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Condamné à être libre, le traducteur est un décideur.

Ladmiral 2014 : 77

1. Introduction

Enseigner la traduction suppose de recourir à l’illustration par l’exemple, quel qu’en soit le domaine, car toute didactique trouve là sa justification. Alors qu’il y a 20 ans les supports de cours en traduction générale ou spécialisée étaient généralement didactisés par le formateur, leur nature a changé depuis l’arrivée d’Internet dans les salles de cours.

Trouver un bon support de cours en traduction médicale peut s’avérer difficile dans le domaine vaste de la médecine : d’une part, les articles spécialisés côtoient les articles de vulgarisation scientifique, les blogues personnels ou les sites commerciaux sur Internet ; d’autre part, l’accès aux sites et ouvrages de référence est quelquefois limité.

Dans le cadre de la formation dispensée en traduction spécialisée médicale du Master Technologies de la Traduction (TeTra) de l’Université de Lorraine[1], le support de cours choisi est la fiche médicament, c’est-à-dire ce petit feuillet noirci d’écriture, habilement plié et inséré dans la boîte des comprimés (voir Annexe 1 : Pernazène®). Connue de tous et légalement obligatoire[2], cette fiche et ses homologues anglo-saxonnes, la Patient information Leaflet (PIL) au Royaume-Uni, la monographie de produits ou Product monograph au Canada et le Package Insert aux États-Unis, sont devenues la source d’information médicale la plus importante pour le patient profane ou le grand public (Jensen Nisbeth 2013 : 3). Ces fiches réunissent du lexique médical spécialisé d’origine latine ou grecque, dynamique et innovant (Montalt 2011 : 80) et de la langue scientifique générale (LSG) (Pecman 2007). Outre le vocabulaire spécialisé médical s’y trouvent des phrases courtes et de nombreux impératifs : les précautions d’emploi et interactions à éviter sont rédigées sous forme de modalités plus ou moins fortes[3] : le formateur y repère des phénomènes linguistiques exploitables en cours et relevant à la fois de la langue générale et de la langue de spécialité.

Qui plus est, l’intérêt linguistique de cette fiche est double : unilingue, elle sert de base à des exercices de « répétition grammaticale à des fins d’apprentissage », à savoir ce que l’on appelle traditionnellement dans le monde universitaire – et hors de la perspective professionnelle – le thème et la version. Bilingue pour les médicaments commercialisés en dehors de la France, la fiche permet des exercices contrastifs entre le français et l’anglais. Étant formatrice francophone donnant des cours dans une université française, les textes sources sont les notices de médicaments rédigés en français et commercialisés en France.

Notre étude comparative sur les notices de médicaments se limite à quatre pays – la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada – pour des raisons juridiques, linguistiques et commerciales. France et Royaume-Uni possèdent des législations identiques, car tous deux sont membres de l’Union européenne ; États-Unis et Canada possèdent des systèmes similaires à l’Europe en matière d’homologation et de commercialisation des médicaments. De plus, les molécules des principales familles de médicaments sont commercialisées dans ces quatre pays ; enfin, les médicaments y sont vendus avec une notice d’accompagnement. Par son bilinguisme, le Canada permet une consultation bilingue des bases de données et des monographies ; enfin il nous a semblé intéressant de comparer le pragmatisme de la langue américaine du Package Insert et la stylistique des énoncés britanniques dans la PIL.

Il peut paraître contradictoire d’associer zones d’incertitude et traduction médicale dans le titre de cet article ; « les textes médicaux touchent au vivant de par leur nature » (« given the life and death nature of medical texts »[4]) et l’incertitude n’a pas sa place. Nous avançons cependant que ces zones naissent de la confluence de trois phénomènes : l’expression linguistique choisie dans ces fiches, le domaine de spécialisation (anglais de spécialité ASP ; English for Specific Purpose ESP) et la nature même du support. Seule une didactique rigoureuse combinant des approches méthodologiques (traductionnelle et de recherche de l‘information) adaptées et intégrant la fonction communicative de la traduction professionnelle peut dissiper ces incertitudes ; le but visé est de produire une bonne traduction, celle que le locuteur de la langue cible pourrait lire.

Les évaluations des traductions des apprenants mettent en exergue des incertitudes de traduction : tel est notre point de départ. Au fur à mesure de notre démonstration sont apparues en filigrane des inadéquations multiples relatives à la formation des apprenants et à celle de leurs formateurs nous permettant d’affirmer que :

Personne ne contestera que la traduction médicale, c’est-à-dire celle qui s’attache à des textes de médecine spécialisés écrits par des experts du domaine pour d’autres experts ou, à tout le moins, d’autres médecins, relève d’un enseignement particulier, dissociable de la pédagogie de la traduction générale.

Balliu 2005 : 67

2. Quelques définitions liminaires

2.1. La traduction médicale est une traduction spécialisée

La traduction médicale fait partie des 25 domaines de traduction technique ou spécialisée recensés par la SFT[5], Syndicat national français des traducteurs professionnels. Elle est universellement considérée comme l’un des champs les plus anciens de la traduction spécialisée. Comme elle touche à l’humain, elle occupe une place unique dans les sciences :

Medical translation is the most universal and oldest field of scientific translation because of the homogenous ubiquity of the human Body (the same in Montreal, Mombasa and Manila) and the venerable history of medicine.

Fischbach 1986 : 16

Et ce caractère unique est souvent masqué par la technicité de sa terminologie et l’étendue de ses domaines connexes, telles qu’énoncées par Montalt dans le Handbook of Translation Studies :

Traditionally, medical translation has been viewed mainly in terms of highly specialized texts and the terminological problems posed by them. […] Medical translation refers to a specific type of scientific and technical translation that focuses on medicine and other fields closely related to health and disease such as nursery, public health, pharmacology, psychiatry, psychology, molecular biology, genetics and veterinary science.

