Corps de l’article

1. Introduction et problématique

L’efficacité des pédagogies centrées sur l’enseignant comparée à celles centrées sur l’élève est depuis fort longtemps débattue. Les résultats des recherches portant sur cette opposition sont très hétérogènes. Les écrits de recherche internationaux tendent à se prononcer en faveur d’une supériorité des pédagogies centrées sur l’enseignant, mais ce débat n’est pas pour autant épuisé. En effet, bien qu’abondante, la recherche internationale ne permet pas de se prononcer sur le contexte français (Suchaut, 2010). Les frontières de ce débat sont aujourd’hui réinterrogées. De nombreux pays ont incorporé des objectifs des pédagogies centrées sur l’élève dans leurs programmes scolaires (Kahn, 2009). Les recherches qui se transposent au niveau de la salle de classe (Bonnéry, 2007 ; Connac, 2009 ; Robbes, 2011) invitent les chercheurs à se saisir de données empiriques plus ciblées. Notre recherche portera sur la question de l’adaptation (Lazarus, 1968) et ciblera à la fois des dimensions psychologiques et scolaires. Nous nous focaliserons sur le passage d’élèves d’une école primaire pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève vers une école secondaire pratiquant une pédagogie centrée sur l’enseignant. Étonnamment peu étudié, ce passage nous paraît pertinent pour alimenter ce débat. En effet, les pédagogies centrées sur l’élève sont perçues comme en décalage avec le système scolaire classique qui propose une pédagogie centrée sur l’enseignant. Cela constitue en soi un problème, car le système scolaire classique est le plus souvent un point de passage obligatoire. Cette transition pédagogique poserait tout d’abord problème au regard de l’acquisition des connaissances de base (Tomlinson et Allan, 2000). Le décalage concernerait également la culture scolaire, et plus particulièrement, les rythmes et les modalités de travail (Balint, 2004). Certains évoquent un décalage avec la société en faisant état de difficultés à sortir du cocon (Shankland, 2009). Enfin, ce passage peut également être considéré comme problématique, car il constitue une préoccupation majeure pour les parents qui font le choix de scolariser leurs enfants dans une école pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève (Peters, 2011).

Nous comparerons le devenir d’élèves issus d’une école dont la pédagogie est centrée sur l’élève avec celui d’élèves issus d’une école pratiquant une pédagogie centrée sur l’enseignant. Nos analyses seront focalisées sur les capacités d’adaptation des élèves dans un nouvel environnement scolaire, à savoir le collège (11-15 ans). Nous cherchons à comprendre si, pour les élèves issus de l’école pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève, le passage vers une école proposant une pédagogie centrée sur l’enseignant est une source de marginalisation, ou au contraire un avantage sur le plan de l’adaptation à un nouvel environnement scolaire.

2. Contexte théorique

2.1 Pédagogies centrées sur l’élève et pédagogies centrées sur l’enseignant, une opposition théorique et pratique

D’après Chall (2000), il est possible de distinguer deux types de stratégies d’enseignement, à savoir les pédagogies centrées sur l’enseignant et celles centrées sur l’élève. Il s’agit là d’une typologie simplifiée et manichéenne permettant de se représenter, sur le plan théorique, deux approches pédagogiques qui s’affrontent depuis fort longtemps (Ausubel, 1964 ; Bruner, 1961 ; Shulman et Keisler, 1966). Cette classification imparfaite mais pratique permet d’interroger cette dichotomie pédagogique (Kirschner, Sweller et Clark, 2006 ; Mayer, 2004). Un certain nombre de traits permettent de différencier de manière sommaire ces deux grandes familles pédagogiques.

