Corps de l’article

Introduction

Le nombre d’étudiants en situation de handicap (SH) ayant des besoins particuliers a considérablement augmenté dans les universités québécoises (Pautel, 2017). Les étudiants en SH sont différenciés en deux groupes : 1) ceux ayant une déficience auditive, visuelle, motrice, organique, et 2) ceux ayant un trouble d’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie), de santé mentale, déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), du spectre de l’autisme, du langage ou de la parole (Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap [AQICESH], 2020). Au Québec, de 2005 à 2019, les étudiants ayant reçu les services des centres d’aide universitaires sont passés de 7 942 à 18 064, une hausse de 127 %, qui s’explique par l’augmentation importante d’étudiants faisant partie du second groupe (AQICESH, 2020). Dans cet article, nous traiterons plus particulièrement de la situation de deux stagiaires reliée à deux troubles : la dyslexie et le TDA/H. Ce choix a été arrêté car les stagiaires ayant accepté de participer aux entretiens présentaient ces troubles. Guay (2010) précise que la dyslexie « serait d’origine constitutionnelle et [qu’]elle se définit par des compétences en lecture et en écriture qui se trouvent en deçà des compétences attendues pour l’âge de l’enfant, en dépit d’une intelligence normale (mesurée par des tests standardisés) et d’un enseignement approprié à l’âge » (p. 23). En ce qui concerne le TDA/H, Vincent (2014) souligne qu’il s’agit d’un problème neurologique qui entraîne des difficultés à contrôler et à freiner les idées (inattention), les gestes (sensation d’agitation intérieure, besoin de bouger) et les comportements (impulsivité).

Selon les chartes canadienne (1982, art. 15) et québécoise (1976, art. 10) des droits et libertés, les universités ont l’obligation de mettre en place des mesures permettant aux étudiants en SH de composer avec les défis liés à leur condition afin d’assurer que ceux-ci soient traités de façon équitable. En sciences infirmières, l'augmentation du nombre d’étudiantes en SH a aussi été notée et soulève diverses réflexions surtout en lien avec leur accompagnement en milieu clinique et la nature des accommodements à leur offrir. Les superviseures cliniques ne se sentent pas outillées à cet égard (Philion et al., 2019). Cet article présente les résultats d’une recherche exploratoire ayant pour objectif de décrire l’expérience de deux étudiantes ayant respectivement une dyslexie et un TDA/H et celle de deux superviseures cliniques, relative à la relation d’accompagnement entre étudiantes en SH et superviseures. Plus spécifiquement, il s’agit d’examiner ce qui contribue à créer et à maintenir un climat de confiance facilitant cette relation d’accompagnement lors des stages.

Problématique

Le stage en milieu clinique est un moment important de la formation des étudiantes qui les amène à mieux comprendre la réalité de la profession et à mettre en pratique les savoirs découlant de leur formation (Deprit et Van Nieuwenhoven, 2018; Viau-Guay, 2014). Il s’agit d’une rencontre entre l’étudiante et la superviseure clinique qui ne se connaissent généralement pas avant le début du stage, mais qui vont apprendre à le faire pour fonctionner ensemble. La superviseure clinique se doit d’établir une relation d’accompagnement dans laquelle les deux parties s’engagent dans un processus d’apprentissage qui tend à responsabiliser l’étudiante et à construire sa pratique (Caron et Portelance, 2017; Leroux, 2019).

Au Québec, les étudiantes infirmières doivent réaliser 1 035 heures de stage minimum dans différents milieux de soins et dans la communauté afin de répondre aux exigences de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec [OIIQ] (Larue et al., 2013; OIIQ, 2009). L’expérience de stage en sciences infirmières comporte une préparation théorique, l’acquisition de compétences préalables en laboratoire et leur mise en oeuvre dans la prestation de soins offerts aux patients dans divers milieux d’exercice (p. ex. hôpital, soins à domicile). Lors des stages en milieu clinique, les étudiantes, bien qu’elles aient peu d’expérience, sont appelées à mettre en pratique des soins qui ont un impact direct et immédiat sur la santé et la sécurité des patients. Le risque d’erreur est alors modulé par la présence des superviseures cliniques qui veillent à un apprentissage progressif et sécuritaire. Ces exigences à la fois cliniques, légales et déontologiques créent un degré d’appréhension important chez les étudiantes en général, mais également chez plusieurs étudiantes en SH (Philion et al., 2019). Ces dernières doivent être rassurées et guidées habilement tout au long du stage, ce qui engendre des défis quant au soutien et à l’accompagnement à leur offrir (Larue et al., 2013; OIIQ, 2009).

Pour les étudiantes en SH, la relation d’accompagnement implique la mise en place de mesures d’accommodement et d’accompagnement en vue de répondre à leurs besoins. Il s’agit de leur offrir des moyens pour atteindre les objectifs et les exigences du stage sans subir de préjudices en raison de leur condition (Boutet et Villemin, 2014; Philion et al., 2016). Or, si des accommodements tels que l’accès à des prises de notes informatisées, un surplus de temps lors des examens ou la passation d’examens dans un local isolé sont accordés dans les cours théoriques, il s’avère plus difficile d’offrir de telles options dans les milieux de stage (Doucet et Philion, 2016; Dufour et al., 2019). Bien qu’un guide de référence proposant des outils à offrir aux étudiants en SH en contexte d’enseignement et d’évaluation en classe ait été développé (Philion et al., 2016), il n’en existe pas, à notre connaissance, qui se centrerait sur des mesures spécifiques aux différents contextes de stages (Ihori, 2012; McWaine, 2012; Roberts et al., 2014).

D’ailleurs, quelques études portant sur les programmes en sciences infirmières (Howlin et al., 2014; Symes, 2014; Walker et al., 2013) soulèvent des préoccupations liées à l’accompagnement, à savoir le risque d’atteinte à la sécurité d’autrui, le jugement évaluatif à l’égard de l’atteinte des compétences et le travail supplémentaire exigé pour accompagner certaines étudiantes en SH (Anderson, 2012; Cawthon et Cole, 2010; Philion et al., 2019, 2021). Il n’est pas étonnant alors que les superviseures cliniques se sentent peu ou pas préparées à ce type d’accompagnement.