Montalt 2011 : 89

2.2. La traduction médicale est une traduction professionnelle

Nul n’est besoin de rappeler ici les divergences communément admises entre traduction universitaire et traduction professionnelle. Nous choisissons de ne retenir que l’élément le plus discriminant : le client. Cet agent central dans la traduction professionnelle est absent des formations universitaires en traduction. Il fait cependant partie intégrante du processus de traduction professionnelle décrit par Montalt et Gonzáles-Davies (2007 : 23) : parmi la dizaine d’étapes que compte ce processus, le client intervient en début de traduction (analyse des besoins), au milieu du processus (relecture de la traduction) et en fin de traduction (livraison). La présence du client, intermédiaire et relecteur, renforce la visée communicative de la traduction professionnelle : celle-ci est lue par un client – qui l’approuve on non – avant d’être lue par d’autres publics.

2.3. La traduction médicale a une visée communicative

La visée communicative de la traduction professionnelle est également une caractéristique divergente par rapport à la traduction universitaire. Ladmiral (2015) parle de la « détraductivisation » du texte dans les exercices de traduction universitaire pour indiquer que le but visé n’étant pas la production lisible d’un texte, mais une déstructuration à des fins pédagogiques.

La visée communicative de la traduction médicale est explicitée dans la théorie fonctionnaliste de Nord (1997/2008 : 29) : « Les traducteurs facilitent la communication entre les membres de communautés différentes. »

2.4. La traduction médicale et l’apprenant-traducteur médical 

En matière de formation – et quel que soit le pays –, la traduction médicale soulève une première interrogation portant sur le statut du traducteur médical : faut-il avoir reçu une formation en médecine ou en anglistique pour pouvoir traduire de l’anglais médical ? Les opinions sur la formation du traducteur médical divergent :

Dans le secteur médical plus que dans beaucoup d’autres secteurs scientifiques et techniques, les donneurs d’ouvrages exigent souvent que les traductions soient faites par des spécialistes, voire des médecins spécialistes qui se limiteraient à leurs seules spécialités : les non-spécialistes, a fortiori les non-médecins, sont jugés incapables de réaliser des traductions correctes.

Gile 1986 : 26

Elles sont aussi la base de différenciation en formation universitaire : ainsi Lee-Jahnke (2005) s’appuie sur sa riche expérience de formatrice en traduction à la Faculté de traduction et d’interprétation à l’Université de Genève pour distinguer deux groupes de traducteurs médicaux :

Who is likely to become a competent medical translator ? By and large, translators fall into two categories of people : those with a medical background (medical students and physicians), and good translators genuinely interested in medicine. Both have advantages and drawbacks. Persons in the first category understand the subject matter but lack translation techniques. Those in the second must acquire specialized knowledge and therefore need more feedback from the medical community.

Lee-Jahnke 2005 : 81

Et de conclure que le bon traducteur maîtrise davantage la méthodologie de la traduction que le spécialiste du domaine : « But my own experience has shown that a good translator, i.e. one who masters the technique of translation, research and documentation, will, by and large, produce a better translation » (Lee-Jahnke 2005 : 81). Intégrer une double compétence dans le cursus de formation de traduction professionnelle est une solution à cette interrogation pour Ladmiral (2014 : 218), qui mentionne l’exemple de l’ISIT et sa filière formant des juristes-linguistes.

La traduction médicale est également un exercice de rédaction – scientifique – dans l’autre langue. Le traducteur tisse des liens entre concepts et connaissances : Kussmaul (1995) fait ainsi la différence entre connaissance factuelle et connaissance procédurale ou de rédaction :

Factual knowledge, i.e. knowledge of special fields, special terminology and foreign languages, is undoubtedly an essential requirement for translators. But it is not enough. We often come across texts involving experts sharing the same language which are hard to understand even by other experts, because these texts lack for instance a coherent logical structure or fail to rouse and hold the reader’s interest. The people who produced these texts knew what they were writing about, but they did not sufficiently know how to write.

Kussmaul 1995 : 1

En conclusion, la traduction médicale n’admet aucune incertitude, mauvaise interprétation du texte source ou inexactitude terminologique ou syntaxique dans le texte cible :

The medical translator’s priority is to deal adequately with factual complexity and accuracy. Gaps in the translation medical knowledge of the different specialties often give rise to comprehension problems.

Montalt et Gonzáles Davies 2007 : 20

2.5. Traducteurs médicaux professionnels et incertitudes

Dans leur activité professionnelle quotidienne, les traducteurs sont pourtant confrontés à des incertitudes. Les nombreuses questions postées sur les listes de diffusion d’associations de traducteurs[6] ou posées lors de colloques de traduction[7] en sont les témoins :

  • Comment traduire le calendrier des vaccinations de l’anglais vers le français ?

  • Certains médicaments sont en vente libre dans certains pays alors qu’ils sont délivrables uniquement sur prescription médicale dans d’autres. Comment rendre compte de cette législation différente ?

  • Comment exprimer le concept de majorité médicale en français ?

Outre leur expérience et « une conscience intuitive du fonctionnalisme » (Nord 1997/2008 : 56), les traducteurs expérimentés utilisent l’équivalence, en se basant sur leur longue pratique (Meertens 2014 : 9) pour lever ces interrogations. Nord la définit comme :

[une] relation de valeur ou de finalité communicative égale entre un texte source et un texte cible, ou bien, au niveau des mots, des syntagmes, des phrases, des structures syntaxiques (etc.) entre une langue source et une langue cible (comme pour la linguistique contrastive).

Nord 1997/2008 : 164

Une autre stratégie des traducteurs professionnels est l’adaptation ou la tradaptation[8] : calquer le mot source dans la langue cible (Ladmiral 2014 : 123) est une pratique courante[9] des traducteurs quand le mot source correspond à une impasse traductionnelle ; le traducteur peut aussi traduire l’étrangeté[10] de la langue source par un mot ou collocation étrange dans la langue cible, pour « préserver son exotisme […] son irréductible étrangeté » (Bensimon 1990). Cette solution possible à l’intraduisible[11] se rencontre de plus en plus fréquemment.

