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1. INTRODUCTION

Les mesures sanitaires appliquées en période de pandémie, notamment la distanciation physique, ont entraîné l’adoption rapide de méthodes d’interventions psychosociales à distance[1] alors que les données probantes sur ce mode d’intervention sont limitées (Inchausti et coll., 2020). Il n’en demeure pas moins que l’intervention psychosociale à distance fait l’objet d’études depuis plus de 20 ans (Callahan et coll., 1998 ; Jerome et Zaylor, 2000 ; Kaplan, 1997).

Malgré cet intérêt certain, des questions se posent quant à savoir si le genre des utilisateurs de service peut avoir des effets sur l’utilisation de l’intervention à distance, notamment chez les hommes qui se conforment davantage aux normes de la masculinité traditionnelle. À cet effet, contrairement au caractère biologique que représente la variable relative au sexe, le genre serait le reflet des normes sociales et des attentes attribuées aux hommes et aux femmes dans une société et un temps donné (Phillips, 2005 ; Ristvedt, 2014). Dans une perspective socioconstructiviste, la masculinité traditionnelle réfère à la notion de masculinité hégémonique de Connell (1995) qui valorise notamment l’autonomie, le stoïcisme, l’antiféminité et l’inhibition des sentiments chez les hommes qui tentent d’adopter cette vision de la masculinité (Anderson, 2009 ; Connell, 1995 ; Lynch et Kilmartin, 2013). Bien que la notion de masculinité soit plurielle, c’est-à-dire que le genre masculin varie en fonction de la culture, de l’époque et de la société, la masculinité hégémonique est la manière actuelle la plus reconnue d’être un homme et vis-à-vis de laquelle les autres types de masculinité tentent de se positionner (Connell et Messerschmidt, 2014). Or, la culture d’intervention des spécialistes de la santé serait peu en accord avec le modèle traditionnel de la masculinité et serait perçue par plusieurs hommes comme étant « féminine » (Roy, Tremblay et Houle, 2022a). À cet effet, plusieurs études ont montré que la socialisation masculine traditionnelle conduit plusieurs hommes à être réticents à demander de l’aide lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes personnels ou de santé mentale (Addis et Hoffman, 2017 ; Houle et coll., 2008 ; Tremblay et coll., 2016). Ces études montrent l’importance de rechercher d’autres modes d’intervention pour mieux rejoindre ces hommes.

En amont de la pandémie, plusieurs hommes expriment déjà un désir pour une plus grande utilisation d’Internet en matière de services sociaux et de santé (Tremblay et Careau, 2014). Il semble également que plusieurs hommes aient un intérêt marqué quant à l’obtention d’informations en ligne avant de consulter un intervenant (Best et coll., 2016 ; Montiel et coll., 2022 ; Tremblay et Careau, 2014). Ainsi, cet article a comme objectif de faire état des connaissances actuelles sur l’intervention psychosociale à distance pour intervenir auprès des hommes[2].

2. MÉTHODOLOGIE

Cette étude repose sur une recherche documentaire prenant appui sur la technique Population, Intervention, Comparison, Outcome (PICO). Cette technique consiste à clarifier la question de recherche en s’interrogant sur la population et l’intervention à l’étude, la comparaison et les résultats obtenus et ce, dans le but de faciliter la recherche de documents dans des bases de données (Caldwell et coll., 2012 ; Favre et Kramer, 2013 ; Schardt et coll., 2007). La question formulée sous le format PICO est : dans la population masculine (P), comment l’intervention psychosociale à distance (I), comparativement à l’intervention psychosociale en personne (C), affecte-t-elle le déroulement et l’efficacité de l’intervention psychosociale (O) ? La technique PICO a permis d’identifier les concepts clés (voir Tableau 1) relatifs à la question de recherche et des synonymes pertinents à la recherche d’ouvrages scientifiques.