Le premier niveau de distinction concerne les objectifs. On peut schématiquement considérer que la finalité des pédagogies centrées sur l’enseignant est d’amener les apprenants vers la maîtrise de contenus associés à la performance scolaire, alors que dans la pédagogie centrée sur l’élève, c’est le développement global de l’enfant qui est visé (Castonguay, 2011). Des différences peuvent également être constatées sur le plan philosophique. Les pédagogies centrées sur l’élève reposent sur l’idée qu’à trop guider les apprenants, on interfère avec les processus d’apprentissages naturels qui permettent aux individus de construire des connaissances nouvelles à partir de leurs propres expériences (Kirschner et al., 2006). Dans le camp adverse des approches centrées sur l’enseignant, on estime que les apprenants ont besoin d’être guidés de manière précise par des concepts clairement explicités (Mayer, 2004 ; Sweller, 2003). On peut également faire état de différences sur le plan des pratiques pédagogiques. Il est difficile de dresser un bilan exhaustif des pratiques centrées sur l’élève tant elles sont nombreuses et variées. Cependant, d’après Weimer (2002), les démarches centrées sur l’élève proposent une série de cinq ruptures par rapport à celles centrées sur l’enseignant. Ces pratiques vont tout d’abord modifier l’équilibre du pouvoir dans la classe en opérant un transfert de pouvoir du maître à l’élève. La position de l’enseignant va donc évoluer, il sera perçu comme un facilitateur et un collaborateur, et non pas comme une source de connaissances. Pour les élèves, l’acquisition des contenus scolaires n’est plus une fin en soi, mais devient au contraire un support permettant de découvrir des connaissances et des compétences plus larges. Les élèves sont considérés comme les seuls responsables de leurs apprentissages, les pratiques pédagogiques viseront donc à les rendre autonomes. La dernière rupture imputable à la pédagogie centrée sur l’élève concerne l’évaluation qui va passer d’une logique sommative à une logique formative.

Dans la partie réservée à la méthodologie, nous examinerons en détail les pratiques pédagogiques en jeu dans cette étude de cas comparative.

2.2 De l’inefficacité pédagogique à la nocivité sociale

Les chercheurs tendent à se prononcer en faveur d’une plus grande efficacité des pédagogies centrées sur l’enseignant (Chall, 2000 ; Jobin et Gauthier, 2008). Ces recherches s’inscrivent souvent dans la continuité du plus grand projet de recherche en éducation menée en Occident (Slavin, 2002) connu sous le nom de Follow through qui concluait en 1979 que les pédagogies centrées sur l’enseignant étaient les plus efficaces tant sur le plan scolaire que psychologique (Engelmann, 1992). Cependant, certains chercheurs s’opposent à ce courant majoritaire en argumentant que cette plus grande efficacité serait relative, car limitée aux premières années d’école primaire (Karnes, Shwedel et Williams, 1983 ; Miller et Bizzell, 1983 ; Shankland, 2009). La forme pédagogique aurait également des conséquences sur le rapport à l’école. Les enfants issus des pédagogies centrées sur l’enseignant percevraient l’école comme une source d’inquiétude en développant une plus grande dépendance vis-à-vis des adultes (Stipek et Feiler, 1995) et en étant plus susceptibles de développer des troubles tels que l’anxiété (Burts, Hart, Charlesworth et Kirk, 1990). Pour certains, les pédagogies centrées sur l’enseignant auraient également des conséquences sociales. Les élèves scolarisés dans les écoles qui pratiquent cette pédagogie seraient plus susceptibles de commettre des actes de délinquance que les élèves issus des écoles pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève (Reynolds, Temple, Robertson et Mann, 2001 ; Schweinhart et Weikart, 1997).

2.3 Une approche multidimensionnelle de l’adaptation à un nouvel environnement scolaire

Pour analyser l’adaptation à un nouvel environnement scolaire, nous avons fait le choix de nous focaliser sur l’engagement scolaire, l’estime de soi et les habiletés sociales et relationnelles.