Rappelons que dans les établissements d’enseignement, l’offre de services est le plus souvent fondée sur une approche individuelle, c’est-à-dire un accompagnement individualisé de l’étudiante où on tente de répondre à ses besoins (Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite et l’enseignement supérieur [CAPRES], 2014). Il est donc important pour les superviseures cliniques de développer une relation plus personnelle avec les étudiantes en SH. Pour ce faire, il convient d’établir une relation d’accompagnement qui ne se limite pas à l’apprentissage cognitif et professionnel, mais qui vise la création d’un climat de confiance indispensable pour relever les défis spécifiques associés à une dyslexie, à un TDA/H, à un trouble de santé mentale ou encore à d’autres difficultés en stage. Colognesi et ses collaborateurs (2019) font d’ailleurs ressortir l’importance d’une relation de qualité fondée sur la confiance entre l’étudiante et la superviseure clinique pour un bon déroulement du stage et le développement des compétences professionnelles. Le climat de confiance s’inscrit ainsi dans une compréhension plus globale de l’accompagnement (Curran, 1968), lequel est considéré par Lavoie (2000) comme étant un modèle fondateur en psychologie.

Référents théoriques

Notre recherche s’appuie donc sur le modèle d’accompagnement de Curran (1968) qui a été développé dans un contexte de counseling et de psychothérapie par Lavoie (2000). S’identifiant au courant humaniste, Curran considère l’accompagnement comme une présence en profondeur à soi et à l’autre, c’est-à-dire un accompagnement qui permet de saisir qui est l’autre jusque dans ses racines (aussi décrit comme une compréhension du coeur). Ce modèle se compose de trois aspects : la sécurité intérieure, la compréhension mutuelle et la reconnaissance de l’identité. Le modèle présuppose que lorsque l’étudiante expérimente ces trois aspects dans la relation avec la superviseure clinique, la relation d’accompagnement sera plus susceptible de se fonder sur une compréhension en profondeur de l’autre. En effet, dans ce modèle, la sécurité intérieure représente un socle qui soutient la compréhension mutuelle et amène à la reconnaissance de l’identité. Cette identité, soutient Lavoie (2000), s’enracine dans « les goûts profonds de la personne, et par conséquent, dans ses valeurs. On peut alors présupposer que ces conditions contribuent à répondre aux besoins fondamentaux de la personne » (p. 113). La figure 1 ci-dessous résume l’essentiel du modèle et montre que la sécurité intérieure et la reconnaissance de l’identité facilitent la compréhension mutuelle, et donc le climat de confiance.

Figure 1

La relation d’accompagnement (inspirée de Curran, 1968)

La relation d’accompagnement (inspirée de Curran, 1968)

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À partir de ce modèle, il est possible de considérer la superviseure clinique comme une accompagnatrice qui, tout en tenant compte des capacités cognitives de l’étudiante, va au-delà de celles-ci pour prendre surtout en considération les émotions et la personnalité de l’étudiante (sécurité intérieure). Cette dernière peut alors effectuer ses apprentissages dans un climat de confiance qui tient compte de la qualité du lien, de la compréhension et de l’intérêt manifestés par la superviseure clinique (compréhension mutuelle). La relation étant constituée de similarités et de différences liées à un bagage expérientiel (p. ex. la culture, l’histoire personnelle), il est primordial de reconnaitre et de respecter l’unicité de l’étudiante afin de favoriser son apprentissage et son intégration à un groupe social (reconnaissance de l’identité) (Lavoie, 2000).

Aussi, bien que le modèle ait été conçu de manière unidirectionnelle, c’est-à-dire selon la perspective de la superviseure clinique, nous l’avons utilisé, dans cette étude, sous un angle bidirectionnel en prenant en considération à la fois la perspective des superviseures cliniques et celle des étudiantes; la sécurité intérieure, la reconnaissance de l’identité et la compréhension mutuelle manifestées par les étudiantes étant aussi essentielles dans la création du climat de confiance. Enfin, il importe de souligner que d’autres modèles d’accompagnement plus récents ont été développés, par exemple ceux de Brudermann et Pélissier (2017), de Péoc’h (2008) ou encore de St-Arnaud (1996). Cependant, celui de Curran (1968) a l’avantage de proposer des concepts qui s’arriment mieux au contexte des stages en sciences infirmières. Par exemple, les connaissances scientifiques et techniques se rapportent aux connaissances sur les méthodes de soins, à la biologie, à la physiopathologie, alors que la connaissance de soi et de ses limites réfèrent à l’autocritique de l’étudiante et aux difficultés d’apprentissage en stage. De même, en mettant l’accent sur la reconnaissance de l’identité et de l’unicité de l’étudiante, le modèle de Curran nous semble compatible avec ce que prônent Fougeyrollas et al. (2019) à l’effet que le handicap est le résultat de l’interaction entre des facteurs personnels et des pratiques sociales et environnementales. En ce sens, ce modèle offre la possibilité de considérer la création d’un climat de confiance dans la relation d’accompagnement comme un facteur de protection de l’environnement diminuant les possibilités qu’émerge une situation de handicap en contexte de stage ou du moins que celle-ci soit prise en compte dans une perspective sociale et d’autonomisation (Fougeyrollas et al., 2019).

Afin de bien circonscrire cette réflexion, le modèle de développement humain – processus de production du handicap (MDH-PPH) est également retenu, car il propose une conceptualisation positive du développement de la personne (Fougeyrollas et al., 2019). Même quand une personne présente des déficiences ou des incapacités, cela n’empêche pas pour autant la poursuite de son développement en tant qu’humain (Fougeyrollas, 2021). Le MDH-PPH est un modèle écosystémique qui prend en considération les facteurs de risque et de protection et s’attarde dans l’interaction entre les facteurs personnels (systèmes organiques comme les déficiences, les aptitudes, les facteurs identitaires, etc.) et les facteurs environnementaux micro (relation d’accompagnement), méso (universités, milieux de stage), macro (systèmes de santé et d’éducation) pour comprendre les situations de handicap sous l'angle de la participation sociale, c’est-à-dire de la réalisation des habitudes de vie à travers les activités courantes et les rôles sociaux de la personne (Fougeyrollas, 2021). Ce modèle apporte ainsi un éclairage pertinent sur l’ouverture et les possibilités pour les personnes ayant un trouble, de recevoir des services appropriés à leur situation en renforçant leurs aptitudes, mais également en réduisant les obstacles présents dans leur environnement. Une telle transformation de la représentation sociale des personnes en situation de handicap permet de concevoir une idéologie de l’équité qui promeut à la fois la déstigmatisation, le respect des différences et l’inclusion.

Dans cette perspective, le plus important pour les auteurs de cet article n’est pas la nature du trouble évoqué, mais bien le fait qu’il peut nécessiter un accompagnement spécifique qu’il importe de moduler en fonction de l’expression des symptômes et des obstacles qu’il engendre pour chaque individu. À cet égard, Philion et al. (2019) mentionnent que les étudiants aux prises avec une dyslexie ou un TDA/H peuvent rencontrer des défis susceptibles de compromettre leur performance en stage, ce qui génère du stress et de l’anxiété. Le MDH-PPH est donc complémentaire au modèle de Curran retenu pour guider cette recherche, lequel est axé sur la compréhension des aspects sociaux, affectifs et identitaires de l’accompagnement, et plus spécifiquement sur le lien de confiance à établir entre étudiantes et superviseures cliniques.