2.6. La traduction médicale comme source d’incertitude linguistique en cours

La traduction professionnelle médicale introduite dans nos cours crée des incertitudes démultipliées car nos apprenants sont des spécialistes en anglais et néophytes en langue médicale. Lors de la première évaluation sur table, ils expriment oralement et spontanément leurs doutes en connaissances médicales (exemples 1 à 3 ci-dessous) et en choix de traduction (exemples 4 à 6)[12] :

  1. Je ne comprends pas les termes médicaux du texte source.

  2. Faut-il utiliser des mots latins ou grecs en anglais médical ?

  3. Je ne connais pas l’équivalence de ce mot en anglais médical.

  4. J’ai peur de me tromper dans mes choix de traduction.

  5. Je ne suis pas sûre du sens du texte source.

  6. Le sens exprimé dans ma traduction n’est peut-être pas le bon.

Ces doutes cachent en fait l’incertitude des apprenants sur leur capacité à traduire la langue médicale. Il est indéniable que la liste des compétences requises pour traduire professionnellement s’allonge : de linguistes, ils deviennent spécialistes et rédacteurs.

2.6.1. L’incertitude chez les apprenants

L’incertitude devant une ambiguïté de traduction n’est généralement pas appréciée de nos apprenants et déclenche, d’expérience, deux types de réactions : un premier groupe émet le désir de se voir expliquer une recette miracle, savamment dosée de conseils implacables, panacée contre les maux traductionnels ; le second groupe, plus rusé, se dit qu’il doit être possible de se lancer dans une « chasse au trésor de la bonne traduction, celle dont on pourrait rêver » (Ladmiral 2016), celle qui doit exister quelque part sur Internet.

Le Dictionnaire de français Larousse en ligne définit l’incertitude comme « état de quelqu’un qui ne sait quel parti prendre, ou état plus ou moins préoccupant de quelqu’un qui est dans l’attente d’une chose incertaine[13] ». Leclerc-Olive (2014) définit l’incertitude comme un concept dual : « le doute et l’aléatoire sont les deux versants de l’incertitude », distinguables, mais non séparables dans les faits :

[…] la notion d’incertitude doit être prise dans son acception la plus large possible (Morin 1981) et retenue d’abord pour sa capacité à signifier à la fois le doute, l’indécision, l’hésitation – « je viendrai probablement », « il est possible que je vienne », etc. – et l’aléatoire – le fortuit, le probable, le possible, le vague, l’imprécis, etc. – articulant ici les modalités et l’indétermination de la référence. L’incertitude porte autant sur le contenu des énoncés – vague, flou, aléatoire, imprécis… – que sur la confiance dans ces énoncés : « il est vraisemblable qu’il pleuve demain », « je crois que l’indice du CAC 40 va plonger », « il se peut que la France perde son triple A ».

Leclerc-Olive 2014 : 71

Ainsi transposé à la traduction médicale, le doute pourrait être celui du traducteur face au texte à traduire, à sa situation de traducteur et à sa confiance en lui-même, alors que l’aléatoire reposerait sur le contenu même du texte et son interprétation, qu’il s’agisse du texte source ou cible. Doute et aléatoire s’uniraient en zones d’incertitude portant autant sur les compétences linguistiques et traductionnelles de l’apprenant que sur ses compétences en vocabulaire spécialisé ou linguistiques.

En milieu universitaire, ces incertitudes sont perçues par l’apprenant comme des éléments déstabilisants. Cependant, elles pourraient être perçues comme des « interstices de possibilités et de pouvoirs[14] », générant la création « There is a crack in everything, that’s how the light gets in[15] » et/ou la liberté : « condamné à être libre, le traducteur est un décideur » (Ladmiral 2014 : 77). C’est « la prise de décisions informationnelles et linguistiques dans la rédaction du texte d’arrivée » (Gile 2005 : 16) qui crée l’incertitude chez nos apprenants. Le travers à éviter est la précaution, car la traduction professionnelle est :

[…] a balance between risk-taking and prudence when translating, and between being perseverant and capitulating while being under real life constraints such a time, space, money, equipment, fault originals and difficult clients, and so on.

Montalt et Gonzáles Davies 2007 : 14

2.6.2. L’incertitude dans les copies des apprenants

Lors du premier semestre de master 2e année TeTra, les apprenants suivent des cours magistraux en traduction spécialisée (10 heures), suivis de travaux dirigés en salle équipée d’ordinateurs (20 heures) leur permettant d’appliquer différents éléments méthodologiques ; les évaluations en contrôle continu sur table[16] sont organisées toutes les trois semaines. Les résultats de deux de ces évaluations sont présentés dans cet article : la première a eu lieu en début de formation et fait office d’état des lieux (voir partie 5). Le barème commun suivant[17] est appliqué :

Tableau 1

Types d’erreurs et points fautes

Types d’erreurs et points fautes

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Ce barème est appliqué stricto sensu dans les copies de la première évaluation et correspond aux définitions traditionnellement utilisées chez les formateurs universitaires français (Éluerd 1972). Dans nos copies, la répartition des fautes est la suivante :

Ponctuation/orthographe

4 copies sur 18 contiennent ce type d’erreur (soit 22,2 %),

Inexactitudes/petits faux sens

15 copies sur 18 (soit 83,3 %),

Grammaire

3 copies sur 18 (soit 16,6 %),

Modalité

9 copies sur 18 (soit 50 %),

Contresens

1 copie (soit 5,5 %),

Barbarismes

1 copie (soit 5,5 %),

Non-sens

1 copie (soit 5,5 %).

Nous avons choisi d’étudier les erreurs statistiquement les plus élevées dans les copies des apprenants en traduction médicale sur une période de cinq ans ; le même protocole de programme de cours (cours magistraux, travaux dirigés), d’évaluations (un contrôle continu toutes les trois semaines) et de supports de cours (notice de médicaments) a été suivi. Il ressort qu’en début de formation, la modalité et son expression sont incorrectement traduites dans une copie sur deux ; les inexactitudes et calques lexicaux en vocabulaire spécialisé médical sont présents dans la quasi-totalité des copies de nos apprenants.

Continuons notre démonstration en examinant le support de cours utilisé, la fiche médicament : est-elle source d’incertitudes par sa forme rédactionnelle ou par son vocabulaire spécialisé ?