Les compétences sociales et relationnelles peuvent être définies comme la capacité à communiquer et à comprendre les autres, à s’adapter à son environnement immédiat, à se comporter de manière acceptable et à faire face aux problèmes (Gresham et Elliott, 1990 ; Guerrero et Jones, 2003 ; Marlowe, 1986 ; Yüksel, 2004). Pour les élèves, ces compétences concernent aussi bien les rapports avec les enseignants (suivre les règles de classe, se conformer aux directives des enseignants, demander de l’aide) qu’avec leurs pairs (écoute et coopération, contrôle de la colère dans les situations de conflit) (Lane, Givner et Pierson, 2004 ; Meir, DiPerna et Oster, 2006). Nous avons fait le choix d’observer ces habiletés sous l’angle de la violence à l’école et de la capacité à nouer des relations positives avec les enseignants. La violence à l’école paraît être un indicateur pertinent. La capacité des élèves à faire face au harcèlement scolaire, aux incivilités et aux comportements antisociaux (Carra et Faggianelli, 2003) nous permet d’interroger les présupposés difficultés à sortir du cocon. La violence à l’école est au coeur de notre dichotomie pédagogique (Carra et Pagoni, 2007 ; Joing, Mikulovic et Bui-Xuan, 2010 ; Pain, 1992). Sur le plan scolaire, les performances (Frick, Kamphaus, Lahey et Loeber, 1991) et le rapport aux apprentissages (Favre, 2007) peuvent être négativement affectés par la violence scolaire. Sur le plan psychologique, la violence à l’école peut être associée à l’anxiété (Grills et Ollendick, 2002) et à la dépression (Austin et Joseph, 1996). Étudier la capacité des élèves à nouer des relations positives avec les enseignants nous paraît également pertinent. Comme nous l’avons indiqué précédemment, le rapport à l’enseignant constitue un point de différenciation entre les deux approches pédagogiques. Cette dimension est d’autant plus pertinente qu’il a été montré que les rapports présents avec les enseignants dépendent en grande partie des expériences passées (Hughes, Luo, Kwok et Loyd, 2008). Des relations positives avec les enseignants peuvent aussi avoir des effets sur la réussite scolaire (Curby, Rimm-Kaufman et Ponitz, 2009) et la motivation (Marzano, Pickering et Hefelbower, 2010).

La notion d’engagement dans la scolarité renvoie à un objectif clairement annoncé par les pédagogies centrées sur l’élève qui prônent l’engagement personnel dans les apprentissages. Cet engagement qui concerne des dimensions cognitives, émotionnelles et comportementales (Fredricks, Blumenfeld et Paris, 2004) est aujourd’hui perçu comme un objectif à atteindre pour l’ensemble des élèves (Christenson, Reschly et Wiley, 2012). Les données empiriques prouvent qu’il est possible d’associer l’engagement à la réussite scolaire (Finn et Zimmer, 2012) et à une résilience face à des difficultés scolaires (Schaufeli et Bakker, 2004).

Enfin, nous avons pris le parti d’observer l’adaptation des élèves au regard de leur estime de soi, c’est-à-dire sous l’angle des représentations qu’ils ont de leurs propres capacités et de l’évaluation qu’ils en font (de Léonardis et Prêteur, 2007). Il s’agit d’une composante essentielle du développement de l’enfant qui influence à la fois les dimensions sociales et émotionnelles (Barrett et Campos, 1987 ; Coopersmith, 1981). Ce choix est motivé par le fait que l’estime de soi est perçue comme un atout pour l’adaptation à un nouvel environnement scolaire, car elle permet de mieux aborder de nouvelles notions dans de nouvelles conditions (Goumaz, 1991).

Le choix de ces variables réside également dans leur complémentarité. Ainsi, un faible engagement dans la scolarité et des mauvaises relations avec les enseignants sont associés à un niveau élevé de violence entre pairs (Desouza et Ribeiro, 2005). Quant à la violence, elle a un impact négatif sur le niveau d’estime de soi (Graham et Bellmore, 2007 ; Salmivalli, 2001). L’estime de soi et la violence sont corrélées avec la qualité des relations entre élèves et enseignants (Cowie et Olafsson, 2000 ; Davidson et Demaray, 2007).

2.4 But de l’étude

En prenant appui sur ces différentes recherches, la présente étude se propose d’explorer la question de la transition pédagogique entre une pédagogie centrée sur l’élève à l’école primaire et une pédagogie centrée sur l’enseignant au collège. Sur la base des écrits de recherche disponibles, qui ne concernent pas directement le passage d’une forme pédagogique à une autre, nous n’engagerons pas d’hypothèses précises.

