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Introduction

Outre les facteurs individuels et organisationnels pouvant expliquer les agressions, cette recherche s’intéresse au rôle de la structure de l’identité professionnelle et sa fragilisation dans les métiers spécialisés de la construction et du secteur manufacturier au Québec. Un métier spécialisé est un emploi découlant d’un programme d’apprentissage qui est officiellement reconnu par une législation (Lefebvre et al., 2012), tels les métiers de mécaniciens, électriciens, maçons, grutiers.

L’identité des travailleurs, notamment l’ensemble de leurs pratiques et de leurs coutumes (Ashforth et Mael, 1989), est un élément non négligeable dans l’étude des agressions, considérant l’importance du maintien de l’image positive du groupe professionnel (Tajfel et Turner, 1986), soit les valeurs masculines de la force physique et d’affirmation de soi dans les métiers spécialisés. Dans les secteurs à prédominance masculine, il s’avère d’autant plus pertinent d’étudier la structure de l’identité professionnelle et sa fragilisation dans un contexte de hiérarchie de sexe où les hommes ont un pouvoir plus élevé (Berdahl, 2007). La volonté de maintenir une identité masculine peut expliquer les actes agressifs chez ces travailleurs en raison d’une perception de menaces relative à leur masculinité (Schmitt et Branscombe, 2001). Les travailleurs des métiers spécialisés peuvent percevoir des menaces à une bonne image de leur métier, engendrant des réactions hostiles envers les travailleurs pouvant nuire à cette estime positive de leur métier, notamment les femmes et les travailleurs aux traits féminins.

Dans le but de considérer autant les traits masculins/féminins, soit le genre des travailleurs, que le sexe homme/femme, le concept d’agression fondée sur le sexe et le genre est utilisé. Une perspective intégratrice qui prend en compte l’aspect du genre permet d’inclure autant les agressions dirigées envers les femmes qu’envers les hommes.

État des connaissances

Peu d’études appréhendent les effets du genre masculin/féminin chez les victimes d’agressions au travail. Les facteurs sociaux et culturels construisent le genre des individus (Gaussot, 2014) et définissent ce qui différencie un homme et une femme en fonction des masculinités et féminités. La socialisation et, plus concrètement, les systèmes de représentation justifient les rapports d’oppression identitaires en fonction du genre de la victime (Gaussot, 2014). Les sociologues Renard Sainsaulieu et Claude Dubar, dans leurs recherches en milieux ouvriers, se sont intéressés au conditionnement culturel, plus spécifiquement à l’influence de la culture dans le métier (Dubar, 2010; Sainsaulieu, 2014). Par le conditionnement culturel, il est possible de déterminer le type du genre du métier à partir des valeurs culturelles liées au genre. La source féminine ou masculine du métier s’inscrit dans un conditionnement culturel. Le type du genre du métier n’est pas relié au sexe, mais à la culture transmise par les normes et valeurs privilégiées dans le métier. Il s’agit de l’adhésion du groupe professionnel aux normes de la masculinité ou de la féminité. L’aspect du groupe, soit l’équipe de travail, est utilisé dans ce concept du type de genre du métier.

De plus, la complexité de l’étude des agressions fondées sur le sexe et le genre ne peut faire abstraction des grandes théories relatives à l’identité professionnelle, notamment dans le contexte d’emplois à prédominance masculine où le maintien d’une image de force physique et d’affirmation de soi est important (Berdahl, 2007). Les agressions fondées sur le sexe et le genre dans les métiers spécialisés demeurent un sujet encore peu documenté, et ce dans un contexte peu exploré.

Dans la recension des facteurs prédictifs des agressions, la principale limite des études actuelles a trait à l’omission de l’identité professionnelle. L’identité professionnelle réfère à la perception ou bien l’image « qu’une personne se fait de son travail, de ses responsabilités, de ses rapports aux autres, ainsi que de son appartenance au groupe et à l’organisation comme institution sociale » (Corriveau, 2004 : 100). Dans un premier temps, selon la théorie de l’identité sociale, les individus cherchent à atteindre ou à maintenir une identité sociale positive grâce à une comparaison et une différenciation avec les autres groupes (Tajfel et Turner, 1986). Dans l’optique que les individus tendent de préserver une image positive d’eux-mêmes par le maintien d’une identité positive, tant personnelle que sociale (Tajfel et Turner, 1986), des stratégies défensives sont mises en place à la suite de ce qui sera perçu comme une menace à l’identité (Stephan et Renfro, 2002). En s’appuyant sur la théorie de la menace intégrée des préjugés (Stephan et Renfro, 2002), on peut supposer que les travailleurs craignent une déqualification de leur métier et peuvent percevoir des menaces symboliques (relatives à la valorisation des masculinités, de la performance et de la force physique) et réalistes (relatives à une perte des acquis, tels des avantages ou du salaire), engendrant des réactions hostiles envers les femmes ou encore envers les travailleurs affichant des traits plus féminins. Dans un second temps, la littérature explique les agressions fondées sur le sexe et le genre par des comportements inadéquats en fonction des rôles basés sur le sexe et le genre. Dans cette perspective, une socialisation des hommes s’inscrit dans un système de valeurs privilégiant un contexte de hiérarchie de sexe et de genre, ainsi que des schémas de rôles distincts entre les hommes et les femmes (Richardson et Hammock, 2007). Les agressions seraient ciblées et orientées en réaction aux actes inappropriés en fonction des attentes comportementales fondées sur le sexe et sur le genre (Richardson et Hammock, 2007). Une étude canadienne a suggéré que les femmes aux traits masculins sont plus à risque de vivre une agression en raison d’une transgression des attentes de rôles (Berdahl, 2007).