Cadre méthodologique

Réalisée en 2019, cette étude multicas (Merriam et Tisdell, 2016) a été menée en parallèle avec une recherche exploratoire d’envergure menée par Philion et ses collaborateurs sur les enjeux et les défis rencontrés par les formateurs universitaires et de terrain dans leur accompagnement d’étudiants en SH. Un certificat d’éthique a été obtenu pour le projet principal auquel l’étude est rattachée (Philion et al. 2019, 2021). Nous tenons à souligner que les étudiantes ont librement accepté de faire partie de l’étude et de dévoiler leur diagnostic.

Participantes

Parmi toutes les étudiantes des trois années du programme de baccalauréat en formation initiale en sciences infirmières d’une université québécoise, nous avons sollicité trois étudiantes qui avaient déclaré être inscrites au service aux étudiants en SH dans des cours précédents (n=3). Sur ces trois étudiantes, deux ont manifesté leur intérêt à participer à l’étude. Du côté des superviseures cliniques (n=4), deux ont accepté de faire partie de l’étude. Les critères d’inclusion pour les étudiantes étaient d’être en première année dans le programme et d’avoir une condition diagnostiquée nécessitant un suivi du service aux étudiants en SH. Pour les superviseures cliniques, le seul critère était d’avoir une expérience d’au moins une année d’accompagnement en stage en sciences infirmières.

Les deux étudiantes recrutées étaient en stage de groupe (ratio d’une superviseure clinique pour six étudiantes) lors de l’étude. Comme mentionné plus haut, une des étudiantes présente une dyslexie et l’autre un TDA/H. Les deux superviseures cliniques ayant participé à cette étude encadrent des stages de première et de deuxième année du programme de baccalauréat en sciences infirmières. Elles avaient déjà accompagné des étudiantes en SH en stage, mais pas celles recrutées pour l’étude. Ainsi, les deux superviseures cliniques n’étaient pas associées aux mêmes stages que les deux étudiantes et lors des entretiens, les superviseures abordaient ainsi des expériences vécues avec d’autres étudiantes en SH.

Collecte des données

Les quatre participantes ont été rencontrées chacune à deux reprises dans les locaux de l’université pour des entretiens semi-dirigés. Les deux entretiens ont duré environ 50 minutes. Le premier a eu lieu à la fin du stage d’hiver (janvier à avril) et a permis d’explorer les deux thèmes suivants : 1) leur compréhension de l’accompagnement et la création d’un climat de confiance en stage. Les deux questions sous-jacentes à ce thème sont : Pour vous, comment se bâtit un climat de confiance entre une stagiaire composant avec un trouble et une superviseure clinique? Quels sont les indices qui vous laissaient savoir que l’étudiante [ou la] superviseure clinique vous faisait confiance? 2) les savoirs techniques, scientifiques et la connaissance de soi. La question associée à ce thème est : Selon vous, les connaissances techniques et scientifiques ont-elles une importance dans l’établissement du climat de confiance? Le second entretien, réalisé à la fin du stage d’été (mai à juin), a été l’occasion d’aborder deux autres thèmes : 1) les défis particuliers vécus en stage en lien avec le fait de composer avec un trouble. La question relative à ce thème est : dans ce stage, les besoins associés au fait d’être en situation de handicap présentent-ils des défis supplémentaires pour établir et maintenir une relation de confiance? 2) les démarches entreprises de part et d’autre pour maintenir le climat de confiance. La question associée à ce dernier thème est : quelles stratégies utilisez-vous pour faire face à la situation?

Ces questions ont été formulées à partir du modèle de Curran et elles étaient les mêmes pour les étudiantes et les superviseures cliniques. Lors des entretiens, les chercheurs ont pris le soin de bien distinguer les éléments du climat de confiance spécifiques aux stagiaires en SH de ceux se rapportant à l’ensemble des étudiantes. Pour y parvenir, des exemples concrets de situations vécues en stage ayant un lien ou un impact sur leur trouble ont été demandés. Les questions se sont avérées pertinentes pour documenter le climat de confiance du point de vue des participantes. La transcription et la codification des premiers entretiens a été réalisées avant de procéder aux seconds; cette procédure a permis de valider notre compréhension des idées exprimées par les participantes.

Traitement et analyse des données

L'analyse des données est basée sur les travaux de Miles et al. (2014). Ces auteurs décrivent le processus d’analyse comme ayant trois grandes étapes : 1) la réduction des données, 2) la présentation des données et 3) la formulation et la vérification des conclusions. Lors de la première étape, les transcriptions d’entrevues ont été lues et relues afin de s’imprégner des propos des participantes, repérer les extraits significatifs et dégager des thèmes (mots, expressions ou phrases courtes) pour faire un codage thématique. La transcription des huit entrevues a été codée par deux chercheurs et a fait l’objet d’un accord interjuges. Une grille d’analyse a été construite à partir des thèmes prédéterminés associés aux notions de sécurité intérieure, de compréhension mutuelle et de reconnaissance de l’identité correspondant au modèle de Curran. Les thèmes émergents relevés au cours de l’analyse sont rapportés dans les tableaux de résultats ci-dessous. Quatre des huit entretiens ont été codés séparément, puis comparés en vue d’atteindre un consensus. Le principal ajustement a porté sur la nécessité de distinguer les propos qui se rapportaient aux étudiantes en général de ceux qui étaient plus spécifiques aux étudiantes en SH. Lors de la deuxième étape, les données ont été présentées sous de nouvelles formes. Tout d’abord, sous forme de texte narratif pour une compréhension plus approfondie des propos des participantes et également sous forme de matrice, c’est-à-dire de tableaux et de schémas pour mieux saisir les émotions, les réactions et le regard que chacune des participantes portaient sur leur expérience de stage et de supervision. Un résumé détaillé a été rédigé pour chaque participante afin de saisir les démarches mises de l’avant pour favoriser un climat de confiance en stage (analyses intracas). Puis, les cas des deux étudiantes ont été comparés entre eux (analyses intercas) dans le but de déterminer les éléments similaires et distincts de leurs expériences respectives. La même procédure a été réalisée pour les deux superviseures cliniques. Cette réflexion théorique a permis d’examiner la pertinence des nouvelles relations établies et de tirer des conclusions. Lors de la dernière étape, la vérification des conclusions s’est faite par une coanalyse des données et un retour auprès de deux participantes (une étudiante et une superviseure clinique) pour valider la compréhension de leur point de vue. Ceci a permis d’assurer une concordance entre les données et l’élaboration de conclusions reflétant la compréhension des données analysées.