Notre premier objectif porte sur la compréhension des liens pouvant exister sur le plan des apprentissages. Nous comparerons les performances scolaires des élèves issus des deux environnements pédagogiques. Nous avons également pour objectif d’investiguer des dimensions psychologiques de l’adaptation à un nouvel environnement scolaire. Pour cela, nous interrogerons l’estime de soi en comparant les niveaux des élèves issus des deux systèmes pédagogiques. Nous chercherons également à étudier le rapport à la scolarité en cherchant à savoir si cette transition pédagogique peut avoir des liens avec l’engagement des élèves dans la scolarité. Finalement, nous nous focaliserons sur les habiletés sociales et relationnelles en cherchant à savoir si les élèves provenant d’un système pédagogique sont favorisés par rapport aux autres en sachant mieux faire face à la violence entre pairs et en se montrant plus efficaces dans leurs relations avec les adultes.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Au cours de notre recherche, 480 questionnaires ont été distribués à des élèves scolarisés dans les écoles primaires et dans un collège d’une même commune de l’ouest de la région Île-de-France. Dans cette recherche qui porte sur 220 participants, nous avons fait le choix de nous limiter à une comparaison entre deux groupes d’élèves en les distinguant au regard de leur école primaire d’origine. Un premier groupe est constitué d’élèves et d’anciens élèves d’une école proposant une pédagogie centrée sur l’élève ; le deuxième réunit les élèves et anciens élèves d’une école pratiquant une pédagogie centrée sur l’enseignant. La comparaison entre ces deux écoles nous a paru pertinente à plus d’un titre. Ces deux écoles publiques se trouvent situées dans le même quartier, à quelques centaines de mètres de distance et accueillent un public similaire sur le plan socio-économique. En fonction de leur adresse, les élèves de ce quartier sont assignés à l’une ou l’autre des écoles. La scolarisation dans l’école pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève ne relève donc pas d’un choix volontaire des parents. Ces deux écoles sont de taille identique et accueillent chacune environ 150 élèves. C’est essentiellement sur le plan pédagogique qu’elles diffèrent. L’école proposant une pédagogie centrée sur l’élève se revendique ouvertement de l’Éducation Nouvelle. Elle est caractérisée par une pédagogie de projet dont l’organisation est basée sur des cycles multiâges et multiniveaux. Cette école ne pratique pas d’évaluation répondant à un système de notation, mais chaque élève dispose d’un livret de compétences. Les élèves sont également dispensés de travail scolaire à effectuer à la maison. L’équipe pédagogique est multistatutaire, elle est composée d’enseignants et d’animateurs. Ces adultes suscitent la coopération entre les élèves et défendent l’idée d’une école démocratique dans laquelle les élèves et les parents ont la possibilité d’agir sur les règles de la vie collective à l’école. Dans l’école qui propose une pédagogie centrée sur l’enseignant, la pédagogie est explicite. Les cours sont organisés autour d’une transmission disciplinaire directe. Les élèves sont confrontés à un enseignant unique qui évalue à l’aide des notes scolaires. Durant la dernière année d’école primaire, les rythmes de travail sont calqués sur ce qui se pratique au collège, à savoir des évaluations écrites sur table et un travail scolaire à effectuer à la maison d’un volume important.

Notre échantillon répond donc à trois critères. Tous les élèves : a) proviennent d’une des deux écoles que nous venons de citer ; b) ont suivi l’ensemble de leur scolarité primaire dans l’une de ces écoles, soit 5 ans ; c) habitent tous le même quartier. Le détail des participants selon le niveau scolaire, le sexe et l’école d’origine est rapporté dans le tableau 1.

Tableau 1

Caractéristiques des participants

Caractéristiques des participants

La classe de CM2 correspond à la dernière année d’école primaire (5e année).

Les classes de 6e et de 3e correspondent respectivement à la première et à la dernière année de collège.

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3.2 Instrumentation

Afin d’atteindre les objectifs de notre étude, nous avons choisi de nous focaliser à la fois sur la performance scolaire et sur les dimensions psychologiques.

3.2.1 Résultats scolaires

La performance scolaire a été analysée en comparant les moyennes générales annuelles des élèves scolarisés au collège durant l’année scolaire 2009-2010. Les résultats scolaires des élèves qui se trouvaient encore à l’école primaire au moment de la passation du questionnaire n’ont pas été pris en considération. Les moyennes générales annuelles sont obtenues à partir de l’ensemble des moyennes acquises dans les différentes disciplines au cours de l’année. Dans le collège faisant partie de notre recherche, les résultats scolaires sont exprimés par des notes qui se situent entre 0 et 20, 20 correspondant à la note la plus élevée.