Problématique

Les agressions au travail sont un enjeu à la fois humain, organisationnel et sociétal très préoccupant. Cette recherche étudie les agressions dans les métiers spécialisés, et en particulier les actes agressifs et violents dont sont victimes les femmes. Selon l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada, 2,1% des travailleurs des métiers spécialisés sont des femmes au Québec (Commission de la construction du Québec, 2014). Cette faible occupation peut s’expliquer par le traitement des femmes dans les métiers non traditionnels, notamment leur vulnérabilité relative aux conditions de travail plus défavorables, à davantage d’expositions au stress, aux traitements défavorables et aux agressions (Conseil sectoriel de la construction, 2010).

Au Québec, les résultats de l’Enquête québécoise sur les conditions de travail, d’emploi, et de santé et de sécurité au travail ont suggéré que, chez les ouvriers qualifiés, une proportion de 19,4% de femmes a été la cible d’une agression à caractère psychologique dans les douze derniers mois, à la différence de 11,9% des hommes (Vézina et al., 2011). Similairement, les résultats de l’étude SALVEO, composée de plus de deux mille répondants, ont établi que les femmes étaient 2,19 fois plus susceptibles de vivre une situation de violence physique ou sexuelle dans les secteurs tertiaires et secondaires québécois (Cloutier et Marchand, 2016). La prédisposition des femmes à être victime d’une agression au travail a aussi été suggérée dans une méta-analyse (McCord et al., 2018).

Toutefois, se pourrait-il que ces agressions ne soient pas uniquement orientées en fonction du sexe des victimes, mais plutôt en fonction de leurs traits féminins? Est-ce que les travailleurs sensibles aux besoins des autres, ainsi que ceux qualifiés de doux et de tendres, sont plus prédisposés à vivre une agression au travail? À l’opposé, est-ce que les femmes plus revendicatrices et affirmatives aux traits masculins sont plus prédisposées à être la cible d’une agression en raison de leur représentation plus élevée de menaces relatives à un changement de valeurs chez les travailleurs des métiers spécialisés? Ces questionnements posent la pertinence d’élargir les études sur les agressions fondées sur le sexe des victimes au genre de ces dernières.

Bien que la législation québécoise utilise le terme harcèlement psychologique (Vézina et al., 2011), le terme plus inclusif et général de l’agression a été retenu. L’agression se rapproche davantage de tous les comportements antisociaux au travail (Anderson et Bushman, 2002). Le concept d’agression au travail englobe tous les actes négatifs de faible intensité, de sexisme jusqu’aux actes corporels de violence physique et sexuelle au travail. Trois types d’agressions sont étudiés dans cette recherche, soit les agressions psychologiques, physiques et sexuelles. À cela, s’ajoutent les agressions spécifiquement dirigées vers les femmes et les agressions fondées sur le genre selon les masculinités et féminités des travailleurs. Au-delà de l’aspect individuel du genre, cette recherche innove en s’intéressant au type de genre du métier. Il s’agit d’un concept peu étudié dans la littérature scientifique.

Question de recherche

Cet article cherche à répondre à la question spécifique suivante: « Quel est le rôle de la structure de l’identité professionnelle et sa fragilisation sur les agressions fondées sur le sexe et le genre dans les métiers spécialisés de la construction et du secteur manufacturier au Québec ? ». Cette recherche se concentre plus spécifiquement sur la profession des métiers spécialisés et sur tous les types d’agressions (psychologiques, physiques et sexuelles) que vivent les travailleurs de ces métiers en fonction de leur sexe (homme/femme) et genre (masculin/féminin).

Cadre conceptuel

L’identité professionnelle s’établit principalement par le conditionnement des rapports humains au travail et par des processus identitaires. Les modèles sociologiques d’identité culturelle au travail, basés sur le conditionnement des rapports sociaux dans le cadre de l’emploi, permettent de bien cerner l’identité des travailleurs (Dubar, 2010; Sainsaulieu, 2014). Les aspects sociétaux, notamment les valeurs, déterminent l’identité professionnelle. Les travailleurs peuvent identifier les ressemblances et les divergences avec les autres identités professionnelles (Corriveau, 2004; Sales-Wuillemin, 2006). Les milieux de métiers spécialisés ont leurs propres normes et valeurs. La culture détermine les rôles sociaux des hommes et des femmes au travail (Richardson et Hammock, 2007). Ces rapports dans les organisations apparaissent comme le résultat d’une sous-culture ouvrière. L’ensemble des valeurs privilégiées au sein de ces dimensions culturelles se dénote dans l’évolution des interactions et des relations entre collègues et dans les relations hiérarchiques avec les supérieurs et entre métiers, de même que dans les conditions de travail des travailleurs de métiers (Dubar, 2010; Sainsaulieu, 2014). Les nouvelles expériences au sein de la culture s’accumulent, évoluent et s’intègrent continuellement dans l’identité des travailleurs (Meier, 2010). De ces processus, trois dimensions de la structure de l’identité professionnelle en résultent : l’estime collective du groupe professionnel, la culture de métiers, ainsi que le type de genre du métier.