Tableau 1

Stratégie PICO

Stratégie PICO

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Par la suite, les bases de données (Psycnet, Medline/Pubmed) et plusieurs moteurs de recherche (Google Scolar, Érudit, Scorpus) ont été interrogés à l’aide des mots — lés identifiés. Ces différents outils de recherche ont été retenus en fonction de leur accessibilité et des recommandations méthodologiques proposées par plusieurs professionnels de recherche (Caldwell et coll., 2012 ; Fortin et Gagnon, 2022). Cette recension préliminaire a permis de collecter 473 documents (avec doublons), francophones et anglophones. Un tri a été effectué à partir de quatre critères : 1) recherches réalisées auprès d’un échantillon d’hommes ou incluant des hommes ; 2) recherches publiées entre 2012 et 2022 ; 3) rigueur scientifique (articles publiés avec comité de pairs, rapport de recherche, etc.) ; et 4) pertinence avec l’intervention psychosociale à distance. Ainsi, 61 articles ont été retenus pour l’analyse. Le rapport du sondage SOM (2021) effectué auprès de 2 740 hommes québécois a été ajouté, compte tenu de sa haute pertinence. Ce processus de sélection des documents à analyser est illustré à la Figure 1.

Figure 1

Processus de rejet/retenu des articles

Processus de rejet/retenu des articles

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Les articles retenus ont été soumis à un processus d’analyse en deux étapes : 1) création de fiches de lecture ; et 2) analyse de contenu (Bardin, 2013 ; Wanlin, 2007). Une catégorisation des notions présentées dans les études a été effectuée (étape d’exploration du matériel) à partir d’une grille constituée de rubriques qui a permis de regrouper les éléments ayant des caractéristiques communes. Une interprétation des résultats mis à jour par cette catégorisation (étape de traitement, d’interprétation et d’inférence) a permis de dégager plusieurs constats quant à l’état des connaissances sur l’intervention psychosociale à distance auprès des hommes (Bardin, 2013 ; Wanlin, 2007). À cet effet, plusieurs éléments relatifs à la formation des professionnels de l’intervention sont ressortis lors de l’analyse de contenu. Étant donné que la culture d’intervention des spécialistes de la santé semble avoir un impact sur le choix des hommes de suivre l’intervention, il est apparu pertinent d’ajouter ces éléments aux résultats.

3. RÉSULTATS

Les catégories qui ont émergé de l’analyse de contenu sont : 1) les enjeux d’accessibilité et de connaissance informatique ; 2) l’acceptabilité de l’intervention à distance chez les utilisateurs de service ; 3) l’efficacité de l’intervention psychosociale à distance ; 4) les gains en matière d’efficience ; 5) la confidentialité ; et 6) la formation professionnelle.

3.1. Des enjeux d’accessibilité et de connaissance informatique

L’accessibilité des soins de santé est un enjeu de taille et réfère généralement à la facilité avec laquelle une personne peut entrer en contact avec son fournisseur de soins et avoir accès aux soins de santé (Haggerty et coll., 2007 ; Haggerty et coll., 2004). L’intervention à distance aurait des effets positifs sur l’accessibilité aux services puisqu’elle a pour avantage d’offrir plus de services aux populations résidant sur les territoires éloignés des milieux urbains (Backhaus et coll., 2012 ; Castro et coll., 2022 ; Fernandez et coll., 2021 ; Vera San Juan et coll., 2021). Une étude menée auprès d’hommes ayant des comportements violents montre que ceux-ci font preuve de plus d’assiduité lors de l’intervention en ligne que lors de l’intervention en présentiel, cela étant partiellement lié à l’élimination des barrières relatives au temps de transport (Bellini et Westmarland, 2021).