3. La fiche médicament : sa nature, sa fonction et son utilisation en cours

3.1. Qu’est-ce qu’une fiche médicament ?

Deux appellations, notice et fiche médicament, cohabitent en langue française ; nous choisirons indifféremment l’une ou l’autre dans cet article. Pour le Royaume-Uni, nous utiliserons le terme de PIL (Patient information Leaflet), monographie au Canada francophone, monograph au Canada anglophone et Insert aux États-Unis.

La fiche destinée au patient est délivrée lors de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en France. Le principe d’homologation et de rédaction des PIL, monographies et package inserts est similaire dans les trois pays anglophones (ou partiellement anglophones) de notre étude. Les agences homologues de l’ANSM sont la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA) au Royaume-Uni ou l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS)/The Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health (CADTH) ou encore Santé Canada/Health Canada pour le Canada.

3.2. Quelle est la fonction de la fiche médicament ?

Outil essentiel de référence pour le malade (Jensen Nisbeth 2013 : 3), la rédaction de la fiche obéit à un texte-cadre énumérant mentions obligatoires et réglementaires et répondant à des impératifs dictés par les organismes sanitaires de chaque pays :

la notice destinée au patient présente l’essentiel des informations du RCP dans un vocabulaire plus accessible, à savoir la dénomination du médicament, la composition qualitative et quantitative, la forme pharmaceutique, les informations sur les indications thérapeutiques, contre-indications, modalités d’utilisation (la posologie, la voie d’administration), la population cible (par exemple, adultes à l’exclusion des enfants ou femmes enceintes) et les effets indésirables d’un médicament[19].

Sur le site canadien de Santé Canada/Health Canada, il est indiqué que « la partie III de la monographie de produit, Renseignements pour le consommateur, fournit de l’information complète et suffisante sur le produit »[20] ; de leur côté, les Package inserts américains :

follow a standard format for every medication and include the same types of information. Different manufacturers may have different titles for their sections, however, to make them easier for the average person to read and comprehend – for example, instead of « Contraindications » the section may be headed, « Who should not take this medication ? »[21]

Pour le Royaume-Uni, « every medicine pack includes a patient information leaflet (PIL), which provides information on using the medicine safely. PILs are based on the Summaries of Product Characteristics (SPCs) which are a description of a medicinal product’s properties and the conditions attached to its use[22] ».

3.3. Quelle terminologie est utilisée dans la fiche ?

Quelle que soit la langue, la fiche, PIL, insert, ou monographie est un document de vulgarisation scientifique, utilisant une langue plus simple adaptée à un large public[23].

3.4. Quelles rubriques figurent dans la fiche ?

La fiche suit un cadre de rédaction strict et normalisé, ponctué d’obligations et d’interdictions. Les différentes rubriques constituent la base d’informations et de thésaurus médicaux mis en ligne par l’ANSM. C’est sur ce site que nous avons trouvé un tableau qui énumère les différents niveaux d’interaction médicamenteuse et exprime la conduite à tenir sous forme d’énoncés modalisés :

Tableau 2

Les différents niveaux d’une interaction

Les différents niveaux d’une interaction

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La modalité étant source d’incertitudes chez nos apprenants, ce tableau que nous avons didactisé s’est imposé dans notre formation en traduction médicale :

Tableau 3

Les différents niveaux d’une interaction et mots clés d’énoncés modalisés

Les différents niveaux d’une interaction et mots clés d’énoncés modalisés

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3.5. La fiche comme support de cours en traduction professionnelle

L’arrivée d’Internet dans les salles de cours et son intégration plus ou moins grande dans les formations – par exemple en traduction professionnelle – a bousculé l’organisation du cours dans laquelle le formateur en contrôlait le déroulement et son contenu ; le support de cours, auparavant didactisé et unique, a vu sa nature évoluer vers la multiplicité et l’accessibilité. De plus, la traduction s’est « matérialisée » (Ladmiral 2016) car une traduction idéale de tout ou partie du document proposé comme support de cours doit se trouver sur Internet.

La fiche utilisée dans notre cours n’échappe pas à cette évolution ; une didactique repensée doit intégrer les avantages et limites pédagogiques liés à ce support (Popineau 2016) qui est :

  • authentique ;

  • accessible et gratuit (sous forme papier ou numérique sans accès réglementé) ;

  • court ;

  • pluriel (en grand nombre) ;

  • révisé (les mises à jour sont légalement régulièrement effectuées).

Mais toute médaille a son revers : l’aura de ce support numérique multiple idéalisé est ternie par la profusion d’exemples de fiches erronées, de traductions incorrectes, mal rédigées ou fantaisistes que l’on trouve sur Internet. L’incertitude chez nos apprenants se nourrit également de cette richesse anarchique. Leur donner des outils méthodologiques permet-il de lever les ambiguïtés ?

4. Outils traductionnels et méthodologiques : état des lieux

4.1. De quels outils traductionnels disposent nos apprenants ?

Sur le plan théorique, nos apprenants disposent d’un acquis de formation plus ou moins lacunaire, plus ou moins complet suivant leur cursus universitaire. D’expérience, nous distinguons deux groupes d’apprenants selon leurs formations aux approches traductionnelles. Le premier groupe constitué d’apprenants issus de la filière LEA (langues étrangères appliquées) se sont vu expliquer toute ou partie de l’approche stylistique de Vinay et Darbelnet (1958) en L1 dans les séances de travaux dirigés ou TD d’initiation à la version par exemple ; le second groupe issu des filières LLCER (Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales) a étudié, outre l’approche de Vinay et Darbelnet (1958), complétée par Chuquet et Paillard (1989), la traduction générale complétée d’une approche traductologique adaptée à la traduction littéraire (Quivy 2010).

4.1.1. Pour certains de nos apprenants, la traduction est une technique

Stylistique comparée du français et de l’anglais (Vinay et Darbelnet 1958) est « un ouvrage de stylistique comparée » et « une méthode de traduction ». Le passage du français à l’anglais et vice-versa y est décrit comme un mécanisme de stylistique comparée : « la stylistique comparée part de la traduction pour dégager des lois ; le traducteur utilise les lois de la stylistique comparée pour bâtir sa traduction » (Vinay et Darbelnet 1958 : 5).

