Le projet que nous faisons doit être à la fois intéressant pour les élèves mais aussi pour nous, afin de rendre l’activité plus motivante pour tous.

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Tout au long de ce projet RESCOL, j’ai appris que je dois être très patiente lorsque je travaille à l’ordinateur avec les élèves. J’ai beaucoup aimé faire ce projet avec une enseignante du milieu scolaire ainsi qu’avec ses élèves, mais c’était parfois difficile à faire avec tous nos cours. J’ai appris plusieurs choses qui me seront certainement très utiles en enseignement. Il est évident que je n’oublierai jamais cette expérience très enrichissante. J’ai rencontré beaucoup de défis que j’ai pu surmonter et je réalise que j’en ai encore à relever puisque le projet n’est pas encore terminé ! (…) Même si je trouve ce travail exigeant, j’ai adoré vivre cette expérience inoubliable.

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J’ai vraiment aimé l’expérience. Je trouve qu’un projet comme RESCOL est très enrichissant car maintenant je sais comment bâtir un site Web à partir d’un résultat d’apprentissage. Lorsque j’aurai ma salle de classe je vais certainement faire un projet RESCOL car l’expérience m’a permis d’y voir l’efficacité.

Mon enseignante associée a également aimé faire ce projet mais je ne crois pas qu’elle va en entreprendre un, car elle ne connaît pas assez de choses sur l’informatique pour s’y lancer. Je trouve cela très dommage car moi-même j’avais un peu peur de ne pas en connaître assez mais j’ai fini par me débrouiller.

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L’étape de la coproduction a permis de recueillir des données pertinentes pour les futurs enseignants et pour la professeure-chercheure. Les futurs enseignants ont créé un système de ressources en ligne : Voyage avec les TIC, dans lequel ils ont colligé leurs analyses réflexives, leur site Web du projet RESCOL à la Source réalisé avec les élèves et l’enseignante associée, ainsi que d’autres ressources jugées enrichissantes pour la communauté enseignante. Pour la professeure-chercheure, un corpus de données a été constitué sur l’évaluation d’une pratique de formation en situation réelle. Ces informations permettront, entre autres, de préparer éventuellement des formations plus signifiantes. La figure 1 résume ces éléments à partir du schéma construit par ces auteurs. Rappelons que chaque niveau du schéma représente les trois étapes de la recherche collaborative en éducation, soit la cosituation, la coopération et la coproduction.

Figure 1

Pratique d’enseignement et d’apprentissage et recherche sur l’utilisation des TIC (adaptation du schéma de Desgagné et al. 2001)

Pratique d’enseignement et d’apprentissage et recherche sur l’utilisation des TIC (adaptation du schéma de Desgagné et al. 2001)

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Le modèle de Charlier, Daele et Deschryver (2002)

Le modèle de Charlier, Daele et Deschryver (2002), utilisé pour notre pratique, a permis de révéler des aspects importants. Pour la première caractéristique, articulation formation-pratique, nous avons observé chez les participants une articulation entre les pratiques d’utilisation des TIC acquises lors de la formation et des utilisations pour réaliser d’autres projets académiques voire personnels, tels que présenter des sujets avec un logiciel de présentation, utiliser le logiciel Inspiration pour élaborer un réseau de concepts, préparer à un site Web pour échanger avec leur famille vivant au loin, etc. Cependant, des futurs enseignants n’ont pu utiliser leur ordinateur portatif dans d’autres cours car leur professeur l’interdisait. Ce qui n’avait pas du tout été appréhendé.

Pour la caractéristique rôles des TIC, dans la cadre de la formation, les TIC ont été utilisées pour faciliter la communication entre les futurs enseignants et la professeure (courriel), pour diffuser un système de ressources en ligne et le projet RESCOL à la Source (navigateur Internet), pour mieux visualiser leurs projets (caméras numériques, numériseurs, tables à dessins).

Les données du tableau 5 indiquent que sept répondants sur huit se disent en faveur de la reconduction d’un projet qui facilite l’utilisation des ordinateurs portatifs. Des futurs enseignants soulignent dans leur journal réflexif combien l’ordinateur portatif a été utile pour construire le site Web du projet RESCOL à la Source et combien ils ont appris en utilisant ce nouvel outil. Voici d’ailleurs des commentaires tirés de leur journal.