L’intervention à distance présenterait également des effets négatifs sur l’accessibilité aux services et sur l’expérience des intervenants et des utilisateurs de services. Le développement technologique de la visioconférence s’est accentué au cours des dernières années, laissant place à plusieurs logiciels dont l’utilisation nécessite certaines compétences informatiques. Lorsqu’elles sont insuffisantes chez l’intervenant ou chez l’utilisateur de services, cela entraînerait des effets négatifs sur l’intervention (Breton et coll., 2021 ; Poletti et coll., 2021). Cela peut entraîner un temps de résolution de problèmes plus important lorsque des difficultés techniques se présentent, et ce, au détriment du temps d’intervention prévu (Bellini et Westmarland, 2021). Outre les problèmes techniques, il semble que la disponibilité du matériel informatique ainsi que l’accessibilité à une connexion à l’Internet stable sont des éléments majeurs (Almathami et coll., 2020 ; Békés et Aafjes-van Doorn, 2020 ; Bellini et Westmarland, 2021 ; Breton et coll., 2021 ; Hardy et coll., 2021), notamment dans les milieux ruraux (Castro et coll., 2022). Le sondage SOM (2021), réalisé auprès d’hommes québécois, montrait également que 14 % des répondants n’ont pas accès à une connexion à l’Internet à large bande et 17 % d’entre eux ne possèdent pas un ordinateur ou une tablette électronique équipé d’une caméra. À l’échelle canadienne, 12,6 % de la population n’aurait toujours pas accès à une connexion à l’Internet à large bande et à des données illimitées, un taux qui augmente à 54,4 % en milieu rural (CRTC, 2021). Il s’avère donc difficile de rejoindre certaines populations vulnérables, notamment celles vivant de l’exclusion et des inégalités numériques, telles que les personnes en situation de vulnérabilité économique et les aînés (Borg et coll., 2019 ; Breton et coll., 2021 ; Greffet et Wojcik, 2014 ; SOM, 2021 ; Weiss et coll., 2018).

3.2. L’acceptabilité de l’intervention à distance chez les utilisateurs de services

Pour plusieurs hommes, l’acceptabilité de l’utilisation des services d’aide serait un défi plus important à surmonter que ne l’est l’accessibilité aux services[3] (Roy, Tremblay et Robertson, 2014). Cette situation ne serait d’ailleurs pas étrangère à la quête d’autonomie que promeuvent les normes de la masculinité traditionnelle et au manque d’adaptation des services aux réalités des hommes (Roy, Tremblay et Houle, 2022 ; Tremblay et coll., 2022).

Il existe jusqu’à ce jour peu d’études ayant examiné l’acceptabilité de l’intervention à distance auprès des utilisateurs de services. Les études recensées montrent qu’entre 57,2 % et 96,3 % des utilisateurs de services sont prêts à se tourner vers l’intervention à distance, ces recherches ayant été menées dans le contexte de services de première ligne (76 %), de psychiatrie (96,3 %), de thérapie familiale (83 %) ainsi que de services en santé mentale en milieu universitaire (57,2 %) (Deen et coll., 2013 ; Morgan et coll., 2021 ; Petersen et coll., 2020 ; Severe et coll., 2020). L’interprétation de ces données doit néanmoins être faite avec précaution puisque ces études ont été réalisées auprès de différents groupes de population résidants sur divers territoires et à différentes années. Au Québec, un sondage mené en 2021 auprès de 2 740 hommes indique que 46 % d’entre eux préfèrent consulter un intervenant psychosocial en personne, alors que 16 % préfèrent par vidéoconférence, 14 % par téléphone et 24 % n’ont aucune préférence (SOM, 2021). L’étude de Labelle et coll. (2018) montrait que les jeunes hommes suicidaires étaient peu enclins à chercher de l’aide par clavardage (chat) sans qu’une relation de confiance n’ait pu être établie au préalable avec un intervenant. Par ailleurs, l’étude de Deen et coll. (2013) montre que la perception vis-à-vis de l’efficacité du traitement serait prédictive de l’initiation de la demande d’aide à distance, alors que l’accessibilité n’est pas présentée comme un facteur prédictif. Un autre élément pouvant favoriser l’acceptabilité de l’intervention à distance résiderait dans le choix d’environnement où se déroule l’intervention. Le fait d’offrir aux utilisateurs de services la possibilité de choisir l’endroit où ils pourront recevoir l’intervention aurait pour effet de réduire les éventuels stigmas relatifs à leur condition, notamment en évitant à ces individus de devoir se présenter, aux yeux de tous, dans les institutions de santé (Bleyel et coll., 2020 ; Rosen et coll., 2020).