Sur le plan du travail, et plus précisément dans les métiers spécialisés, la structure de l’identité professionnelle des travailleurs se construit par une estime collective du groupe. Cette estime du groupe se développe selon le sentiment d’appartenance et la reconnaissance du métier, tant d’un point de vue personnel que d’autrui, et principalement par une comparaison et une différenciation entre les groupes (Sales-Wuillemin, 2006). La culture professionnelle, soit le degré de collectivisme, de distance hiérarchique et d’intégration des différences, influence l’identification des travailleurs à leur métier par une reconnaissance des similarités et des distinctions avec les autres identités professionnelles (Sales-Wuillemin, 2006). De plus, le type de genre du métier, en fonction des caractéristiques masculines et féminines, s’établit par une identification des travailleurs à la catégorie des hommes dans un contexte de rôles de genre bien distincts dans les métiers spécialisés (Richardson et Hammock, 2007). Enfin, dans cette recherche, la fragilisation de l’identité professionnelle peut se résumer par une prédisposition à rendre vulnérable l’identité de métiers des travailleurs, notamment par une atteinte à l’identification, au sentiment d’appartenance, à l’image et à l’estime du groupe du métier. Des conditions de l’organisation du travail spécifiques des métiers spécialisés, ainsi que la justice interactionnelle, sont considérées comme des composantes complémentaires de fragilisation de l’identité professionnelle.

Le cadre conceptuel, illustré dans la Figure 1, postule que les facteurs de la structure de l’identité professionnelle (estime collective du groupe, culture de métiers et type de genre du métier) et de la fragilisation de cette identité (justice interactionnelle et conditions de l’organisation du travail) peuvent expliquer les agressions. Le type de genre du métier, ainsi que la justice interactionnelle, considèrent le groupe, soit l’équipe de travail, alors que les autres composantes s’intéressent seulement à l’individu. L’hypothèse, induite par le cadre conceptuel, porte sur la contribution directe de chacune des composantes de l’identité professionnelle sur les agressions fondées sur le sexe et le genre dans les métiers spécialisés.

Figure 1

Le cadre conceptuel de l’influence de l’identité professionnelle sur les agressions fondées sur le sexe et le genre

Le cadre conceptuel de l’influence de l’identité professionnelle sur les agressions fondées sur le sexe et le genre

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Structure de l’identité professionnelle

Pour la première composante de l’estime collective du groupe, la construction de l’identité professionnelle s’établit dans la reconnaissance et dans l’identification aux identités collectives associées à chaque métier. L’estime collective du groupe résulte de cette identification et comparaison entre les groupes professionnels (Sales-Wuillemin, 2006). Cette comparaison et différenciation positive, par un renforcement des similarités et des différences en fonction de l’appartenance à un même groupe, établissent un système de classification des groupes (Sales-Wuillemin, 2006). Selon la théorie de l’identité sociale, l’intention principale des groupes dans les agressions s’inscrit dans le maintien d’une identité positive du groupe (Tajfel et Turner, 1986). Ainsi, une estime collective élevée du groupe professionnel s’associe positivement aux agressions fondées sur le sexe et le genre. Selon des études, les groupes professionnels caractérisés par une forte estime collective sont plus prédisposés à exclure les individus pouvant nuire à cette estime collective élevée (Crocker et Luhtanen, 1990), particulièrement lors d’une menace à la masculinité des travailleurs (Maass et al., 2003; Schmitt et Branscombe, 2001; Wade et Brittan-Powell, 2001).

Pour la deuxième composante de la culture de métiers, une forte distance hiérarchique s’associe positivement aux agressions fondées sur le sexe et le genre. Un conditionnement inégalitaire dans les relations avec les superviseurs et les travailleurs est un élément non négligeable dans les agressions (Luthar et Pastille, 2000). Une forte différence de pouvoir entre les cadres et les travailleurs s’associe à davantage d’agressions des hommes vis-à-vis des femmes. Le grand pouvoir hiérarchique des superviseurs peut légitimer les agressions fondées sur le sexe et le genre selon les modèles de référence au sein de l’organisation (Luthar et Pastille, 2000; O’Leary-Kelly et al., 2009). Une position hiérarchique moins élevée a été associée à une prédisposition à adopter des réponses agressives, notamment lors d’une perception de menaces à l’identité (Aquino et Douglas, 2003). Les travailleurs au bas de la structure hiérarchique vont davantage, dans leur subconscient, exprimer les mêmes actions que leur groupe professionnel, expliquant la prolifération des réponses agressives (Harvey et al., 2007). En complémentarité de la distance hiérarchique, un degré de collectivisme élevé s’associe positivement aux agressions fondées sur le sexe et le genre. Une culture forte participe au processus de socialisation en déterminant les rôles sociaux (Richardson et Hammock, 2007) et fournit un sentiment d’identité et d’appartenance aux travailleurs (Schein, 2010). La protection accordée par le groupe ne permet pas aux individus de se distancer du groupe auquel ils sont identifiés (Hofstede, 1980). Le niveau d’agressions, spécifiquement envers les femmes, est plus élevé si ces comportements sont acceptés et tolérés dans les rapports sociaux (Cantisano, Domínguez et Depolo, 2008). Une forte culture, caractérisée par un niveau élevé de collectivisme, restreint le développement d’un milieu de travail diversifié (Kilmann, Saxton et Serpa, 1986) et bloque l’entrée des femmes dans les secteurs des métiers spécialisés favorisant des valeurs masculines. Cela particulièrement en raison d’une inadéquation avec les valeurs professionnelles privilégiées dans les métiers spécialisés, soit la force physique, l’endurance, la virilité, etc. (Greed, 2000). Enfin, un faible degré d’intégration des différences dans l’équipe s’associe positivement aux agressions fondées sur le sexe et le genre. Des caractéristiques organisationnelles inclusives diminuent les différences de traitement entre les travailleurs et améliorent la qualité des relations sociales et du respect entre collègues (Ely et Thomas, 2001). Le processus de catégorisation regroupant les travailleurs par groupes sociaux s’élimine et perd sa signification négative, limitant de la sorte les conflits basés sur les différences entre les hommes et les femmes (Nishii, 2013).