3.2.2 Dimensions psychologiques

Les dimensions psychologiques ont été étudiées à l’aide d’un questionnaire élaboré aux fins de la présente recherche. Dans ce questionnaire, on retrouve les trois dimensions centrales de notre recherche, à savoir l’estime de soi, l’engagement et les habiletés sociales et relationnelles. Chaque dimension a été étudiée à l’aide de deux sous-échelles. Le questionnaire utilisé comprend donc six sous-échelles à items autorapportés, soit un total de 64 items. Les participants ont répondu à l’aide d’une échelle de type Likert à cinq entrées, allant de 1 (fortement en désaccord) à 5 (fortement en accord). Afin d’éviter que les sujets répondent de manière automatique, nous avons fait le choix d’inverser le sens de certains items en utilisant des questions tantôt sous la forme affirmative, tantôt sous la forme négative. Les scores des items formulés négativement ont été inversés lors de la phase d’analyse statistique. Les résultats sont exprimés en moyennes allant de 1 à 5 : plus la moyenne est proche de 5, plus la dimension mesurée est élevée. Toutes ces sous-échelles présentent des indices de fidélité acceptables ainsi que des indices de fiabilité. Ces indices sont reportés dans le tableau 2.

L’estime de soi. L’estime de soi a été mesurée à l’aide des sous-échelles du soi social et du soi scolaire tirées de l’échelle toulousaine de l’estime de soi élaborée par Oubrayrie, de Léonardis et Safont (1994). Ces échelles permettent d’évaluer la manière dont les élèves se perçoivent sur le plan social et scolaire.

L’engagement. L’engagement dans la scolarité a été évalué par deux sous-échelles. La première, intitulée Échelle de l’orientation vers le travail (Deslandes, Potvin et Leclerc, 1999), mesure les compétences, les attitudes et l’assiduité des élèves vis-à-vis des tâches scolaires. La seconde échelle que nous avons intitulée Implication à l’école et dans la scolarité a été adaptée et traduite par nos soins à partir de l’échelle Commitment to school-Seattle social development, mise au point par Glaser, Horn, Arthur, Hawkins et Catalano (2005). Cette échelle mesure la perception, par les élèves, de l’école et de leur propre travail scolaire.

Les habiletés sociales et relationnelles. Cette dimension a été étudiée à partir de sous-échelles que nous avons librement adaptées et traduites. La première sous-échelle intitulée Autoefficacité dans les relations avec les enseignants s’inspire de l’échelle Social self-efficacy for relating to teachers (Hoover-Dempsey, Walker, Sandler, Whetsel, Green, Wilkins et Closson, 2005) et mesure l’image que les élèves se font de leurs relations avec les enseignants et leur sentiment de capacité à nouer des relations avec ces derniers. Comme son nom l’indique, la deuxième sous-échelle mesure l’attitude envers la violence entre pairs. Cette échelle, élaborée à partir des échelles Attitude toward interpersonal peer violence (Slaby, 1989) et Beliefs about aggression and alternatives (Farrell, Meyer et White, 2001), évalue la capacité des élèves à faire face à la violence entre pairs de façon non violente.

Tableau 2

Description des instruments évaluant les dimensions psychologiques

Description des instruments évaluant les dimensions psychologiques

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3.3 Déroulement

Les questionnaires ont été administrés lors du troisième trimestre de l’année scolaire 2009-2010, en présence du personnel de surveillance, lorsque les élèves avaient une heure de libre entre deux cours, ou en présence des enseignants en début de cours. La durée de passation était d’environ 25 minutes. Avant que les questionnaires ne soient distribués aux élèves, des directives orales venaient préciser la procédure à suivre pour remplir le questionnaire. En première page du questionnaire, ces directives étaient de nouveau précisées. Nous avons également indiqué aux élèves que leur participation était anonyme et qu’il n’y avait pas de bonnes ni de mauvaises réponses aux questions posées.

3.4 Méthode d’analyse des données

Des analyses de cohérence interne (α de Cronbach) ont été utilisées pour valider l’ensemble des sous-échelles. Pour nous assurer de la cohérence interne des dimensions mesurées, nous avons fait le choix d’analyser la fiabilité interne à partir de l’ensemble des items constituant les dimensions. Une analyse corrélationnelle de type bivarié portant sur l’ensemble des sous-échelles a été réalisée. Les résultats ont été décrits à l’aide de moyennes puis comparés par une série de test t de Student. Le seuil de signification statistique pour tous les tests a été fixé à 0,05. Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel Statistica 8 pour Windows.

3.5 Considérations éthiques

Les responsables des circonscriptions administratives du ministère de l’Éducation nationale (académies), des établissements et des associations des parents d’élèves ont été avisés de notre recherche. Les parents d’élèves ont été informés par courrier. Les participants ont été avisés des objectifs de la recherche par le biais d’une feuille explicative distribuée après la phase de passation. L’anonymat a été garanti par un système de codage des questionnaires ne permettant pas d’identifier individuellement les participants. Une fois la recherche achevée, une synthèse des résultats a été distribuée aux différentes personnes concernées lors d’une réunion de restitution.

