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1. Introduction

Les disciplines d’éveil en Fédération Wallonie-Bruxelles en Belgique ou de l’univers social au Québec (Canada) recouvrent, sous une terminologie différente, des aspects similaires. En Fédération Wallonie-Bruxelles, dans l’enseignement primaire, il est admis que les disciplines d’éveil comprennent la formation géographique, la formation historique, l’initiation scientifique et la formation musicale. Au Québec, le domaine de l’univers social regroupe les disciplines de la géographie, de l’histoire et de l’éducation à la citoyenneté.

Actuellement utilisé en Fédération Wallonie-Bruxelles, le terme « éveil » était également employé, dans les années 1980, dans les programmes d’études de sciences humaines au primaire au Québec (Québec, 1981). Cette terminologie, proposée par Picard (1986), laisse entrevoir une double perspective des sciences humaines au primaire. Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’agit, d’une part, d’éveiller l’élève, c’est-à-dire de la⋅le rendre attentif⋅ive ; de l’inciter à identifier, à développer voire à dépasser certaines de ses perceptions ; de susciter son intérêt quant à un fait ou à un phénomène. D’autre part, il s’agit d’initier l’élève à certains contenus, c’est-à-dire en la⋅le familiarisant progressivement à des sujets et à des méthodologies appliquées à une discipline particulière. Du côté du Québec, au lieu de parler d’éveil, on utilisera de préférence le terme d’univers social, qui vise à rendre l’élève compétent⋅e pour interpréter et caractériser une société et un territoire à un moment précis de l’histoire (Québec, 2001). Le concept de la pensée historienne chez les élèves est en filigrane du programme de formation (Bugnard, 2016 ; Seixas et Morton, 2013), car c’est à partir du développement des opérations intellectuelles que les élèves seront en mesure d’utiliser les connaissances du programme afin d’interpréter le passé pour mieux comprendre le présent (Québec, 2011). Faisant écho au modèle de la pensée historienne, le modèle de la pensée géographique (Sharpe, Bahbahani et Tu Huynh, 2016), à l’aide d’opérations intellectuelles qui lui sont consacrées, permet quant à lui d’observer l’influence du territoire sur la société.

En portant spécifiquement sur la discipline de la géographie lorsqu’il sera question de la Fédération Wallonie-Bruxelles et sur les disciplines comprises sous l’égide d’univers social lorsqu’il sera question du Québec, cet article présente une réflexion issue de deux recherches indépendantes, mais partageant une problématique commune. Cet exercice de réflexion aboutit à des solutions complémentaires s’enrichissant mutuellement. Pour illustrer le tout, la situation et les difficultés particulières des enseignant⋅es du primaire lorsqu’elle⋅il⋅s planifient et évaluent les enseignements propres à chacun des contextes seront exposées. L’article se termine avec une mise en commun des différents apports à partir de deux outils méthodologiques visant à accompagner les enseignant⋅e⋅s dans la planification et l’évaluation de séquences didactiques.

2. Difficultés des enseignant⋅e⋅s à planifier et à évaluer les enseignements en univers social au primaire : éléments de la problématique

Avant d’aller plus loin, il importe de réaliser un état de la situation en Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi qu’au Québec. Bien qu’éloignés d’un point de vue géographique, ces deux endroits partagent une réalité similaire quant à l’enseignement des disciplines de l’éveil et de l’univers social.

2.1 Difficultés liées à l’enseignement de la géographie en Fédération Wallonie-Bruxelles

L’enseignement et l’apprentissage de la géographie dans l’enseignement fondamental posent de multiples défis (Duroisin, Allegri et Beauset, 2020 ; Mérenne-Schoumaker, 2017). Trois obstacles principaux peuvent ainsi être rencontrés par les enseignant⋅e⋅s lors de la préparation de séquences didactiques en géographie. Alors que deux d’entre eux sont liés à la difficulté de trouver des documents pertinents et au manque de temps, un autre obstacle réside dans l’absence de connaissances précises sur la discipline et ses finalités (Duroisin, Beauset et Simon, 2020). Ce manque de connaissances disciplinaires peut notamment s’expliquer par l’insuffisance, dans l’enseignement fondamental, d’une formation spécifique en géographie. Un élément permettant de comprendre les raisons de cette absence de connaissances disciplinaires précises est la polyvalence des enseignant⋅e⋅s du primaire.

En effet, la multiplication des disciplines à enseigner complexifie le travail didactique à fournir par l’enseignant⋅e (Charpentier, 2018). Ce constat, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la Fédération Wallonie-Bruxelles (Audigier, 2006), est partagé par Lebrun, Araújo-Oliveira et Lenoir (2010), qui affirment que la maitrise des savoirs à enseigner constitue une difficulté importante pour les futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s du primaire. À cela s’ajoute une méconnaissance des finalités disciplinaires de la géographie par les enseignant⋅e⋅s (Charpentier et Niclot, 2013), qui peut légitimement s’expliquer par le manque d’informations prescrites délivrées par les autorités. Pour ce qui est de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les finalités de la géographie n’apparaissent dans aucun référentiel ou autre document commun à tous les réseaux d’enseignement (Duroisin, Soetewey et Demeuse, 2012) faisant partie du curriculum prescrit étant donné qu’ils n’ont encore jamais été définis (Mérenne-Schoumaker, 2016, 2019). Il parait peu probable qu’un⋅e enseignant⋅e du primaire parvienne spontanément à identifier les apports et finalités spécifiques de cette discipline scolaire, sauf si elle⋅il s’appuie sur le fait que la géographie permet de « savoir où l’on vit » et qu’elle intervient dans la construction de repères spatiaux (Duroisin, 2015 ; Mengue-Topio, Duroisin et Courbois, 2020 ; Communauté française, 1999).