Les procédés de traduction décrits confèrent une technicité à l’activité traduisante, qui se résume en sept opérations linguistiques (emprunt, calque, traduction littérale, transposition, modulation, adaptation et équivalence).

De leur côté, Chuquet et Paillard (1989) ont concentré leur analyse sur la transposition (changement de catégorie syntaxique) et la modulation (changement de point de vue) qu’ils décrivent comme « [procédés] généraux dans toute démarche de traduction » ; les autres procédés renvoient à une problématique grammaticale ou lexicale plus générale :

l’emprunt et le calque sont rarement des procédés de traduction à proprement parler mais se trouvent généralement intégrés au lexique ; l’équivalence n’est pas autre chose qu’une modulation lexicalisée, bien illustrée dans la correspondance entre les proverbes d’une langue à l’autre ; quant à l’adaptation, il paraît difficile de l’isoler en tant que procédé de traduction, dans la mesure où elle fait entrer en jeu des facteurs socioculturels et subjectifs autant que linguistiques.

Chuquet et Paillard 1989 : 10

Identifier les différents procédés utilisés dans des textes présentant des avantages pédagogiques certains, quoique limités : d’expérience, il est quelquefois difficile de classer sous un procédé une traduction.

4.1.2. Pour d’autres, la traduction met à jour les problèmes que pose le texte

L’approche traductologique de Quivy (2010) ou « délimitation des opérations de traduction » propose une réflexion sur le « comment traduire » adaptée à un public d’apprenants anglicistes :

la réflexion traductologique couplée au thème ou à la version vise à décrypter les opérations mentales qui conduisent à privilégier certains choix dans le passage d’une langue à l’autre. Mettre à jour les problèmes que pose le texte est une étape incontournable.

Quivy 2010 : 5

Les phénomènes linguistiques du texte à traduire sont analysés de façon détaillée et comparés aux structurations syntaxiques dans l’autre langue. Cette approche s’appuie sur les savoir-faire autant que sur le savoir. Cinq règles essentielles (fidélité, rigueur, justesse, mesure et correction) sont données afin de :

faire vrai, c’est-à-dire donner du texte source une représentation qui soit la plus fidèle possible et de permettre en langue d’arrivée de ressentir la même émotion littéraire que lors de la lecture de la page dans la langue de départ.

Quivy 2010 : 6

Cette approche surtout enseignée dans les filières littéraires a une visée pédagogique de vérification des connaissances (linguistiques, grammaticales, syntaxiques) par un inventaire précis des éléments constitutifs du passage à traduire. Par ailleurs, la backtranslation ou rétrotraduction est conçue comme un test de vérification « se prouvant que l’on n’avait pas d’autre solution » (Quivy 2010 : 6).

4.1.3. Traduction universitaire et traduction professionnelle

Cette base traductionnelle hétérogène masque en fait un point essentiel : la traduction enseignée à nos apprenants est « universitaire » et non « professionnelle » ; Gile (2005 : 7-12) montre combien la didactique de la traduction professionnelle diverge par ses outils, ses buts, son savoir et son savoir-faire, ce qui fait dire à certains auteurs que « la traduction professionnelle n’a absolument aucun rapport avec le thème et la version » (Gouadec 2002 : 2). Notre expérimentation menée sur deux phénomènes abonde dans le même sens.

4.2. De quels outils méthodologiques disposent nos apprenants ?

Lors de la première séance de TD en salle équipée, il est demandé aux apprenants de traduire un premier texte d’étude ; outre la traduction (mise en forme sur un logiciel de traitement de texte), chaque apprenant doit créer une sitographie, c’est-à-dire copier/coller les sites et outils utilisés pour sa première traduction en bas de sa copie. Le formateur constate que les apprenants utilisent pratiquement exclusivement des dictionnaires et programmes de traduction automatique ou en ligne, tels WordReference, Reverso, Linguee et Google Translate. Peu d’apprenants ont consulté des articles scientifiques bilingues ou unilingues pour leur recherche.

4.3. Les outils linguistiques, méthodologiques et traductionnels des formateurs

La traduction enseignée dans les premiers cycles universitaires français est essentiellement une traduction universitaire à des fins d’apprentissage et de répétition grammaticale. Les formateurs sont titulaires d’un concours (CAPES[24] ou agrégation) ou d’une thèse en langues leur permettant d’être recrutés comme PRAG (professeur agrégé), maîtres de conférences ou professeurs des universités ; certains formateurs universitaires ont toutefois un parcours de traducteur professionnel antérieur. Des traducteurs professionnels interviennent comme vacataires extérieurs dans différents modules d’enseignement, comme c’est le cas dans le Master de notre étude. L’enseignement universitaire français est généralement peu professionnalisé et le nombre d’intervenants professionnels extérieurs limité.

5. Première expérimentation : la traduction d’énoncés médicaux

5.1. Méthodologie

La première évaluation notée est la fiche unilingue du Pernazène® (voir Annexe 1). Les apprenants composent en temps limité, disposent d’Internet et rendent une copie électronique envoyée au formateur.

Les productions authentiques de nos apprenants sont données ; elles sont précédées de (STYL) lorsque les traductions se rapprochent de l’approche stylistique de Vinay et Darbelnet et de (TRADUC) lorsque les énoncés illustrent une réflexion traductologique complétant la traduction ; les deux propositions ne sont pas toujours identifiables pour tous les exemples, et les 18 propositions ne sont pas toutes données, car les similitudes sont nombreuses.

L’énoncé précédé de (OXY) reprend le texte d’une ou de plusieurs fiches médicaments en anglais trouvées sur Internet par le formateur. À des fins didactiques, l’exemple (OXY) est présenté aux apprenants comme proposition de traduction lors du rendu des copies. Notre méthodologie de mise en parallèle de plusieurs propositions permet de mettre en valeur certains éléments : la traduction est le témoin d’une démarche ou d’une stratégie et non une preuve complète.