4. Résultats

Les résultats sont présentés en deux parties. Des analyses corrélationnelles ont été réalisées afin de mesurer les liens existant entre les différentes sous-échelles. Dans un deuxième temps, nous avons effectué une série de tests t de Student et avons comparé, au regard de l’école primaire d’origine, les scores obtenus aux échelles mesurant les dimensions psychologiques. Dans la même optique, nous avons ensuite conduit des séries de tests t de Student portant sur les résultats scolaires des élèves.

4.1 Analyse corrélationnelle

Comme le montre le tableau 3, on observe des corrélations significatives entre l’ensemble des sous-échelles : les six sous-échelles sont positivement corrélées entre elles.

Tableau 3

Analyse corrélationnelle des sous-échelles mesurant les dimensions psychologiques

Analyse corrélationnelle des sous-échelles mesurant les dimensions psychologiques

** La corrélation est significative au seuil de 0,01.

*   La corrélation est significative au seuil de 0,05.

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4.2 Différences dans les résultats scolaires des élèves selon la pédagogie de l’école d’origine

Les données indiquent que l’école d’origine n’intervient pas significativement sur les moyennes générales (t(186) = 0,53 ; p = 0,59). Les moyennes scolaires des élèves issus de l’école pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève (M = 13,03 ; s = 2,49) ne diffèrent pas de celles des élèves issus d’une école pratiquant une pédagogie centrée sur l’enseignant (M = 12,84, s = 2,44).

Tableau 4

Moyennes scolaires

Moyennes scolaires

(forme: 1891276n.jpg = moyenne ; s = écart type)

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4.3 Différences dans les dimensions psychologiques selon la pédagogie de l’école d’origine

4.3.1 Engagement dans la scolarité

Les résultats montrent que l’école d’origine n’intervient pas significativement sur la dimension de l’engagement dans la scolarité (t(208) = 0,10 ; p = 0,92). Les analyses indiquent également qu’il n’y a pas d’effet significatif pour les deux sous-échelles de l’orientation dans le travail (t(211) = 0,41, p = 0,68) et de l’engagement à l’école et dans la scolarité (F(1, 212) = 0,03, p = 0,97).

4.3.2 Estime de soi

Nos données ne montrent pas d’effet significatif de l’école d’origine sur l’estime de soi (t(199) = 1,15 ; p = 0,25). Il n’y a pas d’effet significatif de l’école d’origine pour la sous-échelle du soi social (t(207) = 0,62 ; p = 0,53) ni pour la sous-échelle du soi scolaire (t(207) = 1,47 ; p = 0,14).

4.3.3 Habiletés sociales et relationnelles

L’école d’origine intervient de façon significative (t(205) = 3,56 ; p = 0,001). Les élèves issus de l’école centrée sur l’élève font preuve d’une plus grande habileté sociale et relationnelle (forme: 1891277n.jpg = 3,61 ; s = 0,63) que les élèves issus de l’école centrée sur l’enseignant (forme: 1891278n.jpg = 3,28 ; = 0,70). Cette plus grande compétence dans les habiletés sociales et relationnelles concerne les deux sous-échelles.

Les indicateurs mesurant la capacité à faire face à la violence entre pairs montrent que les élèves issus de l’école centrée sur l’élève (forme: 1891279n.jpg = 3,46 ; s = 0,73) ont de meilleurs scores que les élèves de l’école centrée sur l’enseignant (forme: 1891280n.jpg = 3,15 ; s = 0,86 ; t(210) = 2,79 ; p = 0,001).

Les indicateurs mesurant l’autoefficacité dans les relations avec les enseignants présentent un effet principal de l’école d’origine (t(213) = 3,23 ; p = 0,001) : les anciens élèves de l’école centrée sur l’élève font preuve d’une plus grande efficacité dans leurs relations avec les adultes (forme: 1891281n.jpg = 3,77 ; s = 0,82) que les anciens élèves de l’école centrée sur l’enseignant (forme: 1891282n.jpg = 3,39 ; s = 0,89).