Ce n’est que tout récemment, dans le cadre de l’actuelle réforme de l’enseignement obligatoire (importante démarche mise en place depuis 2015 et dénommée Pacte pour un enseignement d’excellence), qu’un groupe de travail en géographie – rassemblant des géographes, des professeur⋅e⋅s d’université, des conseiller⋅ère⋅s pédagogiques, des pédagogues, des chercheur⋅se⋅s et des enseignant⋅e⋅s – a décidé de combler ce manque en définissant plusieurs finalités de la discipline (Duroisin et Mérenne-Schoumaker, 2019). Une de ces finalités est « d’observer, de décrire et de lire des répartitions (modes d’occupation du sol, population…) de manière à en faire ressortir des similitudes/des différences pour éclairer spatialement les grands enjeux de notre temps » (Duroisin et Mérenne-Schoumaker, 2019, p.  55). Une autre de ces finalités est de « se donner des outils (modèles, théorie, cartographie, globes virtuels, géo portails…) pour comprendre les interactions entre les composantes de l’espace (composantes naturelles, humaines, environnementales, biologiques, physiques…) pour découvrir les différents “visages” de la Terre et s’ouvrir à l’“ailleurs” » (Duroisin et Mérenne-Schoumaker, 2019, p. 55). Une autre finalité est « de mobiliser (lire et construire) les représentations de l’espace pour comprendre l’espace, mieux s’y situer (voire s’y déplacer) » (Duroisin et Mérenne-Schoumaker, 2019, p. 55).

L’apparition de ces finalités dans les nouveaux référentiels devrait, d’une part, contribuer au développement d’une vision plus actualisée de la géographie par les enseignant⋅e⋅s et, d’autre part, clarifier les objectifs assignés à la discipline et réaffirmer son caractère essentiel. En effet, comme le mentionne Araújo-Oliveira (2012), les disciplines relatives aux sciences humaines et sociales apparaissent, aux yeux des enseignante⋅s, comme plus secondaires que d’autres disciplines, et l’objectif de ces enseignements se résume bien souvent à des connaissances générales sur la société et l’environnement permettant de s’y adapter, ce qui constitue un problème important pour l’enseignement-apprentissage.

2.2 Difficultés liées à l’enseignement de l’univers social au Québec

Les difficultés associées à l’enseignement des disciplines de l’univers social au Québec sont sensiblement similaires à celles observées en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ainsi, le manque de temps et la difficulté à trouver des sources sont perçus comme des obstacles à l’enseignement de l’univers social (Duquette et Couture, 2020 ; Rousson, 2014). Qui plus est, le manque de connaissances relatives aux disciplines de l’histoire et de la géographie freine la création de situations d’apprentissage par les enseignant⋅e⋅s (Rousson, 2014).

À l’opposé du manque d’informations prescrites par les programmes en Fédération Wallonie-Bruxelles, les documents prescriptifs publiés au Québec présentent de manière explicite les finalités des programmes. Ainsi, comme nous l’avons indiqué, le programme d’univers social au primaire vise, en filigrane, le développement de la pensée historienne des élèves (Québec, 2001). Associée à la pensée critique, la pensée historienne permet de réfléchir le passé à l’aide de concepts procéduraux (Duquette, 2011 ; Martineau, 1999 ; Seixas et Morton, 2013). Dans le cadre du programme d’univers social, les différents modèles de pensée historienne ont servi de référence lors de la création d’une liste de sept opérations intellectuelles énumérées brièvement dans le Cadre d’évaluation des apprentissages (Québec, 2017). Il s’agit de :

  • situer dans le temps ;

  • situer dans l’espace ;

  • caractériser un territoire ;

  • établir des comparaisons ;

  • déterminer des changements ;

  • mettre en relation des faits ;

  • établir des liens de causalité.

L’enseignement de l’univers social doit donc favoriser la maitrise des connaissances par l’utilisation appropriée des opérations intellectuelles, valorisant ainsi une approche pédagogique active où l’élève est invité⋅e à interpréter les sociétés et leurs territoires dans le temps (Québec, 2017). Or, les enseignant⋅e⋅s ont beaucoup de difficulté à intégrer la pensée historienne et géographique en classe, entre autres parce que ce modèle est à l’opposé de leur compréhension de la nature de ces disciplines (Demers, 2011 ; Monney, Duquette, Couture et Boulay, 2020).

En effet, pour bien comprendre le modèle de la pensée historienne, il faut concevoir l’histoire comme un construit, une interprétation du passé, et non pas un récit véridique et inchangeable. La géographie, quant à elle, devient une interprétation de la relation entre le territoire et la société et non pas une liste de lieux à repérer sur une carte. Ces deux disciplines s’associent pour éclairer les sociétés à l’étude. Plutôt que de valoriser la pensée historienne et géographique en classe, les enseignant⋅e⋅s semblent opter pour une évaluation des apprentissages axée sur la mémorisation de connaissances factuelles (Araújo-Oliveira, 2014).

De plus, nos recherches semblent indiquer que les enseignante⋅s auraient beaucoup de difficulté à créer d’autres types d’évaluation visant justement à évaluer le développement des compétences à l’aide des opérations intellectuelles (Monney et coll., 2020). Ainsi, cette façon de faire amène les enseignant⋅e⋅s à évaluer l’histoire et la géographie en misant sur la mémorisation des connaissances. Comme l’évaluation se centre sur la mémorisation, les activités proposées en classe suivent la même logique et se résument trop souvent à faire la lecture d’un texte et à répondre ensuite à des questions de compréhension. En somme, la situation québécoise ressemble très largement à ce qui peut être observé en Fédération Wallonie-Bruxelles.

2.3 L’absence d’outils pour accompagner les enseignant⋅e⋅s dans la planification de leurs séquences didactiques

Les auteures de l’article constatent par leurs propres expériences professionnelles qu’en formation initiale comme en formation continue, rares sont les recherches proposant des outils aux enseignant⋅e⋅s pour les aider à planifier et à évaluer leurs séquences didactiques. Les ressources le plus souvent mises à disposition des enseignant⋅e⋅s sont de deux types : d’une part, sont transmises des séquences « clé sur porte », (ou « clé en main »), c’est-à-dire des séquences qui ne nécessitent pas de modifications majeures avant d’être proposées aux élèves et qui n’ont pas forcément fait l’objet d’une validation préalable sur le terrain ou auprès d’expert⋅e⋅s de la discipline ; d’autre part, sont apportés des documents (cartes, photographies, etc. en format papier ou numérique) qui servent, par exemple, à enrichir un cours. Tout dépendant des ressources proposées, les enseignant⋅e⋅s se trouvent alors équipé⋅es soit de supports cadenassés non validés, soit d’éléments disparates devant être assemblés tant bien que mal, sans aide méthodologique. Faute de formations suffisantes et de supports adaptés à leurs besoins d’enseignement, les enseignant⋅e⋅s (en formation ou en fonction) se tournent vers les manuels scolaires, les cahiers d’apprentissage et l’Internet. Mine d’informations en tout genre, l’Internet n’en est pas moins une ressource délicate à manipuler par l’enseignant⋅e lors de la préparation des cours, étant donné la complexité de l’identification de la qualité et de la pertinence des supports trouvés (Guin et Trouche, 2008 ; Mahé et Noël, 2006 ; Mérenne-Schoumaker, 2002 ; Paquelin, 2014).