En complémentarité de l’estime collective du groupe et de la culture de métiers, il est important de s’intéresser à l’influence du type de genre du métier, caractérisé de type masculin ou féminin, selon les valeurs privilégiées dans le métier. Il s’agit de l’adhésion du groupe professionnel aux normes de la masculinité ou de la féminité, déterminées par les traits masculins et féminins (Bem, 1974). Dans les métiers spécialisés, les valeurs professionnelles sont associées au type de genre masculin du métier par une valorisation des valeurs instrumentales de la virilité, de la compétition, de la défense de ses idées, etc. (Bem, 1974). En lien avec les agressions, les métiers genrés de masculin sont positivement associés aux agressions fondées sur le sexe et le genre. Des menaces relatives à la masculinité des travailleurs (Schmitt et Branscombe, 2001) justifient l’orientation des réponses agressives des travailleurs des métiers de type masculin vers les femmes ou vers les travailleurs aux traits féminins. En contrepartie, les métiers de type de genre féminin sont négativement associés aux agressions fondées sur le sexe et le genre. L’explication est relative aux traits, s’opposant à l’agressivité dans cette identité de type féminin, tels que la gentillesse, la sensibilité aux besoins d’autrui et la tendresse (Bem, 1974). Les comportements des travailleurs sont dirigés par le système social et les normes mises en place selon la perception de ce qui est acceptable (Keyton, Ferguson et Rhodes, 2001; O’Leary-Kelly et al., 2009).

Fragilisation de l’identité professionnelle

Les composantes de la fragilisation de l’identité sont la perception de traitements justes des personnes en autorité (justice interactionnelle), ainsi que les conditions de l’organisation du travail spécifiques aux métiers spécialisés. Ces facteurs peuvent influencer la prédisposition aux agressions au travail (Hershcovis et al., 2007; Notelaers et al., 2013).

La première composante de la justice interactionnelle est relative autant au traitement équitable des superviseurs envers leurs subordonnés (justice interpersonnelle) qu‘au partage égalitaire de l’information (justice informationnelle, voir Colquitt, 2001). L’estime collective du groupe professionnel se construit notamment dans les relations sociales au travail (Sales-Wuillemin, 2006), incluant ainsi le soutien des pairs et du supérieur, de même que le traitement juste des personnes en autorité dans la relation avec ses subordonnés. Dans plusieurs études, l’injustice organisationnelle a souvent été associée avec la prolifération de réponses agressives, surtout lors d’iniquités de traitements (Hershcovis et al., 2007).

La deuxième composante des conditions de l’organisation du travail qui est en lien avec l’identité professionnelle, l’utilisation des compétences, l’autorité décisionnelle, ainsi que certaines gratifications au travail, telles que la sécurité d’emploi, permet d’établir l’estime collective du groupe professionnel. L’identité des travailleurs se construit notamment à travers le regard des autres par la reconnaissance de leur métier (Sales-Wuillemin, 2006). Une conception des tâches marquée par une faible utilisation des compétences et une faible autorité décisionnelle est positivement associée aux agressions fondées sur le sexe et le genre. La faible autonomie des travailleurs a été associée aux réponses agressives au travail (Notelaers et al., 2013; Vartia, 1996). De plus, des demandes élevées au travail sont positivement associées aux agressions au travail. La charge mentale augmente le niveau d’agressions à caractère psychologique en raison d’une hausse de pression et de stress des travailleurs (Notelaers et al., 2013; Vartia, 1996). De même, une charge psychologique a été associée à des niveaux plus élevés d’incivilités et de violences physique et sexuelle selon les résultats de l’étude SALVEO (Cloutier et Marchand, 2016). Tandis qu’un faible soutien au travail est associé aux agressions. Le soutien des pairs peut influencer la prédisposition des hommes à vivre une agression au travail (Hogh, Henriksson et Hermann, 2005) en jouant un rôle de protection contre les agressions (Vartia, 1996) et en limitant les conséquences sur la santé des victimes (Schat et Kelloway, 2003). Pour le soutien du supérieur, les réactions agressives au travail ne se produisent habituellement pas sans l’accord des personnes en autorité par le biais de leurs réponses positives vis-à-vis l’agression (Kessler et al., 2008), particulièrement les réactions à la suite d’une agression fondée sur le sexe (Cortina et Wasti, 2005; Keyton et al., 2001). Enfin, de faibles gratifications sont associées aux agressions fondées sur le sexe et le genre. Pour l’insécurité d’emploi, la peur de perdre son emploi (Greenglass et Burke, 2000) et le stress qui en découle expliquent les réponses agressives des travailleurs (Baillien et De Witte, 2009; Hoel et Salin, 2003).