3.3. L’efficacité de l’intervention psychosociale à distance

De manière générale, les connaissances actuelles suggèrent que l’intervention à distance serait tout aussi efficace que l’intervention en présentiel (Barak et coll., 2008 ; Batastini et coll., 2016 ; Bellanti et coll., 2021 ; Fernandez et coll., 2021 ; Irvine et coll., 2020 ; Norwood et coll., 2018 ; Rosen et coll., 2020 ; Varker et coll., 2019). Elle permettrait notamment de traiter les symptômes dépressifs, l’anxiété et les troubles posttraumatiques (Fernandez et coll., 2021 ; Rosen et coll., 2020 ; Sasseville et coll., 2021 ; Sztein et coll., 2018). De plus, le taux d’attrition de l’intervention à distance serait similaire à celui de l’intervention en présentiel (Milosevic et coll., 2021 ; Sztein et coll., 2018), voire parfois inférieur (Lin et coll., 2021). Il existe peu de données concernant l’intervention de groupe à distance, bien que celles disponibles laissent entrevoir un bon degré de satisfaction chez les utilisateurs de services (Banbury et coll., 2018 ; Mendelson et coll., 2022 ; Wood et coll., 2021) et des résultats similaires à l’intervention de groupe en personne (Gentry et coll., 2019). Par contre, certaines études confèrent un léger avantage à l’intervention en présentiel selon le problème de santé traité, notamment le trouble d’anxiété généralisée (Milosevic et coll., 2021). Par ailleurs, l’étude de Bellini et Westmarland (2021) montre qu’il y a encore bien peu de connaissances quant à savoir si l’intervention de groupe à distance faite auprès d’hommes ayant recours à des comportements violents est efficace. De plus, il serait plus difficile de conjuguer l’intervention à distance et la résolution de conflits conjugaux (Hardy et coll., 2021 ; Heiden-Rootes et coll., 2021 ; Morgan et coll., 2021). Concernant l’intervention par clavardage (chat), celle-ci n’équivaudrait pas à l’intervention en présentiel, téléphonique ou par visioconférence, mais elle apparaît davantage comme une alternative au fait de ne pas avoir accès à un professionnel de la santé ou comme un élément complémentaire à l’intervention (Gould et coll., 2021 ; Hoermann et coll., 2017 ; Labelle et coll., 2018 ; Rassy et coll., 2021).

Les textes recensés montrent néanmoins certaines lacunes concernant spécifiquement l’intervention à distance auprès des hommes. Comme le soulignent Berryhill et coll. (2019), les études examinant l’efficacité de ce type d’intervention ont généralement des échantillons ayant de très faibles proportions d’individus de sexe masculin. Il existe aussi très peu d’études présentant leurs résultats à partir d’une stratification selon le sexe, ce qui laisse croire d’un côté qu’il n’existe pas de différenciation entre les hommes et les femmes quant à l’efficacité de l’intervention à distance ou, de l’autre côté, qu’il y a un manque d’intérêt des chercheurs à prendre en considération les questions liées au genre (Backhaus et coll., 2012 ; Batastini et coll., 2016). Une seule recherche, celle de Lin et coll. (2021), montre que les variables relatives au sexe et à l’âge n’ont pas d’effets sur l’efficacité et le taux de rétention de l’intervention à distance. En revanche, les perceptions des hommes recueillies dans le sondage SOM (2021) révèlent que près de la moitié (47 %) des participants considèrent que l’intervention par visioconférence est moins efficace que l’intervention en présentiel et c’est le cas de 63 % des participants pour ce qui est de l’intervention par téléphone.