Du côté du Québec, ce sont les cahiers d’apprentissage qui ont la cote auprès des enseignant⋅e⋅s. Amalgame du manuel et du cahier d’exercices, le cahier d’apprentissage a notamment pour caractéristique d’offrir aux enseignant⋅e⋅s une planification des enseignements sur une année scolaire et est, le plus souvent, rédigé sur la base de référentiels nationaux, ce qui est de nature à rassurer les enseignant⋅e⋅s sur ce qu’elle⋅il⋅s dispensent comme contenus. Si le manuel est un outil permettant aux enseignant⋅e⋅s de trouver une kyrielle de cartes, d’images, de textes, de graphiques et de tableaux, cette habitude de travail des (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s pose au moins deux problèmes.

Le premier problème résulte d’une utilisation exclusive du manuel. Comme le met en évidence Considère (2000), les enseignant⋅e⋅s qui s’appuient uniquement sur un manuel pour concevoir leurs séquences renvoient bien souvent de la géographie « l’image d’une discipline dont les connaissances se juxtaposent ou s’empilent en couches progressivement sédimentées » (p. 181). La même situation s’applique en univers social puisque les cahiers d’apprentissage favorisent une approche fondée sur l’accumulation de connaissances factuelles, et non sur l’analyse et l’interprétation.

Le second problème réside dans la manière dont sont proposées les activités dans les cahiers d’apprentissage ou manuels scolaires de géographie et d’univers social. Ces derniers contiennent peu de notes méthodologiques et présentent des contenus peu détaillés et approfondis, laissant un important travail de planification à la charge d’enseignant⋅e⋅s relativement peu formé⋅e⋅s sur cet aspect.

2.4 Un questionnement commun afin de répondre à des besoins similaires

Il a été possible de constater, à partir de la lecture de l’état des lieux, que la planification et l’évaluation des disciplines d’éveil en Fédération Wallonie Bruxelles et celles de l’univers social partagent de nombreux points communs. Mécompréhension de la nature des disciplines, difficulté à planifier l’apprentissage et prédominance du manuel et du cahier d’exercices renforçant une vision encyclopédique de l’apprentissage : tous ces constats se posent d’un côté comme de l’autre de l’océan Atlantique. Comment transformer l’enseignement des disciplines de l’éveil et de l’univers social de sorte qu’il réponde à la fois aux demandes normatives et aux demandes épistémologiques ? Quels outils méthodologiques permettent de dépasser ces obstacles convergents ?

3. Cadre conceptuel : la planification des séquences didactiques

L’activité didactique peut être définie comme un « processus, individuel et collectif, d’élaboration et de réalisation de la tâche, lorsque celle-ci consiste à enseigner et faire apprendre des savoirs disciplinaires » (Serrière-Glaudel, 2016, p. 204). Si le manque de connaissances disciplinaires affecte directement cette activité didactique, il s’avère également que celle-ci ne peut se réaliser de manière satisfaisante sans formation ni aide méthodologique suffisantes. En effet, la préparation de séquences didactiques doit faire l’objet d’un accompagnement spécifique afin d’être en phase avec les finalités et spécificités de la discipline. Ainsi, pour bien cerner la préparation de ces séquences didactiques, le concept central des deux projets de recherche sera le concept de planification.

La planification est la phase durant laquelle l’enseignant⋅e détaille ses intentions, prend des décisions sur les objectifs de l’action et développe ses stratégies didactiques pour amener les élèves à développer leurs compétences (Sager, 2012). Il s’agit d’un processus de transformation des savoirs au sein de l’activité en classe (Dunkacke, Jenßen et Blömeke, 2015). Monney et coll. (2020) proposent de structurer la planification autour du « quoi », du « comment » et du « pourquoi ».

Le « quoi » de la planification intègre l’ensemble des objets d’apprentissage (connaissances, démarches, stratégies, compétences) nécessaires à l’activité didactique (Smith, 2014). Le « comment » de la planification amène l’enseignant⋅e à identifier les ressources nécessaires à l’activité didactique (programmes, cadres, matériel didactique, ressources Web, etc.) (Ball, Knobloch et Hoop, 2007), les approches pédagogiques et les approches didactiques (investigation, activité dirigée, projet, enseignement explicite, etc.) (Vermette, Jones, Jones, Werner, Kline et D’Angelo, 2010 ; Williams, Evans et King, 2012) et le choix du matériel pour les élèves (Vermette et coll., 2010). Enfin, le «  pourquoi » vise à établir les priorités (conceptuelles, méthodologiques, affectives) (Sager, 2012 ; Wanlin, 2009), à répondre aux attentes du programme (Gonzalez et Gomez, 2014) et à formuler des intentions d’apprentissage claires (Sager, 2012). Ces trois questions ne sont pas mutuellement exclusives, mais permettent de mieux cadrer d’un point de vue théorique les différents outils développés dans ces deux recherches. Par ailleurs, selon Dessus (2000), la planification ne cible pas une solution unique ou un chemin unique, mais un ensemble de solutions. Notons en outre que chacune des recherches faisait appel à d’autres concepts théoriques. Néanmoins, pour cet article, la base commune est celle du concept de planification.

Les prochaines sections de cet article sont consacrées à la présentation de deux outils (l’un développé en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’autre au Québec) en se focalisant, d’une part, sur la démarche de création qui a été envisagée et, d’autre part, sur l’utilisation et les retombées de l’utilisation de ces outils en contexte de formation et/ou en contexte professionnel.

4. Cadre méthodologique : récit de deux recherches indépendantes

Chaque projet avait une méthodologie différente. La suite du texte présente, d’abord, le cadre méthodologique de l’outil de planification et d’évaluation pour l’enseignement de la géographie en Fédération Wallonie-Bruxelles, puis le cadre méthodologique pour l’évaluation de l’outil de planification en univers social au Québec.