Présentation des principaux résultats

Les résultats témoignent de la perspective des deux étudiantes et celle des deux superviseures cliniques quant à la création et le maintien d’un climat de confiance facilitant la relation d’accompagnement lors des stages. Ces résultats sont présentés selon trois thèmes : établir un climat de confiance, développer un sentiment de sécurité et reconnaitre l’identité.

1. Établir un climat de confiance en vue d’une compréhension mutuelle

Cette section présente ce qu’est le climat de confiance et d’ouverture en stage pour les participantes et précise comment les étudiantes et les superviseures cliniques agissent pour le favoriser.

Tableau 1

Perspectives des participantes sur la création d’un climat de confiance en stage

Perspectives des participantes sur la création d’un climat de confiance en stage

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1.1 Perspective des étudiantes

Pour les étudiantes en SH, l’établissement d’un climat de confiance favorable à l’apprentissage consiste avant tout à développer un lien plus personnel avec les superviseures cliniques. Amy[2] explique : « Être capable d’établir une relation que s’il y a quelque chose qui ne va pas, tu peux aller te référer à elle [superviseure clinique] sans avoir peur de lui parler ou de sentir que tu ne peux pas dire certaines choses ». La confiance se bâtit au fur et à mesure et les outils pertinents utilisés pour le faire dans les premiers stages seront précieux pour les stages subséquents : « Cela ne sera jamais la même situation d’une personne à une autre, il faut toujours laisser la chance au coureur » (Amy). Pour créer un lien de confiance avec la superviseure clinique, les étudiantes parlent également de l’importance des moments informels comme lors de séances au laboratoire ou lors des pauses-midi dans les premières journées de stage : « On parle d’épices, on parle de recettes […] si elle n’avait pas été là pendant nos pauses […], la relation ne serait pas la même » (Amy). D’ailleurs, ces moments informels, sont jugés trop brefs en début de stage. Les étudiantes considèrent qu’elles disposent de trop peu de temps pour établir une alliance avec les superviseures cliniques. De plus, les étudiantes mettent de l’avant plusieurs éléments qui favorisent le climat de confiance.

Dévoiler leur trouble tôt dans le stage. Bien qu’elles éprouvent des réticences, les étudiantes trouvent nécessaire de dévoiler leur trouble le plus tôt possible à la superviseure clinique : « Prendre rendez-vous avec la superviseure clinique, et en parler plus que sur le va-vite. Parce que déjà là, ça pourrait l’aider, elle, à mieux comprendre […]. Ça établirait déjà une meilleure relation de confiance, je crois » (Marianne). Selon Amy, le moyen utilisé pour divulguer son trouble est important : « Établir une relation de confiance par téléphone, ce n’est pas la meilleure solution […]. Le texto, c’est encore pire. On [n’entend] pas la tonalité de voix de la personne. On ne [voit] pas le visage de la personne. Ça fait qu’on peut percevoir les choses de la mauvaise manière. Donc, en personne, je crois que c’est mieux. La superviseure va plus se sentir en confiance aussi j’imagine ». Toutefois, se dévoiler devrait être un choix personnel. Lorsque les étudiantes informent les superviseures cliniques qu’elles bénéficient des services aux étudiants en SH, celles-ci font preuve de compréhension et ajustent leur enseignement pour s’adapter à leurs besoins spécifiques. Amy a semblé apprécier tout particulièrement l’écoute et le non-jugement de la superviseure clinique : « S’il y a une situation de difficulté ou qui risque d’être plus difficile, la personne [superviseure clinique] est là et elle est prête à écouter, à accepter qu’il y a un problème, pas juger en fait ».

Faire preuve d’authenticité. Les étudiantes reconnaissent qu’il faut certaines valeurs intrinsèques pour développer le climat de confiance : « Quand j’ai su qui était là, je l’ai contacté. L’étudiante, il faut qu’elle fasse sa part aussi. […]. S’il faut que les personnes soient honnêtes avec moi, moi aussi il faut que je sois honnête avec les autres. C’est qu’il y a toujours la question de gêne. Mais on est quand même dans le domaine de la santé, alors je ne devrais pas l’être » (Marianne). Amy valorise aussi l'intégrité et l'authenticité qu'elle considère comme des facteurs de mise en relation avec l'autre. L'authenticité consiste selon elle à être soi-même et à ne pas jouer un rôle : « Le fait d’être authentique […]. Ça fait que c’est sûr, que je peux lui parler. Je peux m’ouvrir […]. On le sent, qu’elle ne joue pas un rôle. Si elle ne joue pas un rôle, moi je n’ai pas besoin de jouer le rôle de la personne qui n’est pas dyslexique » (Amy).

Bénéficier de moments sans évaluation. Notons que les deux étudiantes ont souligné que le contexte d’évaluation constante en stage nuisait à la mise en place d’un climat de confiance favorable entre étudiantes et superviseures cliniques. Elles estiment qu’une alternance entre des moments d’évaluation formels et des périodes sans évaluation contribuent au développement d’un réel climat de confiance tout en facilitant l’apprentissage : « C’est l’idée que dès qu’elle t’observe ou qu’elle est là, tu te sens dans un examen, dans une situation d’évaluation constamment, même si tu ne l’es pas. On agit toujours différemment avec nos superviseures qu’on agirait avec nos collègues. [...]. La superviseure clinique se situe où? Ce n’est pas mon amie, ce n’est pas mon prof. C’est qui en fait? Je ne suis pas trop sûre. C’est quelqu’un qui m’évalue sans la plupart du temps m’évaluer (rires) » (Amy). Ainsi, bien distinguer pour l’étudiante les moments lors desquels l’évaluation prime sur l’enseignement semble avoir son importance pour créer un climat de confiance.

1.2 Perspective des superviseures cliniques

Les superviseures cliniques définissent quant à elles le climat de confiance dans la relation d’accompagnement comme une ouverture réciproque tant sur le plan des connaissances scientifiques de l’étudiante que sur le plan émotionnel. Dana précise : « Un climat de confiance c’est autant que l’étudiante sache qu’elle peut compter sur sa superviseure clinique et qu’elle aussi peut compter sur l’étudiante dans la mesure de leurs responsabilités respectives […]. Puis au niveau plus émotif... que l’étudiante se sente en confiance de s’ouvrir à la superviseure clinique, […] de se rendre vulnérable face à elle sans avoir peur de représailles, de préjugés et tout cela. Pour moi c’est vraiment ça la grosse part du climat de confiance ». Plusieurs éléments, selon les superviseures cliniques, peuvent jouer sur le climat de confiance. Ils sont présentés dans les prochaines sections.