Il existe aussi des préoccupations concernant la qualité de l’alliance de travail entre l’intervenant et l’utilisateur de services. On observe un certain consensus quant à la définition de l’alliance thérapeutique, soit qu’elle représenterait le lien d’attachement entre l’utilisateur de services et l’intervenant, ainsi que la collaboration entre ces derniers qui vise à construire des objectifs d’intervention et à réaliser les tâches qui permettront de répondre aux objectifs (Bordin, 1980). Alors que certaines études tendent à montrer que l’intervention à distance n’a pas d’effets négatifs sur l’alliance de travail, l’aisance à se confier, l’empathie, l’attention et la participation (Backhaus et coll., 2012 ; Batastini et coll., 2016 ; Irvine et coll., 2020 ; Watts et coll., 2020), d’autres études montrent que l’alliance de travail est influencée négativement, sans qu’il n’y ait pour autant d’effets négatifs sur les résultats de l’intervention (Jenkins-Guarnieri et coll., 2015 ; Norwood et coll., 2018). À ce sujet, Norwood et coll. (2018) émettent l’hypothèse que les effets négatifs portés sur l’alliance de travail seraient compensés par une sensation de contrôle plus importante chez les utilisateurs de services lors de l’intervention à distance. Ce type d’intervention augmenterait, dans certains cas, la sensation de confort, de contrôle et de liberté chez les utilisateurs de services (Breton et coll., 2021 ; Simpson et Reid, 2014 ; Watts et coll., 2020). Pouvoir participer à l’entrevue dans le confort de son foyer et avoir le pouvoir d’interrompre l’intervention en un seul clic seraient notamment des éléments favorisant ce sentiment de contrôle (Breton et coll., 2021 ; Watts et coll., 2020). Par ailleurs, une étude de Watts et coll. (2020) montre que les utilisateurs de services perçoivent l’intervention comme moins intrusive et intimidante quand elle est faite à distance. Ainsi, il semble que ce soit davantage du côté des intervenants que les effets négatifs se fassent sentir, puisque plusieurs mentionnent trouver difficile d’établir un lien avec les utilisateurs de services (Breton et coll., 2021 ; Connolly et coll., 2020 ; Rosen et coll., 2020).

3.4. Des gains en matière d’efficience

L’intervention à distance aurait également plusieurs avantages en matière d’efficience. Ce mode d’intervention permettrait : 1) d’engendrer des économies de temps et d’argent pour les utilisateurs de services et les intervenants (Backhaus et coll., 2012 ; Breton et coll., 2021 ; Irvine et coll., 2020 ; Michaud et coll., 2018) ; et 2) d’augmenter l’efficacité des ressources humaines disponibles en offrant davantage de flexibilité en matière d’horaires et en permettant des suivis plus rapides (Breton et coll., 2021 ; Fernandez et coll., 2021). Ainsi, plusieurs caractéristiques de l’intervention à distance suggèrent le bien-fondé de son utilisation, d’autant plus que la transition de l’intervention en présentiel à l’intervention à distance peut se faire rapidement (Puspitasari et coll., 2021) et que cette dernière nécessite relativement peu de changements de la part des intervenants pour être aussi adéquate que l’intervention en présentiel (Backhaus et coll., 2012). En intervention de groupe, certaines activités peuvent cependant être plus difficiles à réaliser (p. ex. la présentation d’une vidéo, l’utilisation d’un tableau blanc), ce qui mène certains intervenants à choisir principalement des approches axées sur la discussion (Bellini et Westmarland, 2021).

3.5. La confidentialité

L’intervention à distance soulève de nouveaux enjeux de confidentialité (Aboujaoude, 2019 ; Bolton, 2017 ; Rosen et coll., 2020 ; Vera San Juan et coll., 2021). La possibilité que d’autres membres du ménage puissent entendre les conversations, l’utilisation de réseaux d’Internet peu sécurisés par les usagers ainsi que l’utilisation de services de vidéoconférence utilisant des protocoles de cryptage peu sécuritaires ou des serveurs de stockage de données dans d’autres pays sont tous des éléments pouvant laisser place à des bris de confidentialité (Almathami et coll., 2020 ; Bellini et Westmarland, 2021 ; Richardson et coll., 2009 ; Scott-Railton et Marczak, 2020). En ce sens, plusieurs intervenants estiment que les risques pour la sécurité des données des utilisateurs sont élevés (Rettinger et coll., 2021). L’utilisation de matériels informatiques à jour, de logiciels de chiffrement ainsi que de pare-feu serait notamment une bonne pratique à adopter (Aboujaoude, 2019 ; Almathami et coll., 2020 ; Hom et coll., 2020). Des questions peuvent cependant se poser à savoir si la littératie numérique des intervenants et des utilisateurs de services est suffisante pour permettre de réduire au minimum les risques liés aux bris potentiels de la confidentialité. Outre l’aspect de confidentialité relatif aux données des utilisateurs, vient également se poser la question de la possibilité, pour l’utilisateur de services, d’avoir accès à un endroit laissant place à la confidentialité. Le sondage SOM (2021) montrait à cet égard que 13 % des hommes n’avaient pas accès à un endroit où ils peuvent discuter en toute confidentialité lors d’une consultation par vidéo. Cette situation serait davantage présente chez les hommes vivant en ménage de quatre personnes et plus, de même que ceux à faibles revenus.