4.1 Conception de l’outil d’analyse pour faciliter la planification et l’évaluation de l’enseignement en géographie en Fédération Wallonie-Bruxelles

L’outil méthodologique développé s’inscrit dans le cadre de la réforme de l’enseignement obligatoire du Pacte pour un enseignement d’excellence mise en oeuvre, en Fédération Wallonie-Bruxelles, à partir de 2015. L’objectif de cette réforme est notamment de prolonger le tronc commun pour renforcer la qualité de l’enseignement obligatoire de la maternelle à la troisième année de l’enseignement secondaire. Dans ce contexte, dès 2016, huit consortiums disciplinaires ou multidisciplinaires ont été mis sur pied. Ces groupes de travail, composés de chercheur⋅ses et de formateur⋅rice⋅s de Hautes Écoles et épaulés par des enseignant⋅e⋅s de terrain et des membres d’associations, a entre autres pour mission de répertorier, de créer, d’analyser et de valider une leçon ou des séquences didactiques (c’est-à-dire un ensemble articulé de leçons) en lien avec une ou plusieurs disciplines dans le but de fournir des ressources valides aux enseignant⋅e⋅s de la Fédération Wallonie-Bruxelles puisque jusqu’à présent, il s’avère que peu de dispositifs valides sont disponibles pour l’enseignement de la géographie, d’où la nécessité d’enrichir le répertoire existant tout en mobilisant les acteurrice⋅s de l’enseignement. Toutes les ressources validées par les consortiums seront centralisées et mises à disposition des enseignant⋅e⋅s sur une plateforme de diffusion en ligne, proposée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et accessible par l’intermédiaire du site e-classe.be.

Le consortium Mathématiques-Sciences-Géographie comprend le sous-groupe Géographie, composé d’expert⋅es en géographie (didacticien⋅ne⋅s, conseiller⋅ère⋅s pédagogiques, formateur⋅rice⋅s), pour lequel sont décrites certaines des actions menées de 2016 à 2020. Lors de la première année de travail, le sous-groupe a expertisé des séquences didactiques et pédagogiques sans grille d’analyse. Au fur et à mesure des expertises effectuées, le sous-groupe a mis en évidence toute la difficulté de statuer sur diverses productions sans critères d’évaluation communs. D’expertises en expertises, des constats récurrents ont été relevés, tels que l’inexactitude du contenu scientifique, la présence ou non de sources fiables, la description ou non d’une démarche géographique, etc. Lors de la deuxième année de travail, le sous-groupe a émis l’idée de construire une grille d’analyse permettant à chacun d’effectuer de la même manière l’évaluation de séquences. Des enseignant⋅e⋅s en fonction aux niveaux maternel, primaire et secondaire ont aussi utilisé cette grille afin, notamment, de s’assurer de la compréhension des items auprès d’un plus large panel d’enseignant⋅es. La troisième année de travail a permis aux experte⋅s du sous-groupe de faire évoluer la grille élaborée au fur et à mesure de ses fréquentes utilisations. Les modifications apportées ont permis d’aboutir à une version avancée de la grille. Après avoir mis en évidence le potentiel de la grille pour planifier et évaluer des séquences, les expert⋅e⋅s du sous-groupe ont souligné l’intérêt de fournir ce support aux (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s puisqu’il permet aussi bien la planification que l’adaptation et la validation de leçons et/ou de séquences didactiques.

Ainsi, lors de la quatrième année de travail, il a été décidé de procéder à la validation de cette grille auprès d’un plus large public d’enseignant⋅es. Cette validation a été prise en charge par une équipe de recherche de l’Université de Mons et avait pour objectif de vérifier que cette grille soit adaptée à une utilisation par des non-spécialistes de la géographie. Il a été question de s’assurer de la compréhension des items de la grille par des enseignant⋅e⋅s et des future⋅s enseignant⋅e⋅s qui n’ont pas forcément reçu une formation spécifique en géographie. Pour ce faire, la technique de la pensée à voix haute (ou think aloud protocol) par questionnement rétrospectif a été choisie. Cette méthode consiste à demander à un individu d’exprimer à voix haute toutes les pensées qui lui traversent l’esprit après l’exécution d’une tâche en particulier (Charters, 2003 ; Falardeau, Pelletier et Pelletier, 2014 ; Roussel, 2017).

Un échantillon de convenance de 50 personnes a été constitué pour participer à cette validation. Il s’agit d’étudiant⋅e⋅s en formation initiale d’instituteur⋅rice⋅s préscolaires et d’instituteur⋅rice⋅s primaires, d’étudiant⋅e⋅s à l’agrégation de l’enseignement secondaire inférieur en sciences humaines (N = 15), d’étudiant⋅e⋅s poursuivant un master en sciences de l’éducation (N = 5) et d’enseignant⋅e⋅s en fonction exerçant dans l’enseignement préscolaire (instituteur⋅rice⋅s) (N = 30), dans l’enseignement primaire (instituteur⋅rice⋅s) et dans l’enseignement secondaire inférieur (agrégée⋅s de l’enseignement secondaire inférieur en sciences humaines).

La validation s’est réalisée en trois étapes. D’abord, des recherches dans les écrits scientifiques ont permis de définir et de préciser chaque item de la grille. Ensuite, des entretiens individuels ont été organisés avec les cinquante participants, en vue de recueillir leurs interprétations concernant chaque item. Enfin, une analyse du contenu des transcriptions de ces entretiens a été réalisée sur la base d’une grille de codage préalablement construite (annexe 1) et insérée dans le logiciel NVivo (12)®. Nous avons codé chaque élément du texte (issu des transcriptions des entretiens) selon le caractère sémantique de son contenu dans le logiciel NVivo®. L’analyse textuelle des transcriptions de ces entretiens a permis de 1) déterminer la correspondance entre les significations que les enseignant⋅e⋅s attribuent aux items de la grille et le sens que ses concepteur⋅rice⋅s leur attribuent sur la base de la revue de la littérature scientifique, 2) vérifier si la grille est un outil opérationnel du point de vue des utilisateurrice⋅s pour 3) apporter les clarifications nécessaires à la compréhension et à l’utilisation de la grille.