Tableau 5

Moyennes des scores obtenus aux sous-échelles psychologiques

Moyennes des scores obtenus aux sous-échelles psychologiques

(forme: 1891283n.jpg = moyenne ; s = écart type)

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5. Discussion des résultats

Avant de nous engager dans la discussion sur nos résultats, il nous paraît important de nous arrêter sur la portée de notre recherche. Notre protocole ne nous permet ni de nous prononcer sur les effets de la pédagogie, ni de distinguer ce qui pourrait relever d’un effet pédagogique ou au contraire d’un effet d’établissement. Cependant, en dépit de ces limites, notre échantillon nous paraît particulièrement pertinent. Nous avons en effet pu comparer deux groupes d’élèves dont les milieux d’origine présentent des similarités socioéconomiques et géographiques. Cette homogénéité constitue un atout méthodologique qui légitime la comparaison sur le plan pédagogique et permet de faire valoir la validité des résultats obtenus.

Sur le plan de la performance scolaire, nos résultats se situent dans la lignée des recherches où l’on ne constate aucune différence entre les pédagogies centrées sur l’élève et celles centrées sur l’enseignant (Avanzini et Ferrero, 1976 ; Cole, Dale et Mills, 1991 ; Lewis, 1982 ; Mosley et Plue, 1980). Nous ne confirmons donc pas la tendance majoritaire qui évoque une plus grande efficacité des pédagogies centrées sur l’enseignant (Chall, 2000 ; Jobin et Gauthier, 2008). Pour répondre à notre questionnement de départ, ainsi qu’aux préoccupations des parents d’élèves (Peters, 2011), nous pouvons affirmer que les élèves issus des pédagogies centrées sur l’élève ne vont ni pâtir d’un manque de connaissances de base (Tomlinson et Allan, 2000), ni connaître des difficultés particulières pour s’adapter aux rythmes scolaires et aux nouvelles modalités de travail (Balint, 2004). La pédagogie centrée sur l’élève ne constitue donc pas un handicap pour une scolarité future dans une école pratiquant une pédagogie centrée sur l’enseignant ; en d’autres termes, la pédagogie centrée sur l’élève ne confine pas à la pédagogie centrée sur l’élève.

Sur le plan psychologique, les résultats sont plus nuancés. Dans l’ensemble des dimensions étudiées, seule la dimension des habiletés sociales indique des différences entre les élèves issus des deux configurations pédagogiques. Bien que nous constations que les élèves issus de l’école qui propose une pédagogie cen- trée sur l’élève disposent de certaines compétences particulières, il n’est pas possible, au vu de l’ensemble des variables, d’évoquer de plus grandes capacités d’adaptation.

La dimension de l’engagement dans la scolarité n’indique aucune différence entre les élèves issus des deux groupes. Ce résultat confirme la tendance observée pour les résultats scolaires, et suggère que les élèves issus des deux configurations pédagogiques ont un rapport à la scolarité identique. Il en est de même pour la dimension de l’estime de soi pour laquelle aucune différence entre les deux groupes n’a été constatée. Pour la dimension des habiletés sociales et relationnelles, on observe une plus grande efficacité de la part des enfants issus des pédagogies centrées sur l’élève. Ce résultat atteste de compétences d’adaptation. Pour ce qui est de la capacité à faire face à la violence entre pairs, nous interprétons la plus grande efficacité des anciens élèves de l’école qui propose une pédagogie centrée sur l’élève comme le signe du transfert d’un savoir explicitement développé dans une pédagogie coopérative laissant les élèves prendre part à la gestion des conflits entre élèves. Cette capacité des élèves à faire face à la violence scolaire est un véritable enjeu pour l’adaptation à un nouvel environnement scolaire. En effet, les compétences individuelles des élèves peuvent être de véritables atouts pour faire face aux microviolences (Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit, 1999) qui, rappelons-le, sont les formes de violence ayant le plus d’impact sur la qualité de vie à l’école (Galand, Philippot, Petit, Born et Buidin, 2004). Ces résultats indiquent également que le volet pédagogique mérite de prendre une place centrale dans l’analyse de la violence scolaire (Carra et Pagoni, 2007 ; Joing et al., 2010 ; Pain, 1992).