3.7. La formation professionnelle

L’obligation d’utiliser l’intervention à distance en contexte de pandémie a mené plusieurs intervenants de la santé et des services sociaux à remettre en question leur capacité à fournir des services adéquats à distance (Ronen-Setter et Cohen, 2020). L’intervention à distance semble nécessiter de nouvelles compétences, notamment : 1) la capacité d’évaluer l’aptitude des utilisateurs de services à fonctionner par l’intermédiaire de l’intervention à distance ; 2) faire preuve d’une « téléprésence » en limitant les distractions et les interruptions au maximum ; 3) développer une aisance technologique ; 4) avoir des connaissances juridiques et réglementaires au sujet de ce type d’intervention ; 5) avoir une pratique fondée scientifiquement (Rosen et coll., 2020). D’autres auteurs soulignent aussi l’importance d’adopter de nouvelles pratiques en lien avec la sécurité des utilisateurs de services, à savoir d’obtenir des informations sur leur emplacement, de confirmer que l’environnement dans lequel ils se situent est sécuritaire et d’établir un protocole de sécurité avec eux (Hom et coll., 2020 ; Rosen et coll., 2020 ; Van Daele et coll., 2020). De plus, l’intervention à distance peut entraîner des enjeux éthiques sur le plan du savoir-être des intervenants. Ce type d’intervention confère un contrôle total sur le droit de parole des individus (p. ex. rendre muet les participants) et la présence de ceux-ci (p. ex. exclure un participant de la rencontre), ce qui pourrait mener à des dérives disciplinaires envers des utilisateurs de services lorsque ceux-ci ne se conforment pas aux attentes de l’intervenant ou de l’organisme qui offre le service (Bellini et Westmarland, 2021). La supervision et l’accompagnement semblent constituer des éléments incontournables du développement professionnel en intervention à distance (Lane et Côté, 2022).

L’intervention à distance nécessite de nouvelles compétences, mais il existe très peu de données probantes en ce qui a trait à l’offre de formations en ligne et à l’acquisition de nouvelles habiletés en matière d’intervention chez les intervenants en santé mentale (Bond et coll., 2021 ; Breton et coll., 2021). Une étude de Békés et Aafjes-van Doorn (2020) montre que les intervenants ayant une attitude négative vis-à-vis l’intervention à distance se sentent moins compétents, confiants, authentiques et connectés avec les utilisateurs de services. Or, les formations au sein des organisations de travail et les cursus universitaires offriraient peu ou pas de contenu relatif aux responsabilités des intervenants en lien avec l’utilisation des technologies en intervention (p. ex. la sécurité des données) (MacMullin et coll., 2020). Or, plus un intervenant a d’expérience en intervention psychosociale à distance, plus il a de chances de considérer ce type d’intervention comme comparable à l’intervention en personne (Korecka et coll., 2020). Cependant, plusieurs intervenants auraient toujours une préférence pour l’intervention en présentiel (Connolly et coll., 2020 ; Lin et coll., 2021) alors que d’autres soulignent vouloir utiliser ces deux types d’interventions (Shklarski et coll., 2021).

4. DISCUSSION

Dans l’état actuel des connaissances, il semble exister peu d’éléments qui permettraient d’identifier les effets singuliers que peut avoir l’intervention psychosociale à distance chez les populations masculines, notamment les hommes qui adhèrent à une vision traditionnelle de la masculinité. Il sera traité dans cette section de l’absence de la notion de genre dans la recherche concernant l’intervention psychosociale à distance ainsi que les hypothèses concernant les effets que pourrait soulever ce type d’intervention avec les hommes.