4.2 Élaboration d’un outil d’évaluation pour faciliter la planification de l’enseignement de l’univers social au Québec

L’outil a été développé dans le cadre d’une recherche collaborative menée par trois chercheuses de l’Université du Québec à Chicoutimi et dans l’objectif principal de coconstruire de nouvelles pratiques de planification de l’évaluation des apprentissages en univers social (Desgagné, 1997). La recherche a commencé en décembre 2017, dès l’obtention de la certification éthique de la part de l’université d’attache (CE-602-184-07), et a duré deux ans. L’équipe de recherche se composait, en plus des trois chercheuses, de deux enseignantes titulaires d’une classe de 6e année du primaire et trois enseignantes de 5e année du primaire. Les deux dernières enseignantes étaient en 2e année du primaire.

Afin d’en arriver à un maillage d’expertise pour développer de nouvelles pratiques et pour créer un outil de planification de l’évaluation des apprentissages, le devis méthodologique intégrait cinq journées de réflexion en équipe et deux entrevues semi-dirigées. Le tableau 1 présente le devis méthodologique.

Tableau 1

Devis méthodologique

Devis méthodologique

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La rencontre de décembre 2017 a permis de cerner les besoins des enseignant⋅e⋅s en matière d’outils et de stratégies en lien avec la planification de l’évaluation de l’univers social. Notons que, dans le cadre de cette recherche, l’évaluation des apprentissages est définie comme « élargie » dans le sens où elle est intégrée aux pratiques quotidiennes de la classe (Mottier Lopez, 2021). Il y a donc une relation indissociable entre les pratiques d’enseignement et les apprentissages des élèves. En planifiant la séquence didactique, on planifie l’évaluation des apprentissages, et inversement.

En février 2018, une première entrevue semi-dirigée d’une durée de 60 à 75 minutes a été menée auprès de chaque enseignante pour dégager les objets d’apprentissage ciblés et les stratégies d’évaluation des apprentissages. Le premier axe du canevas d’entrevue comprenait sept questions qui abordaient les objets d’apprentissage ciblés, le choix de ces objets d’apprentissage, le temps de planification, la façon de planifier (en équipe, les éléments importants), les outils utilisés pour planifier, les priorités et les réalisations des élèves. L’axe deux comprenait cinq questions portant sur les pratiques d’évaluation, la fonction de l’évaluation, les outils pour évaluer, les pratiques de rétroaction et les pratiques de planification de l’évaluation.

En mars 2018, soit un mois après les entrevues, les enseignantes ont validé les synthèses issues de l’analyse des entrevues semi-dirigées. Les échanges ont mis en évidence les différents défis à relever pour l’évaluation de l’univers social. Parmi eux, on retrouvait les différentes formes évaluatives ainsi que la connaissance épistémologique des disciplines essentielles à la bonne compréhension du cadre d’évaluation.

En avril 2018, la deuxième entrevue semi-dirigée visait à mieux cerner les pratiques de rétroaction des enseignantes : le moment des rétroactions, les cibles de la rétroaction, l’adaptation de la rétroaction par rapport à un élève et l’objet sur lequel porte la rétroaction. Il a aussi été question de la planification des objets d’apprentissage ce qui comprend l’objet d’apprentissage, la cible d’apprentissage, le processus de l’activité, la production finale de l’élève, la planification de la situation et les pratiques d’évaluation.

En décembre 2018, soit huit mois après la deuxième entrevue, la rencontre a permis de mettre en oeuvre un outil de planification et d’évaluation pour l’enseignement de l’univers social. Cet outil a été mis à l’essai durant le printemps 2019 dans les classes des enseignantes.

En mai 2019, les enseignantes ont présenté les défis et les ajustements qui ont été apportés à l’outil.

L’analyse des données issues des rencontres et des entrevues a permis de créer l’outil, mais aussi de valider sa pertinence dans les classes. Cette analyse se réalise selon les phases proposées par L’Écuyer (1990). La première étape consiste à coder les données transcrites sur le logiciel NVivo® en partant des catégories liées au concept de planification. Ce codage permet de découper les propos des enseignantes en séquences catégorisées comme : rétroaction, objet d’apprentissage, démarche, stratégie, etc. La première analyse faite sur ce codage est de type délibéré. La deuxième étape consiste à reprendre les séquences codées et à identifier des catégories émergentes. Cette analyse est donc inductive et permet de réaliser un codage mixte (Van der Maren, 1995). À partir de ces différentes étapes, l’outil a été planifié et revalidé par les enseignantes du projet. Le détail des résultats de l’analyse des entrevues a fait l’objet d’une publication séparée (Monney et coll., 2020).

5. Résultats

5.1 Une grille d’analyse multicritériée pour faciliter l’élaboration et l’évaluation des séquences en Fédération Wallonie-Bruxelles

Comme il a été mentionné, cette grille a d’abord été conçue pour aider les membres du sous-groupe d’experte⋅s à évaluer, sur la base de critères communs, de multiples séquences didactiques afin qu’elles soient mises à disposition des enseignant⋅e⋅s de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur une plateforme numérique regroupant du matériel à leur intention. Il est prévu que cette grille, adaptée pour un public plus large, puisse également servir d’outil d’aide à la planification et à l’évaluation de séquences didactiques auprès d’enseignant⋅e⋅s en formation initiale ou continue.