Méthodologie

Source de données

La méthode de collecte de données a été effectuée par échantillonnage et par choix raisonné dans la région de Montréal, ainsi que sur la Rive-Sud et Rive-Nord de Montréal, en fonction de la profession qu’exercent les travailleurs. Dans cet échantillon de convenance, une grande entreprise d’un secteur manufacturier a accepté que quatre de ses établissements participent à la recherche, alors que sur les dix-huit chantiers de construction sollicités, sept ont accepté de participer. Plus précisément, 146 travailleurs de 18 équipes de travail ont été sollicités dans le secteur manufacturier, alors que ce sont approximativement 540 travailleurs qui ont été sollicités sur les chantiers de construction. À la fin, un total de 282 travailleurs de métiers spécialisés, répartis dans quatre établissements d’un même secteur manufacturier (18 équipes) et dans sept chantiers de construction distincts (36 équipes), ont répondu au questionnaire. La comparaison entre les deux secteurs permet de rendre compte des similitudes et des distinctions compte tenu des conditions particulières d’emploi. Les équipes de travail sont composées de travailleurs de même métier, à l’exception du métier des ouvriers civils[1] dans le secteur manufacturier.

Mesure des variables des agressions au travail

Afin de mesurer les agressions au travail, nous avons eu recours aux deux sources suivantes. Le Negative Acts Questionnaire, composé de 22 items d’actes observables (Einarsen, Hoel et Notelaers, 2009), a été sélectionné pour mesurer les agressions psychologiques (19 items, alpha=0,92) et les agressions physiques (3 items, alpha=0,73). En complémentarité s’ajoute un item sur les agressions sexuelles provenant de l’Enquête sociale et de santé 1998 (ESSQ-98, 2001). Tous les items sont mesurés selon une échelle de Likert en cinq points, allant de 1=Jamais à 5=À chaque jour.

Les mesures des agressions ont ensuite été mises en relation avec le sexe et le genre. Pour le sexe, les hommes (codés 0) s’opposent aux femmes (codées 1). Pour le genre, l’échelle du BEM est utilisée. Cette mesure intègre le genre à partir de l’inventaire des rôles de sexe (Bem Sex Role Inventory), qui se base sur 20 caractéristiques féminines, 20 caractéristiques masculines et 20 caractéristiques neutres (Bem, 1974). Avec l’échelle courte et révisée (Gana, 1995), la masculinité se calcule par une addition des neuf items d’adhésion aux masculinités (alpha=0,80), alors que la féminité se mesure par les neuf indicateurs d’adhésion aux féminités (alpha=0,91), sous une échelle de Likert en sept points, allant de 1=Pas du tout à 7=Exactement vrai.

Mesure des variables de la structure de l’identité professionnelle

La première composante de l’estime collective du groupe professionnel se mesure par l’échelle de Luhtanen et Crocker (1992). Les 16 indicateurs de cet instrument de mesure sont constitués de quatre sous-échelles, soit l’estime publique (alpha=0,69), l’estime privée (alpha=0,80), le sentiment d’identification (alpha=0,83) et le sentiment d’appartenance au groupe (alpha=0,63). Chacune de ces sous-dimensions est calculée par quatre indicateurs, mesurés par une échelle de Likert en sept points, allant de 1=Fortement en désaccord à 7=Fortement en accord.

Du côté de la deuxième dimension de la culture de métiers, afin de mesurer l’orientation du collectivisme au niveau de l’équipe, les trois dernières dimensions de l’échelle de Jackson et ses collègues ont été retenues (Jackson et al., 2006), soit la préoccupation pour le bien-être du groupe (alpha=0,87), l’acceptation des normes du groupe (alpha=0,87), ainsi que la priorité des intérêts du groupe (alpha=0,92). Pour la variable du degré de distance hiérarchique, l’échelle choisie est celle d’Auzoult, Abdellaoui et Gangloff (2011), composée de 9 items (alpha=0,77). La dernière dimension de la culture de métiers, soit l’intégration des différences dans l’équipe de travail (alpha=0,80), se mesure par une adaptation à l’équipe de travail de la deuxième sous-dimension du climat organisationnel inclusif de la chercheuse Nishii (2013). Les items sont mesurés avec une échelle de Likert en cinq points, allant de 1=Fortement en désaccord à 5=Fortement en accord.

Pour mesurer le type du genre du métier, la même échelle du BEM, utilisée dans la mesure du genre des victimes d’agressions a été reprise. Les scores moyens sur les échelles de féminité et de masculinité ont été agrégés aux équipes de travail.