4.1. L’interaction entre le genre masculin et l’intervention psychosociale à distance : une variable manquante

Il subsiste plusieurs questions en suspens, notamment concernant les effets du sexe et du genre masculin sur l’initiation de la demande d’aide, l’engagement dans la démarche d’aide et l’efficacité de l’intervention à distance (Backhaus et coll., 2012 ; Batastini et coll., 2016 ; Békés et Aafjes-van Doorn, 2020). En outre, les études recensées font régulièrement des amalgames entre la notion de genre et la notion de sexe. Cette critique n’est d’ailleurs pas propre à ce type d’intervention, puisqu’elle revient depuis plusieurs années dans de nombreux domaines de recherche en santé et services sociaux (Dukhi et coll., 2021).

Ce manque de données reste cependant préoccupant, car tenir compte du genre est primordial pour améliorer les connaissances sur les services de soins et d’aide (McKelley et Rochlen, 2007 ; Ristvedt, 2014 ; Roxo et coll., 2021 ; Samulowitz et coll., 2018). Plusieurs études ont montré que la socialisation masculine avait un impact non négligeable sur l’utilisation des services d’intervention psychosociale en personne (Seidler et coll., 2016 ; Shechtman et coll., 2010 ; Vogel et coll., 2014). Or, les résultats de cette recherche documentaire ne permettent pas de savoir si cette situation est similaire lorsque l’intervention est offerte à distance. Ce manque de considération quant au sexe et au genre dans les études recensées peut notamment s’expliquer par le fait que la recherche a principalement examiné l’efficacité de l’intervention à distance en la comparant à l’intervention en présence.

Le choix de comparer ces deux types d’intervention sans prendre en considération le genre des participants peut cependant mener à des biais qui sont basés sur la perception que les hommes, les femmes, les personnes non binaires ou transgenres ont des conditions de santé ainsi que des perceptions et des expériences des structures de santé et des services sociaux qui sont similaires (Heidari, 2021). Bien que le genre ne permette pas d’expliquer à lui seul les écarts existant en matière d’accès aux services et de rétention aux traitements, l’étude de son interaction avec d’autres facteurs, tels que le fonctionnement des institutions de santés, l’offre de services (p. ex. l’intervention psychosociale à distance), les attitudes des intervenants, etc., permet d’expliquer certaines inégalités de santé (Weber et coll., 2019). L’étude de l’interaction entre le genre et l’offre d’une intervention psychosociale à distance apparaît ainsi pertinente sachant que plusieurs catégories d’hommes, notamment ceux s’identifiant à la masculinité traditionnelle, étaient déjà considérées comme des populations qui sous-utilisent les services de soins de santé (Bizot et Roy, 2019 ; Roy, Tremblay, Guilmette et coll., 2014 ; SOM, 2021). S’assurer que l’offre de service d’intervention à distance soit adéquate pour les hommes s’avère impératif.

Ce manque de sensibilité quant aux dimensions de sexe et de genre se retrouve également en ce qui concerne d’autres variables clés telles que l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, l’âge, le statut socioéconomique. Par exemple, le sondage SOM de 2021 indique clairement que les hommes moins scolarisés et avec moins de revenus sont ceux qui sont le moins à l’aise avec une intervention à distance et qui possèdent le moins souvent l’équipement nécessaire. De même, le sondage indique que les personnes immigrantes semblent un peu plus à l’aise avec l’intervention par visioconférence, étant souvent habituées à utiliser ce mode pour communiquer avec leur famille et leurs amis du pays d’origine.

4.2. De nouvelles modalités qui soulèvent plusieurs hypothèses

Les résultats provenant des écrits scientifiques suggèrent que certains éléments de l’intervention psychosociale à distance pourraient avoir des effets sur l’engagement des hommes. D’autres études seront nécessaires pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