Cette grille comporte plusieurs aspects et critères permettant de mettre en évidence les forces et les faiblesses de chacune des séquences didactiques que l’on souhaite évaluer. Les aspects et critères identifiés au préalable par le sous-groupe d’expert⋅es en géographie ont été précisés sur la base des résultats de l’analyse textuelle des entretiens menés auprès de (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s. Un extrait de la grille d’analyse critériée est proposé en figure 1. La version complète de la grille est, quant à elle, présentée en annexe 2. Les cinq aspects portent sur les liens qui existent entre la séquence analysée et 1) les finalités de la discipline (finalités définies par le sous-groupe d’expert⋅e⋅s, 2) les objectifs et les compétences fixés et poursuivis dans la séquence, 3) le contenu scientifique et la méthodologie proposée, 4) les documents transmis aux élèves et 5) les éventuelles plus-values en matière d’utilisation du numérique ou de contenus transversaux. Pour expliciter ces cinq aspects, des critères ont été définis et parfois précisés par des notes en bas de page. Chaque utilisateur⋅rice de la grille doit spécifier si la séquence didactique comporte de l’information concernant les différents critères. Chacun des critères est associé à une couleur permettant de déterminer l’importance de celui-ci pour la séquence. Ainsi, les critères apparaissant sur fond rouge sont à considérer comme primordiaux et les cases oui associées à ces critères doivent être cochées, sous peine d’entrainer le rejet de la séquence. Les critères apparaissant sur fond orange sont à considérer comme étant à privilégier en ce sens qu’ils caractérisent, s’ils sont nombreux à être cochés oui, une séquence de plus grande qualité. Enfin, les critères apparaissant sur fond vert dans la grille sont considérés comme facultatifs. La présence de ces critères dans la séquence est considérée comme un atout, sans pour autant être obligatoire. La grille comprend enfin un espace pour placer d’autres remarques et une conclusion permettant de conserver ou non la séquence en l’état ou encore de procéder à des modifications (dans ce cas, les utilisateur⋅rice⋅s de la grille sont invité⋅es à détailler les modifications qu’elle⋅il⋅s entrevoient).

Figure 1

Extrait de la grille d’analyse critériée permettant la planification et l’évaluation de séquences didactiques en géographie

Extrait de la grille d’analyse critériée permettant la planification et l’évaluation de séquences didactiques en géographie

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5.2 Principales retombées de la grille

Dans le cadre des stages comme dans le cadre de la pratique professionnelle, les (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s sont amené⋅es à élaborer des leçons et/ou des séquences de leçons didactiques et pédagogiques. La grille d’analyse proposée peut être utilisée dans ces contextes. Elle apparait ainsi, l’extrait d’entretien suivant en témoigne, comme un outil amenant les futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s à poser un regard critique sur leurs propres productions tout en s’imprégnant de la démarche géographique et tout ce qu’elle implique et en se l’appropriant :

la grille est intéressante pour voir si j’ai bien atteint ce que l’on attend de moi. Parce qu’aujourd’hui, concrètement, à part moi, maintenant, à part mettre mes objectifs et mes compétences, je ne sais pas si j’atteins ce qu’on attend de moi.

Utilisatrice 11, future enseignante

La grille d’analyse permet en outre de développer la réflexivité des (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s lorsqu’elle⋅il⋅s sont confronté⋅e⋅s à des outils, des leçons ou des séquences de leçons trouvés sur l’Internet, dans des manuels ou émanant de pratiques de collègues. À ce propos, lors de l’entretien, un enseignant ayant utilisé la grille annonce que celle-ci lui permet de se montrer critique face à certaines productions :

la grille est aussi utile pour évaluer une séquence qui a été créée par quelqu’un d’autre. Elle propose des points précis et clairs. Elle est exhaustive et décompose chaque point en différents sous-points qui permettent de définir clairement ce qu’il faut spécifiquement ajouter ou apprécier.

Utilisateur 3, enseignant

L’outil peut aussi constituer une aide à l’identification des forces et des faiblesses de la leçon ou de la séquence analysée, permettant ainsi de se l’approprier davantage en y incluant les adaptations jugées pertinentes compte tenu de l’analyse effectuée. En révisant une leçon ou une séquence d’enseignement-apprentissage au moyen de la grille, l’enseignant⋅e peut s’apercevoir qu’un (ou plusieurs) des critères n’est pas rempli. Outre l’aspect disciplinaire (entre autres par l’identification des finalités), la grille propose à l’utilisateurrice d’être attentif⋅ive aux aspects transversaux (numérique, créativité…). Sur ces points spécifiques, lors de l’entretien effectué, un des utilisateur⋅rice⋅s de la grille mentionne :

Quand on construit nos leçons, parfois, il y a certains points qui sont un peu plus faibles parce qu’il y a des lacunes, un petit manque de maitrise de la matière, un manque d’affinité avec certains points, du coup, c’est mieux, parfois, d’être cadré et de savoir où l’on va. Cette grille m’aide à ce niveau-là.

Utilisateur 2, futur enseignant

[...] je fais une séquence, je créé un dispositif et après euh… j’utilise la grille pour voir si mon dispositif me semble correct, est-ce que mes documents sont bien, est-ce que mes objectifs et compétences… je m’assure de la cohérence avec les finalités… […] ça reprend un peu toutes les questions qu’on doit se poser. Est-ce que contenu, méthodologie, est-ce que je sais bien où je vais… est-ce que je sais bien les étapes que je vais faire… ça permet d’être au clair avec la séquence… enfin le dispositif ça dépend comment euh… et de savoir s’il est pertinent.

Utilisateur 24, futur enseignant

La grille semble également offrir aux enseignant⋅e⋅s expérimenté⋅e⋅s une aide à la planification et à l’évaluation plus objective de leçons ou de séquences de leçons :

[…] cette grille m’aide à penser la leçon quand je dois enseigner des nouvelles matières, des nouvelles matières que je n’ai jamais abordées ou pas abordées depuis longtemps. Comme avec les nouveaux programmes, on est en train de refaire les leçons, je dois faire des choses que je ne faisais pas… Donc là, je me dis que c’est une grille qui peut m’aider.

Utilisateur 5, enseignant

[…] avec un stagiaire ou une stagiaire, ce serait intéressant d’avoir ce genre de chose en me disant « mais je ne corrige pas dans le vide ». Ça… je peux me reposer sur quelque chose afin de voir ce qu’ils doivent faire… comment ils doivent le faire… […] c’est toujours intéressant de vérifier avec un outil pour s’épauler.

Utilisateur 9, enseignant

Enfin, les (futur⋅es) enseignant⋅e⋅s ayant utilisé la grille pour concevoir, adapter et/ou évaluer une leçon ou une séquence se sont familiarisé⋅e⋅s assez rapidement avec l’outil. Elle⋅il⋅s ont pu s’approprier facilement son contenu pour relever, par elles⋅eux-mêmes, les manquements de leurs leçons et/ou séquences. Certain⋅e⋅s ont mis en évidence l’intérêt de ce type d’outil comme grille d’autoévaluation à utiliser en formation initiale. Ainsi, conjointement à l’intérêt de développer la réflexivité des futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s, leur autonomie est aussi renforcée. Tout en guidant le travail de planification, cette grille offre donc à l’utilisateur⋅rice toute la latitude nécessaire et parfois convoitée concernant la création de sa leçon ou de sa séquence :

Quand on fait une leçon, d’avoir ça à ses côtés ça serait pas mal. De se dire ben tiens, est-ce qu’on a répondu… Sans que ça soit contraignant pour la personne.