5.2. La fiche médicament en quelques chiffres et éléments syntaxiques

Un comptage simple des occurrences sur la fiche du Pernazène® permet de dire que la fiche contient :

  • des phrases simples (seuls 5 subordonnants ont été relevés dans un texte qui compte 78 phrases avec formes verbales conjuguées et 80 énoncés sans verbe, de type énumération ou rubrique) ;

  • des phrases hétérogènes en longueur (bien que la phrase moyenne contienne 11 mots, les symptômes sont décrits en de longues listes coordonnées, comptant jusqu’à 64 mots pour la phrase la plus longue) ;

  • des formes impératives (12 formes relevées sur 78 phrases avec verbe conjugué, soit 15 %) ;

  • des formes infinitives (19 infinitifs sont relevés, soit 24,4 %) ;

  • des questions impersonnelles (12) ;

  • des énumérations de symptômes (5), formant 45 lignes de texte (sans verbe conjugué) ;

  • des rubriques (6) et sous-rubriques (25), nombreuses car légalement obligatoires.

Il est évident que ces éléments formels sont dépendants du type de support de cours (voir section 3.4). Certaines caractéristiques sont illustrées ci-dessous.

5.3. Premiers exemples de traductions – la phrase d’introduction de la fiche

Notre premier exemple complet se présente comme suit :

(1) est la phrase introductive de toute notice de médicament. La proposition (1 STYL) est une traduction maladroite littérale du texte source. Nous utilisons les conventions d’agrammaticalité dans cet article, selon lesquelles « l’astérisque [est utilisé] pour les phrases agrammaticales, le point d’interrogation suivi de l’astérisque pour les phrases douteuses » (Abeillé 1993 : 4).

(1 TRADUC) est correct et propose quelques modifications syntaxiques ; une détermination (all of the leaflet) et une collocation (to take a medicine) sont utilisées.

Dans (1 STYL) et (1 TRADUC), la formule « Veuillez » est traduite par Please.

(1 OXY) est le texte trouvé dans un package insert : il s’agit d’une forme directe impérative ; le déictique (this) à l’écrit renforce l’ancrage dans la situation d’énonciation, amorcé par you.

De toute évidence, (1 STYL) a été réalisée grâce aux dictionnaires bilingues en ligne ou programme de traduction automatique qui proposent des transferts terme à terme sans contextualisation ni champ sémantique.

5.4. Les formes impératives et infinitives françaises représentent près de 40 % des énoncés de cette fiche.

Le deuxième exemple porte sur une autre source d’incertitude liée à la forme impérative :

(2) est un exemple de précaution d’emploi exprimée par un infinitif. Il est à noter que les notices de médicament françaises mélangent formes impératives et infinitives sans cohérence générale ; cette remarque alimente le débat sur la qualité du document source, qui dans notre cas contient également des fautes de grammaire.

(2 STYL) est une traduction littérale dont la grammaticalité est douteuse et le sens incomplet : l’adverbe est maladroitement choisi ou ambigu, « usage nasal » a disparu. L’infinitif est traduit par un impératif ; cependant, ce choix de traduction est correct car les deux formes sont équivalentes en anglais médical.

(2 TRADUC) est grammaticalement acceptable en anglais. Les apprenants n’ont pas su comment traduire « trop longtemps », ni où le rattacher dans la phrase : son sens et sa portée sont incertains. Cette incertitude, interne à la rédaction de la fiche en français, les a poussés à rajouter une relative which has been opened, dont le but était de lever tout doute. L’absence de ponctuation autour de la relative (qui devient déterminative [voir Adamczewski 1993 : 324]) entraîne une ambiguïté sémantique avec deux lectures possibles ; cette relative est considérée comme une sur-traduction en approche sourcière.

(2 OXY) introduit des éléments pragmatiques absents du texte français (nombre de jours), pourtant essentiels dans le cas d’un médicament à durée de conservation limitée. L’ajout de first permet de rendre le sens inchoatif d’« entamer ».

Dans (3) l’adverbe de fréquence « jamais » est traduit par never (3 STYL) et par not dans (3 TRADUC). Il est à noter que les adverbes de fréquence sont numériquement peu nombreux dans les fiches françaises : notre exemple compte deux occurrences de « jamais ». Dans les package inserts, ces adverbes de fréquence sont également absents ; seul l’adverbe de manière carefully apparaît en (1).

Les trois énoncés (OXY) utilisent une stratégie différente de rédaction, teintée de pragmatisme absent des productions de nos apprenants ; la fonction du support et sa visée communicative sont intégrées au message.

5.5. La fiche médicament et les énoncés modalisés

Les fiches médicaments contiennent des listes et rubriques d’interdictions et de mises en garde (voir section 3.4) ; les nombreux faux sens repérés dans les copies portent sur la traduction de la modalité de ces interdictions et mises en garde (voir section 2.6.2 et section 3.4.).

Dans son chapitre préliminaire sur la classe des modaux, Adamczewski écrit :

les modaux anglais constituent un ensemble d’outils de premier ordre pour l’opération de modalisation par laquelle l’énonciateur manifeste sa présence au sein des énoncés qu’il construit. (Adamczewski 1993 :141)

Il explique également la pauvreté du système modal stricto sensu français par une modalisation externe fréquente : il met ainsi en relation deux énoncés modalisés exprimant une hypothèse : « il se peut que » et « il y a de fortes chances » (Adamczewski 1993 : 141).

À des fins pédagogiques, nous adoptons la même démarche d’appariement entre modalité externe française et modalité interne anglaise ; l’Annexe 2 regroupe les énoncés modalisés de la fiche appariés.

Appliquée à nos exemples, nous relevons les productions suivantes :

où (4 STYL) exprime une forte modalité avec might qui est absente en (4 OXY). Adamczewski met en parallèle might et could et indique que :

might et could pourront renvoyer au passé révolu. Ils pourraient s’appliquer au présent d’énonciation et par conséquence entrer en concurrence avec may et can. En outre, on les trouvera dans des énoncés hypothétiques explicites où ils perdront leur valeur dite conditionnelle.

Adamczewski 1993 : 162

(4 OXY) exprime une lecture ancrée dans le moment d’énonciation ; la valeur hypothétique forte de might est perdue : toute hypothèse, créant du doute, est contradictoire avec le but de la fiche.