Mesure des variables de la fragilisation de l’identité professionnelle

D’abord, les deux sous-échelles de Colquitt ont été utilisées pour mesurer la justice interactionnelle (Colquitt, 2001). La justice interpersonnelle, qui se compose de quatre items, et la justice informationnelle, de cinq items, sont présentées sous une échelle de Likert graduée en cinq points, allant de 1=Fortement en désaccord à 4=Fortement en accord (alpha=0,90). Le score moyen a été agrégé aux équipes de travail.

Ensuite, la dernière dimension de la fragilisation de l’identité professionnelle est relative aux conditions de l’organisation du travail. Ce sont les indicateurs de Karasek qui sont utilisés pour la latitude décisionnelle (utilisation des compétences et autorité décisionnelle), ainsi que le modèle de Karasek et Theorell pour le soutien social. L’échelle de mesure pour la sous-dimension de l’utilisation des compétences se compose de six items, alors que l’autorité décisionnelle se mesure à l’aide de trois items, menée à l’aide du questionnaire Job Content Questionnaire-JCQ (voir Karasek, 1985). Également, toujours avec ce même questionnaire, le soutien social englobe huit items, quatre pour le soutien social des collègues et quatre pour le soutien du superviseur (Karasek, 1985). En complémentarité, les demandes ainsi que les gratifications au travail sont mesurées par le modèle du déséquilibre efforts-récompenses de Siegrist (1996). Les demandes au travail se composent des quatre items relatifs aux efforts psychologiques et physiques et les gratifications au travail des onze items des récompenses au travail (Siegrist, 1996). Toutes les réponses sont présentées avec une échelle de Likert graduée en quatre points, allant de 1=Pas du tout d’accord à 4=Tout à fait en accord. La validité de ces échelles a été validée avec les alphas de Cronbach suivants : 0,73 pour l’utilisation des compétences, 0,57 pour l’autorité décisionnelle, 0,46 pour les demandes au travail, 0,87 pour le soutien social et 0,83 pour les gratifications au travail. Toutefois, des analyses préliminaires ont suggéré la présence de colinéarité entre les variables du soutien social et des gratifications. Plusieurs items sur la reconnaissance au travail et la carrière ressemblaient trop au soutien social reçu des collègues et du supérieur. Ainsi, la variable des gratifications se restreint à deux items relatifs à l’insécurité d’emploi, soit une perception d’être en train de vivre ou s’attendre à vivre un changement indésirable dans sa situation de travail et une perception que sa sécurité d’emploi est menacée.

Mesure des variables contrôles

Les réponses agressives au sein de l’équipe, soit la déviance interpersonnelle et le sexisme hostile, ont été ajoutées dans le modèle (scores agrégés aux équipes) afin de contrôler leurs effets sur la prédisposition à être victime d’une agression. La déviance interpersonnelle se mesure par 17 items (alpha=0,81) de l’échelle de la thèse d’Adèle Rochon (2006), sous une échelle de Likert en cinq points, allant de 1=Jamais à 5=Presque tous les jours. Alors que la variable du sexisme hostile se mesure par l’inventaire du sexisme ambivalent (Glick et Fiske, 1996), composé de onze items (alpha=0,92), sous une échelle de Likert en six points, allant de 1=Pas du tout d’accord à 6=Tout à fait d’accord. Enfin, l’âge des répondants, le type d’équipe (0=homogène, 1=hétérogène) et le secteur d’activité (0=manufacturier,1=construction) ont été contrôlés dans cette recherche.

Analyses

Des analyses de régressions multiniveaux ont été réalisées avec le logiciel Stata 13. Les données prennent une structure hiérarchique dans laquelle les 282 travailleurs (niveau-1) sont nichés dans 54 équipes de travail (niveau-2). L’approche fondée sur la méthode de maximum de vraisemblance restreint (MVR, voir Goldstein, 2003) a été employée dans les analyses pour étudier les agressions fondées sur le sexe et le genre chez les travailleurs des métiers spécialisés nichés dans 54 équipes. Les données étant recueillies dans deux secteurs (construction et manufacturier), des analyses complémentaires ont examiné si le secteur modère la relation entre la structure de l’identité professionnelle et sa fragilisation sur les agressions psychologiques, physiques et sexuelles. Au total, 24 variables d’interaction ont été créées pour chaque secteur avec chacune des variables indépendantes. Ces 24 variables modératrices ont été testées dans des modèles individuels pour les trois variables dépendantes, soit un total de 96 analyses.

Résultats

Le Tableau 1 présente les statistiques descriptives de l’échantillon. Au total, 48,2% des répondants proviennent du secteur de la construction et 51,8% du secteur manufacturier, de même qu’une proportion de 7,4% de femmes compose l’échantillon de l’étude. Les résultats montrent que les femmes vivraient davantage d’agressions sexuelles, seraient davantage préoccupées par le groupe et suivraient davantage les normes du groupe, de même qu’elles auraient des niveaux d’autorité décisionnelle plus faibles que leurs collègues masculins.