Respecter le moment du dévoilement. Le dévoilement du trouble durant le stage représente un moment crucial dans la relation d’accompagnement et l’établissement du lien de confiance. Pour Claude, lorsque l’étudiante n’aborde pas le sujet spontanément, elle attend que celle-ci soit prête à le faire d’elle-même. Quand l’étudiante le lui annonce, Claude prend le temps de la remercier. Selon Dana, des étudiantes préfèrent l’aviser par écrit plutôt qu’en personne : « Ce n’est pas toutes les étudiantes qui s’ouvrent de la même façon non plus. Par exemple, l’étudiante inscrite au service destiné aux étudiantes en SH, s’est ouverte dans le journal de bord ». La difficulté pour certaines étudiantes à partager leur trouble et leurs besoins, est liée au fait que le lien de confiance n’est pas encore présent : « Je leur demande toujours si elles ont des besoins […]. Je fais déjà une ouverture comme ça et c’est à ce moment-là, souvent que je me rends compte qu’elles ne me font pas encore vraiment confiance, j’imagine, parce que le lien n’est pas encore bâti » (Dana).

Dire qui l’on est. Dana souligne que le climat de confiance commence aussi à prendre forme lorsque la superviseure clinique accepte de partager son vécu : « Moi je m’ouvre, je leur apporte un peu qui je suis, mon histoire, pour vraiment les mettre en confiance. Puis on apprend à se connaître ». La révélation de soi avec discernement contribue à mettre en confiance la stagiaire : « Je vais m’ouvrir, dans le sens où je vais révéler aux étudiants ce qui peut les aider à mieux comprendre qui je suis, ou certaines réactions que je peux avoir dans différentes situations [en stage] » (Dana). Lorsque l’étudiante se révèle, cela devient aussi une occasion d’apprentissage : « Par exemple, [une situation] lui fait penser à sa grand-mère [...]. On va se servir de cette ouverture émotionnelle pour dire “OK, avec ta grand-mère tu agis comme cela; mais avec une vraie patiente qui n’est pas ta grand-mère, c’est quoi la différence dans la relation?” Ça fait que, on va utiliser ça de cette façon-là » (Dana).

Valider l’autocritique de l’étudiante. Selon les superviseures cliniques, pour qu’un climat de confiance puisse s’amorcer, l’étudiante doit faire preuve d’autocritique par rapport à ses compétences scientifiques et techniques. Par exemple, lorsque l’étudiante juge qu’elle maitrise une situation et que c’est effectivement le cas, cela facilite le climat de confiance, alors que l’inverse contribue à miner ce climat : « Si l’étudiante arrive et me dit : “Ah! moi je sais comment faire” et que quand on y va ensemble je me rends compte que finalement elle ne sait pas vraiment comment le faire […], j’ai des craintes. Quand l’étudiante a une autocritique, que son introspection est faite, que sa perception d’elle-même représente vraiment la réalité, moi, ça me donne plus confiance qu’une étudiante qui se perçoit, admettons, très bonne » (Dana).

Encourager l’expression des émotions. Accorder du soutien à l’étudiante nourrit aussi le lien de confiance. Cela permet de comprendre les émotions des étudiantes, leur ressenti afin de mieux les accompagner : « En sachant un peu ce qu’elle vivait en stage, bien moi, je pouvais beaucoup plus cibler les moments qui la stressaient le plus et être là, […] et m’arranger pour être présente à ce moment-là. Ça fait que, c’était beaucoup plus facile » (Dana). De son côté, Claude « [demande] : “Comment as-tu vécu ta journée?” puis on reparlait de ce qu’on venait de vivre. [...]. Elle a pleuré, a ri, a passé par plusieurs émotions. Ces moments-là, je les trouvais essentiels pour le lien de confiance ». Claude s’informe également des expériences antérieures de l’étudiante en SH et s'assure que ses attentes soient clairement exprimées : « Elle m’a dit, tu sais moi j’ai des besoins particuliers. Et là je lui ai dit : “Bien oui je suis un peu au courant de la situation, mais merci de me le partager”. Et [...] on a échangé. Je lui ai demandé [...] quelles étaient ses attentes envers moi, comment je devais agir avec elle ou de quelle façon elle voulait que je l’accompagne là-dedans » (Claude).

Encourager la responsabilisation des stagiaires. Si l’expérience d’enseignement donne une certaine assurance aux superviseures cliniques et leur permet d’être plus à l’aise pour prendre en considération les aspects émotionnels de l’apprentissage, elles reconnaissent aussi l’importance de responsabiliser les étudiantes et de tracer les limites de leur rôle, c’est-à-dire être en mesure de déterminer les situations qui iraient au-delà de leur rôle pédagogique. Claude indique : « Si elle fait une crise de panique, bien moi, je peux aider à atténuer cette crise-là. Mais, je ne peux pas éviter qu’elle se produise. Des fois, c’est en elles-mêmes, je pourrais ne pas être à côté d’elle et ça arriverait. Elle-même, elle doit se trouver des outils » (Claude). Tracer la limite n'est pas facile, car il ne s’agit ni d’une relation thérapeutique ni d’une relation surprotectrice (faire à la place de l’étudiante), ce type de relation s’avérant nuisible à l’apprentissage : « Au début, je faisais tout pour elle au lieu de la laisser faire. Puis après cela, quand je lui dis à partir d’aujourd’hui, j’arrête de le faire pour toi et je te laisse faire, bien là, elle se désorganisait très facilement » (Claude). Cette responsabilisation selon les superviseures cliniques va jusqu’à la nécessité pour l’étudiante en SH de reconnaitre si elle est dans un état qui lui permet de faire des apprentissages et d’offrir des soins sécuritaires aux patients.

Assurer l’équité. Une grande préoccupation des superviseures cliniques est le partage équitable du temps de supervision. Elles croient que dans un groupe de stage, il faudrait avoir un nombre limité d’étudiantes en SH sinon il est difficile de bien les accompagner : « C’est certain que comme superviseure si on en a trois en SH dans un groupe, ça commence à être compliqué » (Dana). Claude souligne : « Un de mes rôles, c’est de m’assurer que je suis équitable avec tout le monde. Ça fait que, je ne peux pas passer trois heures avec une, puis une demi-heure avec d’autres parce qu’il y en a une qui a pris trois heures. Moi, c’est plus à ce souci là que ça m’inquiète […]. Quand je sais que j’ai une étudiante qui est en situation de handicap, je vais être plus inquiète pour cela » (Claude). Leur sens des responsabilités les conduit à un questionnement inévitable sur la gestion du temps. Elles rallongent leurs journées de travail pour répondre aux besoins des étudiantes en SH : « Il y a [des étudiantes] qui veulent des rencontres [hors stage], parce que si c’est pendant les heures de stage, bien des fois je vais prendre trop de temps avec une, puis l’autre, elle est négligée » (Claude).