Dans (5 STYL) l’hypothèse est traduite correctement ; cependant les problèmes de lexique spécialisé sont nombreux, la traduction littérale est privilégiée dans cette copie.

(5 OXY) montre à nouveau une visée communicative nette ; les liens logiques sont renforcés par as qui établit une concomitance (Deléchelle 2004 : 129), ou une accompanying circumstance combinant cause et temporalité (Quirk, Greenbaum et al. 1985 : 1105).

(6 STYL) et (6 TRADUC) donnent deux degrés différents de modalité forte. Adamczewski mentionne un must pragmatique comme « porteur du sens d’obligation » ; d’autre part, should a un effet de sens de conseil, de recommandation (Adamczewski 1993 : 158) ; la fiche en anglais (6 OXY) ne mentionne pas le conseil, mais reprend l’obligation avec une forme impérative do not use, ne créant aucun doute chez le patient.

Nous pourrions multiplier les exemples d’énoncés modalisés. De toute évidence, les approches stylistique et traductologique (STYL) et (TRADUC) montrent leurs limites dans ce type de traduction ; les apprenants se rendent compte du décalage entre la grammaticalité que les exercices de thème et version leur ont imposé au cours de leur premier cycle universitaire et la stratégie particulière à mettre en place en traduction.

La limite des approches stylistique et traductologique est encore plus flagrante quand il s’agit de traduire du vocabulaire spécialisé médical :

(7 STYL) et (7 TRADUC) privilégient une correspondance de registre entre la langue source et la langue cible : en français, rhinite et sinusite sont des termes de spécialité et les apprenants ont opté pour des termes latins. En anglais médical, ces termes savants d’origines latine et grecque sont rarement utilisés, que ce soit par le grand public ou les spécialistes du domaine, la langue anglaise préférant utiliser le terme d’origine anglo-saxon[25] (Jensen Nisbeth 2013).

Les propositions (OXY) sont présentées aux apprenants comme productions réelles. L’inadéquation de la formation des apprenants devant un cas de traduction professionnelle apparaît en filigrane lors de notre première expérimentation.

6. Vers une nouvelle didactique de la traduction professionnelle ?

6.1. Repenser les outils méthodologiques de recherche de l’information

Revenons à notre première évaluation. La « chasse au trésor », annoncée par Ladmiral (2016), c’est-à-dire la recherche de la traduction matérielle idéale sur Internet (voir section 2.1), ne s’est pas produite chez nos apprenants. Une bonne maîtrise de la recherche documentaire aurait permis à nos apprenants de constater que le Pernazène® n’est pas disponible sous ce nom commercial aux États-Unis et au Canada, mais que d’autres médicaments utilisant la même molécule, l’oxymétazoline[26], y sont commercialisés. De plus, la traduction matérielle idéale, à savoir la notice d’Afrin® en anglais, produit homologue vendu aux États-Unis, est offerte sur Internet.

La stratégie de traduction est surtout une stratégie de recherche d’informations (Lee-Jahnke 2005). Apprendre aux apprenants à manipuler Google et sa syntaxe de requête est une première étape pour ne conserver que les sites fiables : l’évaluation des sources d’information fait partie du savoir-faire des traducteurs (Gile 2005 : 16). Renforcée par GoogleScholar, sous-domaine ne référençant que des articles scientifiques, la lecture documentaire, c’est-à-dire la lecture d’articles scientifiques parallèles en langue étrangère, se met en place. Les apprenants acquièrent ainsi une base de connaissance factuelle spécialisée. Ils ont toutefois besoin d’échanges intensifiés avec la communauté médicale (Lee-Jahnke 2005) qui vont être largement facilités chez des apprenants hyper connectés. L’intérêt pour l’objet médical est l’un des critères essentiels en traduction médicale pour Lee-Jahnke (2005) qui se complète de trois autres critères permettant d’atteindre la maîtrise ou proficiency en traduction médicale :

  1. An interest in this special field.

  2. A mastery of special reading skills for medical texts to identify their difficulties.

  3. Familiarity with the general difficulties in the realm of medicine and the ability to tackle them appropriately with LSM-based approaches.

  4. A mastery of research and documentation. (Lee-Jahnke 2005 : 82)

6.2. Est-ce facile d’enseigner la traduction médicale ?

À la manière d’une recette précise, Lee-Jahnke (2005) énumère les ingrédients de la didactique de la traduction médicale : les prérequis méthodologiques, les quatre étapes de la lecture méthodique du texte, les écueils en traduction médicale ainsi que les points d’entrée en lecture documentaire sont exposés clairement et constituent une base solide pour notre propre formation et la formation de nos apprenants.

L’approche théorique développée est la théorie du Skopos (Reiss et Vermeer 1984) et la théorie fonctionnaliste développée par Nord (1997/2008). La notion centrale de fonction trouve une application intéressante dans nos exemples.

6.3. Approche fonctionnaliste et traduction médicale

La théorie de Nord (Nord 1997/2008) fait entrer dans le domaine de la traduction le contexte extérieur et accorde une place importante à la fonction communicative de la traduction : Nord définit la traduction comme une action ciblée qui, comme toute action, est effectuée dans un but. Cette approche adopte comme guide la fonction communication du texte cible, alors que « pour Reiss le texte source doit être le critère le plus important dans la prise de décisions par le traducteur » (Nord 1997/2008 : 24).

Comme la notion de fonction est centrale dans la théorie de Nord, un modèle traductionnel est donné, fondé sur quatre types de fonctions fondamentaux :

  • la fonction référentielle comprend la référence aux objets d’un monde réel ou fictif ; elle est également appelée fonction informative ;

  • la fonction expressive se réfère à l’attitude de l’émetteur du texte envers les objets du monde et se subdivise en fonction émotive ou fonction évaluative, en autres ; les connotations différentes selon les cultures peuvent s’y retrouver ;

  • la fonction appellative amène le récepteur à réagir directement ou indirectement par le biais de phénomènes stylistiques (questions rhétoriques ou formes impératives invitant le lecteur) ;

  • la fonction phatique vise à établir le contact entre l’émetteur du texte et le récepteur. (Nord 1997/2008 : 56)

Ce modèle appliqué à la traduction médicale propose un éclairage différent et permet de lever les zones d’incertitude autour des deux phénomènes retenus dans notre étude.