Utilisateur 8, futur enseignant

Elle pourrait me servir comme grille d’autoévaluation.

Utilisatrice 7, future enseignante

5.3 Un outil en trois temps qui permet de planifier les apprentissages au Québec

Dès le début des échanges, les enseignantes ont mis de l’avant quelques attentes quant à l’outil : 1) modifier les pratiques évaluatives pour dépasser la mémorisation des connaissances ; 2) permettre d’évaluer les compétences en univers social, dont les opérations intellectuelles et 3) permettre une rétroaction à l’élève et au parent.

Pour commencer, les échanges entre les enseignant⋅e⋅s leur ont permis de comprendre qu’il était possible d’évaluer les apprentissages des élèves en univers social sans nécessairement recourir à l’examen. La première étape a été de bien définir les objets d’apprentissage ciblés en univers social et les critères d’évaluation en lien avec ces derniers. Ainsi, la première étape était de créer une clé de planification (figure 2) pour entrer dans la séquence didactique par les compétences et les critères d’évaluation qui sont les opérations intellectuelles.

Figure 2

Clé de planification de l’univers social

Clé de planification de l’univers social

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En effet, lors des échanges avec les enseignant⋅e⋅s, l’équipe de recherche a observé que ces dernier⋅ère⋅s abordaient la planification à travers le choix de l’activité pédagogique (par exemple une pièce de théâtre), puis elle⋅il⋅s tentaient d’y associer les compétences et critères d’évaluation. Cette manière de procéder entrainait des dérives importantes puisque les apprentissages évalués ciblaient plutôt les domaines du français ou des arts. La clé de planification permet aux enseignant⋅e⋅s d’identifier les finalités (le « quoi » de la planification) du cours d’univers social devant être abordées en classe, et ce, en amont du choix de la stratégie pédagogique.

La deuxième étape a été de définir les attentes quant aux critères proposés dans le Cadre d’évaluation des apprentissages (Québec, 2011). Les enseignant⋅e⋅s ont constaté que la clé seule ne suffisait pas pour la planification. C’est pourquoi deux éléments se sont ajoutés à l’outil : la grille d’évaluation avec les niveaux pour chacun des critères et la grille d’observation. L’annexe 3 présente le tableau avec l’ensemble des niveaux et des attentes pour chaque critère d’évaluation. Ainsi, les enseignant⋅e⋅s ont accès à une définition de chacune des opérations intellectuelles pour observer les élèves. Ces définitions semblaient nécessaires aux enseignant⋅e⋅s puisqu’elle⋅il⋅s leur permettaient de mieux comprendre ce qui était attendu du programme d’univers social. Cela les a également aidé⋅e⋅s à revoir leur compréhension épistémologique des disciplines de l’univers social.

La dernière étape était de réfléchir à une manière de compiler les traces collectées durant l’apprentissage sans nécessairement avoir recours à l’examen. Les enseignant⋅e⋅s ont donc planifié des activités à partir des critères d’évaluation qu’elle⋅il⋅s souhaitaient observer. Par exemple, pour observer la façon dont l’élève établit des liens de causalité, l’enseignant⋅e a proposé aux élèves la réalisation du musée des années 1980. Les élèves devaient trouver des objets et compléter une fiche descriptive en lien avec chacun de ces objets. À la fin, l’élève participait à une entrevue avec l’enseignant⋅e et devait établir des liens de causalité relativement à un des objets présentés. À partir de la grille des niveaux, l’enseignant⋅e compilait ses notes dans une grille d’observation. Ainsi, sur un trimestre, l’enseignant⋅e planifie plusieurs activités qui permettent d’évaluer l’un ou l’autre des critères d’évaluation. Le tableau 2 en présente un exemple.

Tableau 2

Exemple de grille des niveaux

Exemple de grille des niveaux

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Les activités en vert sont des activités qui consistent en une évaluation formative de régulation, alors que les activités en bleu sont celles retenues pour la note au bulletin à la fin du trimestre. Notons aussi que dans cet exemple, l’enseignant⋅e a gardé l’examen synthèse qui lui permet d’évaluer l’acquisition de certaines connaissances en lien avec l’opération intellectuelle ciblée par le critère d’évaluation.

5.4 Principales retombées de l’outil

La retombée principale de l’utilisation de l’outil a été une meilleure compréhension épistémologique de la discipline par les enseignant⋅e⋅s. En réussissant à cerner l’essence de ce qu’était le développement de la pensée historienne, elle⋅il⋅s sont parvenu⋅e⋅s à créer des séquences pertinentes et en adéquation avec les attentes du programme de formation (Québec, 2001). L’outil développé n’est pas fait pour évaluer leur séquence d’enseignement, mais plutôt pour construire une séquence qui s’arrime aux attentes ministérielles. Ainsi, en attirant l’attention des enseignant⋅e⋅s sur le développement des opérations intellectuelles au lieu de la mémorisation des connaissances, elle⋅il⋅s ont pu mettre en oeuvre des activités différentes, créatives et pertinentes pour le développement de la pensée historienne chez les élèves. Par exemple, au lieu de proposer aux élèves une lecture sur un évènement historique et un questionnaire, les enseignant⋅e⋅s ont élaboré un musée des années 1980, un livre-objet (ou livre animé) pour comparer des sociétés, des pièces de théâtre pour comparer deux contextes, etc. Ces différentes activités favorisent l’acquisition de techniques comme l’analyse de document, la création d’une ligne du temps, la lecture de graphiques, l’interprétation des faits, etc.