Les éléments que nous venons de décrire précisent la manière dont les étudiantes en SH et les superviseures cliniques créent progressivement un climat de confiance favorisant l’apprentissage. Cette confiance mutuelle peut être facilitée par un fort sentiment de sécurité intérieure. La prochaine section précise ces éléments.

Tableau 2

Perspectives des participantes sur le sentiment de sécurité

Perspectives des participantes sur le sentiment de sécurité

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2. Développer un sentiment de sécurité

Le modèle de Curran, appliqué aux points de vue des étudiantes en SH et des superviseures cliniques, suggère qu’elles développent respectivement, au cours de la relation d’accompagnement, un sentiment de sécurité intérieure nécessaire à la création du climat de confiance et d’une compréhension mutuelle durant le stage. Dans la prochaine section, nous présentons à tour de rôle la perspective des étudiantes puis celle des superviseures cliniques quant au sentiment de sécurité.

2.1 Perspective des étudiantes

Maitrise des connaissances scientifiques et techniques. Les étudiantes reconnaissent que les connaissances scientifiques et techniques sont primordiales dans le cadre de leur stage et, malgré leur situation, elles peuvent les mettre en valeur : « La superviseure clinique ne faisait pas le travail pour moi. […]. Si j’avais de la difficulté, elle m’aidait sans nécessairement me donner la réponse. Ce qui est vraiment bien, parce que tu ne veux pas avoir tout cuit dans le bec. Ce n’est pas parce que tu as de la difficulté que tu n’es pas capable de le faire » (Amy). Pour Marianne : « C’est justement grâce au climat de confiance avec la superviseure [qu’elle peut] vraiment [se] concentrer sur le stage, sur ce que fait une infirmière clinicienne, […] et intégrer les valeurs de la profession ». À l’inverse, lorsque ces connaissances sont lacunaires ou absentes, cela peut créer un blocage et miner leur confiance en soi. Amy explique : « II faut que ce soit comme acquis avant d’être en stage, car si tu ne sais pas quoi faire, bien tu es comme bloquée. Tu peux demander de l’aide du personnel soignant, l’aide des collègues… Mais, c’est plus difficile ».

Développer un réseau de soutien diversifié. Au-delà de la relation avec les superviseures cliniques, le soutien des collègues stagiaires joue un rôle dans le climat de confiance en stage. Pour Amy, le soutien de ses collègues s’est avéré précieux. Sans nécessairement mentionner qu’elle éprouvait des difficultés à lire et à écrire certains mots, elle les a sollicités pour qu’il n’y ait pas d’erreurs dans ses notes ou dans sa lecture des médicaments. D’ailleurs, le fait de demander de l’aide a contribué à la consolidation des liens avec ses pairs : « Je demande à mes collègues d’épeler les mots. Aussi facile que le mot “chaise” […]. Ça fait en sorte que, je n’avais pas mon cellulaire, je n’avais pas mes outils… des outils physiques, mais, j’avais des personnes qui pouvaient m’aider ». En contrepartie, Marianne met en évidence les difficultés à entretenir de saines relations avec les collègues d’études en raison d’un problème de concentration : « Je suis un petit peu TDA/H, j’ai beaucoup d’énergie [...], mais rester concentrée longtemps... Des fois j’ai de la misère à ne pas bouger, rester assise à ne rien faire. Ça fait que cela, je me le suis fait dire dans mon post-stage ».

Apprivoiser ses appréhensions. La conscience aiguë de leur trouble se manifeste chez les étudiantes en SH par la peur d’être jugées, d’être étiquetées par les superviseures cliniques et par leurs collègues d’études. De là, les appréhensions tant sociales (p. ex. la stigmatisation) que pédagogiques (p. ex. une perte de confiance de la superviseure clinique) qui ébranlent leur sentiment de sécurité. Bien que les étudiantes en SH perçoivent que l'expérience de stage ait été préparée positivement, la stigmatisation est malgré tout toujours présente. Amy l’explique bien lorsqu’elle dit : « Mais, tu ne veux jamais être étiquetée. Parce que ça nous met dans une boîte : “Elle a besoin d’aide, elle n’est pas comme les autres…”. Ce n’est pas l’fun de ne pas être comme les autres, puis dans le fond, nous en tant que personne, on se sent comme les autres, tu sais » (Amy). Enfin, les étudiantes précisent que les affinités entre l’étudiante et la superviseure clinique jouent un rôle dans le lien de confiance qui est nécessaire au développement du sentiment de sécurité. Amy nous confie : « Elle était bonne comme superviseure, quant à moi, mais, ça a moins cliqué du côté personnel [...]. On dirait qu’il faut que ça clique personnel, car en effet, c’est très personnel d'avoir un handicap ».

2.2 Perspective des superviseures cliniques

Se sentir confiante dans son rôle d’infirmière et d’enseignante. Pour les superviseures cliniques, la sécurité intérieure varie selon qu’elle est associée à leur rôle professionnel d’infirmière ou en tant qu’enseignante. S’appuyant sur leur expertise clinique, elles se présentent aux stagiaires en tant que professionnelles qui ne prétendent pas tout savoir. Il n’y a pas de supériorité dans la relation, précise Dana : « Je ne suis pas une super woman au-dessus de tout le monde, je suis vraiment là pour les accompagner ». En réalité, elles se considèrent comme des modèles professionnels pour les étudiantes : « C’est vraiment important pour le développement de l’identité professionnelle de l’étudiante » indique Dana. De son côté, Claude souligne que « [L’étudiante] peut reproduire ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a aimé aussi comme accompagnement ». Quant à leur rôle d’enseignante, le cumul de leur expérience dans l’accompagnement de stagiaires renforce leur sécurité intérieure. Le soutien tant cognitif qu’émotionnel qu’elles offrent aux étudiantes devient davantage possible et permet dès lors de mieux répondre à leurs besoins d’apprentissage : « J’avais plus d’expérience, j’avais fait d’autres stages. J’avais plus confiance en moi, puis […] c’est venu beaucoup plus rapidement » explique Dana. Ancrées dans une perspective humaniste où la relation d’aide est le socle, les superviseures cliniques se disent toutefois prêtes à accompagner les étudiantes en SH bien qu’elles reconnaissent ne pas disposer d’outils appropriés pour le faire. Dana explique : « Je n’ai pas de boîte à outils pour me dire... un TDA/H, il faut être comme-ci, comme ça avec l’étudiante. Je vais y aller avec l’instinct et les besoins qui vont se manifester ou avec ce que l’étudiante va me dire en cours de route ». Claude abonde dans le même sens : « Être calme, être patiente. Puis être disponible. Je dirais que déjà là, c’est des points gagnants avec une étudiante en situation de handicap qui vit de l’anxiété [...]. À part de ça, honnêtement, ma boîte à outils est très vide ». Elles reconnaissent qu’elles n’ont pas été préparées pour accompagner des stagiaires en SH : « On n’est pas préparées du tout comme professionnelles pour accompagner de futures infirmières comme cela » (Dana). Or, même en l’absence de guides ou de ressources spécifiques aux stages, force est de constater que les superviseures cliniques aspirent à un accompagnement inclusif, rigoureux et empreint de respect.

