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Cet important ouvrage regroupe les travaux de 15 chercheur⋅se⋅s dans le domaine de l’histoire de l’éducation. Par leurs travaux, les auteur⋅e⋅s montrent avec éloquence que l’éducation a historiquement été tour à tour un outil de domination et d’émancipation. S’inscrivant dans une histoire dite transnationale des empires cherchant ainsi à dépasser les particularités d’un découpage national nécessairement arbitraire, ces travaux permettent de juger de la fonction qu’a pu jouer l’éducation pendant la colonisation, lors de la période d’accès à l’indépendance et, plus tard, dans un contexte postcolonial. La mission civilisatrice que se donnent les puissances coloniales présente en effet des caractéristiques similaires d’un empire à l’autre. Dès les années 1890, plusieurs organisations de coopération interimpériale sont même créées afin de traiter de l’éducation des « indigènes ».

Sans nier l’existence de spécificités locales, les auteur⋅e⋅s montrent que l’éducation coloniale avait d’abord pour fonction de contrôler au mieux les populations locales par une éducation aux valeurs et aux moeurs de la métropole sans oublier les domaines de l’hygiène et de la nutrition. Comme le rappellent les auteur⋅e⋅s, Lord Macauley soutenait déjà en 1835 qu’il fallait surtout « former une classe qui pourrait devenir notre interprète vis-à-vis des millions d’hommes que nous gouvernons ; une classe d’individus, Indiens par le sang et par la couleur, mais Anglais par le goût, les opinions, les moeurs, et l’intellect » (p. 193). Pour les auteur·e·s, c’est en partie ce qui explique que les premières universités ne virent le jour que très tardivement dans les colonies et que, lorsqu’elles furent établies, ce fut afin d’assurer la formation d’enseignant⋅e⋅s, d’ingénieur⋅e⋅s ou de petit⋅e⋅s cadres utiles à l’administration de la colonie.

Les auteur⋅e⋅s rappellent néanmoins que, malgré sa fonction aliénante, l’éducation devint aussi un thème central des mouvements d’indépendance et des gouvernements postcoloniaux. Il faut lire les chapitres consacrés à ce sujet pour bien comprendre toutes les nuances qui s’imposent sur ce plan. Que ce soit par le maintien des structures éducatives héritées des métropoles, par l’offre éducative des États-Unis et de l’Union soviétique dans un contexte de guerre froide, par la place prépondérante des missionnaires ou par le soutien des organisations onusiennes (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Organisation mondiale de la santé et Organisation pour l’alimentation et l’agriculture en tête), les intérêts étrangers sont loin d’être disparus avec les indépendances.

Malgré l’importance de cet ouvrage pour la⋅le chercheur⋅se en éducation, et tout particulièrement pour celles⋅ceux s’intéressant aux finalités éducatives ou à la fonction politique de l’éducation, il n’offre que peu de repères dans la compréhension du concept même de mission civilisatrice. De même, l’ouvrage passe sous silence les drames humains et les dépossessions (territoriales, culturelles, linguistiques, etc.) qu’apporte la colonisation, tout comme il ne traite que sommairement de l’imposition d’une culture seconde sans égard à la culture première. On pourra par ailleurs se désoler de l’absence d’une analyse de genre ou d’une analyse féministe ou proprement décoloniale qui aurait apporté un regard plus complet sur le pouvoir colonial. De même, le processus de racialisation dans les colonies, processus que l’on sait si important notamment au Rwanda est presque complètement passé sous silence ce qui limite la richesse de l’ouvrage.