7. Seconde expérimentation : approche fonctionnaliste et traduction médicale

Montalt et Gonzáles Davies (2007) insistent sur l’adéquation entre approche fonctionnaliste et traduction médicale :

Communicative and functional approaches to translation (Vermeer Reiss 1984/1991, Nord 1997) have made their headway in translation studies and are especially useful in medical translation. They relate languages to their context and underline the importance of the real world circumstances under which utterances acquire their meaning and should be interpreted, and point out how the translator’s choices are conditioned by the client. (Montalt et Gonzáles Davies 2007 : 17)

C’est forte de cette considération que nous avons mené notre seconde expérimentation.

7.1. Fonction informative et traduction médicale

Comme nous l’avons vu, les buts de la fiche sont multiples : informer le patient sur une pathologie et faire office de référence immédiate ou différée dans le temps en cas d’automédication. Cette fiche explique aux patients des symptômes qu’il connaît ou non, et lui indique la marche à suivre.

Français et Américains ont une culture médicale distincte. Les premiers ont une propension à manipuler dans la langue quotidienne de nombreux termes médicaux de spécialité, relativement familiers par leur origine latine ; les seconds décrivent leurs symptômes aidés par une documentation abondante tant scientifique (Maynard et Heritage 2005) que vulgarisatrice[27] ; le grand nombre de sites de vulgarisation scientifique trouvés sur Internet en sont les témoins.

Reprenant la même indexation que dans la partie 5, les énoncés suivis de (FONCT) sont des propositions de traductions effectuées après une formation en méthodologie de la recherche documentaire et une étude de l’approche fonctionnaliste ; les énoncés précédés de (AFRIN) sont les énoncés pris sur la notice (ou bottle carton) du médicament vendu aux États-Unis.

Rendant compte des différences culturelles entre les pays, on comprend pourquoi (8 FONCT) est une bonne traduction de (8), celle pouvant être utilisée par le locuteur de la langue cible ; (8 FONCT) explicite les symptômes de la pathologie, alors que l’énoncé français (8) utilise les noms savants des pathologies :

La deuxième fonction identifiée par Nord, à savoir l’évaluation et l’émotion, est absente de la fiche du Pernazène® du fait de la nature prescriptrice du document.

7.2. Fonction appellative et traduction médicale

La stratégie appellative de la traduction (9 FONCT) est rendue par la forme impérative et le choix d’un adverbe qui appartient à un registre familier et oral : le patient est invité à consulter son médecin sur-le-champ, de même que (10 AFRIN) qui interpelle personnellement le patient, illustrant la visée communicative interactive de la fiche.

7.3. Fonction phatique et traduction médicale

La fonction phatique appliquée à la traduction médicale peut revêtir plusieurs formes : l’anglais utilise plus fréquemment you alors que le français est impersonnel dans la description des symptômes (le patient ou en cas de) ; la forme impérative est minoritaire en français, alors qu’elle est fréquente en anglais ; de plus, les explications entre parenthèses (either too high or too low) participent de cette fonction phatique en expliquant ce qu’est l’hypertension artérielle ; ceci renforce la visée communicative de la fiche :

Cette expérimentation mettant en scène l’approche fonctionnaliste sur des énoncés médicaux a donné des résultats satisfaisants : cette stratégie de la traduction a été accueillie positivement par les apprenants et a permis de faire disparaître leurs incertitudes de début de formation ; de plus, la comparaison avec la notice en anglais Afrin®[28] montre peu d’écarts pour nos énoncés modalisés contenant du lexique médical.

8. Conclusion(s)

Notre article met en évidence la particularité de l’enseignement de la traduction médicale en milieu universitaire ; c’est au moyen d’évaluations et d’observations menées sur deux phénomènes linguistiques créateurs de zones d’incertitude – la modalité et le vocabulaire de spécialité – que cette particularité s’est imposée.

Concevoir l’enseignement de la traduction professionnelle comme un empilage de plusieurs didactiques linguistiques prouve ses limites dans notre expérimentation : la modalité médicale ne se résume pas à un enseignement général de la modalité.

Couplée à une méthodologie de la recherche documentaire, la formation s’enrichit certes, palliant certaines incertitudes, mais les traductions produites par nos apprenants ne ciblent pas les fonctions décrites par Nord (1997) et omettent la visée communicative de la traduction professionnelle.

La formation des apprenants en traduction professionnelle doit-elle passer par une phase de désapprentissage des apprenants « rigidifiés par un enseignement qui leur a appris des mots et des équivalences » (Lavault 1998 : 81) ? Une seconde interrogation plus clivante apparaît en filigrane : et s’il fallait désapprendre les formateurs généralistes et les reformer à la traduction professionnelle ? La formation de/en traduction médicale pourrait ainsi s’articuler autour de trois grands principes didactiques fondateurs :

  • la traduction médicale spécialisée relève d’une approche fonctionnaliste (Nord 1997/2008) ; l’expérimentation menée sur nos énoncés médicaux peut servir d’introduction et de base à la formation repensée (voir plus haut partie 7) ;

  • la traduction est un métier de la communication s’inscrivant dans une logique pragmatique : « La traduction est bien plus qu’un service linguistique : c’est une opération de communication, référée au réel » (Froeliger 2013 : 70) ;

  • la traduction médicale ne saurait se réduire à une collection de termes de spécialité ; la rédaction médicale contient différents discours cachés que l’on peut trouver en suivant un jeu de piste : « Le traducteur médical doit guetter les mots qui sont les moteurs du texte, les vrais véhicules du sens. Il doit débusquer en permanence derrière le vernis impersonnel un projet tout à fait personnel » (Balliu 2010 : 72).

Nous avons opté pour cette refonte tripartite dans notre formation qui correspond à la finalité première des Masters français dits professionnels et qui se rapproche des réalités du métier de traducteur médical professionnel.