3. Reconnaitre et respecter l'unicité

Selon Curran (1968), lorsqu’il y a reconnaissance et respect de l’unicité, il est plus facile que s’instaure un climat d’ouverture et de confiance favorisant une compréhension mutuelle.

3.1 Perspective des étudiantes

Désir d’être reconnue comme une personne tout en étant comprise dans sa différence. Les étudiantes en SH ne veulent être ni réduites à leur trouble ni être considérées comme étant différentes des autres, et surtout, elles ne veulent pas recevoir de privilèges lors des stages. Elles désirent être respectées et considérées comme des personnes à part entière, être comprises dans leurs différences : « Dans ses interactions avec moi, je vois qu’elle me traite [de façon] égale aux autres. C’est important pour moi. Bien que je prenne plus de temps que les autres, je ne me suis pas sentie inférieure » (Amy). Marianne précise : « Elle comprenait le fait que j’avais un déficit […] elle arrêtait le postclinique […] elle voulait que je ne manque rien. J’imagine que c’était aussi une façon de me respecter. Puis, accepter le fait que j’aie ce déficit-là. Ça, en partie, cela peut être une relation de confiance. »

Tableau 3

Perspectives des participantes sur la reconnaissance de l’identité

Perspectives des participantes sur la reconnaissance de l’identité

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3.2 Perspective des superviseures cliniques

Respecter l’intégrité de l’étudiante. De leur côté, les superviseures cliniques sont conscientes que les étudiantes en SH ont des besoins particuliers et elles essaient d’y répondre : « Je lui ai laissé peut-être un peu plus de temps pour assimiler [le nom] des médicaments. Dans le sens que j’étais plus compréhensive quand elle n’avait pas nécessairement toutes les réponses à mes questions. Mais, mes critères d’être sécuritaire pour les patients étaient les mêmes […]. Tu sais, au bout de la ligne, l’étudiant en SH doit atteindre les mêmes objectifs que toutes les autres » (Dana). Claude partage comment elle veille au respect de l’intégrité des étudiantes : « J’essaie le plus possible de ne pas intervenir dans la chambre [du patient], quand ce n’est pas quelque chose qui va amener des préjudices. Et, à la sortie de la chambre, je les prends de côté. Là, je vais leur dire : “il y a quelque chose qu’il faudrait que tu t’assures de faire ou de ne pas oublier!” C’est dans ce sens-là que je vais chercher leur confiance ». Respecter les étudiantes en SH peu importe leur profil est une valeur fondamentale : « Je ne veux pas non plus agir différemment avec elle qu’avec une autre. Tu sais, je vais rester pareil » (Claude). Ces exemples montrent comment les superviseures cliniques exercent une forme de discrétion à l’égard de la gestion des difficultés des étudiantes en individualisant l’accompagnement.

Dans les sections précédentes, les résultats permettent de mettre en lumière comment il est possible d’agir pour développer un sentiment de sécurité et de reconnaissance, toutes deux nécessaires pour établir un climat de confiance et une compréhension mutuelle entre superviseures et stagiaires en SH.

Discussion

Dans la discussion qui suit, nous intégrons les principaux résultats de l’étude à divers travaux de recherche dont ceux inspirés par le modèle de développement humain - processus de production du handicap (MDH-PPH) (Fougeyrollas et al., 2019) afin de déterminer les éléments qui contribuent à des stages plus équitables et inclusifs pour les étudiantes en SH. Cette compréhension du handicap en tant que processus social met de l’avant l’influence de différents facteurs sur la production de celui-ci. Ainsi, nous allons mettre l’accent sur les facteurs environnementaux tant sur les plans micro, méso et macro plutôt que sur les facteurs personnels bien qu’ils soient importants à considérer pour comprendre la situation des étudiantes. Par exemple, le climat de confiance dans la relation d’accompagnement selon le MDH-PPH s’avère, à notre avis, un facteur micro-environnemental permettant de favoriser chez les étudiantes en SH l’apprentissage de la profession en tant que futures infirmières; deux rôles sociaux valorisés liés à l’éducation et au travail selon ce modèle.

Il est ressorti dans l’étude que par crainte de stigmatisation, les étudiantes en SH, retardent le dévoilement de leur trouble lorsque le climat de confiance n’est pas encore installé, ce qui fait écho aux travaux de Nolan et Gleeson (2016). D’après Fougeyrollas et al. (2015) même quand la discrimination n’est pas intentionnelle, elle contribue à la stigmatisation et à ses corollaires tels l’étiquetage, la marginalisation et l’exclusion sociale. Les représentations sociales du handicap apparaissent ainsi comme des freins pouvant amener l’étudiante à se percevoir comme différente. Ce sentiment peut miner ses relations avec les autres : difficulté à se lier avec ses pairs ou crainte de faire des demandes particulières aux superviseures cliniques. Or, précise Carrière (2012), les relations avec les autres collègues favorisent l’inclusion universitaire et peuvent même être un facteur facilitateur permettant d’appréhender plus positivement l’apprentissage. Pour Grenier et ses collaborateurs (2015), l’inclusion renvoie à un travail d’ajustement des sociétés, mais aussi à l’acceptabilité et la participation des individus dans les différentes sphères de l’environnement (micro, méso et macro). La stigmatisation étant le fruit des interactions sociales (Goffman, 1983), il convient, en adoptant l’analyse sur le stigmate et la production des normes communes (Garfinkel, 1967; Tremblay et Loiselle, 2016), d’innover en créant des contextes inédits susceptibles de transformer les interactions entre les acteurs sociaux.