Une autre retombée a été de voir apparaitre d’autres formes d’évaluation comme l’observation, l’entrevue avec l’élève, l’évaluation de productions plus complexes, etc. En d’autres termes, en se concentrant sur les attentes du programme, ce n’est pas la seule dimension didactique qui s’est modifiée, mais aussi celle de l’évaluation, qui a été revue en profondeur. On n’évalue plus la mémorisation de faits. En modifiant la séquence didactique, en se concentrant sur les opérations intellectuelles, l’examen devenait beaucoup moins pertinent aux yeux des enseignant⋅e⋅s. Elle⋅il⋅s n’ont d’ailleurs pas hésité à modifier les instruments proposés dans les manuels didactiques, à les critiquer et à proposer d’autres façons d’évaluer. L’observation et l’entrevue leur ont paru comme des moyens d’évaluation plus pertinents, plus faciles à utiliser et surtout plus cohérents avec l’enseignement donné. Elle⋅il⋅s ont aussi constaté que les élèves n’étaient plus pénalisé⋅e⋅s sur leur compétence à comprendre un texte et qu’elle⋅il⋅s étaient réellement en mesure de mettre en oeuvre les différentes opérations intellectuelles pour devenir compétent⋅e⋅s en univers social.

La dernière retombée concerne les trois chercheuses. En travaillant en collaboration, elles ont pu réfléchir ensemble sur l’arrimage possible entre les visées didactiques de l’univers social et les cadres théoriques de l’évaluation des apprentissages. Les outils élaborés conjointement avec les enseignant⋅e⋅s ont donc aussi permis de rapprocher les deux champs d’expertise. Finalement, la réflexion autour de ces outils s’est élargie à la formation initiale des enseignant⋅e⋅s, puisque les trois chercheuses, qui forment des future⋅s enseignant⋅e⋅s, ont pu reprendre l’ensemble de la réflexion menée par ce projet de recherche pour « mieux » former les enseignant⋅es au terrain.

6. Discussion conclusive : deux outils méthodologiques pour dépasser des obstacles convergents

En conclusion, il appert que les difficultés communes aux deux recherches ont pu être dépassées en mettant en oeuvre deux méthodologies différentes. En effet, alors que, du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’approche a été de créer une grille d’évaluation pour faciliter la planification et l’évaluation de séquences d’enseignement-apprentissage didactiques, du côté du Québec, l’approche a été de partir des pratiques des enseignant⋅e⋅s pour construire avec elles⋅eux des outils qui permettent de planifier des séquences et d’évaluer les apprentissages des élèves. Néanmoins, les deux méthodologies ont permis de répondre aux difficultés associées à l’enseignement de la géographie/univers social, à savoir amener une meilleure maitrise de la discipline, gérer le temps de façon efficace et concevoir des séquences didactiques pertinentes à partir d’outils et de documents validés par la recherche et par les praticien⋅ne⋅s.

6.1 Amener une meilleure maitrise de la discipline chez les enseignant⋅e⋅s

Dans les deux contextes, les enseignant⋅e⋅s ont pris conscience des finalités de la discipline et ont positionné leurs actions par rapport à ces dernières. Les outils offrent aux enseignante⋅s la possibilité de surmonter les obstacles de l’enseignement de ces disciplines. Dans les deux cas, ces outils permettent de parfaire la formation initiale et continue des enseignant⋅e⋅s pour les accompagner dans la planification de leur enseignement. Un autre impact a été une meilleure compréhension de l’épistémologie des disciplines. En effet, les enseignant⋅e⋅s ont utilisé l’outil proposé (grille d’analyse) ou modifié leurs outils évaluatifs (clé de planification) afin qu’ils s’arriment mieux aux finalités et aux compétences disciplinaires. Qui plus est, chez les enseignant⋅e⋅s qui se sentaient moins compétent⋅e⋅s, les outils méthodologiques proposés leur ont permis d’améliorer leur confiance. Chez les enseignant⋅e⋅s plus expérimenté⋅e⋅s ou qui se disaient compétent⋅es, les réflexions autour des outils proposés les ont amené⋅e⋅s à questionner leurs pratiques et à revoir leur compréhension de l’histoire ou de la géographie.

6.2 Gérer le temps de façon plus efficace

Les enseignant⋅e⋅s en géographie et en univers social sont souvent aux prises avec des grilles horaires chargées et de multiples cours à préparer. Ces enseignant⋅e⋅s ont donc un nombre important de séquences didactiques à réaliser en un temps minimum. Ces disciplines deviennent parfois secondaires aux yeux de certain⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s, étant donné la survalorisation d’autres disciplines. Dans les deux projets, le développement des outils favorise une meilleure efficacité dans la planification des séquences didactiques et rassure les enseignant⋅es quant aux éléments essentiels à prendre en compte dans l’enseignement de ces disciplines. Il en découle donc un gain de temps et d’énergie pour les (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s, qui leur offre un certain cadre mais également une certaine liberté dans la proposition de séquences didactiques plus innovantes.

6.3 Concevoir des séquences didactiques pertinentes à partir des outils méthodologiques validés par la recherche et par les praticien⋅ne⋅s

À partir des deux projets de recherche, les outils méthodologiques développés ont été validés par différents groupes de praticien⋅nes. Ces outils assurent aux enseignant⋅e⋅s la qualité des séquences didactiques et sont aussi adaptés à leurs réalités sur le terrain. Ils visent à s’assurer que les séquences didactiques s’appuient sur les principaux éléments des programmes d’études tout en respectant l’épistémologie des disciplines. En outre, l’élaboration des outils méthodologiques n’a pas servi qu’aux praticien⋅ne⋅s ; les chercheuses en ont aussi bénéficié. En effet, cela a notamment permis une mise à jour des cadres théoriques pouvant être réinvestie dans le cadre de la formation initiale et continue. Au Québec, ces cadres théoriques renouvelés ont permis de revoir les outils de planification utilisés dans les stages de formations initiales.

Cet article a présenté deux outils méthodologiques visant à accompagner les enseignant⋅e⋅s dans la planification et l’évaluation de séquences didactiques. Outre le fait d’avoir réuni des expertises variées provenant de différents contextes, la réflexion menée aura mis en évidence la similarité des difficultés rencontrées par les (futur⋅e⋅s) enseignant⋅e⋅s. À la lumière de ces difficultés, les solutions proposées par les chercheuses, bien que différentes, reposent sur des constats similaires, comme celui de l’importance de poursuivre l’accompagnement des enseignant⋅e⋅s pour les amener à avoir une compréhension plus fine des disciplines connexes.