Avec cet ordinateur portatif, j’ai également appris davantage au sujet des technologies de l’information et des communications. J’ai appris comment utiliser un ordinateur portatif et comment utiliser de nouveaux programmes. Je pense qu’il est essentiel que les futures enseignantes et les futurs enseignants se l’approprient. On pourrait nous demander de participer à un projet comme celui-ci avec nos élèves. Qui sait ? À la lumière de ces faits, on peut constater que le projet avec l’ordinateur portatif à l’intérieur de ce cours s’est avéré positif. Je sors gagnante d’avoir participé à un tel projet.

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Lors de la construction du site Web pour le projet RESCOL, ce dernier a été très utile. Je pense fortement que ce projet aurait été très difficile à réaliser sans avoir eu ces ordinateurs portatifs à notre disposition.

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En ce qui a trait à la troisième caractéristique les apprentissagestechniques liés à la manipulation des outils, à l’utilisation des logiciels et aux transferts de ceux-ci sont évidents. Nous avons aussi observé le développement d’autres compétences telles que :

  • des compétences d’analyse et de réflexion sur la nouvelle pratique, soit, mais aussi sur leur futur rôle d’enseignant ;

  • des compétences liées à leur emploi futur d’enseignant : gestion de classe, gestion des imprévus, etc. ;

  • des compétences d’apprentissage en collaboration : les futurs enseignants ont appris à s’entraider car l’assistante et la professeure-chercheure ne pouvaient pas toujours être disponibles pour répondre à toutes leurs questions ;

  • des compétences éthiques liées aux droits de permission de diffuser des photos d’élèves sur le Web.

De plus, nous avons noté le développement d’une plus grande confiance en soi envers l’utilisation personnelle et pédagogique des TIC.

Certains ont trouvé difficile de suivre la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage axée sur une pédagogie socioconstructiviste où l’apprenant doit parfaire ses compétences afin d’apprendre à apprendre. Certains ont pensé que le « cours » n’était pas structuré parce que, ont-ils dit, la démarche restait imprécise quant aux lectures à faire et aux travaux à effectuer à chaque semaine. De plus, la méthode d’autoévaluation à partir d’une échelle descriptive d’appréciation adaptée de Simon (2002) et Vézina (2003) a suscité chez certains un malaise, car ils sont peu habitués à s’autoévaluer et à justifier leur note.

La caractéristique du rôle du réseau d’enseignants fut surtout observée entre les futurs enseignants. Étant donné les compétences en TIC limitées des enseignantes associées (voir tableau 4) et la limite imposée par certains professeurs d’université de ne pas laisser les futurs enseignants utiliser leur ordinateur portatif dans leur cours, nous n’avons pu créer un réseau d’enseignants axé sur l’intégration pédagogique des TIC. Certains s’opposent même à la reconduction d’un projet RESCOL à la Source dans le cadre d’un cours : les enseignantes du milieu manquaient trop de compétences avec les TIC et avec la conception d’un tel projet. Lors des discussions, les futurs enseignants ont mentionné qu’une condition essentielle à la réalisation d’un projet RESCOL à la Source dans le milieu est le choix d’enseignants associés qualifiés.

Finalement, la dernière caractéristique rôles des formateurs a révélé combien la mise en place d’un projet de formation axé sur la collaboration dans le milieu, accompagnée d’une approche socioconstructiviste est exigeante en temps et en énergie. En tout temps, nous étions sollicitées pour répondre à des questions :d’ordre technique avec l’ordinateur portatif et les logiciels utilisés ; d’ordre pédagogique, comment montrer aux élèves et à l’enseignante associée à utiliser tel outil ? ; d’ordre relationnel, comment approcher l’enseignante associée ? ; d’ordre logistique, difficulté d’obtenir un local-laboratoire permanent pour les huit futurs enseignants afin qu’ils puissent utiliser l’équipement informatique et leur ordinateur portatif sans fils, etc. Bref, les formatrices ont été appelées à jouer plusieurs rôles, tantôt accompagnatrices, tantôt techniciennes. De plus, tel que mentionné, les futurs enseignants ont trouvé difficile d’être associés avec des enseignants possédant peu de compétences en TIC. En fait, les futurs enseignants ne veulent pas former les enseignants du milieu et les élèves. Ils trouvent cette tâche trop lourde.