En ce sens, sur un plan micro-environnemental, la création d’un climat de confiance dans la relation d’accompagnement permet de réduire ces barrières et de créer un lien solide et fort entre les étudiantes en SH, leurs pairs et les superviseures cliniques dès le début du stage, ce qui contribue à leur épanouissement et leur apprentissage. Toutefois, l’étude fait également ressortir qu’au-delà du climat de confiance à établir avec leurs stagiaires en SH, les superviseures cliniques mentionnent qu’elles ne sont pas au courant des mesures de soutien à leur offrir : « Je sens mon coffre à outils vide pour appuyer les étudiantes en SH. » (Claude). Sur un plan méso-environnemental, l’absence de balises susceptibles d’orienter les décisions relatives aux mesures d’accommodement et d’accompagnement à offrir en contexte de stage (Ducharme et Montminy, 2012, p. 158) demeure à combler bien qu’un travail important soit amorcé en ce sens, notamment par les travaux de Philion et al. (2019). En effet, ces auteures proposent des mesures à mettre en place en amont, pendant et après les stages. Pendant les stages, trois types de mesures d’accommodement sont préconisés, à savoir : 1) une gestion flexible du temps, incluant « du temps additionnel pour se préparer (p. ex., examen d’un dossier, visite préstage); reporter un stage ou la prise en charge autonome (…) des patients; interrompre durant quelques jours le stage afin de permettre une mise à niveau; en prolonger la durée tout en diminuant le nombre de jours par semaine » (p. 67); 2) il est également suggéré de choisir « des formateurs et des milieux de stage disposés à accueillir et accompagner des étudiants aux prises avec des défis particuliers » (p. 67) et enfin, 3) l’accès aux aides technologiques telles que Lexibar, Antidote, une tablette électronique ou encore une calculatrice pour respectivement rédiger les notes de soins et éviter des erreurs de posologie.

D’autre part, en ce qui concerne l’accompagnement pendant les stages, il est proposé un accompagnement personnalisé réalisé, comme proposé dans cette étude, dans un climat de bienveillance et d’ouverture, permettant d’examiner avec la stagiaire, quels soutiens lui offrir, ce qui peut inclure des échanges réguliers, l’élaboration d’un contrat d’apprentissage, de vidéo-formation, etc. Il va de soi, comme souligné par les participantes à cette étude, que ce type d’accompagnement prend du temps, un constat également soulevé par Anderson (2012) et Cawthon, et Cole (2010).

Par ailleurs, selon les deux superviseures cliniques, cet accompagnement nécessite également une responsabilisation de la part de la stagiaire quant à sa disponibilité émotionnelle et cognitive pour effectuer des apprentissages et offrir des soins sécuritaires aux patients. À cet égard, l’équité revendiquée par les stagiaires doit se jumeler à la notion de responsabilité. Il s’agit d’une juste tension parfois complexe à rallier, l’idée d’équité étant comprise comme des moyens à mettre en place pour permettre à tous les étudiants d’arriver au même point et d’atteindre les objectifs visés (Rapport du groupe de travail sur les étudiants en SH émergents, 2014). Cette double tension apparaît également dans les propos des étudiantes qui mentionnent vouloir être à la fois traitées de façon égale par rapport aux autres stagiaires et être acceptées dans leur unicité, ce qui signifie être traitées équitablement par rapport aux autres étudiantes.

Bien que la nécessité d’offrir la possibilité à toutes d’être accompagnées de manière équitable plutôt que de manière égale fasse consensus, la notion de responsabilisation soulève l’idée d’offrir des milieux de stage correspondant mieux aux profils cognitifs et affectifs de certaines étudiantes en SH, comme cela se fait dans certains programmes postgradués en psychologie clinique. En effet, la stagiaire est invitée à cibler un milieu de stage correspondant à ses objectifs de carrière et à ses compétences (Abels, 2011; Williams et al., 2011). Ainsi, malgré que la pratique clinique soit au coeur de la profession infirmière, résumer la profession à l’exécution d’un ensemble d’actes qui doivent être accomplis dans un certain laps de temps restreint la compréhension de la diversité des rôles de l’infirmière. Si on accorde une plus grande place aux étudiantes en SH dans les programmes de formation, alors les mesures appropriées doivent être mises de l’avant pour permettre l’équité en stage. À ce stade, il convient de se demander, d’une part, si toutes les étudiantes devraient nécessairement entreprendre et réussir des stages dans tous les domaines confondus, incluant des stages en résidence pour personnes âgées, en médecine/chirurgie, en santé mentale, en santé communautaire et en soins critiques, et d’autre part, si les universités doivent revoir l’organisation des stages et plus largement de leurs programmes.

Les facteurs environnementaux qui contribuent à l’inclusion sociale d’étudiantes en SH en stage ne peuvent évidemment pas se résumer à la relation entre les superviseures cliniques et les étudiantes, ce qui constitue en soi une limite de la recherche. Saisir plus largement en quoi les universités peuvent mieux s’adapter à la diversité des étudiantes en SH constitue une piste intéressante pour de futures recherches.

Conclusion

Cette recherche montre que la création d’un climat de confiance favorable à l’apprentissage représente la pierre angulaire dans la relation d’accompagnement des étudiantes en SH. Les principaux points de convergence entre les étudiantes et les superviseures cliniques qui en découlent incluent à la fois les facteurs environnementaux et les facteurs personnels. Les facteurs environnementaux comme les milieux de stage, l’université, les systèmes de santé et d’éducation doivent tous être pris en considération lorsqu’il s’agit d’améliorer l’apprentissage des étudiants. L’absence ou le peu de coordination entre ces différents milieux ainsi que le manque de lignes directrices ou de guides d’accompagnement pour les étudiantes en SH sont autant d’éléments qui peuvent représenter un frein tant pour les superviseures cliniques qui ont peu de ressources que pour les étudiantes en SH qui se retrouvent ainsi peu soutenues dans leur apprentissage. Par ailleurs, comme d’autres chercheurs l’ont déjà mentionné, cet article met en relief la nécessité du savoir accompagner qui se construit par la création d’un lien de confiance (Bourassa et Philion, 2020), lequel nécessite de prendre le temps de connaitre l’autre, de lui permettre de se raconter, de se sentir écouté, de partager ses émotions. N’est-ce pas d’ailleurs ce que le sociologue Harmut Rosa (2018) propose dans la notion centrale de résonance? Dans une telle conception, Rosa présente une sociologie de la relation au monde et remet au centre la théorie de l’expérience des acteurs avec l’environnement (naturel et matériel) et avec d’autres personnes (individus, communauté). Pour les personnes présentant des troubles ou des incapacités, la résonance favorise une dimension relationnelle qui ne considère plus ces personnes comme une charge pour le système social, mais comme des personnes ayant une voix. Dans la résonance, les rencontres intersubjectives transforment tous les acteurs, c’est-à-dire ici les étudiantes en SH et les superviseures cliniques. Ainsi, au-delà des connaissances scientifiques et des méthodes de soins, prendre le temps de créer un climat de confiance est nécessairement un atout pour favoriser l’apprentissage et l’équité pour toutes les stagiaires. Et, le modèle d’accompagnement de Curran, fondé sur le climat de confiance, s’est révélé un modèle tout à fait pertinent dans l’accompagnement d’étudiantes présentant une dyslexie et un TDA/H, mais, selon nous, pourrait également être utilisé auprès d’étudiants ayant un trouble de santé mentale par sa portée universelle.