Tableau 1

Statistiques descriptives selon le sexe

Statistiques descriptives selon le sexe

Note: * p<0.05; ** p<0.01

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Notelaers et Einarsen (2013) ont déterminé, à partir des 22 items du Negative Acts Questionnaire, un score limite de 45 sur 110 pour le seuil d’être la cible d’agressions psychologique et physique au courant de la dernière année. Le seuil du 33 sur 110, en référence à avoir été victime occasionnellement d’une agression, n’a pas été utilisé dans l’optique de se concentrer sur les travailleurs ayant été davantage exposés aux agressions. En référence à ce seuil limite (45/110), le Tableau 2 présente les seuils globaux pour chaque forme d’agression, soit un seuil de 39 pour l’agression psychologique, 6 pour l’agression physique et 2 pour l’agression sexuelle.

Tableau 2

Proportion de victimes d’agressions par secteur et sexe lors des 12 derniers mois

Proportion de victimes d’agressions par secteur et sexe lors des 12 derniers mois

Note: * p<0.05; ** p<0.01

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Les résultats du Tableau 2 n’indiquent aucune variation des niveaux d’agressions psychologiques entre les secteurs de la construction et manufacturier. Au total, 10,3% des travailleurs (hommes) vivraient des agressions psychologiques au travail, alors que la proportion est de 9,5% chez les femmes. Pour l’agression physique, 10,3% des hommes et 14,3% de femmes en sont victimes. Enfin, la considération du sexe des répondants occasionne des différences majeures pour les agressions sexuelles par une proportion de 38,1% des femmes et de 4,6% des hommes qui en a été la cible dans la dernière année.

Analyses multiniveaux

Le Tableau 3, qui présente les résultats des analyses de régression multiniveaux pour chacune des variables dépendantes, permet d’estimer les effets directs de l’identité professionnelle sur les agressions. Ces analyses s’effectuent en considérant l’influence du sexe et du genre du répondant comme facteur explicatif des agressions dans les métiers spécialisés.

Tableau 3

Analyses multiniveaux de l’identité professionnelle sur les agressions fondées sur le sexe et le genre (N = 282)

Analyses multiniveaux de l’identité professionnelle sur les agressions fondées sur le sexe et le genre (N = 282)

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Agression psychologique

Le modèle de l’agression psychologique, selon les résultats du Tableau 3, indique quatre effets directs de l’identité professionnelle : une faible intégration des différences dans l’équipe, un faible soutien social au travail, des demandes au travail plus élevées, ainsi qu’une plus grande insécurité d’emploi. Pour les variables contrôles, la déviance interpersonnelle dans l’équipe et un âge plus élevé des travailleurs s’associent aux agressions psychologiques. Selon les résultats de la partie aléatoire du Tableau 3, le calcul de la corrélation intra classe permet d’estimer que 9,03% de la variation des agressions psychologiques se retrouve entre les 54 équipes de travail. Ce modèle explique 26,8% de la variation des agressions psychologiques entre les travailleurs et 24,1% entre les équipes.

Agression physique

En plus d’une association positive avec le fait d’être une femme et un âge plus élevé des travailleurs, les effets directs de l’identité professionnelle du modèle de l’agression physique du Tableau 3 sont les suivants : une plus faible estime publique du métier, une faible intégration des différences dans l’équipe et un faible soutien social au travail. Le calcul de la corrélation intra classe, dans la partie aléatoire du Tableau 3, permet d’estimer que 6,03% de l’agression physique se retrouve entre les équipes de travail. Ce modèle explique 14,7% de la variation entre les travailleurs et 8% entre les équipes de travail.

Agression sexuelle

Le modèle de l’agression sexuelle du Tableau 3 suggère comme des effets directs significatifs le fait d’être une femme, une plus faible préoccupation pour le groupe et une utilisation des compétences plus élevée. Selon les résultats de la partie aléatoire du Tableau 3, la variation de l’agression sexuelle ne serait pas significative au niveau de l’équipe de travail.

En terminant, aucune variable ne s’est révélée significative en interaction avec le secteur pour les trois formes d’agression. Il est alors possible de suggérer que le secteur d’activité n’influence pas les effets de l’identité professionnelle sur les agressions.

Discussion

L’objectif de cette recherche était d’étudier l’impact de la structure de l’identité professionnelle et sa fragilisation sur les agressions fondées sur le sexe et le genre dans les métiers spécialisés de la construction et du secteur manufacturier au Québec. Les résultats obtenus apportent un soutien à l’hypothèse du rôle de la structure de l’identité professionnelle et de sa fragilisation sur les agressions.

Pour la structure de l’identité professionnelle, selon la théorie de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1986), les travailleurs veulent maintenir une image positive de leur métier. Comme ils craignent une déqualification de leur métier qui est basée sur une valorisation des masculinités, ceci expliquerait l’association significative d’une faible intégration des différences dans cette étude, notamment envers les femmes et les travailleurs aux traits féminins. De plus, une faible préoccupation pour le groupe s’associe à davantage d’agressions sexuelles et une faible estime publique du métier s’associe négativement à l’agression physique.