La plus grande efficacité dans les relations avec les adultes peut, quant à elle, être interprétée comme le signe d’un transfert d’habiletés acquises dans le cadre d’une pédagogie habituant à la présence d’un nombre important d’adultes et ne se limitant pas à l’interaction avec un maître unique. Nous adhérons ainsi à l’idée que des rapports positifs avec les enseignants ont des effets qui perdurent dans le temps (Hughes et al., 2008). Nos résultats s’inscrivent également dans la continuité des études comparatives qui ont pu montrer que les enfants issus des pédagogies centrées sur l’enseignant sont plus sensibles aux effets-maîtres, en ce qu’ils développent une plus grande dépendance vis-à-vis des adultes (Stipek et Feiler, 1995). De récentes études ont néanmoins pu démontrer que les relations entre enseignants et élèves avaient plus d’effets sur la scolarité lorsqu’elles étaient mauvaises que lorsqu’elles étaient positives (Hamre et Pianta, 2001 ; Henricsson et Rydell, 2004 ; Hughes, 2011 ; Mantzicopoulos et Neuharth-Pritchett, 2003), ce qui vient nuancer la portée de notre recherche.

Cette question de la durée des effets de la pédagogie nous paraît centrale. Au vu de nos résultats, nous pourrions légitimement penser que la quasi-absence d’effets significatifs identifiés indique que l’incidence d’un type de pédagogie au primaire est de courte durée sur la scolarité future. Dans une telle optique, notre recherche soulignerait que la continuité pédagogique entre le primaire et le secondaire n’est ni préférable ni déconseillée. Cependant, nous pouvons également nous demander si cette absence d’effets n’est pas tout simplement inhérente aux limites de notre protocole de recherche. Nous pouvons, en particulier, penser que les effets d’une pédagogie sont difficilement mesurables auprès de collégiens par la voie d’un questionnaire. Une telle approche ne tient notamment pas compte de la pression à la conformité exercée entre pairs, pression caractéristique des collèges (Brown, Clasen et Eicher, 1986 ; Santor, Messervey et Kusumakar, 2000) et qui peut masquer des différences dans les dimensions que nous avons mesurées.

6. Conclusion

Notre objectif de départ était d’explorer l’adaptation scolaire des élèves au regard de la pédagogie qu’ils ont connue à l’école primaire. Pour parvenir à cet objectif, nous avons à la fois interrogé les résultats scolaires et certaines dimensions psychologiques. Sur le plan de la performance scolaire, notre recherche nous indique que la pédagogie dispensée à l’école primaire ne semble pas avoir d’impact sur la performance scolaire au collège. Pour les dimensions psychologiques, les résultats sont à nuancer. La pédagogie connue à l’école primaire n’a pas d’influence sur l’estime de soi ni sur l’engagement dans la scolarité. Sur le plan des habiletés sociales et relationnelles, nos analyses indiquent que les élèves ayant été scolarisés dans une école primaire pratiquant une pédagogie centrée sur l’élève disposent d’une plus grande efficacité que les élèves ayant été scolarisés dans une école pratiquant une pédagogie centrée sur l’enseignant. Ces résultats démontrent, certes, certaines compétences d’adaptation de la part des élèves issus de pédagogies centrées sur l’élève, mais au regard de l’ensemble des mesures effectuées, nous ne pouvons pas parler d’une plus grande capacité d’adaptation.

Notre recherche illustre la complexité à mener des recherches sur les pédagogies centrées sur l’élève, car elles semblent produire des effets qui ne sont pas immédiatement mesurables. On peut être amené à penser que les bénéfices de telles pédagogies se développent dans le temps. Afin de pouvoir mesurer ces effets dans le temps, il convient de s’engager dans des recherches longitudinales qui permettraient de suivre les parcours de ces élèves sur de longues périodes. Nos résultats pourraient constituer des pistes de réflexion sur la question de la transition entre la scolarité primaire et secondaire, et il convient de compléter un corpus empirique traitant de cette question. Sur le plan méthodologique, il nous paraît important de préciser que les indicateurs qui montrent des spécificités de la part des anciens élèves de l’école proposant une pédagogie centrée sur l’élève méritent d’être étudiés, par triangulation, avec d’autres méthodes. Il s’agit des dimensions qui nécessitent de prendre en considération la subjectivité des participants. Dans les études portant sur la violence, la fiabilité des données recueillies par questionnaire est parfois remise en question, les démarches de terrain peuvent donc être utiles, voire indispensables aux recherches portant sur ce phénomène. Il en est de même pour les recherches focalisées sur les relations entre élèves et enseignants, où l’on voit mal comment on pourrait se passer des apports méthodologiques d’une ethnographie de l’école.