En premier lieu, certains éléments semblent prometteurs en matière de pratiques d’intervention. À cet effet, la perception pour les utilisateurs de services d’avoir plus de pouvoir et de liberté (Breton et coll., 2021 ; Norwood et coll., 2018 ; Watts et coll., 2020) pourrait contribuer à l’engagement dans l’intervention chez les hommes qui ont une vision plus traditionnelle de la masculinité. En ce sens, les recommandations en matière d’aide psychosociale auprès de ces individus promeuvent notamment l’engagement des utilisateurs de services par des pratiques collaboratives et une relation de type horizontale avec les intervenants (Roy, 2018 ; Seidler et coll., 2018 ; Tremblay et L’Heureux, 2022). L’atténuation du risque perçu de stigmatisation pourrait également être bénéfique à la demande d’aide des hommes puisque plusieurs soulignent avoir la crainte d’être stigmatisés à la suite du dévoilement de leurs difficultés personnelles ou de leur utilisation des services sociaux et de santé (Pugh et Cheers, 2010 ; Sagar-Ouriaghli et coll., 2020 ; Vogel et coll., 2014). En matière d’accessibilité, la réduction des frais indirects, tels que les frais de transport et de stationnement, pourrait permettre de briser certaines barrières économiques et d’augmenter le recours aux services d’aide chez certains hommes, notamment ceux qui vivent de l’aide sociale (Dupéré et coll., 2016). Il reste cependant que l’accessibilité au matériel informatique requis pour l’intervention à distance entraîne d’autres enjeux d’équité.

En deuxième lieu, d’autres éléments de l’intervention psychosociale à distance pourraient avoir des effets plus négatifs auprès des hommes. Les enjeux de confidentialité que soulève l’intervention à distance pourraient notamment être un frein à l’engagement des hommes. À cet effet, une recherche de Bedi et Richards (2011) montre que les explications de l’intervenant, quant à savoir comment la confidentialité sera respectée, sont parmi les éléments importants qui permettent d’initier l’alliance de travail entre l’intervenant et le client, parfois même davantage que le soutien émotionnel. Or, il ne semble pas y avoir de recherches qui permettraient d’examiner si la littératie numérique des intervenants sociaux permet d’informer adéquatement et de rassurer les hommes quant aux enjeux de confidentialité relatifs à ce mode d’intervention (Almathami et coll., 2020 ; Richardson et coll., 2009 ; Scott-Railton et Marczak, 2020).

En troisième lieu, certains éléments demeurent à documenter dont les effets, en présentiel, d’un meilleur accès au langage non verbal qui exercerait une influence sur l’engagement des hommes, notamment le fait d’avoir un contact visuel, de ne pas s’asseoir derrière un bureau, de sourire, d’être accueilli avec une poignée de main, etc. (Bedi et Richards, 2011). Or, il n’existe actuellement pas de données concernant les comportements à adopter concernant le langage non verbal lors d’interventions par visioconférence auprès des hommes. De plus, si l’intervention permet de rejoindre des individus résidant en milieux ruraux, des questions se posent quant à savoir si ce type d’intervention arrive à rejoindre les hommes résidant dans ces milieux qui ont généralement une vision plus traditionnelle de la masculinité et qui éprouvaient ainsi déjà plusieurs réticences à demander de l’aide en personne (Labra et coll., 2017 ; Roy et Tremblay, 2012).

5. LIMITES DE L’ÉTUDE

Cette étude comporte certaines limites méthodologiques, notamment en ce qui a trait au choix des bases de données. En effet, certains documents pourraient avoir été écartés de l’analyse seulement parce qu’ils n’étaient pas répertoriés dans les bases de données utilisées lors de la collecte de données et non parce qu’ils ne répondaient pas aux critères de sélection. De plus, le choix des critères de sélection peut également avoir eu un impact sur les résultats présentés dans cet article. En ce sens, les critères choisis laissent très peu de place à la littérature grise, qui pourrait être davantage représentative de l’expérience vécue par les intervenants sur le terrain en termes d’intervention psychosociale à distance (Schöpfel, 2015).

6. CONCLUSION

L’urgence sanitaire liée à la pandémie de COVID19 a montré que les intervenants sociaux étaient en mesure de faire preuve de résilience et d’adaptation, malgré l’adversité que cette crise a occasionnée sur leur pratique. Néanmoins, si l’intervention psychosociale à distance est apparue comme une pratique pouvant se substituer à l’intervention en présentiel, cette recherche documentaire montre que les connaissances actuelles sur son utilisation auprès des hommes sont insuffisantes. D’autres recherches seront nécessaires afin de mieux cerner les effets de l’intervention à distance sur ce groupe de population, et ce, en prenant en considération la diversité des masculinités et des vécus des hommes (Roy, Tremblay et David, 2022).