Pour la fragilisation de l’identité professionnelle, l’utilisation des compétences s’associe à des niveaux plus élevés d’agressions sexuelles. Ce constat est contraire à notre hypothèse de recherche et peut s’expliquer par une crainte des travailleurs de paraître incompétent vis-à-vis de nouvelles façons d’effectuer le travail dans un contexte de précarité d’emploi, ainsi que par l’importance de préserver une homogénéité dans les décisions du groupe (Dubar, 2010; Sainsaulieu, 2014). D’ailleurs, l’aspect de l’insécurité d’emploi demeure un élément significatif dans les résultats de cette recherche par une association positive avec les agressions psychologiques. La littérature scientifique a justifié le lien entre les agressions et l’insécurité d’emploi par une hausse de stress, de tension et de compétition entre pairs (Baillien et De Witte, 2009; Hoel et Salin, 2003). À cela, des demandes élevées au travail ont été associées aux agressions psychologiques et un soutien social insuffisant a été associé aux agressions psychologiques et physiques. La littérature a suggéré que ces contraintes sont fortement prédictives des agressions (Notelaers et al., 2013; Vartia, 1996).

Nonobstant l’absence de résultats significatifs pour le genre, il a été possible d’explorer le rôle du sexe dans les agressions. La synthèse des analyses multiniveaux tend à soutenir que le fait d’être une femme s’associe positivement et directement aux agressions physiques et sexuelles. Ce constat d’effets directs entre le fait d’être une femme et les agressions au travail est conforme aux études antérieures (Vézina et al., 2011), surtout pour l’agression sexuelle (Hutchinson et Eveline, 2010). Cette interprétation s’inscrit dans un contexte inégalitaire entre les sexes dans les métiers à prédominance masculine (Maass et al., 2003), en raison d’une perception de pouvoir insuffisant chez les femmes qui réduit leur recours de défense ou de vengeance à la suite d’une agression (O’Leary-Kelly et al., 2009).

Limites

Une première limite concerne le recrutement non aléatoire des participants. Ce choix méthodologique s’est justifié par des raisons de faisabilité à cause de l’accès difficile à la collecte des données, mais il affecte la généralisation des résultats. À cela, le nombre restreint de femmes dans les analyses peut limiter la portée des résultats. Enfin, une autre limite vient d’une collecte de données de type transversal. Une perspective longitudinale aurait permis de mieux interpréter les relations causales. Il est envisageable qu’une victime d’agression puisse adopter des réponses agressives, cela dans une optique défensive afin de ne plus être la cible d’actes agressifs, ou, encore, qu’un faible soutien au travail soit la conséquence des agressions.

Conclusion

Les résultats de cette étude tendent à montrer le rôle de la structure de l’identité professionnelle et de sa fragilisation sur les agressions dans les métiers spécialisés, notamment à cause d’une faible intégration des différences. Une pratique d’intervention consisterait, possiblement, à tenter de modifier les références identitaires de valorisation des masculinités dans les métiers spécialisés grâce à de la formation qui permettrait un changement face à l’acceptation des valeurs féminines, telles que l’empathie, la douceur et la considération des besoins d’autrui. Les résultats militent en faveur de se centrer sur la création d’environnements de travail inclusifs pour tous les travailleurs. Une manière de parvenir à une meilleure intégration des divergences est l’adoption de perspectives d’apprentissage fondées sur les différences au travail (Nishii, 2013). Cette intervention organisationnelle d’inclusion viendrait réduire les disparités de traitement parmi les travailleurs et entraînerait des relations plus respectueuses entre collègues (Ely et Thomas, 2001), en plus de réduire les conflits basés sur les différences (Nishii, 2013).

Au-delà des mesures de changement de références identitaires, des changements dans les conditions de l’organisation de travail qui prédisposent aux agressions sont nécessaires. Une amélioration des pratiques d’apprentissage organisationnel au sein du métier, par une ouverture à l’innovation et à de nouvelles manières de faire, pourrait s’avérer très bénéfique (Beauregard, Lemyre et Barrette, 2015). Les études auraient avantage à tenter d’éclaircir les effets d’une culture plus inclusive d’intégration envers les personnes, mais également envers les nouvelles idées, étant donné qu’une utilisation des compétences plus élevée s’associe aux agressions dans cette étude, alors que le bon impact d’un climat favorable à l’innovation sur les agressions a été démontré dans la littérature (Magerøy et al., 2009; Vartia, 1996).

Également, une bonne stratégie d’intervention devrait se concentrer sur le soutien social et l’aide reçue au travail. Cela pourrait se faire en favorisant des pratiques axées sur les personnes (soutien social et valeurs humaines, voir Baillien, Neyens et Witte, 2011), ainsi que par une culture groupale composée des valeurs de l’épanouissement des travailleurs et de la coopération (Dextras-Gauthier, Marchand et Haines, 2012), déjà associée à des niveaux plus bas d’incivilités (Cloutier et Marchand, 2016).

En somme, les résultats de cette étude incitent à repenser à l’impact des dimensions identitaires enracinées profondément dans les métiers spécialisés. Une stratégie d’intervention proactive et diversifiée permettait d’englober de nouvelles pratiques organisationnelles et d’agir sur plusieurs facteurs constructifs de manière simultanée. Un élargissement du contenu des formations offertes aux travailleurs, allant au-delà des incivilités et du harcèlement grâce à l’ajout de l’intégration des différences et d’une ouverture aux nouvelles idées et à l’innovation, constitue une piste intéressante pour l’intervention. Une profonde réflexion sur l’amélioration des pratiques de soutien et d’acceptation des différences au travail pourrait s’avérer une autre des avenues d’actions prometteuses dans les métiers spécialisés.