Expérimentation de devis de Collins (1999)

Les caractéristiques d’une expérimentation de devis de Collins (1999) ont été nécessaires pour évaluer la nouvelle pratique avec les TIC. Elles ont permis de l’évaluer sans mettre de la pression sur les participants. Plusieurs variables dépendantes sont intervenues (laboratoire pas toujours disponible, bris d’équipement, etc.). Cependant, nous n’avons pas cherché à les contrôler ni à les limiter. Le design de notre formation-recherche était flexible et se prêtait à plusieurs réorganisations. C’est ce qui a permis de recueillir plus d’information auprès des futurs enseignants car ils ne se sentaient pas pris dans un carcan méthodologique. À ce sujet, en aucun moment nous n’avons reçu des remarques négatives en lien avec le projet d’évaluation qui était mené en parallèle. Au contraire, ils jugeaient importante cette collecte de données pour mieux analyser la nouvelle pratique et surtout pour être en mesure de proposer une formation plus signifiante l’année suivante. Les interactions sociales entre tous les participants et partenaires à la formation étaient fortement mises à contribution. Nos résultats de recherche permettent d’établir de nouveaux critères à considérer lors du renouvellement de cette formation, tels que s’assurer d’avoir accès à un local à la Faculté et d’avoir l’appui des membres de cette dernière.

Conclusion

Le présent projet de recherche portant sur la création et l’évaluation d’une nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC et intitulé « Des apprentissages in situ avec les TIC », a permis de constater que les futurs enseignants apprécient des projets innovateurs dans leur formation. A fortiori, ils acceptent volontiers de participer à un projet d’enseignement et d’apprentissage axé sur la recherche pour améliorer les formations futures, aussi à aucun moment n’ont-ils fait allusion à la lourdeur qu’entraîne toute discussion sur des points positifs et négatifs de la nouvelle pratique, ni ne se sont-ils sentis obligés de répondre aux questionnaires.

Les trois modèles utilisés ont permis de guider l’élaboration et l’évaluation de la nouvelle pratique. Ceux-ci se sont avérés essentiels pour assurer un encadrement à la professeure-chercheure et aux participants.

Sept répondants sur huit se disent être en faveur de la reconduction d’un projet qui facilite l’utilisation des ordinateurs portatifs dans le cadre du cours optionnel. En revanche, seulement la moitié indiquent être favorables à la reconduction d’un projet de collaboration avec le milieu, notamment pour réaliser un projet RESCOL à la Source. En fait, même si le projet RESCOL à la Source a été qualifié par tous de projet innovateur et très pertinent, il demeure que les nombreuses contraintes vécues au cours de la formation peuvent avoir eu un effet très négatif sur leur perception à l’égard de la réalisation d’un tel projet. En effet, nous croyons que l’ampleur de la tâche, les contraintes de temps vécues, les nombreux travaux exigés, le manque de compétences dans l’utilisation des TIC chez les enseignantes associées et chez les futurs enseignants font que certains ne reconduiraient pas ce projet dans le cadre d’une formation universitaire, même si tous déclarent vouloir réaliser d’autres projets RESCOL à la Source dans leur pratique avec leurs élèves.

Pour Owston et Wideman (2002), la création de projets RESCOL à la Source permet d’augmenter la confiance et les compétences en matière d’utilisation pédagogique des TIC et de la gestion de classe. Bien que notre étude ait été menée auprès des futurs enseignants, il faut dire que nos résultats semblent corroborer ceux de Owston et Wideman (2002).

En fait, la première année de la nouvelle pratique d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC nous a permis non seulement de concevoir, de mettre en pratique et d’évaluer une pratique de formation avec les TIC auprès des futurs enseignants, mais aussi de déterminer et d’analyser les facteurs internes et externes susceptibles de faciliter ou de limiter la mise sur pied d’une telle pratique. Un de ces facteurs a été le rapprochement et le lien tissé entre les différentes instances, telles que le milieu scolaire, le ministère de l’Éducation, l’Institut des technologies de l’information (ITI-CNRC) et l’Université, ce qui permet de remédier, en partie, au paradoxe technico-pédagogique vécu par les futurs enseignants (IsaBelle, 2002, 2004).

Bref, pour faciliter l’utilisation pédagogique des TIC, d’autres projets de formation-recherche axés sur le milieu devraient être élaborés auprès des futurs enseignants et des enseignants associés. Ils pourraient porter sur l’évaluation de la collaboration entre les futurs enseignants et les enseignants associés ainsi que sur la motivation et l’apprentissage des élèves dans un tel contexte.